Chapitre XXIX : La kyanienne

« Un choix douloureux peut parfois guérir un Cœur blessé. »

*

Sa sœur ne les lâchait pas d'une semelle au milieu de la foret de bambous. Telle une ombre, Kila les escortait silencieusement jusqu'au village. Likar, Fiève et Dim devaient d'ailleurs déjà s'y trouver et Narel avait certainement été pris en charge par les guérisseurs. Avec un peu de chance, ils avaient également eu le temps de préparer le terrain pour faciliter l'arrivée de Nyha. Celle-ci se cramponnait de toutes ses maigres forces à la main de l'adolescent. Shaïon le savait, elle ne voulait pas être ici. Pas plus qu'ailleurs en réalité. Elle espérait sans doute que tout le monde l'oubli, la laissant seule dans un coin où ses larmes ne seraient pas jugées, ses cris pourraient être ignorés, évanouis dans l'air sans qu'elle n'ait d'explication à donner.

Shaïon aurait tant aimé pouvoir la rassurer, lui dire qu'il la protègerait, qu'elle était en sécurité ici, mais il n'en avait plus le pouvoir.

- Tout ira bien, lui chuchota-il néanmoins en se tournant vers elle tout en continuant de marcher.

Nyha ne comprenait rien à ses paroles prononcées en Etlinien, bien entendu, mais Shaïon ne pouvait pas faire mieux.

Le village, bordant la plage de la magnifique baie d'Émiran, était presque vide en ce début d'après-midi. Les deliniens préféraient voguer sur l'eau translucide où se trouvaient occupés par divers tâches sur les îlots. Seuls quelques adultes et les enfants parcouraient librement les sentiers du village.

Le groupe passa devant les nombreuses paillotes servant d'habitations jusqu'à se rendre au centre du village, devant le plus grand bâtiment. Entièrement construit de bambous et ayant une forme ronde - identique aux petites maisons - la grande paillote était en réalité le Cœur du village.

Sans hésiter et se moquant des regards étonnés des passants, Shaïon s'y engouffra en entrainant l'askanienne avec lui, suivi de l'équipage et de sa sœur.

A l'intérieur, ils retrouvèrent Fiève, Likar et Dim. Tous trois parlaient avec un vieil homme au crâne dégarni assis sur un grand siège en bambou. Sa tunique usée, d'un gris assez clair, trahissait sa maigreur. Heureusement, le visage contrarié de l'homme se détendit lorsqu'il vit Shaïon arriver au centre de la salle au sol couvert de grands tapis. L'adolescent le salua d'un signe de la tête avant de se tourner vers Nyha. Avec une appréhension qu'il espérait avoir réussi à dissimuler, il la força à le lâcher et lui fit signe de rester là où elle était.

*****

Nyha ne voulait pas lâcher la main de Shaïon, ni être au milieu de cet étrange bâtiment. L'équipage de l'Orytam avait cessé de les suivre après être entré et avait rejoint les quelques elfes présents assis sur des coussins dans l'unique salle. Tous la regardaient. Certains avec curiosité, d'autres avec dégout ou même de la peur mais aussi avec colère. Terrorisée, elle se força à ne pas baisser la tête lorsque Shaïon la laissa et s'avança jusqu'au au vieil homme assis dans un fauteuil fait du même bois clair que l'arc de Fiève.

- Aliley morn duxan*, dit-il en s'inclinant légèrement.

Le vieillard prononça une longue phrase incompréhensible d'une voix rauque et les yeux des deux hommes se tournèrent vers elle. Les mêmes yeux vairons, violets et bleus.

Ils sont de la même famille, devina Nyha.

La jeune femme dont les iris violettes vibraient de colère vint se poster à la gauche du vieil homme, du côté où ne se trouvaient pas Likar et les autres.

- Klima eni kyanienne morn duxan*, articula Shaïon après un moment.

‟Kyanienne". Ce joli mot lui faisait penser à la déesse de la nuit même si elle ne parvenait pas à en saisir le sens. Peut-être y avait-il un rapport.

- Ton nom, jeune fille ? demanda le vieillard en la faisant sursauter.

- Nyha, murmura la namaïenne après un temps et alors que tous les regards semblaient vouloir lui arracher la réponse.

- Pardon ?

- Je m'appelle Nyha Séria, répéta-t-elle plus fortement.

Shaïon ajouta quelques mots dans sa langue étrange et les regards des elfes ainsi que celui du vieillard semblèrent s'adoucir, ôtant par la même occasion une partie du poids pesant sur le Cœur de la jeune elfe.

- Où est ta famille ?

La question du vieillard prit Nyha de court. La namaïenne tenta d'expliquer qu'elle n'en savait rien mais sa voix mourut dans sa gorge sans qu'elle ne puisse articuler le moindre mot. Nyha aurait volontiers tenté de fuir cet endroit ou se serait laissée tomber sur le grand tapis rond en simulant un malaise qui la sortirait de cette situation cauchemardesque, mais Shaïon en décida autrement et vint à son secours en donnant des explications à sa place. Du moins c'est ce que Nyha devina étant donné que l'homme ne reposa pas sa question.

Du coin de l'œil, elle voyait Likar lui sourire. Mais son visage était triste en réalité, presque inquiet, ce qui força Nyha à se contenter de fixer le vieil homme en ignorant son ami. L'ancien discutait avec Shaïon et la jolie femme aux iris violettes qui lui ressemblait beaucoup. Elle n'avait pas l'air très contente au vu du ton de sa voix et des grands mouvements qu'elle faisait. Shaïon non plus à vrai dire. Les deux elfes commençaient à se crier dessus dans leur langue, semblant ignorer toutes les autres personnes présentes dans la pièce.

- Liiden*, coupa calmement le vieillard en levant une main fripée.

Les deux elfes cessèrent instantanément leur dispute, laissant le calme revenir dans le grand bâtiment rond. Après avoir attendu quelques secondes afin d'être certain que la querelle était bel et bien finie, l'ancêtre planta ses yeux dans ceux de Nyha. Elle était certaine que l'elfe était en train de lire en elle comme dans un livre ouvert mais il posa simplement ses mains tatouées sur les accoudoirs de son fauteuil. Le revers de sa main gauche portait le même croissant de lune que celui de la Garde Askanienne. L'encre blanche avait perdue de son éclat mais la présence de ce symbole rassura étrangement Nyha. Sur sa main droite en revanche, un tatouage représentant une sublime fleur la laissait perplexe. La plante lui rappelait d'ailleurs le dessin que Shaïon avait fait sur le caillou lors de la mort de leur ami. Peut-être cette fleur était-elle importante ici ?

-Sais-tu qui nous sommes ? demanda l'ancien en se levant lentement.

Nyha secoua la tête pour se reconcentrer. Elle avisa les nombreux elfes présents du regard, puis ses amis, s'attardant sur chacun d'entre eux, et enfin Shaïon. Il lui souriait silencieusement pour l'encourager.

- Vous êtes... vous êtes les descendants des elfes des Divisions Delin.

Les spectateurs se tendirent soudainement, murmurant des phrases incompréhensibles à leurs voisins. Après tout, il était vrai que Nyha savait qui ils étaient, et comme tout bon askanien, connaissait les horribles actions de leurs ancêtres.

- Nous vois-tu comme tous les autres elfes de ton peuple nous voient ? Comme des monstres voulant renverser l'Askan ?

- Non, répondit-elle après un moment de réflexion. Les elfes qui m'ont amenée ici sont tout sauf... des meurtriers.

Sa voix s'était faite moins assurée, moins forte sur ses derniers mots. Non pas que Nyha ne les pensaient pas, seulement, les souvenir des différents combats qu'avaient mené le groupe venaient de semer le doute dans son Esprit.

Le vieillard - qui ne semblait pas remarquer l'hésitation de l'askanienne - avisa la jeune femme du regard, un léger sourire aux lèvres. Celle-ci tourna la tête comme pour abandonner de défendre une idée.

- Tu es donc l'une des premières orphelines de guerre que notre monde connait, reprit-il d'un ton solennel alors que la gorge de Nyha se serrait de chagrin. Mon petit-fils m'a dit pour ta famille, tu m'en vois sincèrement navré.

Ils ne sont pas forcément morts, murmura une petite voix en elle.

- Je ne peux pas décider de ton destin, mais je suis en mesure de te proposer une chose, reprit l'elfe en plantant ses yeux vairons remplis de douceur dans les siens. Tu peux rester ici, sur les Îles Solitaires, apprendre nos coutumes, notre langue et devenir l'une des notre... un jour. Ou nous pouvons te ramener en Askan pour que tu retrouves tes terres et ton peuple. Si tu choisis cette option cependant, continua-t-il en perdant son fin sourire, tu ne devras jamais parler de nous et de ce que tu as vu à quiconque. Nous sommes en paix maintenant, nous ne voulons pas d'un conflit ou d'une guerre sur nos îles.

Après tout ce chemin, tous ces sacrifices, une chance de rentrer chez elle lui était offerte. ‟Chez elle", ce mot devenait de plus en plus flou dans son Esprit. Namaï ne devait être plus qu'un champ de ruines maintenant, et sa famille, éparpillée sur le continent si tenté qu'elle soit toujours de ce monde. Toutefois, depuis qu'elle avait rencontré Shaïon, Narel et les autres, Nyha n'avait pas simplement trouvé des amis. Mais bien une nouvelle famille. Hétéroclite, joyeuse, qui l'acceptait comme elle était. Tous s'entraidaient et s'étaient même sauvé la vie à plusieurs reprises. Nyha avait sauvé celle de Likar près du ruisseau, lui l'avait sauvé juste après.

Celui-ci la regardait avec un mélange de peine et de tendresse. La namaïenne comprenait enfin pourquoi il avait été si retissant et froid depuis qu'il savait que Shaïon comptait la faire venir ici. Si Nyha acceptait de rester, il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Elle ne reverrait jamais sa famille de sang, ni sa maison.

Mais Nyha venait de comprendre une autre chose. Sa maison n'était plus un lieu, ce n'était plus cette petite bâtisse de pierre aux murs décorés de fleurs. Sa maison était un sentiment, et elle pourrait se trouver partout du moment que l'askanienne serait avec sa nouvelle famille.

Sa décision était donc prise. Elle ne serait plus jamais namaïenne, et même peut-être plus askanienne.

*

*Aliley morn duxan : bonjour mon chef (Etlinien)

*Klima eni kyanienne morn duxan : voici une askanienne mon chef (Etlinien)

*Liiden : du calme (Etlinien)

Heyyyy ^^

Et voilà le dernier chapitre de Nyha pour le Tome 1 de GAC. J'espère qu'il vous aura plu ;)

Semaine pro c'est au tour d'Agar :D

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