Chapitre premier
Résumé du prologue : Envol de Chouette, jeune guerrier du Clan du Tonnerre guidé par le Clan des Étoiles, se rend en pleine nuit jusqu'à l'île aux Assemblées. Mais une fois son objectif atteint, il se fait agresser et manque de se noyer ! Cependant, un chat le sauve d'une mort certaine : Saut de Feu. Son agresseur, Poil de Lichen, s'excuse, et les trois matous comprennent que le Clan des Étoiles les a guidés tous les trois. Rejoints par Course de Tigresse, une jeune femelle du Clan du Vent, les félins écoutent le message de leurs ancêtres : et là, Envol de Chouette comprend qu'il doit trouver le Vent.
La rivière chatoyait sous le soleil de midi, son clapotis apaisant recouvrait tous les doux bruits environnants. Tel un nuage blanc sur le ciel irisé de cette belle matinée de la Saison des Feuilles Mortes, elle se démarquait de par sa sérénité, son attrait et sa douceur. Les remous étaient peu présents, si bien que l'eau semblait glacée. La lande, au bord de l'eau, était si vaste et unie qu'elle semblait immobile elle aussi. Comme si le temps s'était arrêté l'espace de quelques instants... C'était un paysage magnifique qui se dressait là chaque jour si le ciel, bien sûr, jouait en la faveur des félins vivants autour du lac. Et aujourd'hui, il était clément avec les guerriers, prenant une douce teinte bleutée saupoudrée de petites taches cotonneuses.
Bercé par les douces sonorités du cours d'eau, sur sa rive se trouvait d'ailleurs un chat. Son long pelage protégeait sa peau fragile de la fraîcheur matinale, si bien qu'il n'avait même pas à se réfugier sous le feuillage des grands arbres. Ainsi, il pouvait profiter d'une vue magnifique, qu'on ne retrouvait nulle part ailleurs autour du lac. Ses yeux se plissaient de plus en plus alors que le doux ronron s'échappant de sa gorge s'affaiblissait. Visiblement, le bruit de l'eau le relaxait tant qu'il s'apprétait à plonger dans le monde du sommeil. Et pourtant, ce qu'il aperçut à l'horizon l'en empêcha juste à temps.
Loin devant lui, quatre petits points avançaient de par la lande. « Des guerriers du Clan du Vent », comprit aussitôt Étoile de Tornade en se redressant péniblement pour mieux distinguer les fines silhouettes.
Alors qu'il s'étirait en regrettant son sommeil perdu, sa curiosité le poussa à se demander de quels guerriers il pouvait bien s'agir. Mais la question qui le taraudait réellement était la suivante : pourquoi patrouiller maintenant ? L'aube était passée depuis un bon moment déjà, et midi n'était pas prêt d'arriver... il ne vivait pas dans le Clan du Vent, mais savait bien qu'aucune patrouille n'était censée être en cours à cette heure-ci. Il figea son regard tant bien que mal sur les formes, les yeux plissés à cause du soleil aveuglant de la chaude matinée. Il mit plusieurs dizaines de secondes avant de discerner un pelage brun-roux. Aussitôt, sa queue tiqua. « Lumière de Rosée... »
Lumière de Rosée était une personne dont il était proche, et il s'agissait sûrement de la personne du Clan du Vent qu'il appréciait le plus. Ils s'étaient rencontrés un jour ou Étoile de Sable, la chef des chats de la lande, avait annoncé lors d'une Assemblée que Lumière de Rosée était devenue une guerrière aux côtés de ses deux sœurs, Orage de Feu et Tornade Cendrée. Étoile de Tornade, qui était alors un jeune guerrier, se trouvait à ses côtés. Il l'avait félicitée pour son nouveau grade, et les deux félins avaient entamé une discussion endiablée. Finalement, ils s'étaient trouvés de nombreux points communs malgré leur légère différence d'âge, et s'entendirent étonnement bien. Depuis, il leur arrivait plus que souvent de discuter pendant la cérémonie du Partage, et les deux complices chérissaient ces rares moments.
Alors qu'il replongeait dans ses souvenirs - parmi lesquels on trouvait la fois ou son amie avait osé affirmer que les lapins surpassaient en tout point les écureuils, ou encore lorsqu'ils avaient débattu sur la question fort intéressante de "Qui est le plus gracieux entre Étoile de Nénuphar et moi ?"...-, Étoile de Tornade ne s'était même pas rendu compte que la patrouille s'approchait de lui à vue d'œil. Il la remarqua juste à temps et, pour éviter de passer pour un voleur de gibier, le félin secoua ses membres encore engourdis par leur inactivité avant de s'engouffrer parmi les arbres aux feuillages orangés. Tout à coup, il se sentit apaisé. La forêt, sa forêt, le détendait toujours. Il se trouvait ici chez lui, et rien ne pourrait l'en faire partir.
Son premier réflexe fut de se diriger vers son camp, mais il changea très vite de trajectoire. Ce matin-là, il avait envie de réfléchir, de faire le vide, et ce n'était pas d'être entouré de chats, certes attentionnés mais surtout bavards, qui allait l'aider. Alors que de l'autre côté, on avait le lac. Un endroit parfait pour s'adonner à la méditation... Alors, il sortit les griffes pour ne pas glisser sur les feuilles humides et dégringoler pendant sa descente, puis se dirigea vers le lac.
Alors que le félin marchait depuis quelques minutes, il sursauta brusquement en sentant quelque chose lui atterrir dessus. Une trombe d'eau s'était abattue sur sa nuque ! Il poussa un feulement surpris et furieux, son pelage doublant de volume. Il leva immédiatement la tête pour punir la crotte de renard qui avait causé ce désastre irréparable - du moins c'est la vision qu'il se faisait des choses.
Personne, évidemment. « À quoi est-ce que je m'attendais ? Ça doit être cette maudite pluie que les feuillages ont relâchée exactement quand je passais... Crotte de souris, je suis bon pour me refaire une toilette ! »
« J'en ai assez, de cette pluie... » marmonna-t-il, son air apaisé disparu. « Des jours qu'elle tombe, et lors de la seule journée ensoleillée de cette lune, je dois quand même finir mouillé ? Décidément... Je ferai mieux de rester dans mon antre toute la journée, si ça continue comme ça », bougonna-t-il.
Sa bonne humeur envolée, il se dépêcha de rejoindre la rive du lac. Une fois là-bas, il fut soulagé de ne pas s'être mouillé à nouveau entre-temps et ne put s'empêcher d'esquisser une mimique satisfaite. Par précaution, il préféra tout de même s'assurer qu'il n'allait pas pleuvoir avant de commencer sa toilette. Il n'allait tout de même pas se nettoyer pour rien, il aurait perdu le temps si précieux de sa personne - une nouvelle fois, c'était sa vision des choses.
Une plainte désespérée s'échappa de sa gueule lorsqu'il aperçut un imposant nuage gris à l'horizon, tranchant les sommets des plus hautes collines du territoire du Clan du Vent. Ce nuage, il le savait bien, n'était pas seulement chargé de pluie, mais aussi de malheur, et surtout de froid... la Saison des Feuilles Mortes battait son plein, mais il ne fallait pas oublier que celle des Neiges approchait à grands pas, et qu'elle apporterait la famine. Pour pouvoir subsister, il fallait que le temps soit clément.
Il s'apprêtait à faire demi-tour vers la forêt, l'esprit plein de pensées noires, lorsqu'il remarqua que, sous ses propres pattes, se trouvaient des poils... qui n'étaient visiblement pas les siens. Gris et blancs, ils ne pouvaient en aucun cas lui appartenir. « Qui aurait pu se rendre ici ? Je suis quasiment le seul à connaître cet endroit... »
Étoile de Tornade leva la truffe pour discerner le fumet du chat qui avait laissé ça. Et c'est alors que, accrochée aux herbes sèches et au sable doux, lui parvint la senteur d'un de ses guerriers. Il plissa les yeux, étonné.
« Envol de Chouette ? »
Si l'odeur n'avait pas été aussi fraîche, il ne se serait pas posé de question. Une patrouille, sans aucun doute. Envol de Chouette aurait pu trouver une proie en bordure de forêt, et la poursuivre jusqu'au bord du lac. Ou bien croiser un guérisseur se rendant à la Source de Lune et lui proposer de l'escorter, étant donné que la réunion des soigneurs avait eu lieu la veille...
Mais là, Étoile de Tornade sentait bien que la trace ne pouvait pas dater du jour précédent. Son esprit commença à fourmiller d'hypothèses en tout genre, et l'une d'elle retint son attention plus longtemps que les autres.
« Peut-être qu'il participait à la patrouille de l'aube, aujourd'hui ? »
Mais il n'arrivait pas à se faire à cette idée, et pour cause : il était en train de discuter avec son lieutenant, Cœur Ombragé, juste avant que celui-ci ne compose les premières patrouilles de la journée. Et la patrouille envoyée près du lac, d'après la mémoire du félin, ne comportait pas Envol de Chouette... lorsqu'il tenta de se remémorer les guerriers qui la composaient, lui vinrent à l'esprit Cœur de Foudre, Reflet de Cerf, Croc de Roc...
« Et Truffe Affamée, aussi. Elle les a rejoints alors qu'ils partaient, il me semble, se rappela-t-il après un instant de silence. »
Ce fut l'esprit troublé qu'Étoile de Tornade quitta le bord du lac, partant à la recherche d'une quelconque proie.
~ ~ ~
Le rongeur grignotait une graine, les yeux rivés sur sa nourriture. Il ne se doutait pas que lui même serait le prochain repas de chats affamés. Et pourtant, il faut toujours rester vigilant, lorsque l'on vit aux côtés de chats aguerris dans l'art de la chasse... Un coup de crocs se chargea de lui ôter la vie, aussi rapide qu'un coup de vent.
Étoile de Tornade ferma les yeux quelques instants, et il en profita pour remercier ses ancêtres de lui avoir offert cette proie. C'était en partie grâce à ce rongeur, privé de la vie au profit de celle d'un autre, que des chats pourraient continuer à grandir...
Étoile de Tornade détestait chasser, et ce depuis son plus jeune âge. Il détestait se dire qu'il était injuste, qu'il tuait un animal innocent, qui avait une famille. S'imaginer être pourchassé en permanence par une bête féroce le faisait frissonner, et c'était pourtant la vie de toutes les proies de ce territoire. Quand ce n'étaient pas les chats qui leur ôtaient la vie, les renards s'en chargeaient... et à la nuit tombée, sous le clair de lune, des griffes argentées étincelaient. Les blaireaux se réveillaient, avides de sang, et piétinaient tout sur leur passage.
Les chats ne valaient après tout pas mieux que leurs prédateurs. Ils tuaient pour survivre, se battaient pour protéger leurs proches et sauver leur peau... mais au fond, ils aimaient faire couler le sang. Ils aimaient se sentir puissants, voir leurs griffes poisseuses et écarlates... l'odeur chaude et métallique qui se dégageait de leur gueule...
Finalement, est-ce qu'ils n'appréciaient pas tous la guerre, au fond d'eux ?
Chaque jour, ou presque, Étoile de Tornade se faisait cette réflexion. Et ce depuis de nombreuses lunes désormais. Depuis que sa sœur avait été tuée, depuis que le Clan du Vent l'avait tuée.
Fleur Rousse n'était plus. Et ce, par la faute d'un meneur qui devait désormais errer parmi les cieux, cherchant à s'échapper d'une forêt bien trop sombre...
Tout le monde pensait qu'il avait oublié cet évènement traumatisant. Il ronronnait, après tout ! Il soufflait des mots doux à Patte de Fumée, jouait avec les chatons des Torrent Doré et encourageait les apprentis... alors oui, il allait mieux.
Mais retrouver sa sœur, morte, au bord du lac, laissait forcément des cicatrices. Et même si ça paraissait évident d'être triste, Étoile de Tornade n'aurait jamais imaginé qu'une telle douleur puisse lui parcourir le corps un jour. Il se pensait fort. C'était quelqu'un de fier, avec une touche d'arrogance... il ne pensait pas pouvoir être si ébranlé.
Et puis... il était seul, à ce moment là.
Le félin aux sombres pensées fut tiré de celles-ci par les battements d'ailes d'un oiseau. Il leva les yeux, prêt à se lancer à sa poursuite, avant de se rendre compte que la bergeronnette qu'il apercevait était déjà trop haute pour être attrapée. « Ça m'apprendra à rêvasser alors que je chasse ! »
Le meneur grogna, avant de regarder autour de lui. Il voulait trouver un endroit où enterrer sa souris le temps de chasser, mais son regard fut attiré par de nombreuses et longues plumes à quelques queues de renard de lui. Leur taille l'intrigua et il s'en approcha, les yeux plissés en signe de réflexion. Une bergeronnette ne possédait pas ce genre de plumes...
Vues de plus près, elles lui paraissaient déjà bien plus familières : leur finesse, leur couleur gris sombre et argentée... il n'était pas un spécialiste des oiseaux, mais il les reconnut facilement : il s'agissait de plumes de chouettes.
Aussitôt, Étoile de Tornade eut un mauvais pressentiment. Le poil de son cou se hérissa comme une barrière de flammes, tandis que sa queue s'agitait subrepticement. Les chouettes étaient des animaux très calmes, qui ne se seraient pas agitées sans raison et, par conséquence, n'auraient pas perdu autant de plumes au même endroit. Alors, est-ce que quelque chose les avait dérangées ? Le félin réfléchit quelques instants avant qu'une idée effrayante lui vienne : peut-être qu'un blaireau rôdait sur son territoire...
Étoile de Tornade n'était pas un chat qui s'inquiétait pour un rien, mais il restait néanmoins quelqu'un de prudent et, grade oblige, de consciencieux. Alors, aussitôt après qu'il eut vérifié aux alentours si un terrier de blaireau s'y trouvait, il se dirigea vers son camp.
L'esprit du félin passait en revue toute les possibilités si un blaireau se trouvait bien sur ses terres. Il pourrait très bien attaquer le camp... les quatre chatons de Torrent Doré étaient encore très jeunes, et un blaireau pourrait les tuer très facilement si ils n'étaient pas assez facilement protégés. Frémissant, il baissa la tête pour esquiver ce qui devait être une branche ou une tige de fougère. Il devait à tout prix protéger son camp, c'était son devoir de chef... Ce blaireau n'existait peut-être que dans son imagination, mais mieux valait prévenir que guérir.
Sur le passage du félin, ses longs poils roux et blancs écartaient les fourrés autour de lui, constellant son pelage de gouttes de rosée dorées. Mille et un bruits assaillaient ses oreilles attentives, du chant des rouge-gorge innocents au bruit des feuilles se frottant entre elles dans la douce brise de la matinée. En passant bien sûr par le clapotis d'une rivière un peu plus loin...
Après plusieurs minutes à arpenter la forêt verdoyante, il arriva devant la combe sablonneuse. Il s'y faufila, passant par un petit chemin rocailleux, avant de découvrir avec un ronronnement satisfait son clan en effervescence.
Au pied de la Corniche, Cœur Ombragé, son fidèle lieutenant, veillait sur ses camarades pendant son absence. Il était accompagné par Cœur d'Écume, un guerrier au pelage bicolore, et les deux amis semblaient pris dans une conversation apparemment passionnante si on en jugeait par leurs airs enjoués. Tout près, au niveau du tas de gibier, deux petits félins se bagarraient dans une grande boule de poils grise et brune. En reconnaissant deux des trois apprentis, Étoile de Tornade ronronna, mi-amusé mi-exaspéré. Ces chatons étaient novices depuis peu, et avaient gardé l'immaturité qui caractérisait les jeunes. Alors qu'il allait laisser son regard glisser sur d'autres chats, son attention fut redirigée vers les deux petits : à force de gigoter en tout sens, ils venaient de rentrer en plein dans un grand matou brun-roux à la gueule pleine de plantes. Alors qu'il comptait écouter les excuses destinées au guérisseur, l'attention du chef fut déviée par une voix derrière lui :
« Étoile de Tornade, tu bouches l'entrée... décale-toi, je te prie... »
En entendant ce ton hautain et cette voix haut perchée, le meneur reconnut aussitôt Fleur de Goutte. Il grogna exagérément et se décala. Aussitôt, une grande tache blanche lui boucha la vue et il grimaça en reconnaissant bel et bien la guerrière. Pourquoi fallait-il qu'elle soit née dans son clan ? Telle était la question qu'il se posait sans cesse, sans jamais l'exprimer à voix haute.
Il fut cependant soulagé en reconnaissant, derrière Fleur de Goutte, une guerrière qui lui était bien plus sympathique : Tempête Tournoyante. En apercevant son fils, elle se frotta tendrement à lui. La guerrière portait un campagnol dans la gueule, et l'odeur fit saliver Étoile de Tornade qui se libéra de l'étreinte après avoir léché l'oreille de sa mère.
« Tu viens manger un bout ? »
Malgré la souris qu'il tenait dans la gueule, Étoile de Tornade articula avec difficulté un « j'ai déjà mangé » en affichant une mine désolée. Tempête Tournoyante fit une petite moue déçue avant de s'avancer du tas de giber pour déposer son rongeur, talonée par le matou roux et blanc. Cependant, alors que ce dernier tendait le cou pour lâcher sa souris, il sentit un poid le percuter. Alors qu'il levait les yeux pour apercevoir celui qui avait osé touché sa personne si violemment - ou tout simplement un chat un peu maladroit -, il entendit Tempête Tournoyante grommeler :
« Nuage de Salamandre, Nuage de Daim ! Calmez-vous, un peu. Vous n'êtes plus des chatons, alors cessez vos bagarres enfantines ! Vous vous tenez comme ça aux Assemblées, aussi ? Et non, Nuage de Salamandre, ne crois pas drôle de me répondre que oui. Tu risques juste de te prendre un coup de griffes.
Les deux petits chats se relevèrent avec difficulté et leur jettèrent un regard désolé et inquiet. Le poil de Nuage de Daim était tout hérissé et ses yeux faisaient des allers-venues entre les visages d'Étoile de Tornade et Tempête Tournoyante. Nuage de Salamandre, de son côté, faisait de son mieux pour paraître désolé. Cependant, Étoile de Tornade discerna facilement une étincelle de malice au fond des ses iris.
« Je suis désolé, murmura Nuage de Salamandre, les oreilles baissées mais les moustaches frétillantes.
- On va arrêter... » promit sa sœur, la mine véritablement honteuse de son côté.
Tempête Tournoyante feula, mais, malgré sa mine furieuse, ne disputa pas plus les deux chatons. Elle finit par s'éloigner du tas de gibier, la queue battante.
« Ces deux cervelles de souris me coupent l'appétit... »
Étoile de Tornade leva les yeux au ciel. Il savait parfaitement bien que sa mère n'était pas fâchée, mais, pour une raison mystérieuse, elle tenait à sa réputation de féline au gros caractère. Peut-être pour prouver que la vieillesse ne l'atteignait pas ? Quoi qu'il en soit, ses proches pouvaient témoigner : c'était quelqu'un de très doux quand elle le voulait.
« Oh, non, elle nous en veut... » pleurnicha Nuage de Daim à l'oreille de son frère.
Ce dernier ne semblait pas intéressé par l'avis que Tempête Tournoyante avait d'eux. Il allait partir, talonné par sa sœur, quand Étoile de Tornade intervint. Il n'en voulait pas vraiment aux chatons, mais il préférait qu'ils ne gaspillent pas leur énergie alors qu'ils pouvaient s'entraîner.
« Attendez ! » ordonna-t-il.
Les deux petits chats se figèrent, visiblement effrayés. Étoile de Tornade eut un petit ronronnement intérieur. Il était le seul à pouvoir provoquer cet effet-là chez Nuage de Salamandre. Les deux petits semblaient persuadés que leur chef allait les sermonner, et allaient se lancer dans de nouvelles excuses lorsque le meneur les coupa :
« Ne vous inquiétez pas, ce n'est rien. J'admets qu'avec Éclair Doux, on était encore pires que vous, à votre âge. On ne tenait pas en place... À vrai dire, je veux juste que vous me disiez si vous êtes déjà sortis aujourd'hui. »
Un éclat de joie, comme le premier rayon de soleil d'une chaude matinée, traversa le regard des deux félins rassurés. Tout fier, Nuage de Salamandre avait les oreilles dressées en signe d'excitation.
« On a fait notre toute première évaluation de chasse, tout près de l'ancien Chemin du Tonnerre ! » affirma-t-il d'une voix assurée. « J'ai attrapé une musaraigne et un oiseau ! Et Nuage de Daim aussi était très forte ! Deux oiseaux, quand même ! Et ils faisaient au moins... au moins... au moins deux Petit Sapin et demi ! »
Alors que Nuage de Daim, toute fière, bombait le poitrail, son frère continuait. Il ne se doutait pas que presque chaque apprenti lui avait déjà raconté ce genre de choses après une évaluation...
« Par contre, Nuage de Glace est toujours aussi mauvaise... ajouta Nuage de Salamandre, qui prenait un malin plaisir à décrédibiliser sa sœur. Elle n'a rien pris. Envol de Chouette était furieux, ça se voyait bien ! Mais il n'a rien dit, il a trop peur d'elle. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, ça devrait être le contraire. Puis... »
Alors que le jeune bavard continuait sa longue tirade, Étoile de Tornade plissait les yeux. Envol de Chouette ? Donc il n'avait vraiment pas participé à la patrouille de l'aube ? « Mais dans ce cas, comment a-t-il pu laisser son odeur au bord du lac...? Trop de questions ! Il faut que je questionne Envol de Chouette. Qu'est-ce qu'il a bien pu faire ? »
« ... et donc j'étais à quelques centimètres de la musaraigne quand, soudain...
- Hum... » commença Étoile de Tornade. « Nuage de Salamandre, je suis sincérement désolé de te couper dans un récit aussi passionnant et plein de suspens, mais vois-tu...
- Mais, Étoile de Tornade ! Ne te fiche pas de moi, je suis un excellent conteur ! C'est Petit Sapin qui l'a dit », protesta Nuage de Salamandre, même si ses yeux bleu vif pétillaient d'amusement.
Nuage de Daim jeta un regard outré à son frère devant cette remarque irrespectueuse. Le jeune chat avait toujours été franc et aimait la compagnie de son meneur. Ainsi, il n'hésitait pas à protester devant lui, et peu importe si il était impoli ! Il arrivait souvent à Étoile de Tornade, quand il se déplaçait, de découvrir qu'il était suivi par une petite boule de poils grise, cette dernière ayant l'espoir de le surprendre... Même si au début il trouvait ça gênant, il s'était très vite habitué et désormais il en ronronnait. Il lui arrivait même de surprendre lui-même le chaton, désormais.
« Savez-vous où se trouve Envol de Chouette ? s'enquit le meneur en jetant un regard amusé à un Nuage de Salamandre estomaqué.
- Oui, répondit timidement Nuage de Daim après une légère réflexion. Il est dans la tanière des guerriers. Enfin je crois...
- Très bien, merci », ronronna Étoile de Tornade avec un regard rassurant pour Nuage de Salamandre et sa sœur.
Il allait tourner les talons, mais il se ravisa juste à temps et leur intima avec un air taquin :
« Surtout, continuez à embêter Tempête Tournoyante. C'est toujours aussi drôle de la voir s'énerver. »
Avant même d'observer une réaction chez les apprentis, il s'en alla pour de bon. En plus de parler à Envol de Chouette, il fallait qu'il dépêche une patrouille pour rechercher des possibles traces de blaireau... il n'avait donc pas de temps à perdre.
Étoile de Tornade regarda autour de lui quelques instants avant d'enfin remarquer le félin qu'il cherchait : Envol de Chouette se tenait effectivement devant la tanière des guerriers, dans un coin un peu isolé du camp, entouré par quelques buissons encore bien verts malgré la Saison des Feuilles Mortes. Le jeune guerrier était en pleine discussion avec son frère, Cœur d'Écume. La conversation semblait d'ailleurs animée, car les gueules des deux chats ne se fermaient que pour reprendre une inspiration et qu'ils ne clignaient presque pas des yeux, captivés par leur sujet. De petites étoiles brillaient dans le regard des deux félins, heureux de se retrouver pour un de leurs rares échanges.
Ce fut Cœur d'Écume qui remarqua Étoile de Tornade le premier, et qui l'invita d'un signe de queue amical à les rejoindre. Le meneur accepta avec plaisir et avanca jusqu'à eux à grands pas. Sa queue était bien droite, et son regard plein de curiosité. Il allait avoir la réponse à ses questions... « Peut-être que je me fais du souci pour rien, et que je ne suis qu'un pauvre chat qui cherche à occuper ses journées, » ronronna-t-il intérieurement.
« Bonjour à vous », les salua-t-il.
Les deux chats lui rendirent son salut joyeux en agitant les moustaches. Pourtant, Étoile de Tornade perçut au fond du regard sombre d'Envol de Chouette une lueur d'inquiétude. Il ne s'en offusqua cependant pas plus que ça : le guerrier avait toujours été nerveux, et la moindre nouvelle pouvait allumer cette flamme d'angoisse au fond de ses yeux bleu nuit. Peut-être avait-il mangé une plume par erreur en avalant un oiseau ? Ça ne serait pas la première fois, et sûrement pas la dernière.
« Tu voulais nous parler, Étoile de Tornade ? » s'enquit Cœur d'Écume, qui ne se départissait pas de ses prunelles pétillantes, contrairement à son frère. »
Le meneur hocha la tête et pointa le museau vers Envol de Chouette. Ce dernier sursauta imperceptiblement en le remarquant, et le poil recouvrant sa nuque se hérissa. Sa queue avait tressauté et l'œil observateur d'Étoile de Tornade l'avait vite remarqué.
« Envol de Chouette, tu veux bien venir dans ma tanière ? J'ai une question assez importante à te poser. »
Le guerrier pommelé ouvrit de grands yeux effrayés. Il avait beau être le petit protégé du chef depuis bien longtemps, être convoqué dans son antre le terrifiait toujours autant. Après quelques secondes, flageollant, il marmonna un « oui » aussi assuré que son attitude... c'est à dire aucunement.
« Je te le ramène très vite », promit Étoile de Tornade à Cœur d'Écume en ronronnant.
Ce dernier agita les moustaches comme pour dire "aucun problème" avant de se lever pour rejoindre la pouponnière. En effet, sa compagne s'y trouvait avec leurs quatre chatons. Étoile de Tornade s'amusait toujours autant de voir la reine martyriser le pauvre Cœur d'Écume en lui rappelant sans cesse qu'il était trop éloigné de leur progéniture... cela promettait toujours des moments amusants lorsque l'on n'était qu'un spectateur de la scène, et le chef raffolait de ce genre de choses.
En jetant un regard à Envol de Chouette, Étoile de Tornade s'aperçut que ce dernier observait avec envie son frère passer la tête dans la pouponnière. Il lui donna un petit coup de queue sur le flanc.
« Ce ne sera pas long », le rassura-t-il en agitant les oreilles. »
Le poil du guerrier, qui était hérissé par la peur jusque-là, retomba à peu près en place. Il adressa un regard plein de gratitude au chef et finit par le suivre avec bien plus d'entrain que quelques instants auparavant.
« Tu aimes si peu ma compagnie ? » s'amusa Étoile de Tornade en faisant mine d'être atristé.
Il regretta de ne pas s'être retourné plus tôt, car il aurait pu voir les yeux écarquillés de son camarade.
« S-si ! » bégaya celui-ci avant de secouer la tête énergiquement. « Tu... tu es un très bon chef, très juste, très... hum... gentil ? Quoique... oublie ça. »
Le "très bon chef" décida de ne pas embêter le guerrier plus que ça et, lorsqu'il fut devant l'éboulis menant à la Corniche et à son antre, il se dépêcha de grimper en haut. Il avait beau adorer taquiner le matou gris et blanc, il voulait vraiment connaître la raison de sa visite sur la rive du lac. De plus, Envol de Chouette n'était pas le genre du félin de cacher des choses... qu'est-ce qui pouvait le pousser à contrer ses principes ?
Lorsque Envol de Chouette le rejoignit sur la Corniche, Étoile de Tornade se dépêcha de passer la tête à l'intérieur de son antre. Il devait faire vite : en plus de s'occuper du potentiel blaireau... c'était bientôt l'heure du Partage ! En tant que chef, il préférait éviter de le manquer. De plus, il ne le dirait jamais à voix haute, mais le soleil contre sa fourrure était tout de même agréable... surtout après autant de pluie. Étoile de Tornade avait toujours été sensible au bonheur que prodiguait la chaleur du soleil.
Envol de Chouette le suivit bientôt à l'intérieur.
En voyant que les oreilles de celui-ci étaient plaquées contre son crâne, il l'invita gentiment à s'asseoir. Le matou obéit maladroitement, tandis que le chef allait se positionner en face de lui, bien plus ordonné.
« Envol de Chouette, tu sais très bien pourquoi je t'ai donné ce nom. Alors calmes-toi, je t'en supplie. Je ne vais pas te réprimander, tu sais. Tu n'es plus un chaton, ou même un apprenti. Cesse de te comporter comme tel, ça te donne l'air grotesque. »
Tremblant, son interlocuteur hocha la tête. Il semblait peu convaincu, et tenta de se redresser un peu.
« D'accord, Étoile de Tornade. Je vais essayer de me c... je vais me calmer. »
Il passa sa queue autour de ses pattes et prit une grande inspiration. Bien qu'il regarde le sol, il arrêta de trembler et Étoile de Tornade savait que c'était dur pour lui. Alors, il n'en demanda pas plus et, à peu près satisfait, alla droit au but :
« Es-tu allé sur la petite plage au bord du lac, aujourd'hui ? Près de l'arbre où les chouettes s'abritent souvent. »
Le meneur eut immédiatement sa réponse, avant même que son interlocuteur n'ait dit quoi que ce soit. Le poil du guerrier s'était hérissé à la mention de la petite plage, et son regard fuyant trahissait son inquiétude grandissante. Après quelques secondes de silence, le guerrier finit par répondre faiblement :
« Non... non, je n'y suis pas allé depuis plusieurs jours. J'étais à l'ancien Chemin du Tonnerre pour l'évaluation de Nuage de Glace et sa fratrie... Nuage de Salamandre et Nuage de Daim... »
Étoile de Tornade agita les moustaches en entendant cette réponse, un ronronnement montant au fond de sa gorge. Il figea son regard doré dans les prunelles bleues d'Envol de Chouette, une étoile malicieuse au fond du regard.
« Envol de Chouette, je croyais t'avoir appris durant ton apprentissage que ce n'était pas très bien de mentir », soupira-t-il. « Tu sais que je t'adore, mais à voir ton comportement avec moi, j'ai de plus en plus l'impression de te faire peur. Je ne suis pas que ton chef, Envol de Chouette. Je suis resté ton mentor, et j'aimerai qu'on garde cette relation. Tu étais plus tranquille, petit, tu ne tremblait pas quand je te parlais ! »
L'air stupéfait, le guerrier allait répondre mais son chef continua :
« Je sais que tu étais près de l'ancien Chemin du Tonnerre ce matin. Sur ce point-là, tu dis la vérité, et cela t'honore. Mais Nuage de Salamandre me l'avait déjà dit, de toute façon, et le connaissant il ne me mentirai pas. Non, ce qui m'embête, c'est que j'ai senti ton odeur sur la plage. Une odeur très récente, datant d'aujourd'hui », précisa-t-il. « Je ne veux pas te réprimander ou quoi que ce soit. Je suis juste curieux, et j'aimerai savoir quand tu as trouvé le temps de te rendre sur cette plage... et pourquoi. Dis-moi juste la vérité, je ne souhaite en aucun cas te sanctionner de toute façon. Je veux juste occuper un peu ma journée ! » tenta-t-il de plaisanter.
Envol de Chouette, les pattes flageolantes, soupira. Il baissa une nouvelle fois les yeux avant de déclarer piteusement :
« Je ne suis pas... je ne suis pas allé sur la plage aujourd'hui, j'étais bien avec Éclair Doux, Patte de Fumée et les apprentis. Et on était bien près de l'ancien Chemin du Tonnerre... Mais... »
Il baissa encore plus la tête, prit d'un sursaut nerveux.
« J'ai honte, Étoile de Tornade ! J'ai honte... je... je me suis rendu sur la plage cette nuit... »
Étoile de Tornade plissa les yeux. La nouvelle était décevante par rapport à tout ce qu'il avait imaginé. Tout ça pour ça ? Bizarrement, il aurait presque préféré qu'Envol de Chouette ait fait une bêtise.
« Tu t'es vraiment mit dans un état pareil pour ça ? Décidément... Tu es encore plus sentimental que ce que je pensais... Et pourquoi t'es-tu rendu sur la plage ? »
La réaction du guerrier par rapport à cette question fut différente de tout ce que le chef avait imaginé : ce dernier, qui pensait que le félin continuerai juste à trembler avant de répondre, fut surpris de le voir se recroqueviller sur lui même. Lorsqu'il releva la tête, son regard était désespéré.
« Je... c'est une longue histoire, mais... m-mais... Étoile de Tornade, le Clan des Étoiles, je crois qu'il m'a guidé hors du clan... »
Le meneur, plein d'interrogations, voulu l'interrompre, avant de se résigner : une fois Envol de Chouette lancé, il vallait mieux le laisser faire. C'était si rare qu'il parle longtemps...
« Je sentais le besoin irrépréssible de me rendre loin... j'aime le Clan du Tonnerre plus que tout, pourtant, je te le jure ! Donc... j'ai couru sur notre territoire... et je me suis rendu sur la plage pour boire un peu avant de... de... j'ai si honte ! »
Une grimace pleine de regret défigurait le visage du matou encore recroquevillé, si bien qu'on le reconnaissait à peine. Étoile de Tornade recula même d'un pas, effrayé par la suite potentielle que pourrait avoir cette histoire. Il ne s'attendait pas à ce que sa petite enquête faite par simple curiosité tourne à... à quoi, au juste ? « Qu'est-ce qu'il a bien pu faire...? »
« Étoile de Tornade, je suis allé sur le territoire du Clan du Vent... je suis désolé... désolé... j'ai traversé la rivière et j'ai violé le Code du Guerrier en me rendant sur leur territoire sans autorisation, sans escorte... je suis allé au bord du lac aussi vite que possible pour ne plus être sur le territoire, mais... j'y suis resté quand même quelques secondes... le temps de me rendre à une queue de renard de l'eau... mais... le pire... le pire c'est que... ensuite, je me suis rendu sur le territoire du Clan de la Rivière ! Et puis sur l'île aux Assemblées... je suis une crotte de renard, une raclure. Mais le pire, c'est que... je ne m'en suis pas rendu compte, que ce que je faisais était mal... je ne sais même pas si c'était un rêve ou non... je me suis réveillé juste après que... que... non... J'ai aussi failli me noyer... et j'ai parlé à des ennemis ! J'ai si honte, si honte ! Et en plus de ça, je t'ai offensé ! J'ai offensé tous les chefs de clans en montant sur le Grand Chêne ! Et... et ensuite... ensuite... »
Le félin, à bout de souffle, avait les oreilles tellement plaquées contre son crâne qu'on aurait dit qu'elles lui avaient été arrachées. De plus, on aurait dit une vraie boule de fourrure tant son poil était hérissé. Ses griffes raclaient le sol de pierre.
« Ensuite, Étoile Crochue... il m'a parlé, je te le jure... il était là, il flottait juste devant moi, plein d'étoiles ! Étoile Crochue m'a parlé... et... il m'a dit que les clans étaient en danger, et que... que... que... »
Étoile de Tornade prit enfin la parole :
« Que...? » l'encouragea-t-il.
Envol de Chouette redressa enfin le cou et le meneur aperçut son visage en entier. Il n'était pourtant plus vraiment lui-même, tant ses traits étaient modifiés par la peur, le regret, et surtout la honte. On aurait dit que la partie anxieuse de son caractère avait prit le contrôle de lui-même.
« Que je devais trouver le Vent... » murmura enfin Envol de Chouette d'une voix blanche.
Sa voix, si basse, contrastait avec le cri du cœur qu'il avait proféré quelques secondes auparavant, si bien qu'Étoile de Tornade eut besoin de quelques secondes avant de comprendre ce que lui avait dit le guerrier.
Ce fut à voix basse, lui aussi, qu'il posa cette unique question :
« Envol de Chouette, sais-tu ce que peut-être ce Vent ? »
Et voilà ! Après un peu plus de deux mois j'ai enfin publié ce chapitre.
Ici, on découvre le héros ainsi que pas mal de personnages ! On développe aussi un peu plus Envol de Chouette, qui reste tout de même un personnage important ! Est-ce que vous avez un coup de cœur pour un personnage, ou une relation que vous trouvez intéressante ?
Avez-vous une idée de ce que peut-être ce mystérieux Vent ?
J'espère que ce chapitre vous aura plu, et j'espère pouvoir poster le chapitre 2 dans pas trop longtemps.
Bisous !
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