Tome 2- Chapitre 4

Alors qu'elles rejoignaient le groupe de chats blessés et s'assoyait, accompagnée d'Oeil d'Ambre, aux côtés d'Éclair d'Orage et de Tornade de Cendre. Elle scruta les félins autour d'elle. Bien qu'elle fut soulagée de voir Aile d'Ébène assis dans un coin, nulle part elle ne voyait Plume d'Argent, Feuille de Chêne ou Fleur de Brume. Elle en déduisit qu'ils étaient tous morts.
La douleur, maintenant constante, lui serra plus fortement encore le coeur de ses griffes tranchantes. Plume d'Argent, bien qu'elle ne le connaissait pas, était un vétéran et un valeureux guerrier, et il avait fait partie du décor tout au long de la vie de la jeune guerrière, comme un repère familier auquel elle pouvait se fier. Il en était de même pour la douce guérisseuse, dont la seule présence l'avait apaisé bien des fois, comme lorsqu'elle s'était foulé une griffe ou égratigné le flanc, encore chatonne. Quelle barbarie d'avoir osé tuer une guérisseuse! Il n'y avait que les lynx pour accomplir un tel acte.
Quant à sa tante, elle se sentait encore plus triste. Fleur de Brume représentait pour elle un modèle de sagesse, de gentillesse et de générosité à atteindre. Elle avait été loyale, possédé un talent certain pour la chasse et une agilité hors du commun. Mais, plus que tout, elle était l'une des dernières choses qui la liaient à son père, mis à part Plume de Fer. Sentir ce lien se rompre encore plus lui brisait le coeur.
Elle regarda droit devant elle, essayant de faire disparaître les larmes qui embuaient son regard en clignant des yeux. Une caresse sur le dos la fit sursauter.
Éclair d'Orage la regardait avec tendresse, sa queue balayant sa colonne vertébrale en petites vagues.
- Ce n'est pas ta faute, Lune d'Aurore, murmura-t-il en la regardant intensément dans les yeux, essayant de lui faire passer un message.
- Bien sûr que si, répliqua-t-elle sur le même ton. Je n'ai pas été assez forte, j'aurais dû voir que tout cela arriverait... Tous ces chats-là sont morts, Éclair d'Orage, parce que je n'ai pas su assumer mon rôle...
Il fronça les sourcils, à la fois attristé et agacé par son entêtement.
- Personne n'aurait pu prévoir que les lynx allaient briser la trêve, même si elle ne s'applique pas à eux. Ça ne serait pas passé par la tête du Clan des Étoiles! C'est aussi impensable pour eux que ce l'est pour nous. Le sang qui a coulé cette nuit est uniquement de la faute de nos ennemis, pas de la tienne. Rentre bien ça dans ta tête dure! la taquina-t-il en lui donnant une pichenette sur l'oreille.
Lune d'Aurore hocha la tête, les yeux dans le vague. Elle était hébétée par le nombre de morts qu'elle avait vues aujourd'hui, et la seule pensée de Sang la faisait frissonner incontrôlablement.
Elle ne pouvait arrêter de voir ses yeux rouges la fixer et sa voix lui répéter en boucle, ne faisant qu'un avec l'écho du vent dans les arbres:
" Nous nous reverrons, chaton. C'est une promesse."
Elle se secoua pour chasser cette image désagréable de sa tête. Elle avait des choses plus importantes à faire, comme les sortir de là et envoyer les chats les plus rapides prévenir ceux qui étaient restés aux camps.
Elle observa les quelques vingt-cinq chats qui restaient: ils étaient en bien piètre état, leur fourrure arrachée à certains endroits, laissant voir des blessures à vif, un air de fatigue et de désespoir sur le visage. Une reine pleurait bruyamment, consolée par un ancien. Les guerriers discutaient entre eux, murmurant à peine, probablement des prières au Clan des Étoiles afin qu'ils gardent leur famille en sécurité. Vraisemblablement, ils ne se doutaient pas que leurs ancêtres étaient aussi démunis face à leurs cruels adversaires qu'eux.
La lieutenante regarda Oeil d'Ambre, à sa droite. L'air encore ahuri, le regard lointain, sa pauvre amie semblait en état de choc. Elle décida de passer en revue les maigres rangs de chats afin de voir si Coeur d'Érable, Pelage d'Anthracite, Aile Noire ou les quatre meneurs avaient survécu.
Étoile de Mer était morte après que Colère l'eût tué cinq fois à la suite de son attaque initiale. C'était lui qui avait porté le premier coup, mais Sang lui avait interdit de tuer les autres chefs avant son retour. Il voulait probablement les tuer devant autant de chats que possible afin d'affirmer son pouvoir.
Elle leva la tête et découvrit qu'Étoile du Nord, Étoile du Lac et Étoile Tranchante avaient été parqués à part de leurs guerriers, probablement pour les empêcher de les réunir afin de se rebeller.
Bon raisonnement, mais ils ont oublié les lieutenants.
Elle aperçut Coeur d'Érable à travers les diverses fourrures et se dirigea vers lui. Le guerrier semblait à la fois choqué, triste et furieux.
- Coeur d'Érable, miaula-t-elle en se frayant un chemin entre les matous.
Elle regarda les lynx qui les gardaient. Ils ne semblaient pas avoir remarqué son appel.
- Lune d'Aurore! s'exclama-t-il d'un ton soulagé. Tu es vivante.
- Baisse d'un ton, ou on ne le sera plus pour longtemps, l'avertit la chatte.
Il hocha la tête, ses yeux ambrés brillant dans l'obscurité, et murmura:
- Il faut faire quelque chose! Nous devons avertir le reste d'entre nous avant qu'ils ne se fassent tomber dessus.
Lune d'Aurore remua les moustaches. Elle avait eu exactement le même raisonnement que le matou.
- Effectivement, j'avais pensé la même chose. As-tu vu Aile Noire ou Pelage d'Anthracite?
Le guerrier eut soudain l'air attristé. Il acquiesça et pointa de la queue un cadavre à quelques longueurs d'eux: Pelage d'Anthracite.
- Et je n'ai pas vu Aile Noire dans le groupe, alors je suppose qu'il est mort aussi, ajouta-t-il.
Encore une fois, le poids des multitudes de morts sembla peser sur les frêles épaules de la jeune lieutenante. Elle se reprit rapidement, habituée, et chuchota à l'oreille de son complice:
- Nous devons nous organiser afin de battre les lynx qui sont dans la clairière. Ensuite, nous enverrons les meilleurs coureurs aux quatre camps et nous nous dirigerons nous-mêmes vers celui qui se fait attaquer en ce moment même, ou qui ce sera fait attaquer. Nous réunirons tout le monde puis nous trouverons un endroit sécuritaire où ils ne pourront pas nous attaquer par surprise.
Le lieutenant de la Rivière eut l'air impressionné par l'aplomb de celle du Tonnerre. Il hocha la tête, déjà convaincu, puis miaula à voix basse:
- Il y a environ le même nombre de lynx que nous dans la clairière, peut-être même un peu moins. Nous devrons faire diversion, mais il faut faire passer le message avant, ils sont tous trop choqués pour réagir si on attaque sans les avoir prévenus. Pendant la bataille, nous enverrons nos quatre éclaireurs et nous finirons les lynx, puis nous attendrons que les chats qui ont pu s'enfuir à temps nous rejoignent.
- Faisons cela, approuva-t-elle. Mais que va être la diversion?
Le guerrier de la Rivière réfléchit un instant, la tête penchée sur le côté.
- Nous devrions nous disputer et nous battre, de façon à rouler en dehors du cercle formé par les lynx, puis lorsqu'ils essaieront de nous séparer pour nous tuer, nous attaquerons et les autres chats de l'intérieur également.
- Bien.
Lune d'Aurore prit une grande inspiration, nerveuse. Ils n'avaient pas le droit à l'erreur. S'ils échouaient, c'en était fini des chats qui restaient dans la clairière. Sans parler d'elle, qui souffrirait un sort pire que la mort aux pattes de Sang avant qu'il ait la miséricorde de la laisser rejoindre ses ancêtres.
Tandis que Coeur d'Érable chuchotait aux chats autour de lui leur plan et que les félins se passaient le message, on voyait la flamme de l'espoir se rallumer dans leurs yeux et leur regard se durcir avec détermination. Leurs pelages hérissés par la peur, ils semblaient malgré tout prêts à donner leur vie pour sauver les chats qui restaient aux camps.
Lune d'Aurore rencontra les yeux remplis d'espoir d'Éclair d'Orage et d'Oeil d'Ambre, ce qui renforça son propre courage. Elle devait les libérer, elle devait venger toutes ces vies perdues, à commencer par celle de son propre père, et sauver celles qui commençaient tout juste, tels ses neveux et nièces, et tous les chatons des clans.
Et elle le ferait.
- Prête? chuchota Coeur d'Érable à son oreille.
- Plus prête que jamais.
Avant même qu'elle ait fini sa phrase, la lieutenante reçut la patte de son complice au visage. Il avait rentré les griffes afin d'éviter de la blesser réellement, mais les lynx, qui assistaient au faux combat de loin, n'y verraient que du feu.
Le beau matou lui cracha au visage.
- Cervelle de souris! Coeur de renard! Si tu penses que je vais me laisser insulter comme ça par une si petite guerrière, et du Clan du Tonnerre en plus, tu te mets la griffe dans l'œil jusqu'à l'épaule!
Lune d'Aurore joua le jeu, suivant Coeur d'Érable dans sa parade d'insultes.
- Tu es ridicule, espèce de tête de poisson! feula-t-elle, une lueur d'amusement presque indétectable dans le regard. Tu es tellement prétentieux, tu te crois supérieur et au-dessus de tout cela parce que le Clan des Étoiles a daigné épargner ta face de grenouille! Je vais te montrer qu'ils ont fait la plus grosse erreur de leur vie! ajouta-t-elle vivement en lui sautant dessus.
Leurs pelages et leurs respirations mêlés, tout en roulant dans tous les sens, ils veillèrent à rouler à l'extérieur du cercle formé par les lynx qui les gardaient. Ceux-ci, trop stupéfaits et concentrés sur le combat, étaient pétrifiés et les regardèrent rouler en crachant et en griffant sur le sol.
Il fallut bien une minute ou deux de ce manège pour que l'un d'eux se décidât enfin à les séparer.
Il était temps, pensa Lune d'Aurore, essoufflée. Dis donc, les lynx ne brillent pas par leur rapidité d'esprit!
Lorsqu'elle vit l'ennemi qui allait mordre Coeur d'Érable, qui l'avait plaquée au sol pour les apparences, elle n'hésita pas. Vive comme un serpent, elle se dégagea et sauta sur leur assaillant, griffes sorties et babines retroussées.
À ce signal implicite, les chats, restés spectateurs jusque là, feulèrent à l'unisson et sautèrent sur les gardes restants. Même les meneurs, à qui le message n'était pas parvenu, saisirent l'occasion et s'attaquèrent à leurs gardiens.
Bientôt, tandis que Coeur d'Érable aidait la jeune guerrière à se débarrasser de leur adversaire, la balance pencha en faveur des chats, qui étaient tout compte fait légèrement plus nombreux que les lynx. Également, habituellement retenus par le code du guerrier, qui commandait de ne point tuer, les chats n'éprouvaient aucune pitié pour ceux qui avaient assassiné leur meneur et leurs camarade de clan. Impitoyables, les images encore récentes de la tuerie en tête et leur pelage encore trempé du sang de leurs amis pour le confirmer, ils égorgèrent et éventrèrent les lynx, tels de sombres anges apparus des ténèbres qui persistaient, insondables, aux recoins de la clairière. Le ciel était encore couvert d'une sombre vague de nuages, signe du courroux encore vif de leurs ancêtres. Quelquefois, cependant, un nuage s'écartait et tandis que la grosse lune dorée apparaissait au travers des flots noirs tel un gigantesque oeil sans pupille, on pouvait apercevoir l'éclat blanc d'un croc, l'écarlate d'une bruine de sang ou l'oeil furieux d'un combattant.
La terre fut encore souillée, mais cette fois d'un sang noir et impur. Les chats étaient victorieux, plus mal en point et blessés que jamais, mais ils avaient vaincu les lynx.
Tandis que le soleil rouge se levait sur cette nuit sanglante, pas un regard ne fut jeté aux cadavres des ennemis profanes, à leurs yeux vitreux ou à leur bouche ouverte en un dernier cri de désespoir.
Sauf un. Malgré elle, Lune d'Aurore sentit un pincement de pitié tout au fond de son coeur pour ces pauvres âmes. Au fond d'elle, une chatte souffrait pour ce peuple au territoire mourant, pour les chatons qui agoniseraient et les anciens qui seraient les premiers à partir. Elle existait, cette chatte, compatissait au mal dont souffrait cette population destinée à disparaître et demandait même à partager un peu de leur territoire avec eux.
Mais, alors qu'elle commençait à se dire que ce serait une bonne idée, elle se rappelait du regard de son père, du cadavre de Griffe Brune, de la terreur que faisaient régner ces créatures impitoyables et si cruelles qu'elles ne devaient pas avoir de code moral.
Elle jurait que la chatte qui pleurait pour toutes ces vies perdues et pour ce peuple en fin de vie existait.
Mais ce n'était pas elle. C'était les chats ou les lynx, et elle n'avait aucune intention de se laisser disparaître. Elle avait choisi les clans, et si pour cela, les lynx devaient mourir, qu'il en soit ainsi.
Et tandis que les quatre chats les plus rapides et les plus en forme qu'ils avaient pu trouver couraient à en perdre haleine vers les quatre camps afin de sauver le plus de vies possible, leurs pelages éclairés par la lumière mordorée du soleil levant, elle se fit la promesse que pour sauver les chats des clans, elle les tuerait tous jusqu'au dernier chaton.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Ouuuh! Lune d'Aurore est bien déterminée...
Que pensez-vous de l'évolution de son personnage?
Que va-t-elle faire par la suite?
Que va-t-il arriver aux clans?
J'ai déterminé la fin de l'histoire, et je ne pense pas que vous allez être déçus côté action! Il va arriver beaucoup, mais alors beaucoup de choses dans les chapitres à venir. Des choses importantes et déterminantes pour le destin des clans.
Bref, plus de "team", j'ai fait mon choix...😏
En tout cas, j'espère que vous avez aimé ce chapitre et que vous continuerez de me lire!
Un petit vote ou un petit commentaire pour dire votre avis fait toujours plaisir❤️😊
Bisous et à la prochaine,
lecrivaine123

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top