Petit Soleil

« Vous êtes sûrs qu'on ne nous a pas remarqués ? s'inquiéta Petite Violette 

- Si tu faisait moins de bruits, ce serait plus pratique, rétorquais-je. Ça vaut aussi pour toi, Petite Écorce ! arrête de gigoter comme une souris stupide !

-C'est Petite Nacre qui m'a donné un coup de pied ! protesta le mâle brun-roux tigré.

Je gonfle mon pelage brun-doré. Ce qu'ils m'énervent ! Au moins, Petit Ruisseau est sage, elle. Elle ne fait pas un bruit. Tout à coup, je sens une masse légère me tomber sur les épaules. Dans le noir, je distingue une forme claire.

« Petite Nacre, c'est pas drôle, redresse toi.

- Hein ? De quoi tu parles ?

- Tu es littéralement en train de m'écraser ! 

- C'est pas moi ! Je suis pas de ton côté !

- Ben alors c'est qui ? »

Affolée, je miaule :

« Sortez tous du buisson. »

Pour une fois, le chat blanc ne conteste pas mes ordres. J'ai un mauvais pressentiment...

Une fois tout le monde sortit du buisson, je remarque que Petit Ruisseau n'est pas là. Je retourne là où nous étions il y à quelques  minutes. Là, je vois ma sœur, étendue. Horrifiée, je la prend dans ma gueule pour la sortir d'ici .Elle est si légère que j'arrive à la porter. Quand je fût sortie, je la pose sur le sol dur et poussiéreux. Mon frère et mes amis poussent des cris terrifiés. Je suis frappée par son apparence. Son pelage blanc est crasseux, et on peut compter ses côtes. Quand à ses yeux, ils sont clos. Effrayée, je pose ma truffe dans sa fourrure sale. Elle sent affreusement mauvais. Mais ce n'est pas l'odeur que sentait Petite Libellule, la fille de Fleur des Orages et Ventre Balafré, quand elle est morte. Donc elle est encore en vie !

« Elle n'est pas morte, déclarais-je, rassurée. Mais il faut l'amener à Baie de Gui et Nuage Matinal. »

Je m'empresse de la prendre à nouveau par la peau du cou, aidée de Petite Nacre et de Petite Écorce. Elle n'est peut-être pas au Clan des Étoiles, mais elle en est proche, j'ai l'impression. Pendant un instant, je me demande si il ne faudrait pas la laisser mourrir pour qu'elle soit enfin en paix. Je secoue la tête pour chasser cette idée. Petit Ruisseau mérite de vivre ! de savoir ce que c'est que d'être heureuse ! et de s'occuper de son clan ! Ma sœur vivra ! je me penche vers elle et lui murmure :

« Petit Ruisseau ! Tu vivras, je te le promet ! »

Aucune réaction. Une fois arrivés dans la tanière des guérisseuses, nous la posons sur le premier nid de mousse venu, et courons prévenir Baie de Gui, qui dort profondément. Je le secoue de toutes mes forces.

« Baie de Gui ! réveille toi !

- Hein ? Oh, les chatons, qu'est-ce-qu'il y a ?

- Petit Ruisseau est en danger ! hurlais-je.

- Petit Ruisseau ? répéta la guérisseuse, désormais parfaitement réveillée. Que lui est-il arrivé ?

-Je...je...

- Quoi ?! hurla la femelle brune d'un ton désespéré. Parlez ! sa vie en dépend peut-être ! »

Je recule d'un pas, apeurée. Elle est tout le temps comme ça quand un chat est en danger ?!

- On était dans la clairière en train de jouer quand... quand elle s'est évanouie, mentis-je.

- Montrez-la moi, ordonna la chatte aux yeux bleus vifs. »

Nous hochons la tête, crispés, et la menons jusqu'au nid où gît le corps de ma sœur. La chatte poussa un petit cri et se précipita vers elle. 

« Appelez Nuage Matinal, miaula t-elle. »

Petite Nacre acquiesce et se glisse à travers une fente dans la pierre.

« Comment va t-elle ? demanda Petite Écorce, inquiet.

- Pas bien. Elle respire faiblement et son cœur bat très doucement. Je ne sais pas si... si elle va survivre. »

Les larmes me montent aux yeux. Ce n'est pas juste ! Petit Ruisseau n'a jamais rien demandé ! 

                                                          * * *

J'observe Baie de Gui et Nuage Matinal s'affairer auprès de la faible chatte blanche qui me quittera peut-être bientôt. Je m'approche. Autour de ses babines on peut voir des bouts de feuilles et d'herbes aromatiques. La chatte brun foncé se retourne.

« Vous êtes encore là, vous ?! mais retournez vite dans la pouponnière, ce spectacle n'est pas pour des chatons de deux lunes !

- On a deux lunes et demie, protestais-je.

- Aucune différence, rétorqua la guérisseuse d'un ton doux . Partez, et ne me forcez pas à vous y obliger !

- Vous pourrez peut-être revenir tout à l'heure, miaula gentiment sa novice, dont le joli pelage blanc-crème puait les plantes. Tiens, j'ai une idée. Vous voulez vous rendre utiles ? Alors allez chercher une souris à ma grincheuse de mentor ! »

Nous acquiesçons et nous dirigeons vers le tas de gibier, peu garni à cause de la mauvaise saison. Petite Violette attrapa un rongeur plutôt dodu pour la saison et nous trottons vers la tanière. Nous sommes arrêtés par Cri du Loup.

« Que faites-vous là ? Vous n'êtes pas sensés être dans le giron de vos mères, à l'heure qu'il est ? demanda le guerrier gris.

- Oui, commençais-je, mais en fait...

- Filez ! ordonna le matou. Vous ne voulez pas que je prévienne Étoile de la... »

Il fût interrompu par Douce Brume, sa compagne, qui l'appelait, et grogna une dernière fois :

« Retournez voir vos mères. »

Je soupire. D'habitude il est gentil, Cri du Loup...

Nous nous dirigeons à pas traînants vers la pouponnière. Là-bas, Nuit Tombante et Larmes Argentées dorment toujours. Petite Violette tapote la chatte noire du bout de sa patte ronde.

« Qu'est-ce qu'il y a, ma jolie ? lui demanda la femelle.

- Je t'ai apporté une souris.

- Merci, ma petite, mais je n'ai pas faim. Donnez-la à Nuit Tombante, ajouta sa mère. »

La femelle gris foncé baissa la tête d'un air déçu et réveilla ma mère à son tour.

« Oh, merci, mes petits ! nous remercia la chatte noire et blanche. Vous êtes adorables ! »

Elle nous parcourra du regard puis demanda d'un air anxieux :

« Où est Petit Ruisseau ? »

Nous échangeons des coups d'œil gênés, Petite Écorce, Petite Violette, Petite Nacre et moi.

« Elle...commença le chat aux yeux ambrés. »

Il fût interrompu par Nuage des Champs qui, haletante, débarqua dans la pouponnière.

« Que se passe t-il ?! s'exclama Larmes Argentées.

- Le Clan du Lac nous attaque ! »