Chapitre 8

« - Le Fléau d'Isildur a été trouvé, dites-vous, répliqua Boromir. J'ai vu un anneau brillant dans la main du Semi-Homme, mais Isildur périt avant le commencement de cette ère du monde, dit-on. Comment les Sages savent-ils que cet anneau est le sien? Et comment a t'il été transmis au cours des ans, jusqu'au moment où il a été apporté ici par un si étrange messager?

- Ce sera expliqué, répondit Elrond.

- Mais pas encore, je vous en supplie, Maître! dit Bilbo. Déjà le soleil monte vers le midi, et j'ai besoin de quelque chose pour me fortifier.

- Je ne vous avais pas nommé, dit Elrond, souriant. Mais je le fais à présent. Allons! Racontez-nous votre histoire. Et si vous ne l'avez pas encore mise en vers, vous pouvez la dire en mots simples. Plus votre récit sera bref, plus tôt vous pourrez vous restaurer.

- Très bien, dit Bilbo. Je vais faire comme vous le demandez. Mais je vais maintenant dire l'histoire véritable, et si certains qui sont ici m'ont entendu donner une autre version (il lança un regard de biais à Gloïn), je les prie de l'oublier et de me pardonner. Je n'avais que le désir de revendiquer le trésor comme ma propriété personnelle en ce temps là et me défaire du nom de voleur qui m'avait été accolé. Mais peut-être comprends-je un peu mieux les choses à présent. En tout cas, voici ce qui s'est passé.

Pour certains des auditeurs comme moi, le récit de Bilbo était entièrement nouveau, et nous écoutâmes avec étonnement tandis que le vieux Hobbit, assez satisfait en vérité, narrait en détail son aventure avec Gollum. II n'omit aucune des énigmes. Il aurait aussi fait tout un exposé de sa réception et de sa disparition de la Comté, s'il lui avait été permis, mais Elrond leva la main.

- Bien raconté, mon ami, dit-il, mais c'est assez pour l'instant. Il suffit actuellement de savoir que l'Anneau a passé à Frodo, votre héritier. Laissez-lui la parole à présent!

Avec moins de complaisance que Bilbo, Frodo raconta tout ce qui concernait l'Anneau depuis le jour où celui ci était passé à sa garde. Je ne le conterai pas ici mais chaque pas de son voyage de Hobbitebourg, au Gué de Bruinen fut mis en question et considéré, et tout ce qu'il put se rappeler au sujet des Cavaliers Noirs examiné. Enfin, il se rassit.

- Pas mauvais, lui dit Bilbo. Tu en aurais fait un bon récit, s'ils n'avaient cessé de t'interrompre. J'ai essayé de prendre quelques notes, mais il faudra qu'on revoie tout cela ensemble une autre fois, si je dois le rédiger. Il y a des chapitres entiers de matières avant même ton arrivée ici!

- Oui, cela a fait un assez long récit, répondit Frodo. Mais l'histoire ne me paraît toujours pas complète. II y a encore beaucoup de choses que je voudrais savoir, particulièrement en ce qui concerne Gandalf.

Galdor des Havres, qui était assis non loin, l'entendit:

- Vous parlez pour moi aussi, s'écria t'il, et se tournant vers Elrond il ajouta: «Les Sages peuvent avoir une bonne raison de croire que la découverte du Semi-Homme est en vérité le Grand Anneau longuement discuté, si peu vraisemblable que cela puisse paraître à qui en sait moins long. Mais ne pouvons-nous connaître les preuves? Et je demanderai aussi ceci: qu'est-il advenu de Saroumane? Il est très versé dans la connaissance des Anneaux, et pourtant il n'est point parmi nous. Quel est son avis s'il connaît tout ce que nous avons entendu?

- Les questions que vous posez, Galdor, sont liées, dit Elrond. Elles ne m'avaient pas échappé, et il y sera répondu. Mais ces choses là, c'est à Gandalf qu'il appartient de les éclaircir, et je fais appel à lui en dernier, car c'est la place d'honneur, et en toute cette affaire il a été le chef.

- D'aucuns, Galdor, dit Gandalf, jugeraient que les nouvelles de Gloïn et la poursuite de Frodo prouvent assez la grande valeur que l'Ennemi attache à la trouvaille du Semi-Homme. Il s'agit toutefois d'un anneau. Alors?

- Les Neuf, les Nazguls les gardent. Les Sept ont été pris ou détruits. (A ces mots, Gloïn sursauta, mais sans dire mot) Les Trois, nous savons ce qu'il en est. Qu'est ce donc que celui ci qu'il désire si ardemment?

- Il y a évidemment un grand espace de temps entre la Rivière et la Montagne, entre la perte et la trouvaille. Mais la lacune dans les connaissances des Sages a été enfin comblée. Trop lentement toutefois. Car l'Ennemi le suivait de près, de plus près même que je ne le craignais. Et il est heureux que ce ne soit que cette année, cet été même, semble t'il, qu'il a appris l'entière vérité.

- Certains ici se rappelleront qu'il y a bien des années j'osai moi même passer les portes du Nécromancien à Dol Guldur, j'explorai secrètement ses façons, et je trouvai que nos craintes étaient fondées: il n'était autre que Sauron, notre Ennemi de jadis, qui reprenait finalement forme et pouvoir. D'aucuns se rappelleront aussi que Saroumane nous dissuada d'entreprendre des actions contre lui, et pendant longtemps nous ne rimes que l'observer. Mais enfin, son ombre grandissant, Saroumane céda, et le Conseil, déployant sa force, chassa le mal de la Forêt de Grand'Peur et cela se passa l'année même de la découverte de cet Anneau: étrange hasard, si hasard il y eut.

- Mais il était déjà trop tard, comme Elrond l'avait prévu. Sauron lui aussi nous avait observés, et il s'était dès longtemps préparé à notre attaque, gouvernant le Mordor de loin par Minas Morgul, où demeuraient ses Neuf serviteurs, jusqu'à ce que tout fût prêt. Alors, il céda devant nous, mais en feignant seulement la fuite, et bientôt après, il vint à la Tour Sombre et se déclara ouvertement. Alors, pour la dernière fois, le Conseil se réunit, car nous apprîmes à ce moment qu'il cherchait toujours plus avidement l'Unique. Nous craignions qu'il ne possédât quelque renseignement ignoré de nous. Mais Saroumane déclara qu'il n'en était pas ainsi, et il répéta ce qu'il nous avait déjà dit: l'Unique ne serait plus jamais trouvé en Terre du Milieu.

- Au pis, dit-il, notre ennemi sait que nous ne l'avons point et qu'il est toujours perdu. Mais ce qui était perdu peut encore être trouvé, pense t'il. Ne craignez rien! Son espoir le trompera. N'ai-je pas sérieusement étudié cette question? Dans Anduin-la-Grande, il tomba, et il y a bien longtemps, durant le sommeil de Sauron, il roula dans le lit du fleuve jusqu'à la mer. « Qu'il gise là jusqu'à la fin»

Gandalf se tut, contemplant l'est du porche aux lointaines cimes des Monts Brumeux, aux grandes racines desquels le péril du monde était demeuré si longtemps caché. Il soupira:

- Là, je fus fautif, dit-il. Je me laissai bercer par les paroles de Saroumane le Sage, mais j'aurais dû chercher la vérité plus tôt, et notre péril serait à présent moins grand.

- Nous avons tous été fautifs, dit Elrond, et sans votre vigilance les Ténèbres seraient peut-être déjà sur nous. Mais poursuivez!

- Dès l'abord, j'avais de mauvais pressentiments, contre toute raison à ma connaissance, dit Gandalf, et je désirai savoir comment cet objet était venu aux mains de Gollum, et depuis combien de temps il le possédait. J'établis donc une garde, devinant qu'il ne tarderait pas à sortir de ses ténèbres à la recherche de son trésor. Il sortit en effet, mais il s'esquiva sans qu'on pût le trouver. Et puis, hélas! je laissai dormir l'affaire, me contentant d'observer et d'attendre, comme nous l'avons fait trop souvent. Le temps passa au milieu de bien des soucis, jusqu'au moment où mes doutes furent éveillés à une soudaine crainte. D'où venait l'anneau du Hobbit? Et si ma crainte était fondée, que fallait-il en faire? Il était nécessaire d'en décider. Mais je ne fis encore part de mes craintes à personne, connaissant le danger d'un murmure intempestif s'il s'égarait. Dans toutes les longues guerres contre la Tour Sombre, la trahison a toujours été notre plus grande ennemie. Cela se passait il y a dix-sept ans. Je m'aperçus bientôt que des espions de toutes sortes, jusqu'à des bêtes et des oiseaux, étaient assemblés autour de la Comté, et ma crainte grandit. J'appelai l'aide du Dùnadan, et leur guet redoubla, et j'ouvris mon cœur à Aragorn, l'héritier d'Isildur.

- Et moi, dit Aragorn, je conseillai de rechercher Gollum, si tardivement que cela pût sembler. Et puisqu'il paraissait juste que l'héritier d'Isildur œuvrât pour réparer la faute d'Isildur, j'accompagnai Gandalf dans la longue quête désespérée.

Gandalf raconta alors comment ils avaient exploré tout le Pays Sauvage, jusqu'aux Monts mêmes de l'Ombre et aux défenses du Mordor:

- Là, nous entendîmes une rumeur à son sujet, et nous supposons qu'il y demeura longtemps dans les collines sombres, mais nous ne pûmes jamais le trouver, et je finis par désespérer. Et puis, dans mon désespoir, je repensai à une tentative qui pourrait rendre inutile la découverte de Gollum. L'Anneau lui-même pourrait peut-être dire s'il était l'Unique. Le souvenir de certaines paroles prononcées au Conseil me revint: des paroles de Saroumane, auxquelles je n'avais qu'à moitié prêté attention à l'époque. Je les entendis alors nettement dans mon cœur.

- Les Neuf, les Sept et les Trois, dit-il, avaient chacun leur joyau propre. Mais pas l'Unique. Il était rond et dépourvu d'ornement, comme si c'eût été un des anneaux d'importance secondaire, mais son créateur y avait mis des inscriptions que les spécialistes pourraient peut-être voir et déchiffrer. La nature de ces marques, il ne l'avait pas révélée. Qui, à présent, saurait? Le créateur. Et Saroumane? Mais, si grand que soit son savoir, il doit avoir une source. Quelle main autre que celle de Sauron tint jamais cet objet avant qu'il ne fût perdu? Seule, celle d'Isildur.

- Cette pensée en tête, j'abandonnai ma chasse et passai rapidement en Gondor. Les membres de mon ordre y avaient été autrefois bien reçus, mais Saroumane plus que tout autre. Il avait souvent été, pour de longues périodes, l'hôte des Seigneurs de la Cité. Le Seigneur Denethor me fit alors moins bon accueil que par le passé, et il ne me permit que de mauvaise grâce de faire des recherches dans son amas de parchemins et de livres. «Si, en fait, vous ne recherchez, comme vous le dites, que des annales des jours anciens et sur les commencements de la Cité, allez-y! dit-il. Car pour moi, ce qui fut est moins sombre que ce qui est à venir, et c'est là mon souci. Mais, à moins que vous ne soyez plus compétent que Saroumane lui-même, qui a longtemps étudié ici, vous ne trouverez rien qui ne me soit bien connu à moi, le maître du savoir de cette Cité. Ainsi parla Denethor. Et pourtant il y avait dans ses archives bien des documents que peu de gens peuvent encore lire, même parmi les maîtres du savoir, car l'écriture et la langue en sont devenues obscures pour les hommes des temps plus récents. Et, Boromir, il y a encore à Minas Tirith un rouleau de la main même d'Isildur, que personne d'autre que Saroumane et moi-même n'a lu, je pense, depuis la fin des rois. Car Isildur ne s'est pas simplement retiré directement de la guerre en Mordor, comme d'aucuns l'ont raconté.

- D'aucuns dans le Nord, peut-être, s'écria Boromir, l'interrompant. Tout le monde sait en Gondor qu'il alla tout d'abord à Minas Anor, où il resta un temps auprès de son neveu Meneldil, qu'il instruisit avant de lui confier le gouvernement du Royaume du Sud. En ce temps-là, il y planta en mémoire de son frère le dernier plançon de l'Arbre Blanc.

- Mais en ce temps-là aussi, il traça également ce document, dit Gandalf, et il semble qu'on ne s'en souvienne plus en Gondor. Car ce parchemin concerne l'Anneau, et voici ce qu'Isildur écrivit: «Le Grand Anneau partira maintenant pour devenir un héritage du Royaume du Nord, mais un document d'archives sera laissé en Gondor, où demeurent les héritiers d'Elendil, pour le temps où le souvenir de ces grandes choses pourrait s'être estompé. «Après ces mots, Isildur donnait une description de l'Anneau, tel qu'il l'avait trouvé :

Il était chaud quand je le saisis, chaud comme braise, et ma main fut brûlée de telle sorte que je doute de jamais être débarrassé de la douleur. Mais au moment où j'écris, il est refroidi, et il paraît se rétrécir, sans pourtant perdre sa beauté ni sa forme. Déjà l'inscription qu'il portait et qui au début était aussi claire qu'une flamme rouge s'estompe et devient à peine lisible. Elle est formée de caractères elfiques d'Eregion, car il n'y a pas en Mordor de lettres convenant à un travail aussi subtil, mais le langage m'est inconnu. Je pense qu'il s'agit d'une langue du Pays Noir, car elle est grossière et barbare. Quel mal elle énonce, je l'ignore, mais j'en trace ici une copie, de peur qu'elle ne disparaisse définitivement. Il manque peut-être à l'Anneau la chaleur de la main de Sauron, qui était noire tout en brûlant comme du feu, et ainsi Gil-galad fut détruit, et peut-être si l'or était de nouveau réchauffé, l'écriture serait-elle ravivée. Mais pour ma part, je ne risquerai pas d'endommager cet objet: de toutes les œuvres de Sauron, la seule belle. II m'est précieux, bien que je le paie d'une grande souffrance.

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