CHAPITRE 17

L'échine de Lion Argenté se hérissa à la simple mention du nom du chat blanc.

- Quoi ? Qu'est-ce que c'est ?

- Eh, Petite Flèche, intervint sa sœur Petit Matin de sa voix pointue, ses yeux verts étrécis, le but d'un secret c'est pas qu'il soit pas révélé ?

Le guerrier gris fusilla sa fille du regard. Il brûlait d'impatience de savoir ce que Nuage de Givre avait dit.

- Oui, répondit posément Petite Flèche, mais c'était plutôt flippant comme secret...

- Tu vas me le dire, oui ou non ? rugit Lion Argenté, à bout.

Le chaton gris tigré sursauta nerveusement. Petit Matin plissa la truffe et s'éloigna.

- Ce... c'est Petite Goutte, Petite Souris et Petite Pluie ! balbutia t-il. Nuage de Givre m'a dit que quelqu'un leur avait dit qu'il y avait un cadavre près du territoire Bipède ! Et Petite Pluie a décidé qu'ils iraient voir...

Lion Argenté poussa un second rugissement assourdissant. Petite Flèche glapit de terreur et se tapit au sol.

- Et pourquoi n'avez-vous pas tenté de les rattraper ?!

- Nu...Nuage de Givre dit que c'est trop tard, qu'ils sont probablement déjà morts, couina le petit mâle, ses yeux bleus écarquillés. Il dit aussi que le seul capable de les retrouver, c'est toi, papa !

- Mais qui a dit à ton frère et tes sœurs d'aller...

La réponse s'imposa d'elle-même. Nuage de Givre en personne !

- Tu es vraiment stupide, Petite Flèche ! cracha t-il en piquant un sprint pour s'enfoncer dans la forêt.

- Ça c'est bien vrai, commenta Petit Matin en passant coquettement sa langue sur sa patte puis sur son oreille.



Les pattes du matou gris craquaient par intermittence sur le tapis d'aiguilles de pin. Il sautait gracieusement par dessus les fougères et les souches en se réceptionnant comme si il avait un public. Bientôt, les pins se firent plus rares et il déboucha sur l'étendue d'herbe qui précédait le territoire Bipède. Il repéra instantanément les trois petits chatons, qui, de leur démarche encore mal assurée, se dirigeaient vers le cadavre de Pluie de Lumière. Lion Argenté redoubla de vitesse et leur coupa la route, les yeux réduits à deux fentes. Il rugit pour les effrayer.

Petite Souris cria de surprise et se tapit au sol, imitée par Petite Goutte. Petite Pluie resta bien droit, défiant son père du regard.

- Qu'est-ce que vous faites ici ? feula t-il.

- Nuage de Givre nous a dit que tu testais notre courage et nous a informés que tu voulais qu'on sorte du camp jusqu'au territoire bipède, glapit Petite Souris, l'air perdu.

- Il vous a menti ! la gronda le guerrier. Franchement, avec le père que vous avez, vous auriez dû vous servir de l'intelligence dont vous avez héritée pour vous en apercevoir, non ? Vous savez bien que les chatons ont défense de sortir du camp !

Petite Souris baissa la tête. Petite Pluie l'imita, après une brève hésitation. Petite Goutte fixait son père sans comprendre.

- Mais Papa, Nuage de Givre ne nous aurait jamais menti...

Il vit rouge.

- Ah non ? T'en es bien sûre ? Tu fais donc plus confiance avec cet avorton qu'à moi ?

Petite Goutte déglutit, les yeux plein de larmes. Elle avait toujours été un peu simplette, mais là elle battait des records.

- En tout cas, Nuage de Givre ne nous hurle pas dessus, lui, miaula Petite Pluie, des reproches dans la voix.

Pris au dépourvu, Lion Argenté s'abstint de lui répondre.

- Allez, les enfants, on rentre, murmura t-il en les poussant vers la forêt.

- Attends ! s'écria Petite Souris en lui échappant. Je crois que c'est Pluie de Lumière, là-bas, qui est blessé.

La petite femelle gris et blanc s'élança vers le corps immobile dans l'herbe. Peu impatient que sa fille se retrouve face à un cadavre en décomposition, Lion Argenté lui bloqua le passage, la prit dans sa gueule et fit demi-tour en faisant la sourde oreille à ses protestations.


***


Beauté Glaciale plissa les yeux lorsqu'elle vit son compagnon et ses chatons pénétrer dans le camp.

- Où les as-tu emmenés ? Ils sont bien trop jeunes pour...

- Ils sont sortis du camp, coupa Lion Argenté. Je me passe bien de tes réprimandes.

Il voulut filer et la planter là, mais Petite Goutte lui appuya sur la patte.

- Papa, je me suis fait mal en marchant sur un caillou...

Courroucé, il la prit dans sa gueule et se dirigea vers l'antre de la guérisseuse. Papillon Bleu sursauta, nerveuse, lorsqu'il entra.

- Petite Goutte s'est blessée. Soigne-la, ordonna t-il sèchement.

Une larme coula de l'œil de la chatonne roux et blanc.

- Reste avec moi, Papa, j'ai peur...

Le matou gris céda avec un soupir. Papillon Bleu s'éloigna pour revenir avec un remède qu'elle mâcha puis appliqua sur le coussinet écorché. La guérisseuse gris-bleu à poil long dit timidement, sans détacher les yeux de ce qu'elle faisait :

- Tu aurais dû faire plus attention. Le monde est dangereux pour un chaton tel que toi.

- Sans blague, grinça Lyon Argenté. Petite Goutte, va rejoindre tes frères et sœurs. J'ai à parler avec Papillon Bleu.

La petite femelle sortit en claudiquant, le pelage en bataille. Son père riva ses yeux ambrés sur la guérisseuse qui se tendit.

- Tu n'es vraiment qu'une cervelle de puce, toi. Je vais t'apprendre, à donner des leçons à ma fille !

Elle écarquilla grand ses yeux bleus, terrifiée. Elle se tapit au sol tandis qu'il se redressait de toute sa hauteur. Poussant un glapissement épouvanté, la chatte à poil long s'enfuit au fond de sa tanière, là où la roche créait l'espace de rangement invisible depuis l'entrée.

- Ouais, parfait, reste là, cracha Lion Argenté avec tout le mépris dont il était capable.

Papillon Bleu se colla à la pierre en faisant crisser ses griffes dessus. Ses moustaches étaient tellement raides qu'elles tenaient toutes droites. Le mâle gris foncé la fit tomber sur le ventre d'un coup de patte et se pencha sur elle.

- Que... Non !

- La ferme !

La femelle gris-bleu se mit à sangloter, secouée de spasmes. Il lui asséna une claque sur l'oreille. Ce qu'elle peut être agaçante, à pleurnicher !

- C'est ta punition, répéta t-il en retenant ses hanches avec ses pattes.

La pupille bleue de la jeune chatte s'étrécit soudain. Ses paupières se plissèrent et elle serra les crocs en les dévoilant.

Avant même qu'il ne puisse s'en rendre compte, Lion Argenté était à terre. Papillon Bleu martelait son visage et son poitrail de coups de patte enragés, en vraie furie, le diable au corps. Hébété, il se prit plusieurs dizaines de coups avant de réagir. C'est la premier fois qu'une femelle réagit comme ça... ! Je suis toujours beau, pourtant... Enfin je crois. Zut, j'espère que je ne suis pas devenu moche tout à coup !

- Je suis amoureuse de Nuage de Vipère, feula Papillon Bleu en le toisant, les yeux lançant des éclairs. Je ne laisserai personne d'autre me. Tu es immonde, Lion Argenté. Immonde.

La rage lui tordit les entrailles et les enflamma. Il se leva et la poussa violemment.

- Et toi tu n'es qu'une pauvre imbécile ! Tu es guérisseuse, tu n'as pas le droit d'aimer !

Le joli museau de la femelle grise se crispa douloureusement.

- Je sais bien, miaula t-elle, la fureur laissant place au chagrin, c'est pour ça que j'ai essayé de me jeter dans la rivière, l'autre fois. Mais tu m'as sauvée. Tu as ruiné ma chance de me libérer. Par ta faute, je suis toujours prisonnière.

Il ne supporta pas le regard dégoûté qu'elle posait sur lui. La haine enlaça la rage et toutes deux le firent taillader la guérisseuse de ses griffes, aveuglé par leur puissance. Ce n'est que lorsqu'elle s'affaissa dans une mare de sang qu'il réalisa son erreur.

- Papillon Bleu ! J'ai besoin d'un peu de tanaisie... Je tousse fortement.

Lion Argenté jeta un coup d'œil fébrile à l'entrée. C'était Bourrasque Froide, le frère de Beauté Glaciale, qui entait nonchalamment dans l'antre. Son cerveau tourbillonna à toute vitesse. Il ne pouvait pas prétendre être innocent avec la guérisseuse éventrée à ses pattes. Allait-il être banni, mis à mort ? Ses enfants auraient honte de lui, Beauté Glaciale ne lui parlerait plus jamais, il ne deviendrait jamais chef du Clan Noir... Ses oreilles frémirent. Bourrasque Froide se dirigeait vers le fond de l'antre, intrigué.

- Que faites-vous ? Lion Argenté ?!

Lion Argenté se mit sur ses quatre pattes pour lui faire face. Il lui sauta à la gorge et lui asséna une morsure fatale, bouillonnant et le cœur battant aux tempes. Le cadavre du guerrier blanc et roux s'écroula sur celui de Papillon Bleu. Un gémissement se fit soudain entendre.

- Lion Argenté...

Elle était encore en vie. Le matou gris se pencha sur elle et gronda :

- Tu as intérêt à raconter au Clan que tu t'es battue avec Bourrasque Froide qui a essayé de te tuer et que tu l'as achevé pour sauver ta peau si tu ne veux pas que je te fasse souffrir davantage.

Elle hocha prestement la tête, les larmes aux yeux. Il se redressa et avisa une flaque d'eau, dans un coin. Il alla s'y rincer les pattes. Oui, c'est mal, ce que je viens de faire, et c'était encore plus mal de ma part d'y prendre plaisir. Je ne recommencerai plus, je le jure. Puis, il prit une grande inspiration et hurla :

- Au meurtre ! Au meurtre !

Nuit d'Hiver ne tarda pas à accourir, suivi de Douce Colombe et Patte Olive. Le lieutenant tigré hoqueta d'horreur lorsqu'il aperçut la mare de sang et les deux félins qui gisaient dedans.

- Que s'est-il passé ? miaula Douce Colombe en gardant son sang-froid, contrairement au mâle aux yeux bleus. Il sont morts ?

- Bourrasque Froide a attaqué Papillon Bleu en apprenant qu'elle était amoureuse de lui, s'empressa de répondre le guerrier gris. Elle s'est défendue comme elle a pu, et l'a tué accidentellement. Elle est encore en vie, mais plus pour longtemps.

- Attends, coupa Douce Colombe, elle était amoureuse de lui ? Mais elle n'a pas le droit !

- On s'en fiche ! s'exclama Nuit d'Hiver, affolé. Elle est en état critique ! Allez chercher la guérisseuse !

Lion Argenté siffla, méprisant. Son père se faisait de plus en plus bête chaque jour. Patte Olive les doubla et se pencha sur la chatte blessée.

- Que devons-nous t'administrer ? lui demanda t-il doucement.

- Toiles d'araignées, hoqueta t-elle en crachant un peu de sang. Et de l'eau...

- Papillon Bleu !

Nuage Lacté, apprentie guérisseuse depuis peu, se tenait, épouvantée, sur le seuil de la tanière. Patte Olive lui jeta un regard embarrassé.

- Elle dit qu'il lui faut des toiles d'araignée.

- Oui, bien sûr, pour arrêter le sang. Je... je vais essayer de m'occuper d'elle, vous pouvez sortir, vous ne m'êtes pas bien utiles, je vous rappellerai si je vous trouve une utili... Que... Bourrasque Froide ?!

- Ce matou n'est qu'une crotte de renard, gronda Patte Olive en saisissant le cadavre. Attaquer une guérisseuse... C'est bien fait qu'il soit mort.

Lion Argenté sortit avec son père et les deux guerriers. Le mâle brun pommelé déposa la dépouille de son camarade dans l'herbe, devant Étoile d'Ivoire sur sa Branche Sacrée qui ouvrait des yeux ronds. Ses yeux verts étincelaient furieusement. Patte Olive est loyal et généreux, mais pas bien malin... Tant mieux.

Il conta l'accident au meneur, Lion Argenté le soutenant par ses témoignages. Le mâle blanc se mit sur ses pattes tout en gardant ses griffes enfoncées dans le bois. Sa queue fine s'agitait derrière lui.

- Bourrasque Froide a commis une très grave violation du code du guerrier, et il mérite la sentence que le Clan des Étoiles a jetée sur lui.

Lion Argenté ne put s'empêcher de pouffer. Comme si le Clan des Étoiles décidait de tous nos faits et gestes ! C'est ridicule !

- Papillon Bleu a fait preuve de courage en se défendant, elle qui n'a pas choisi la voie du combat, et nous ne pouvons la blâmer de l'avoir tué. Il est capital qu'elle se remette vite, car notre Clan est vulnérable sans son activité.

Plusieurs reines, dont Nuage d'Ébène et Cascade d'Argent réagirent avec des reniflements méprisants. Que Papillon Bleu soit sur patte ou pas, cela ne changeait pas grand-chose tant elle était incompétente, tous le savaient. Mais certains, comme Nuage de Vipère ou Arc-En-Ciel n'étaient pas rassurés de savoir leur guérisseuse incapable de leur prodiguer des soins éventuellement nécessaires.

Tout à coup, une forme pâle jaillit de la pouponnière et Lion Argenté se crispa nerveusement. Celle-là, c'était bien le seul félin qui lui provoquait des inquiétudes et des angoisses. Et le fait d'être plus vulnérable et soumis à elle qu'il ne l'aurait pensé le contrariait.

- Mon frère ! hurlait Beauté Glaciale. Que lui est-il arrivé ?

- Il a essayé d'assassiner Papillon Bleu, elle s'est défendue et il a succombé, débita Patte Olive pour la énième fois.

Lion Argenté vit dans l'éclat farouche de ses yeux qu'elle n'était pas dupe et les poils se dressèrent peu à peu sur sa nuque. La magnifique reine donna un coup de queue au sol en rabattant les oreilles en arrière.

- C'est ridicule ! Bourrasque Froide n'aurait jamais fait une chose pareille ! C'est le mâle le plus doux et sensible que j'aie jamais connu. Je le fréquente depuis ma naissance !

- Les guerriers changent, répliqua simplement Étoile d'Ivoire, sévère, la voix grave. Bourrasque Froide est coupable et ce n'est pas une reine désespérément sentimentale qui le rendra innocent.

Beauté Glaciale soutint son regard dans une expression enragée, plus belle que jamais. Elle fit siffler ces paroles entre ses dents :

- Et j'imagine qu'il y a eu des témoins ?

Lion Argenté n'aimait pas, mais alors pas du tout lorsque sa voix se faisait si doucereuse. C'était les signes précurseurs d'une explosion.

- Oui, rétorqua Patte Olive non sans triomphe, Lion Argenté.

La femelle au pelage gris pâle riva ses yeux de vipère sur son compagnon qui s'efforça de conserver son assurance et son calme.

- Bande de cervelles de rats, susurra t-elle, vous faites confiance à ce matou-là ? C'est lui, de toute évidence, qui a massacré Bourrasque Froide...

- Je te l'interdis !

Nuit d'Hiver s'était rué sur sa guerrière pour coller sa truffe à la sienne.

- Je t'interdis d'accuser mon fils, bégaya t-il, choqué et tremblant. Il n'a aucune raison d'avoir fait cela et est digne de la confiance de...

- De toi, peut-être, mais plus de la mienne.

Elle lui enfonça un peu plus son regard pénétrant au fond de la pupille et le contourna pour se pencher sur son frère. Sa lèvre inférieure tremblait et ses oreilles se couchaient en arrière sous l'effet désastreux du chagrin. Elle s'accroupit à son chevet et murmura quelques mots au creux de son oreille. Lion Argenté qui respirait encore difficilement sous le coup de la terreur ne put s'empêcher d'être écœuré par son hypocrisie. Elle n'avait jamais été proche de Bourrasque Froide, jamais. Et là, elle se lamentait à ses côtés comme si le ciel venait de s'écrouler sur elle. Finalement, elle est comme les autres. Il n'y a que son physique qui la différencie des imbéciles de ce Clan. J'ai eu tort de voir en elle quelqu'un d'assez coriace et récalcitrant pour être ma compagne.

Mais il ne remarqua pas le mince sourire qu'ébauchaient les lèvres de la reine grise tandis qu'elle chuchotait des choses affreuses à l'oreille de la dépouille froide.


***


Lion Argenté dormit mal, horriblement mal, mal comme jamais il n'avait encore dormi. Sa nuit fut peuplée de cauchemars atroces où Pluie de Lumière et Bourrasque Froide le traitaient comme il avait traité Pluie de Neige, Émeraude Glacée, Brume des Neiges ou encore Papillon Blanc. Il hurlait à s'en déchirer les cordes vocales, mais aucun son ne fusait de sa gorge. Il souffrait par ses os, il souffrait par son esprit, il souffrait par son cœur. Beauté Glaciale tua ses enfants devant lui, sourire aux lèvres, Bulle Noire lui mit le coup de grâce mille fois devant tout le Clan Noir réuni, Nuage de Givre devint le compagnon de Beauté Glaciale, et des voix scandèrent à ses oreilles meurtries qu'il était faible, lâche et misérable. Le petit matin fut une véritable libération.

Tremblant de tout ses membres, le mâle gris cendré roula sur le flanc et dressa ses pattes sous lui, le cœur battant la chamade. Il était tôt, la majorité des guerriers ronflaient encore, bien que la tanière fut déjà claire et percée de rayons de soleil. Mais lors de la saison des feuilles vertes, le jour se levait de bonne heure et déclinait bien tard. Cela le dérangeait, il préférait les matins sombres et les soirs où la lune se levait selon son gré. La luminosité trop forte le fit voir des points lumineux quelques instants. Il empatta Brume des Neiges en mettant plus de temps qu'il ne l'aurait souhaité. Le faible renflement de son ventre chassa la terreur froide de la nuit et l'emplit d'un doux malaise et d'une sérénité étrange. Le nerf qui agitait son oreille depuis son réveil s'apaisa.

Beauté Glaciale avait veillé son frère toute la nuit. Sa silhouette claire était encore courbée sur le mort. Elle lui parlait. Bizarre, elle n'a même pas l'air triste. Elle bavarde d'un ton allègre comme si elle discutait avec un vivant. La reine gris pâle agitait même la tête et la queue, enjouée, sans remarquer la présence de son compagnon. Elle se refroidit tout de suite lorsqu'elle perçut son odeur. Un sourire factice s'afficha sur ses lèvres.

- Toi, j'ai deux mots à te dire.

Appréhendant, il la regarda se mettre sur ses pattes et marcher en direction de la sortie du camp. Sa queue en panache était levée et ondulait, elle n'était ni fâchée ni abattue. Elle avait la même démarche que d'habitude; posée mais provocante. Sans se retourner, elle lui cria :

- Alors, tu viens ?

L'expression de son visage était totalement indéchiffrable, seuls ses sourcils haussés trahissaient son impatience. Mal à l'aise, Lion Argenté la rejoignit en quelques bonds et se mit à sa hauteur. Il n'osa tout d'abord pas la regarder : il craignait pour ses oreilles et qu'elle ne s'agaçât dès le départ. Il arrivait que la reine soit si irritée ou si contrariée qu'elle ne supportât pas un simple regard s'attardant sur elle ou une parole inutile. Aujourd'hui, elle paraissait détendue, mais on ne connaissait pas chatte plus imprévisible et le mâle gris jugea plus sage de faire preuve de prudence et de patience. Les quelques instants où il attendit qu'elle parle en premier en mirent un coup à sa fierté et firent repartir en flèche sa nervosité. Ce qu'elle dit tout d'abord le laissa pantois.

- La pinède est belle, en cette saison, ne trouve-tu pas.

Beauté Glaciale avançait tranquillement, le museau levé et les moustaches souples. Elle détourna son attention d'un papillon coloré qui virevoltait autour d'elle pour poser son regard frais et limpide sur son compagnon qui s'empressa d'acquiescer.

- Euh, oui. Sa voix s'était faite rauque. Il s'éclaircit la gorge. Oui, oui, magnifique.

Le simple fait de soutenir son regard le mettant mal à l'aise, il retourna à la contemplation de ses pattes qui foulaient la terre souple. Beauté Glaciale leva tendrement les yeux au ciel.

- Lion Argenté, écoute... Merci d'avoir tué Bourrasque Froide.

C'est un piège. C'est immédiatement ce qu'il se dit. Elle me piège pour savoir la vérité. Il ne sut que répondre. Aussi, il cracha amèrement :

- Idiote.

- Je suis sincère, assura la chatte grise aux yeux verts. Je ne l'ai jamais aimé, il a toujours été le préféré de Chant de l'Eau, notre mère. Maintenant qu'il est mort, elle me voit de nouveau. Et ne nie pas, chéri, je sais que c'est toi. Papillon Bleu n'aurait jamais été capable de le tuer à la gorge d'une morsure si habile et nette. Je t'assure que je ne t'en veux pas.

Il aurait préféré qu'elle n'eût pas été si lucide. Mais en se rendant compte de l'égoïsme dont elle faisait preuve, il fut immensément soulagé. Il croyait que Beauté Glaciale était finalement trop parfaite, ennuyeuse, altruiste, mais elle était féline. Comme lui, elle avait de grands défauts qui égalaient ses grandes qualités ;  son égoïsme, ses caprices, sa perfidie et son agressivité n'avaient d'égaux que sa loyauté, son intelligence, son courage et sa force. Lion Argenté ne se serait pas imaginé pouvoir tomber amoureux d'une femelle trop différente de lui sur ces points. Ni pouvoir aimer Beauté Glaciale si elle n'avait pas présenté de vices.

Lion Argenté retrouva un peu de vigueur et décocha un regard tranchant à la belle chatte.

- J'imagine que tu vas t'empresser d'en avertir Étoile d'Ivoire pour ensuite choisir Nuage de Givre comme compagnon ? lança t-il d'un ton abrupt lourd de reproches.

Beauté Glaciale renversa la tête en arrière et éclata de rire. Il recula, pétrifié par son rire glaçant où pointait la démence. Elle inclina les oreilles sur le côté et susurra, en le fixant droit dans la pupille :

- Oh, non. Je vais te tuer.

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(média : Papillon Bleu)

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