CHAPITRE 18
Me tuer... ?
Lion Argenté restait pétrifié à la suite de la déclaration de sa compagne. Ayant légèrement frissonné à ses mots, il avait porté son regard sur le tapis d'aiguilles de pin, le fixant sans le voir, la vision trouble et l'esprit chamboulé. Une terreur infinie le soumettait à baisser les yeux. Il ne pouvait relever la tête pour contempler la reine à poil long. L'effroi de déceler de la haine monstrueuse dans ses douces prunelles vertes le maintenait nuque courbée en direction du sol. Beauté Glaciale la tendre et la câline ne pouvait s'être consumée au détriment de l'insanité. Il restait encore, quelque part en elle, un brin d'amour, une fibre de raison, une once de pitié, forcément... Désespéré, le mâle gris s'échinait à dégotter des explications logiques à tout ceci. Il se raccrochait à l'infime possibilité que la belle chatte plaisantait, qu'elle le faisait marcher, qu'elle allait, d'un instant à l'autre, partir d'un rire cristallin et espiègle, en s'exclamant qu'il n'était qu'une cervelle de puce et qu'elle l'avait bien eu. En effet, ce fragment d'espoir, c'était la mince corde à laquelle il se retenait obstinément pour ne pas sombrer dans la perte de contrôle et la chute libre, la chute vers le désespoir total auquel il s'efforçait d'échapper. Jamais il ne crût si fort à quelque chose, jamais il ne souhaitât avec tant d'épouvante que ce seul espoir soit la réalité. Perdu au fin fond de ses abyssales agonies mentales, il entrevit brièvement l'idée du Clan des Étoiles... avant de l'enterrer sous des océans de questions sans réponses affolées.
Malgré le fait que ses prunelles restent figées, ses paupières s'agitaient. Elles battaient sur ses yeux, tressautaient sous les contractions des nerfs de son visage, clignaient encore et davantage pour chasser l'océan de questions qui menaçait de prendre forme concrète juste sur le pli de son œil. Lion Argenté se concentra avec difficulté sur la sensation du soleil effleurant sa fourrure. Il ne pleuvait pas. D'où diable venait alors cette humidité intrusive ?
Le silence lourd d'appréhensions mutuelles vola en éclats lorsqu'une pluie de rires aiguë vrilla leurs tympans respectifs. Beauté Glaciale se tut, l'air un peu perplexe et troublé d'avoir ri de la sorte. Une brume trouble envahissait la jolie couleur de ses iris. Lion Argenté conservait sa tête baissée, bien que l'envie de voir quelle expression faisait la mère de ses petits le taraudât et qu'elle concurrençât sa terreur.
- Je vais te tuer, répéta celle-ci en se fendant d'un sourire glaçant de démente. Te tuer.
Elle fit un petit pas vers lui en faisant craquer une brindille, et son parfum sensuel vint enivrer les sens du guerrier lorsqu'elle apposa son buste contre le sien pour étendre l'encolure et nicher son menton au creux de son épaule, sa mâchoire entrouverte sertie de dents minuscules mais aiguisées à un poil de souris de sa peau. Si elle refermait maintenant ses crocs à cet endroit de sa gorge, il n'aurait pas la moindre chance de survie. Et tous deux le savaient pertinemment.
Lion Argenté ne bougea pas d'un cil, la vision floue et l'esprit difficilement ordonné. Il ne devait pas relâcher la tension qui bloquait les muscles de son corps pour se laisser emporter dans une douce extase rien qu'en inspirant son odeur formidable. Elle n'attendait que ça. Qu'il baisse momentanément sa vigilance pour le tuer plus aisément.
Le mince espoir qui lui restait commençait à s'estomper, à se fondre dans le noir. Lion Argenté ferma les yeux. Toute cette eau irritait son globe oculaire et la vision du tapis d'aiguille de pin était soudainement insupportable à soutenir. Il entendit, son sang se glaçant dans ses veines, le léger rire de la femelle au pelage gris clair. Quel rire étrange elle avait... C'était un assemblage flou de gloussement et de ricanement; avec l'espièglerie et l'amusements du premier, mais avec la cruauté et la noirceur du second. Un vrai rire de folle. Je n'ai jamais eu si peur d'elle. Et bon sang, ce que j'ai honte... C'est une femelle ! Une reine ! Ma compagne... Enfin... je crois...?
Une de ses nombreuses paupières frémit nerveusement lorsque la belle chatte l'enlaça un peu plus étroitement. Cette fois-ci, elle se tenait si proche de lui que l'une de ses canines entrait en contact avec ses poils tendus sur sa chair.
- Une dernière volonté ? susurra Beauté Glaciale dans un chuchotement sardonique qui résonna droit dans son oreille et manqua d'arrêter son cœur haletant.
Le matou gris sombre se résout à remuer. Il avala péniblement sa salive et répondit d'un miaulement éraillé, la gorge à vif :
- Dis à nos enfants que leur père les aimait plus fort qu'aucun père n'a jamais aimé ses petits.
Sa phrase achevée, il n'osait même plus reprendre le cours de sa respiration et suffoquait douloureusement. Appuyée contre sa gorge et par ce biais, sentant chaque pulsation de son cœur se répercuter dans sa propre poitrine, la reine aux yeux vert foncé ne réagit pas immédiatement, terrorisant inconsciemment son compagnon. Elle laissa s'écouler ainsi plusieurs secondes éreintantes, soufflant son haleine rauque et tiède le long de sa joue. Finalement, un tressaillement agita ses épaules tandis que le coin de sa lèvre s'étirait. L'ayant contre lui et ne voyant donc pas son visage, Lion Argenté, à moitié mort de peur, émit l'hypothèse qu'elle riait encore. Mais bientôt, ces spasmes sur sa poitrine et contre son épaule devinrent trop accentués et irréguliers pour être des éclats de rire.
Beauté Glaciale pleurait.
Elle pleurait rivières et torrents, cascades et fontaines, fleuves et lacs, tous déchaînés, des flots furibonds fouettant sa figure fragile, avec toute sa grâce habituellement cependant. Tout en déversant sa peine, elle se balançait légèrement, latéralement, entraînant son compagnon dans ce mouvement apaisant et doux. Déconcerté et sa terreur envolée, il se laissa bercer contre elle, des milliers d'incertitudes dans la tête, aucune clairement formulée, cependant.
Outre le bruit de ses sanglots, un autre son était perceptible; celui du bruissement de leurs pelages mêlés. Ils se balançaient en même temps, le menton sur l'épaule de l'autre, les oreilles voisines, les joues en contact. Le soleil tomba en flaque douce sur le bout de l'oreille de la chatte et le front court du matou. Il alluma une étincelle entre les poils de différentes nuances de gris, si bien que le cendré se dorait.
- Beauté Glaciale, explique-moi.
Cette requête, Lion Argenté ne la formula que lorsqu'un temps certain se fut écoulé et qu'il fut sûr que la démence passagère quoiqu'inquiétante de sa compagne s'était envolée. Elle avait fini de pleurer. Seuls de brefs reniflements étaient audibles à présent. Beauté Glaciale déroula son cou de celui du grand chat gris pour le regarder dans les yeux.
Plus de trace de cette brume incertaine. Au grand soulagement de Lion Argenté, le vert limpide et malicieux s'était à nouveau fait une place dans ses larges prunelles. Son sourire frais et franc demeurait également.
- Je... je... pardon, mon grand. Je... je ne te tuerai pas.
- C'était un test ? murmura le mâle gris, des reproches dans la voix.
- Je... je pensais que le Lion Argenté que j'ai connu n'était plus qu'un assassin froid et cruel. Je te demande pardon.
- Donc tu t'apprêtais réellement à me tuer, poursuivit-il à voix basse.
- Mais j'en suis incapable... Je me rends bien compte à quel point nos chatons comptent pour toi. J'ai eu tort de te penser incapable d'affection.
Elle se tut et baissa la tête, la bouche plissée. Elle avait l'air de regretter sincèrement ses actes. Mais il faut que je reste méfiant. Je sais qu'elle serait parfaitement capable de tuer un chat de ses griffes sans beaucoup d'hésitation.
Il redressa les épaules pour la dominer visuellement. Ses membres ne tressaillaient plus; son esprit se dégageait lentement de la peur.
- Viens, lui dit-il. Rentrons.
☆☆☆
- Nuage d'Ébène, promets-tu de respecter le code du guerrier, de protéger et défendre ton Clan même au péril de ta vie ?
- Si je réponds non, il se passe quoi ?
Lion Argenté pouffa. Il fut le seul. Il jeta un bref coup d'œil autour de lui. Les félins semblaient pris au dépourvu, voire agacés. Étoile d'Ivoire restait imperturbable, la queue battante, l'œil sévère. Nuage d'Ébène souffla par le nez et grommela :
- Ouais. J'le promets. C'était juste pour savoir, hein.
Lion Argenté camoufla tant bien que mal son fou rire en toussotement, vacillant sur ses pattes. Assise près de lui, Beauté Glaciale le lorgna d'une œillade réprobatrice. La sœur du guerrier reçut avec une grimace le museau de son chef sur le front. La tête qu'elle fit en lui léchant l'épaule manqua de faire s'étrangler le matou gris avec son propre fou rire.
- Tu t'appelleras Plume d'Ébène. Nos ancêtres rendent hommage à ton...
- Les ancêtres ?
Étoile d'Ivoire fouetta l'air de sa queue, irrité qu'elle l'interrompue à chaque fois.
- Oui, nos ancêtres ! Tu as quelque chose à y redire ?
- Tu y crois vraiment ? lança la jeune chatte tigrée, sourcil haussé. Sérieux ? À ton âge ?
- Plume d'Ébène ! rugit Nuit d'Hiver avec la sévérité d'un papillon.
Ses yeux bleus trahissaient sa déception.
- Tu... tu veux dire que tu ne crois pas au Clan des Étoiles ?
Elle lui adressa un regard acide.
- Je t'en prie, père, ne nous fais pas une crise de larmes.
Et ce avec tout le mépris dont elle était capable. Le pauvre lieutenant resta gueule bée, les épaules affaissées.
Lion Argenté, quant à lui, se sentait empli de fierté et de reconnaissance envers sa sœur. Elle osait dire tout haut ce qu'il pensait tout bas. Eux seuls étaient donc assez lucides pour comprendre que les soi-disants chats morts demeurant dans les nuages étaient une invention ?
Franchement... Ils n'y croient quand même pas tous ?
Mais en parcourant du regard les rangs de ses camarades, il comprit que si. Brume des Neiges pointait les oreilles en dehors de la pouponnière et tout son museau trahissait son choc et son effarement. Douce Colombe murmurait pour elle-même, la patte contre la bouche, scandalisée. Nuage d'Ambre et Nuage de Libellule, très embarrassés, fixaient le sol, les oreilles basses. Même Nuage de Givre semblait pris de court. Les griffes de Chant de l'Eau, une ancienne gris clair stricte et sévère, paraissaient la démanger. Cascade d'Argent, la mère des deux félins, fut la première à réagir.
- Plume d'Ébène, ton insolence fait honte au Clan tout entier ! Tu n'es même pas digne d'être une guerrière ! Tu n'es qu'une misérable gamine, immature et irrespectueuse.
L'expression qui passa sur le visage rond de la femelle noire rayée fut gravée à tout jamais dans la mémoire de son frère. Ses yeux dorés restaient écarquillés et fixes, comme si elle peinait à réaliser les dires de sa génitrice. L'affaissement de son musau et de ses oreilles révélait sa honte cuisante ainsi que sa peine. Sa lèvre tressaillait légèrement, mais le guerrier gris ne sut dire si c'était la rage ou le chagrin qui en était la cause.
La toute nouvelle combattante jeta un dernier regard blessé à la reine noir et argent qui conservait un masque d'impassibilité avant de hisser sous elle ses pattes tremblantes et de s'enfuir ventre à terre jusque dans les bois. Nuit d'Hiver poussa un glapissement digne d'un lapin et s'élança pour la retenir mais son chef le retint d'un geste. Ses yeux vairons miroitaient d'une lueur mauvaise.
- Laisse-la. Elle reviendra lorsqu'elle se sera calmée.
Mais Lion Argenté, tout comme ses parents, savait pertinemment que suite à une si grande émotion, la petite guerrière trapue était capable de tracer jusqu'aux Hautes Pierres et d'y passer le restant de ses jours force de son entêtement. Si personne ne réconfortait ou rattrapait Plume d'Ébène avant qu'elle ne soit trop loin, elle pouvait se mettre en danger.
- Ça va, j'y vais, grommela t-il, ayant l'impression de passer la moitié de son temps dans la pinède plus que dans le camp. Je vais la calmer.
Et il savait fort bien comment.
Ni Étoile d'Ivoire ni n'importe qui d'autre n'esquissa un mouvement, une parole pour empêcher le matou gris sombre de courir sur les talons de sa sœur. Tous le regardèrent partir avec un mélange d'admiration et d'anxiété.
Tous ?
Tous, sauf Cascade d'Argent. De retour dans sa tanière, la reine zébrée de noir faisait crisser ses crocs les uns contre les autres en maudissant les enfants qu'elle aurait préféré ne jamais avoir.
☆☆☆
Plusieurs hypothèses pourraient être formulées quant à l'idée qu'avait Lion Argenté pour calmer sa sœur. Mais bien peu seraient réellement envisageables, lorsque l'on connaît le caractère de l'un et de l'autre...
Le félin gris foncé rattrapa la jeune femelle tigrée au niveau de l'Arbre Mort, près des marécages. En jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, elle l'aperçut, redoubla de vitesse et trébucha sur de l'herbe glissante. Évitant de justesse une flaque de boue mortelle, son frère sauta d'une détente extraordinaire et retomba... à quelques longueurs de queue de sa cible. Plume d'Ébène se redressa sur un coude, ébouriffa son pelage court en s'ébrouant et reprit sa course fébrile. Le soleil tapait contre sa fourrure sombre et la faisait haleter. Elle chassa les gouttes de sueur de ses moustaches et, profitant du fait qu'elle fermât les yeux, Lion Argenté la faucha d'un coup de patte, la heurta dans le poitrail avec la tête et lui coupa le souffle en se laissant tomber de tout son poids sur son flanc. Vaincue, la guerrière gris foncé émit un râle rauque en tentant d'ôter sa patte de sur sa gorge. La respiration saccadée mais le sourire victorieux, le grand mâle se pencha sur son museau.
- Maintenant, ma petite, tu vas rentrer bien sagement à la maison, susurra t-il dans un grognement.
- Jamais ! Je la hais ! Elle n'est plus ma mère !
Les larmes commencèrent à déborder de ses yeux et ruisselaient jusqu'à la terre molle. Lion Argenté ne céda pas et coinça sa queue sous son flanc dodu pour qu'elle cesse de se tortiller.
- Calme-toi, Plume d'Ébène, ne t'énerve pas.
Or, c'étaient les mots qui avaient don de la faire jaillir de ses gonds. Et il ne l'ignorait pas.
- Tu veux te battre ? gronda t-elle avec un regard de fauve.
Il avisa son expression déterminée, pensif. Un sourire narquois fleurit sur ses lèvres.
- Si ça peut te faire plaisir.
Plume d'Ébène rassembla toutes ses forces pour éjecter son frère de sur son ventre tout en poussant un cri hargneux. Se mordant les lèvres pour ne pas sourire, le mâle gris se réceptionna correctement et pivota pour parer son attaque. Il n'y parvint pas; la petite femelle tigrée le percuta si violemment qu'elle lui coupa la respiration un instant. Durant plusieurs instants, ils échangèrent des coups modérés et des insultes puériles sous le soleil hérissé de rayons, au milieu du marécage, faisant s'enfuir les corbeaux avec leurs exclamations. Finalement, la femelle gris sombre le maintint au sol, immobilisant complètement ses cinq membres. Lorsqu'elle réalisa qu'il suffoquait, elle le relâcha et recula lentement, hors d'haleine. Goguenard, Lion Argenté recracha un filet de sang et lissa la fourrure de son poitrail en contemplant l'arcade sourcilière égratignée, la lèvre fendue et les poils en bataille de sa sœur.
- Ça va mieux ? ronronna t-il en lui donnant une bourrade amicale.
Elle chancela, montra les dents et sourit.
- Carrément.
---------
hey!
hey!
hey!
gros bug d'ordi oups
du coup j'ai du écrire sur mon téléphone mais je trouve ça grave carrément moins confortable ://
euh sinon vous pensez quoi du personnage de Plume d'Ébène? dites-moi tout c:
bonne journée chers lecteurs :-*
média : Plume d'Ébène
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top