Chapitre XIII : Un ordre mystérieux

« Les chaines les plus dangereuses, sont celles que l'on ne voit pas. »

*

Deli sortit péniblement de ses songes. Le bruit puissant du cor résonnant tous les matins à six heures précises venait de briser son sommeil sans rêve. Il passa ses mains sur son visage endormi avant de faire quelques mouvements d'étirement suivis d'un bâillement dû à la fatigue. A vrai dire, il n'avait plus l'habitude de se faire réveiller par le cor. Son bruit grave rebondissant sur tous les murs de la caserne n'avait pas abimé ses tympans depuis qu'il était parti de Miruk – après avoir été fait Gardien.

Épuise, Deli se leva tout de même et commença à se préparer. La chambre dont on lui avait fait cadeau le temps de son séjour ne comportait que le strict nécessaire pour dormir, se laver ainsi que pour se réchauffer grâce à un petit foyer carré placé dans un coin de la chambre et pouvant accueillir un feu lorsque la chaleur des saisons se dissipait. En cette fin de printemps clémente, Deli n'avait pas pris la peine de réchauffer la petite salle et avait délaissé le foyer pour le simple confort d'un drap laissé sur la natte de sa chambre à son intention.

Tout en enfilant son armure, et après s'être lavé, Deli jeta un coup d'œil curieux, presque trop admiratif, au travers du petit vitrail coloré le séparant des occupants permanents des lieux. Ces derniers se rassemblaient pour l'appel matinal sur le grand rectangle d'herbe verdoyante entouré des arcades finement sculptées de la cour intérieure. Le grand couloir que délimitaient ces arches voyait ses murs parsemés de vitraux semblables à celui de la chambre de Deli à présent vêtu de son armure complète. Laissant son regard s'attarder une dernière fois sur les elfes, le namaïen quitta sa chambre.

Une seule idée guidait ses pas à travers les nombreux couloirs de la grande caserne : trouver l'officier du nom d'Elros Loftern. L'elfe semblait être le seul à pouvoir répondre à ses attentes d'après les quelques Gardiens qu'il avait questionné en chemin.

Naturellement, ses jambes le menèrent jusqu'au mess d'où se dégageait une délicieuse odeur de bouillon que son ventre vide désirait d'une folle envie. Poussant la porte en bois à double battant, Deli découvrit la grande salle aux colonnes de pierre grise hébergeant plusieurs longues tables de bois abîmées par le temps. Toutes inoccupées à cette heure matinale, elles voyaient leurs bancs rangés devant elles dans l'attente du service de midi.

Seul une silhouette se dessinait dans le fond de la salle. Assis en finissant tranquillement son bol de céréales, le vieil officier qui avait parlé avec Alden à son arrivée semblait plongé dans ses pensées.

- J'te sers quoi ? demanda gentiment une femme en arrivant à sa gauche.

L'uniforme bleu nuit qu'elle arborait sous son long tablier brun montrait son appartenance à la Garde, bien que son rôle ne soit pas d'aller au combat.

- Je te laisse choisir. Quelque chose de simple suffira, répondit-t-il gentiment tout en lui effleurant amicalement le bras.

La femme lui rendit son sourire avant de repartir vers les cuisines en poussant une petite porte dérobée derrière le long comptoir utilisé durant les services.

Profitant de ce moment, Deli s'avança tranquillement vers l'homme en contemplant un bref instant les lustres illuminant la salle dépourvue de lumière naturelle. Tournant de nouveau son regard vers l'elfe aux cheveux poivre et sel et apercevant l'étoile de métal argentée sur le col de sa veste de costume, Deli ralentit le pas et positionna une main dans son dos par respect.

- La place est libre commandant ? demanda-t-il en montrant la portion du banc face à l'officier.

Celui-ci leva ses yeux couleur étain vers lui. Son regard, témoin des années de dur labeur, restait étonnamment doux et invitait silencieusement Deli à s'assoir. Ce qu'il fit.

Impressionné par prestance de l'homme qu'il soupçonnait ne pas être loin des soixante ans, Deli n'arrivait à articuler aucun mot, se retranchant dans un silence trahissant son respect.

- Je t'en prie mon garçon, les règles protocolaires n'ont pas lieux entre nous, lui sourit-il, mettant en évidence de petites pattes-d'oie au coin de ses yeux qui sublimaient son visage. Que t'arrive-t-il ? Pourquoi être inquiet ?

Interpelé, Deli eut du mal à remettre de l'ordre dans son Esprit. Le fait que l'officier de haut rang le tutoie et lui parle comme s'il était son égal lui avait coupé le souffle. D'autant plus qu'il s'était aperçut que quelque chose le tourmentait.

- Avec les années, on sait déceler les émotions de nos frères. Même celles qu'ils veulent cacher, affirma-t-il dans un rire.

- Je... désolé commandant, bafouilla Deli.

L'officier balaya les excuses de la main alors qu'il engloutissait une cuillère de céréales.

- Voilà pour toi, annonça la cuisinière revenue avec une assiette creuse contenant une soupe à l'odeur agréable.

Deli la remercia en prenant son plat, trop heureux de pouvoir se concentrer sur une autre personne que le commandant. Malheureusement pour lui, sa sauveuse repartit bien vite, le laissant de nouveau seul avec son supérieur.

- Cette soupe est excellente, tu devrais l'aimer.

Deli hocha la tête et souffla doucement sur le liquide dans sa cuillère avant de l'avaler. Le mélange de légume parfaitement assaisonné lui réchauffa doucement la gorge en se répandant peu à peu dans tout son Corps.

- Alors ? s'amusa l'officier.

- Vous avez raison, elle est parfaite.

Le sourire de l'homme s'élargit d'avantage alors que ses yeux, trahissant sa bonne humeur, lui rappelaient ceux de son père ayant la même teinte. Un poids vint s'installer dans son Cœur et tordre son estomac, lui coupant l'appétit. Écœuré, Deli reposa la cuillère de bois sur le côté de son assiette.

- Qu'est ce qui ne va pas ? demanda à nouveau l'homme d'un air compatissant.

- Je cherche Elros Loftern depuis une bonne heure maintenant, sans parvenir à le trouver, avoua Deli d'un air abattu.

Le quinquagénaire rigola de bon cœur, faisant vibrer le Corps du namaïen.

- Félicitation ! Non seulement vous avez gagné un repas, mais vous avez aussi trouvé la personne que vous cherchiez.

La mâchoire de Deli tomba alors que Elros lança quelques pièces argentées sur la table afin de payer sa soupe.

- J'espère que vous ne vous êtes pas attiré de problème pour avoir besoin de venir me voir, rigola-t-il.

- Il faut que je retourne à Namaï. Je vous en prie, supplia-t-il en se reprenant et plantant ses yeux dans les siens. Je dois y retourner.

La mine joyeuse d'Elros se voila instantanément. Il déposa sa cuillère dans son bol en scrutant tristement les traits de Deli comme s'il mettait enfin un visage sur son nom qui lui était pourtant inconnu.

- Désolé mon garçon, mais il est impossible de vous renvoyer là-bas.

- Pourquoi ?!

Deli regretta aussitôt de s'être emporté face à Loftern, mais il avait l'impression que son Cœur allait exploser. La flamme de l'espoir venait de se rallumer en lui et Loftern l'éteignait preste aussitôt. Pourquoi l'empêcher de retourner à Namaï ?

Zown, ragea-t-il intérieurement.

Si c'était à cause de cet homme qu'il ne pouvait pas repartir, ce cher capitaine aurait tout intérêt à se tenir loin de lui s'il ne voulait pas gouter à sa lame.

- Si vous voulez participer aux combats je peux voir pour vous envoyer défendre Numarie.

- C'est gentil commandant Loftern, mais j'ai des choses à régler sur la côte ouest, objecta Deli en se relevant.

- Séria... souffla Elros. Je vous en prie.

Deli tiqua.

- Comment connaissez-vous mon nom ? répliqua-t-il d'un air accusateur.

L'officier se pinça les lèvres. Zown ne pouvait pas être à l'origine de cet ordre – si tenté que la directive en soit un – sinon Elros aurait hésité entre lui et Alden.

- Alden ! Espèce de... jura-t-il dans un murmure de rage.

- Ne lui en voulez pas. Il ne fait que vous protéger.

- Je me moque de sa protection ! Il faut que je retourne à Namaï ! explosa-t-il en abattant son poing sur la table.

Elros resta de marbre. Son regard tendre transmettait une volonté d'apaisement que Deli ignora. Le sang chaud lui montait à la tête, battant contre ses tempes et transformant sa vision en un tunnel vibrant.

- Tout va bien commandant ? questionna une voix forte provenant de l'entrée du réfectoire.

Les deux hommes tournèrent la tête vers un trio de soldat venant de passer la porte. De sa vision troublée, Deli devina tout de même que les trois Gardiens avaient posé une main sur le manche de leur arme, pour défendre Loftern si besoin en était.

- Nous discutions juste, ne vous en faites pas, affirma celui-ci avec un sourire aux lèvres.

Les soldats, peu convaincus, tournèrent néanmoins les talons et quittèrent les lieux en prenant soin d'adresser, chacun leur tour, un dernier regard appuyé vers Deli pour le mettre en garde et s'assurer qu'il se tiendrait bien.

- Si vous voulez bien vous rassoir Séria.

Elros montra le banc devant lui pour accompagner ses paroles. Deli, quant à lui, se contenta de fixer l'unique sortie de la salle en essayant de se calmer.

Que la marée t'emporte Alden, gronda une voix en lui alors qu'il se résigna à s'assoir.

Soufflant un grand coup les yeux clos, Deli laissa un calme aussi précaire que fragile prendre possession de lui.

- Namaï, dit-il d'un ton assuré en réouvrant les yeux.

*

Hé voilà pour un nouveau chapitre fort sympathique ! (Façon de parler)

Pauvre Deli quand même :'(

Pour remonter un peu le moral après cette triste lecture, le portrait d'Elros Loftern est en ligne ! :3

A la semaine prochaine ! ^^

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