CHAPITRE 25
(reminder; après s'être faite défigurer par un monstre, Beauté Glaciale devenue Silence Glacial et LionLion atterrissent chez le Clan Rouge où se trouve Bulle Noire sa pote du Clan Vert, apparemment prisonnière, qui est dans un sale état, si vous avez oublié quel état exactement, relisez la dernière ligne du chapitre 24. non mais ho, je veux bien être sympa et vous rappeler des trucs mais je vais pas lire l'histoire à votre place. (en vrai si même moi j'avais oublié ça mdr faut dire que août ça remonte))
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- Q-que t'es t-il arrivé ? parvint tant bien que mal à articuler Lion Argenté, qui s'efforçait de ne pas avoir l'air trop choqué.
Bulle Noire soupira d'un air las en faisant choir ses minces épaules.
- Comme je te l'ai dit, le Clan Rouge m'a trouvée près de leur combe à la noix. Je ne faisais pas le planton là pour le plaisir de me faire attraper, figure-toi. Je m'étais coincé la patte avant dans une souche en essayant de l'escalader. Ça peut avoir l'air ridicule comme ça, mais j'étais totalement bloquée dans le bois. Ces bouffeurs d'écureuil, ça les a fait rire, ils ont dit qu'ils allaient rester là à me regarder dépérir, prisonnière à ma souche. Un petit groupe de guerriers m'a encerclé afin de me surveiller, mais une nuit, lorsqu'ils dormaient tous, j'ai entrepris de... de me libérer par mes propres moyens. Tirer à coups sec me faisait horriblement souffrir et m'enfonçait des aiguilles de bois dans la peau. Je n'ai alors trouvé qu'une seule façon de m'en sortir.
Le mâle gris foncé sentit des frissons ébranler sa fourrure et ne put regarder plus longtemps ni les yeux ternes de la chatte ni son moignon misérable, aussi ferma t-il les paupières, le cœur battant la chamade. Je ne suis même pas sûr de vouloir entendre la suite, songea t-il, la bouche déjà pâteuse.
- J'ai sectionné l'extrémité de mon membre qui était prise dans la douche. Avec mes crocs. La sensation d'être privée de la liberté d'un de mes membres, oppressée par la forêt et les combattants ennemis me rendait folle, moi, guerrière des landes. La douleur fut terrible, certes, mais je préférais y laisser une patte que la vie. Malheureusement, une fois délivrée après de longues heures de supplice acharné, je ne suis pas allée bien loin. La souffrance me donnait le tournis et je claudiquais sur trois pattes. Les chats du Clan Rouge m'ont rattrapée de sitôt et m'ont emmenée de force dans leur horrible camp. Ils savent que je suis incapable de m'enfuir, aussi m'ont-ils entreposée ici. Dans l'antre de ce guérisseur cruel chez qui je dépéris et finirai donc par mourir prochainement, comme l'a attesté ledit Aile de Velours, non sans satisfaction. Non traité, mon moignon ne cicatrise pas. L'infection me tue à petit feu. Je ne verrai pas la prochaine lune. Enfin, de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais vu ne serait-ce que les cinq dernières... J'aurais tout aussi bien pu mourir coincée. Cela m'aurait évité la souffrance et l'humiliation que m'ont infligées ces cinq lunes.
Lion Argenté était, avant tout, ébahi par son calme. Si la jeune féline était désespérée, elle n'en laissait rien paraître dans son ton. Elle parlait d'une voix presque neutre, avec seulement une pincée d'amertume. Sa dernière phrase n'implorait pas la pitié de son interlocuteur et aucun regret n'y était décelable. Elle ne faisait que décrire les faits présents.
J'imagine qu'elle a eu tout le temps de se préparer à son sort et que, lasse de se lamenter, elle a accepté sa triste destinée, se dit-il, la gorge si nouée qu'aucun mot n'aurait pu s'y frayer un chemin.
Mais le guerrier gris ignorait que la vie s'était simplement évanouie du corps de la chatte noire, après tant de douleur, tant de chagrin et tant de terreur. Ces sensations, très fortement présentes dans son esprit les premiers jours, avaient peu à peu disparu au fur et à mesure que Bulle Noire oubliait la chaleur du soleil sur sa fourrure, le goût du lapin dans sa gueule, les senteurs inimitables de la lande et les visages et les voix de sa famille et de ses camarades. Elle s'était alors métamorphosée en pierre, une pierre mourante qui avait uniquement conservé de sa vie véritable son humour. Son humour, c'était tout ce qui était resté de Bulle Noire, guerrière du Clan Vert, sœur d'Étoile du Hibou et de plein d'autres chats de sa tribu, étant issue d'une très vaste portée. Le reste, son immobilité, son quasi-mutisme, sa fragilité, son renoncement, c'était les conséquences de son traumatisme qui l'avait détruite aussi bien moralement que physiquement. Et le Clan Rouge ne se doutait pas un instant de l'état terrible de son mental, parce que la petite Nuage de Genêt était le seul membre du Clan guérisseur excepté qui entrait jamais en contact avec elle et que les deux femelles se taquinaient mutuellement. Pourtant, même si une certaine affection s'était créée entre elles deux, l'apprentie semblait indifférente au sort de la prisonnière. Elle s'occupait de sa litière et de ses repas, mais leurs interactions n'allaient jamais plus loin. Et si Bulle Noire n'avait pas déjà expulsé toutes les larmes de son corps, cela la rendrait triste.
Pourtant, son quotidien, aussi horrible soit-il, s'était effectivement installé, et l'irruption inattendue de Lion Argentée dans sa prison aurait donc pu le faire basculer, étant donné le grand intérêt qu'elle portait au matou cendré avant sa descente vers la mort. Mais, si un petit choc émotionnel avait remué le cœur qu'elle croyait engourdi d'insensibilité lorsqu'elle avait senti son odeur dans la pénombre, elle s'était raisonnée bien vite; elle était condamnée quoiqu'elle fasse, et voir avant son décès son visage ne l'aurait fait que davantage souffrir en lui remettant en mémoire l'image de son seul ami.
Ainsi souffrait-elle, en hissant trop haut la commissure de ses lèvres pour s'efforcer de tranquilliser le guerrier du Clan Noir.
Cela va sans dire; cela ne marchait pas du tout. Lion Argenté le réalisait en même temps qu'elle : ils étaient amis, en dépit de leur différence d'âge, de Clan, de caractère et de leurs rares rencontres. Et c'était la première fois qu'il parvenait à associer ce mot avec un chat. Pas qu'il ait beaucoup d'amis poneys, plutôt qu'aucun membre de son Clan ne lui avait fait ressentir cet élan de confiance, de compassion et de bienveillance sans qu'il soit accompagné, dans l'unique cas, celui de la chatte inconsciente à ses pattes, de désir et d'idéalisation. En effet; il n'avait jamais éprouvé pour, par exemple, Plume d'Ébène ce qu'il qualifierait de confiance, encore moins de compassion, la guerrière étant plus figée qu'un tronc d'arbre, sans compter que c'était différent, elle était sa sœur.
Ensuite, les seuls chats du Clan envers lequel il ne ressentait pas de l'indifférence, voire du mépris, étaient Vipère Ambrée et Brume des Neiges.
Sans qu'il sache pourquoi, il avait de la sympathie pour le jeune matou roux, si loyal et aimable à son égard, et si... bien constitué depuis qu'il était devenu adulte. Mais il ne lui adressait la parole que pour des formalités - encore que c'était assez exceptionnel pour le mâle gris d'en distribuer - et n'avait de toute façon que guère envie de se rapprocher de lui - en tout cas, au sens figuré du terme, héhé -, le tendre et discret félin étant trop différent de caractère de lui. Ce qui ne l'empêchait pas de le regarder depuis sa tanière le soir lorsqu'il faisait sa toilette dans son nid. Avec sa langue. C'était lui qui utilisait sa langue, je précise. Lion Argenté regardait, à regret certes, avec ses yeux.
Quant à Brume des Neiges, c'était un autre cas très différent. Ses deux chatonnes seraient bientôt apprenties et Lion Argenté éprouvait à l'égard des trois femelles une curiosité honteuse et une fierté timide. Il ne pouvait l'avouer, mais il était parfois pris d'une rêverie envieuse... il s'allongerait aux côtés de la chatte blanche, il échangerait avec elle sur ce qu'elles grandissaient vite oh là là, la même lumière dans le regard, et ensuite il taquinerait les museaux desdits petites, lorsque Petit Soleil, joviale gamine au poil blanc comme le jour et Petite Ronce, adorable sauvageonne tigrée, viendraient rouler en jouant dans leurs pattes, pépiant qu'elles étaient prêtes pour devenir apprenties, et pourquoi qu'elles le seraient pas maintenant, hein, dis Maman ? hein, dis... Papa...?
Toujours la truffe du matou se fronçait lorsqu'il imaginait ses filles l'apostropher ainsi. Les concernant, sa fierté seule égalait sa honte; le paradoxe est grand mais il était un grand désastre sur pattes, après tout. Il se plaisait à imaginer jouer avec ses enfants, un peu nostalgique de la petite jeunesse de ses chatons légitimes, mais jamais il ne révèlerait à qui que ce soit... Oh, et de toute façon, maintenant qu'elle savait, Beauté Glaciale allait se faire un plaisir de... Mais... mais de quoi ?
Elle se tairait, Silence Glacial, contre son gré, sans même pouvoir emporter sa vengeance dans la tombe. C'était le seul truc qui n'était pas horriblement désastreux dans la vie de Lion Argenté sur le moment. Enfin, tout cela pour dire que l'amitié lui avait été étrangère avant qu'il s'aperçoive, juste maintenant, que c'était ce lien qui l'unissait à la féline au pelage noir. Mais juste maintenant, c'était trop tard.
- Tu es mon amie, Bulle Noire, chuchota t-il, trop tard donc, en se forçant à soutenir son regard dévoré par l'anticipation de la mort.
Elle battit des paupières sur ces yeux, autrefois verts mais qui, oubliés par la lumière, n'étaient plus que gris désormais.
- Je l'aurais été, mon petit lapin.
Il aurait voulu - et cet élan l'étonna de sa part - serrer contre lui cette enveloppe de chair vide non pas afin de lui partager sa propre chaleur, celle-ci ayant disparu dès que la femelle avait commencé son récit, mais en guise d'adieu affectueux. Mais son état le révulsait sans qu'il puisse expliquer pourquoi. Bien sûr, son moignon était repoussant, mais il y avait autre chose. Pourtant son pelage, bien que rêche et sans éclat, était propre et elle ne sentait pas mauvais. Mais elle sentait différemment. Elle ne sentait plus ni la santé, ni la fraîcheur, ni la vivacité, comme on pouvait s'y attendre. Des relents de lassitude morne et mourante provenant de tout son être agaçaient presque la truffe du matou.
Il était si difficile de se dire adieu sans pouvoir exprimer ses sentiments ni physiquement,ni verbalement - en effet, il aurait bien été incapable de lui transmettre sa peine et ses regrets en utilisant des mots... Trop effrayé par l'agonie de la couleur de ses yeux pour les soutenir, trop dégoûté par sa plaie suintante, il ne savait où regarder la chatte noire. Elle le mettait d'ailleurs si mal à l'aise, sa présence vide envahissant tant l'antre de pierre, qu'il avait presque envie de se détourner afin de sortir prendre l'air. Mais il ne pouvait pas faire preuve d'un si grand irrespect. Pas durant ce dernier échange. Pourtant, une voix de l'extérieur l'incita soudain à s'éclipser. Étoile de Suie, la meneuse du Clan Rouge, miaulait impérieusement son nom.
Lion Argenté adressa une mimique d'impuissance à Bulle Noire qui ne remua pas un poil de moustache, statue de fourrure, et un regard anxieux à Silence Glaciale toujours inconsciente avant de pénétrer dans la clairière ensoleillée du Clan des chasseurs d'écureuils. L'astre du jour, brillant d'une lumière si vive, lui agressa la rétine et il dut ciller plusieurs fois afin de parvenir à voir correctement. Une appréhension désagréable commença à hérisser sa chair lorsqu'il considéra la scène qui s'offrait à lui. Perchée sur un rocher étrange d'une noble hauteur, la chef au pelage cendré, ce dernier, frappé par la clarté, illuminé d'or, attendait manifestement qu'il s'avance jusqu'au pied de son promontoire, le visage fermé et le bout de la queue agité. C'était mauvais signe. Étoile de Suie était connue pour sa confiance, sa sérénité et sa franchise. Il ne l'avait encore jamais vue si méfiante, si hautaine. Peut-être était-ce le grand roc sous elle qui ajoutait à sa grandeur dans tous les sens du terme, ou alors l'aura de majesté que le soleil conférait à son allure déjà gracieuse. Ou alors, mais le guerrier gris avait moins envie d'y penser, elle se méfiait bel et bien de lui et allait le garder prisonnier comme Bulle Noire et il ne rentrerait jamais chez lui. Dire que la grande meneuse l'avait étreint si maternellement quelques heures auparavant !
L'attitude des guerriers de la reine noire n'aidait en rien notre héros - qui ne s'était d'ailleurs jamais senti moins héroïque, perdant simultanément sa compagne et son amie en partie par sa faute - à se détendre. Tous ces gros balourds de chats de la forêt, avec leurs grosses figures austères et leurs gros yeux qui le dévisageaient, marmottant les uns avec les autres... Quelle pitié ils m'inspirent ! Il s'efforçait de les mépriser mentalement afin que son apparence trahisse son hostilité, de manière à ce qu'ils comprennent à qui ils avaient à faire, qu'il n'avait pas peur de ces bouffeurs d'écureuil... mais il craignait en réalité bien trop leurs grosses pattes musclées et oh, leurs mâchoires qui... Respirons. Ils ne vont pas me tailler en pièces. Je n'ai rien dont je puisse me sentir coupable. Enfin... de ce qui les concerne, haha...
Soudain, parmi les museaux renfrognés des félins, le visage clair et doux de Lumière Polaire retint son œil. Ses prunelles à la couleur acidulée paraissaient sombres dans le contre-jour. Il ne souriait pas; il ne souriait que très rarement, la dernière fois que le matou gris avait vu ses lèvres minces esquisser un sourire, ils venaient juste de... enfin c'était la dernière fois qu'ils... Il souriait rarement, point. Mais toute sa bonté transparaissait sur son museau tandis qu'ils partageaient sereinement un regard, tout en se reluquant l'un l'autre. Il faisait si mature, et pourtant si innocent. Presque béat devant la contemplation de sa superbe fourrure blanche mouchetée d'ocre et de ses moustaches parfaites qui se recourbaient aux extrémités, Lion Argenté ne remarqua pas tout de suite la proximité avec laquelle un guerrier massif au poil dru d'un gris bleuté se tenait à côté de lui. L'intéressé se nommait Cœur d'Eau et il avait presque pleuré de joie à une Assemblée lorsque sa première apprentie devenue guerrière avait été acclamée par les autres Clans, c'était tout ce qu'il savait de lui. Enfin, il savait aussi qu'il le détestait, le haïssait pour oser presser ainsi sa fourrure - si nulle en plus, la fourrure, n'importe quoi cette couleur - contre la perfection pileuse qui habillait le corps svelte de Lumière Polaire. Un peu piqué au vif, car en plus le joli mâle moucheté avait détaché son regard du sien pour échanger des murmures avec son voisin - si laid, son voisin -, Lion Argenté décida qu'il lui ferait les yeux noirs la prochaine fois qu'il le regarderait, parce que vraiment, cela ne lui convenait pas, mais l'occasion ne se présenta alors plus pendant un moment. Car durant ce bref silence d'abord angoissé puis énamouré puis vexé, le Clan Rouge avait fini de se rassembler en cercle parfait autour de lui.
Même Aile de Velours, le guérisseur d'apparence si douce au cœur si dur, était présent. Il était revenu près de son antre - qui était si désagréable à contempler de l'extérieur - et se tenait dans l'embrasure, une lueur étrange qui ne disait rien qui vaille dans ses yeux clairs fixés sur l'intrus.
- Lion Argenté, prononça enfin Étoile de Suie à l'adresse dudit intrus qui reporta de mauvaise grâce son attention sur elle, toi et ta compagne étiez en détresse et nous vous avons secourus. Comme tu l'as constaté lorsque je vous ai offert asile - ce dont je ne me vante point, c'est du savoir-vivre - j'ai une entière confiance en toi ainsi que beaucoup d'estime. Mais - durant la légère pause que firent ses lèvres, ses sourcils se froncèrent nerveusement - je ne parviens pas à comprendre l'attitude que tu as avec notre prisonnière.
La femelle haute sur pattes cracha ce dernier mot comme s'il lui irritait la bouche pour l'en débarrasser au plus vite. Aussitôt, le concerné s'élança pour répliquer, mais elle reprit immédiatement :
- Je sais parfaitement tout ce qui a été dit chez notre bon guérisseur, alors nier quoique ce soit ne serait utile de rien.
Alors Lion Argenté referma la gueule et réfléchit. Si vous voulez mon avis, c'est une activité fort utile qu'il devrait s'adonner à entreprendre plus souvent. Quoiqu'il en soit, comment la meneuse pouvait-elle affirmer être au courant de la conversation entre Bulle Noire et lui ? Elle était trop grande pour se cacher et les épier, sans compter que... Oui... Elle est trop imposante... Mais quelqu'un d'autre ne l'est pas.
Juste comme il s'y attendait, la minuscule et renfrognée Nuage de Genêt, novice insolente chargée de la prisonnière, apparut de derrière une guerrière. Mais elle n'arborait pas l'expression boudeuse ou plus exactement, puérilement hostile qu'elle affichait en se taquinant avec la féline du Clan Vert tout à l'heure. Bien que son petit museau conservât son air buté, la toute jeune chatte semblait aussi passablement nerveuse et inconfortable, comme si elle aurait préféré mille fois rester dissimulée derrière la combattante qui lui servait de cachette qui s'appelait Orage d'Été et qui était bien contente que sa largeur soit utile pour une fois .
- Nuage de Genêt, confirmes-tu avoir dit la vérité quant à l'échange des deux chats que tu as surpris ?
Dans la voix de la majestueuse chatte au pelage couleur de suie pointait la fermeté. Un avertissement muet prévenant le taux de satisfaction que lui procurerait sa réponse luisait dans ses yeux sombres. La minuscule apprentie soutint ces derniers sans fléchir malgré le léger battement latéral de sa queue semblable à un épi de blé ébouriffé.
- Oui, j'ai dit la vérité, Étoile de Suie.
Comment a t-elle pu se servir d'une gamine pour me piéger...?
- Ainsi, la prisonnière et toi étiez amis, reprit celle-ci en remerciant la novice tachetée d'un signe de tête. Et tu comptais te retourner contre notre hospitalité afin de tenter de l'aider à fuir. C'est cela qu'on appelle de la reconnaissance chez le Clan Noir, apparemment.
Malgré le sentiment puissant d'injustice qui bouillonnait dans ses veines, le grand chat gris se força à rester calme et courtois. Il inclina à contrecœur ses larges épaules en gardant avec déférence le regard baissé.
- Je ne voulais pas manquer de respect ni à toi ni à ton Clan. Je pensais justement que ce serait lui rendre service que de le débarrasser d'une bouche à nourrir inutile.
Comme il lui coûtait de parler de sa Bulle Noire en ces termes ! Mais la lueur suspicieuse qui allumait les yeux de la meneuse le dérangeait trop pour qu'il fasse fi de sa prudence.
- Ce n'est pas du tout ce que tu pensais, rétorqua t-elle, l'air presque désolé de le lui apprendre. Tu pensais que tu pouvais la ramener à ton camp et la soigner. Et c'était fort mignon, mais très naïf. Tu comptais me mentir à moi, et à mon Clan. On ne garde pas une prisonnière par plaisir et cette affaire ne te regarde pas. Je vais te demander de partir, Lion Argenté, enchaîna t-elle avant qu'il ne miaule en réponse. Je t'aurais permis de rester aussi longtemps que nécessaire dans mon camp, mais tu te crois apparemment tout permis et je te suspecte d'être au courant des activités sombres qui se trament en ce moment. Tu as jusqu'à midi pour me débarrasser le plancher de tes moustaches et de celles de ta compagne. Je suis désolée d'être obligée d'avoir recours à tant de rudesse mais tu m'as poussée dans ce sens.
Elle gardait ce petit air sourire navré et aimable de guerrière dotée d'un sang-froid assez froid pour pouvoir dissimuler son envie de recourir à la violence physique derrière une mimique d'impuissance candide. Et c'était insupportable. Ou alors, Lion Argenté était juste parano en cherchant l'agressivité partout et Étoile de Suis était juste naturellement quelqu'un de très poli et de très franc.
Mais pas moins insupportable, quoi ! Pourquoi les chats que je tolère au premier abord, je finis par les détester ?
La lassitude s'abattant sur ses épaules pourtant robustes et lui coupant l'envie de discuter, le matou s'inclina une seconde fois et lui demanda congé du regard. La meneuse noire le soutint un instant, puis descendit de son perchoir sans un mot avant de se glisser dans ce qui devait être sa tanière, dans une fente que présentait la roche. Un peu désemparé, il contempla les rangs de félins qui se dispersaient peu à peu, sans un mot, se demandant s'il fallait retrouver la chef pour lui parler ou retourner chez le guérisseur. Soudain, une chatte au pelage blanc mousseux et aux yeux d'un vert éclatant fit irruption devant son museau.
Elle se nommait Émeraude Glacée, il l'avait déjà rencontrée, mais peu échangé avec elle. Il ne se souvenait pas qu'elle avait un aussi joli visage. Il faut dire que lorsqu'ils s'étaient rencontrés, il n'était pas vraiment en mesure d'observer sa figure. D'ailleurs, il se mit à vaguement paniquer à ce sujet. Et si elle était tombée amoureuse de moi et qu'elle voulait que je reste au Clan Rouge pour lui faire plus de chatons ? Je ne vois pas d'autre raison au fait qu'elle aie fait irruption devant moi et qu'elle me dévisage depuis oh, presque une minute. Si seulement je n'étais pas si charismatique ! Ah, après réflexion, si je ne l'étais pas, je n'aurais pas la cause de la conséquence. Oh, et peut-être que si au fond, c'est la beauté intérieure qui... Pffff, y a que cette moche de Pluie de Neige pour croire à un truc p...
Mais penser à Pluie de Neige, qui avait mis au monde ses chatons à lui hier soir, et qui indirectement l'avait conduit à se retrouver ici, glaça soudainement son sang dans ses veines. Nom d'un congénère, il faudrait peut-être que j'arrête. Ça m'angoisse, moi, ces histoires de minis moi qui surgissent de partout. Ou alors... ou alors... - était-ce lié au fil de ses pensées ? voilà qu'il cherchait le museau de Lumière Polaire dans la masse de félins - Mais c'est qu'Émeraude Glacée me fixe toujours, qu'est ce que je...
- Viens avec moi, finit par dire la femelle tout en plissant ses yeux vifs et tournant les talons.
Le cœur de Lion Argenté battait à un rythme de plus en plus effréné jusqu'à ce qu'elle lâche simplement, arrivée devant un trou comblé de proies :
- Voilà. Choisis une pièce.
Son détachement était intense, c'est... c'est un oxymore, mais cette chatte respirait tant l'indifférence qu'elle en devenait... oui, intensément détachée. Mais pas vide d'émotions et complètement blasée comme cet idiot d'Étoile d'Ivoire, non... juste, elle pensait et agissait simplement. Pas simplement comme quelqu'un d'idiot, elle se satisfaisait juste du nécessaire, comme un ours que nous aimons tous bien. Enfin, c'est dur à expliquer mais prenons par exemple Lion Argenté. Lion Argenté est l'excessivité par excellence. Tout est trop chez lui. Chaque défaut, chaque qualité qu'il présente est très exagérée. Il pense trop grand, voir trop grand. Ce n'est pas forcément une bonne chose, pas forcément une mauvaise. Mais en tout cas, c'était tout le contraire d'Émeraude Glacée. Émeraude Glacée était intelligente, douée, et sympathique comme la moyenne, c'est à dire ordinairement. Et c'est curieux mais c'est bien plus rare qu'il n'y paraît, d'être également moyen dans tous les domaines. Et le truc, c'est que ça ne faisait pas d'elle quelqu'un de banal, au contraire. Quelqu'un de si simple pouvait être aussi fascinant qu'agaçant.
Je vous laisse deviner dans lequel des deux états d'esprit était notre héros.
Par-dessus le marché, Émeraude Glacée était aussi simplement jolie. C'était comme si les quelques traits de son visage avaient été comptés, comme si on en avait mis juste ce qu'il fallait pour qu'ils forment un visage. Chaque trait était essentiel et il n'y en avait pas un qui fut en trop. On aurait dit qu'on avait ajouté une truffe, des yeux, une gueule et des moustaches, à une silhouette de chat.
Et, l'air de rien, même si sa beauté était simple, il n'y en avait pas une qui lui soit semblable.
Ainsi, si Lion Argenté était si fasciné tout d'un coup par cette féline - parce que oui vous ne vous en doutiez pas c'était bel et bien son état d'esprit - c'était parce qu'il n'était pas habitué à la simplicité et qu'il découvrait juste à quel point elle pouvait être charmante et touchante. Eh oui; sa sœur était TRÈS intelligente, TRÈS désagréable et TRÈS dérangée dans sa tête; Silence Glacial, comme lui, était excessive dans tous les domaines, mais davantage dans les charitables; même Bulle Noire était compliquée, à faire des secrets et des mystères. Et cette Émeraude Glacée, non, clair et concis, viens suis-moi, nourris-toi. C'était une jouissance que de se faire dire des choses logiques et simples après les péripéties qu'il venait de subir. C'est tout con, mais en chat compliqué, il se faisait même des montagnes de ça.
Émeraude Glacée le regarda se jeter presque sur une souris et son pelage mousseux ondula légèrement lorsqu'elle inclina la tête sur le côté. Il savait ce qu'elle allait dire, et c'était rassurant, parce que punaise, pour une fois, laissez ma vie être prévisible.
- Je pensais que tu ferais plus de manières, toi qui es habitué à la charogne.
- Ce cliché ! rétorqua posément le mâle gris en s'attaquant derechef à la proie. Moi, je pensais pas que tu serais aussi courtoise, toi qui es une balourde chasseuse d'écureuils.
Pas vexée le moins du monde, la chatte blanche répondit simplement, en se choisissant à son tour une prise :
- Je suis la lieutenante du Clan Rouge et je trouve normal de nourrir un chat affamé, quel qu'il soit.
Lion Argenté faillit recracher la bouchée qu'il avait pourtant enfournée avec précipitation.
- Tu es lieutenante ??
- Cœur d'Oie est mort.
Pas de détails, pas de remarque personnelle. Juste les faits. Il se garda de poser d'autres questions, un peu intimidé finalement par son détachement, et un peu honteux aussi de manger si voracement aux côtés d'une femelle qu'il avait tout de même... ah, Émeraude Glacée venait de se jeter sur son écureuil en faisant gicler son sang encore chaud sur sa belle fourrure vaporeuse et sans sembler s'en préoccuper du tout. Parfait, soyons dégoûtants ensemble. Elle n'a pas l'air de vouloir causer qui plus est.
Ainsi se sustentèrent-ils grossièrement en ignorant les regards stupéfaits et répugnés des guerriers qui les observaient de loin, et qui fort heureusement, se gardaient de faire un commentaire, respectant trop leur lieutenante pour lui faire remarquer quoique ce soit. Lorsqu'il fut rassasié, il osa jeter un coup d'œil à sa voisine et retint un rire ébahi. La reine au poil blanc avait avalé en plus de son écureuil, un mulot, et son museau en simple ligne courbe était rougi par leurs intérieurs, sans parler de son portail touffu maculé de taches.
On doit pas avoir chassé avant de pouvoir manger chez les guerriers du Clan Rouge ?
Tout à coup, alors qu'elle allait relever la truffe, consciente d'être fixée, un jeune guerrier au pelage dense gris mêlé de blanc fit irruption à ses côtés et se frotta affectueusement contre elle.
- Comment ça va, maman ?
- J'ai bien mangé. Tu as une apprentie à entraîner, Pierre d'Argent, ajouta la lieutenante d'un ton neutre.
Sans accorder un regard au deuxième de ses parents, le mâle rayé plissa la bouche en moue ennuyée. Ce n'était pas difficile de deviner que son apprentie, c'était Nuage de Genêt, et que ce n'était pas un cadeau.
- Tu es une lieutenante géniale mais n'oublie pas la parole de notre chef, miaula le dénommé Pierre d'Argent, faisant allusion à Lion Argenté, toujours sans poser les yeux sur lui cependant.
Émeraude Glacée secoua négligemment la tête sans répondre, comme s'il s'agissait d'une évidence. Après un petit sourire tendre à l'adresse de sa mère, il s'éclipsa, sans doute pour rejoindre sa novice.
Le choc devait se lire sur le visage du combattant ardoise car une émotion se dessina sur le visage de la chatte blanche. L'affection. Elle ne dit rien, mais ses prunelles vertes luisaient de douceur.
C'est mon fils, se répétait Lion Argenté. C'est mon fils.
Et cela l'emplissait, en même temps que de panique, d'une joie singulière, car c'était la première fois qu'il se disait ces mots avec fierté. En effet, la portée de Silence Glaciale n'était qu'en partie la sienne, il avait tué Petite Pluie car il le terrifiait, et il ne songeait même pas à qualifier Nuage de Flèche de mâle tant il était exaspéré par son caractère timoré et peureux. Le reste de ses chatons n'étaient que des femelles. Et là, il se retrouvait face à un guerrier de fils, bien bâti et aimable avec sa mère, bien que l'indifférence qu'il eût pour lui l'eût perturbé. Comme il était beau, ce Pierre d'Argent ! Sa silhouette et son museau rappelaient celle et celui de sa mère, tout en esquisses, avec lesquelles son pelage fourni aux zébrures élégantes mais complexes contrastait superbement. Il semblait peut-être un peu évaporé au premier abord, mais au moins il avait de l'allure, pas comme ce bon à rien de Nuage de Flèche, bêtement gris tigré de gris, qui était et gringalet et stupide - en fait il était loin d'être stupide mais c'est important que son père ne s'en doute pas.
- Pierre d'Argent ? fit-il alors, pour converser, parce que le silence le gênait.
Et en répétant ce nom, il tressaillit. Est-ce un hasard, cette référence à nos deux noms ? Sûrement pas. Une drôle de malice innocente et placide étirait les jolis yeux de la reine.
- Je te raccompagne jusqu'à la frontière, miaula t-elle en retour après un instant, en retrouvant son expression habituelle et se mettant sur ses pattes.
Ce n'était pas possible de converser avec cette chatte, il devait s'y résoudre. Elle ne me racontera rien si je ne lui pose pas de questions, et ce n'est même pas sûr qu'elle y réponde. En voilà une qui ne parle strictement que si c'est nécessaire.
Mais ça ne le dérangeait pas. Les chats qui babillaient à tort et à travers, il y était souvent confronté, chez lui, et un peu de changement était reposant, pour tout avouer.
- Voilà ta reine, dit soudain un chat derrière lui.
C'était Aile de Velours, le guérisseur étrange. Il épaulait la pauvre Silence Glacial, encore un peu dans les vapes, sa tête difforme ballante. Le guerrier se hâta de le remplacer et son pelage froid et poisseux pressé contre le sien le fit frissonner. Elle sentait le renfermé et la terreur.
- Elle est à peine consciente, murmura Lion Argenté d'un ton implorant au chat noir. Ne pouvons-nous pas attendre qu'elle se soit rem...
- Je te l'ai dit, elle ne s'en remettra pas, siffla t-il, et les ordres d'Étoile de Suie sont les ordres. Disparaissez.
Le cœur au bord des larmes devant tant d'apathie, le chat du Clan Noir décocha au guérisseur son regard le plus amer et emboîta le pas à Émeraude Glacée qui marchait vers le tunnel d'ajoncs. Mais soudain, avec un pincement au cœur bref mais douloureux, il pensa à Bulle Noire, prisonnière de la grotte de ce mauvais félin, mourante. Il ne lui avait même pas dit au revoir. Et ce n'était pas l'expression farouche d'Aile de Velours qui retournait se poster devant son antre qui lui donnait de l'espoir. La féline au poil blanc mousseux comprit en suivant son regard. Elle s'écarta pour le laisser pénétrer en premier dans le tunnel, en s'inclinant devant Étoile de Suie qui observait la scène, les yeux plissés, puis s'y engouffra à son tour.
Lion Argenté n'avait pas fait trois pas dans la forêt qu'il s'épuisait déjà. Il portait presque Silence Glacial, incapable de marcher droit. Les râles d'angoisse, de fatigue et de souffrance de la femelle gris pâle ne faisaient que' l'inquiéter davantage. Allait-elle survivre au retour ?
Lorsqu'ils purent apercevoir la frontière et qu'il était à deux griffes de s'effondrer, une sorte d'éclair secoua la fourrure duveteuse de la lieutenante du Clan Rouge. Interdit, il la dévisagea. Elle bondissait presque en faisant demi-tour. Pourquoi partait-elle si vite ? Et pourquoi cet air d'avoir reçu une illumination, tout d'un coup ? Haletant, il ouvrit la gueule pour lui demander des explications, quand elle rejeta la tête en arrière et s'exclama :
- J'ai un plan pour te ramener Bulle Noire. Attends-moi ici.
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oui je suis relà coucou hihi
c'était un peu longuet mais jsp jai eu le besoin d'étoffer Émeraude Glacée - des avis sur elle d'ailleurs ?
bon sinon j'ai rien à spécial de dire, à part merci d'être toujours là et de bien patienter uwu
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