Chapitre 7
Elrond s'arrêta, mais aussitôt Boromir se leva, grand et fier, devant eux:
«- Permettez-moi, Maître Elrond, déclara t'il, d'en dire davantage sur le Gondor, car, en vérité, c'est du Pays de Gondor que je viens. Et il serait bon que tous sachent ce qui s'y passe. Car peu nombreux, je crois, sont ceux qui connaissent nos actions et qui, par conséquent, peuvent deviner le péril où ils seront au cas où nous échouerions en fin de compte.
- Ne croyez pas qu'au Pays de Condor le sang de Nûmenor soit épuisé, ni que toute sa fierté et sa dignité soient oubliées. Par notre valeur, les gens de l'Est sont encore refrénés et la terreur de Morgul tenue aux abois, et c'est ainsi seulement que la paix et la liberté sont assurées aux terres qui sont derrière nous, rempart de l'Ouest. Mais si les passages de la Rivière étaient conquis, que se passerait-il alors?
- Et pourtant, cette heure pourrait bien ne plus être éloignée. L'Ennemi sans nom s'est de nouveau mis en branle. La fumée s'élève une fois de plus d'Orodruin, que nous appelons Montagne du Destin. Le pouvoir de la Terre Noire s'accroît, et nous sommes serrés de près. Au retour de l'Ennemi, les nôtres furent repoussés d'Ithilien, notre beau domaine à l'est de la Rivière, encore que nous y ayons gardé une tête de pont et une force armée. Mais cette année même, aux jours de juin, une guerre soudaine nous est tombée dessus de Mordor, et nous fûmes balayés. Nous succombâmes sous le nombre. Car le Mordor s'est allié à Ceux de l'Est et aux cruels Haradrim, mais ce ne fut pas par le nombre que nous fûmes vaincus. Un pouvoir était là que nous n'avions pas senti auparavant.
- D'aucuns ont dit qu'il était visible, sous la forme d'un grand cavalier noir, une ombre ténébreuse sous la lune. Où qu'il vînt, une sorte de folie saisit nos ennemis, mais la peur tomba sur les plus hardis d'entre nous, de sorte que chevaux et hommes cédèrent et s'enfuirent. Seul un débris de nos forces de l'Est revint, détruisant le dernier pont qui restait encore parmi les ruines d'Osgiliath.
- Je faisais partie de la compagnie qui tint le pont jusqu'à ce qu'il fût abattu derrière nous. Seuls, quatre se sauvèrent à la nage: mon frère, moi même et deux autres. Mais nous continuâmes à nous battre, tenant toutes les rives ouest de l'Anduin, et ceux qui s'abritent derrière nous nous adressent des louanges pour peu qu'ils entendent notre nom, beaucoup de louanges, mais peu d'aide. De Rohan seulement des cavaliers répondent à nos appels.
- En cette heure néfaste, j'ai parcouru bien des lieues périlleuses pour venir en mission auprès d'Elrond: cent dix jours ai-je voyagé tout seul. Mais je ne cherche pas d'alliés pour la guerre. La puissance d'Elrond réside dans la sagesse, non dans les armes, dit-on. Je suis venu demander conseil et l'éclaircissement de paroles dures. Car, à la veille du soudain assaut, un songe est venu à mon frère dans un sommeil troublé, et après, un rêve semblable lui est venu à plusieurs reprises, et une fois à moi-même.
- Dans ce rêve, j'avais l'impression que le ciel s'assombrissait à l'est, que le tonnerre grondait de façon croissante, mais à l'ouest s'attardait une pâle lumière, et de cette lumière sortait une voix, lointaine mais claire, qui me criait
Cherche l'épée qui fut brisée:
A Imladris elle se trouve,
Des conseils seront pris
Plus forts que les charmes de Morgul.
Un signe sera montré
Que le Destin est proche,
Car le Fléau d'Isildur se réveillera,
Et le Semi Homme se dressera.
Nous ne comprîmes pas grand chose à ces paroles, et nous en parlâmes à notre père, Denethor, Seigneur de
Minas Tirith, versé dans la connaissance du Gondor. Il consentit seulement à dire ceci: Imladris était jadis le nom que donnaient les Elfes à une vallée du Nord lointain où demeurait Elrond, le demi-Elfe, le plus grand des maîtres du savoir. C'est pourquoi mon frère, voyant l'urgence de notre besoin, brûla de tenir compte du rêve et de rechercher Imladris, mais la route étant semée de doute et de danger, je me suis chargé de faire le voyage. Mon père ne m'accorda la permission qu'à contrecœur, et j'ai longtemps erré par des routes oubliées, à la recherche de la maison d'Elrond, dont beaucoup avaient entendu parler, mais dont peu connaissaient le lieu.
- Et ici, dans la maison d'Elrond, davantage de clartés vous seront fournies, dit Aragorn, se levant. II jeta son épée sur la table qui se trouvait devant Elrond, et la lame était en deux morceaux.
- Voici l'épée qui fut brisée, dit-il.
- Et qui êtes-vous, et quel rapport avez-vous avec Minas Tirith? demanda Boromir, qui contemplait avec étonnement le visage maigre du Rôdeur et son manteau taché par les intempéries.
- C'est Aragorn, fils d'Arathorn, dit Elrond, et il descend par maints ancêtres d'Isildur, le fils d'Elendil de Minas Ithil. Il est le chef des Dunedains dans le Nord, et peu nombreux sont les descendants de cette lignée.
- Alors, c'est à vous qu'il appartient, et nullement à moi! S'écria Frodo bondissant sur ses pieds comme s'il s'attendait que l'Anneau lui fût réclamé sur le champ.
- II n'appartient à aucun de nous, dit Aragorn, mais il a été ordonné que vous le conserviez quelque temps.
- Montrez l'Anneau, Frodo! Dit Gandalf d'un ton solennel. Le moment est venu. Tenez le en vue, et Boromir comprendra le reste de son énigme. II y eut un silence et chacun tourna le regard vers Frodo. Il sembla hésiter un instant. L'Anneau rayonna, scintillant, comme il le tenait haut devant eux dans sa main tremblante.
- Voyez le Fléau d'Isildur! dit Elrond.
Les yeux de Boromir étincelèrent tandis qu'il regardait l'objet doré.
- Le semi-Homme ! murmura t'il. Le destin de Minas Tirith est-il donc enfin venu? Mais pourquoi alors nous faut-il chercher une épée brisée?
- Les mots exacts n'étaient pas le destin de Minas Tirith, dit Aragorn. Mais un destin et de grands faits sont en vérité proches. Car l'Épée qui fut Brisée est celle d'Elendil qui se brisa sous lui quand il tomba. Elle a été conservée précieusement par ses héritiers alors que tout autre bien de famille était perdu, car il était de tradition chez nous qu'elle serait refaite quand l'Anneau, Fléau d'Isildur, serait trouvé. Maintenant que vous avez vu l'épée que vous cherchiez, que demanderiez-vous ? Souhaitez-vous que la Maison d'Elendil retourne au Pays de Gondor?
- Je n'ai pas été envoyé pour demander aucune faveur, mais seulement pour chercher l'explication d'une énigme, répondit fièrement Boromir. Mais nous sommes durement pressés, et l'Épée d'Elendil serait une aide dépassant nos espérances si tant est que pareil objet puisse effectivement revenir des ombres du passé.
II regarda de nouveau Aragorn, et le doute se lisait dans ses yeux. Je vis Bilbo s'agiter avec impatience à son côté. Il était évidemment ennuyé pour son ami. Se dressant soudain, il éclata :
Tout ce qui est or ne brille pas,
Tout ceux qui errent ne sont pas perdus
Ce qui est vieux mais fort ne se flétrit pas
Le gel n'atteint pas les racines profondes,
Des cendres, un feu sera réveillé,
Une lumière des ombres resurgira,
Reforgée sera la lame qui fut brisée:
Le sans couronne sera de nouveau roi.
- Ce n'est pas très bon peut-être, mais en tout cas c'est approprié si vous avez encore besoin de quelque chose après la parole d'Elrond. Si celle-ci valait la peine d'un voyage de cent dix jours pour entendre, vous feriez mieux d'écouter.
Il s'assit avec un reniflement de dédain:
- C'est de ma propre composition, murmura t'il à Frodo, pour le Dùnadan, il y a longtemps, la première fois qu'il m'a parlé de lui même. Je souhaiterais presque que mes propres aventures ne fussent pas terminées, afin de pouvoir l'accompagner quand son jour viendra.
Aragorn lui sourit, puis il se tourna de nouveau vers Boromir:
- Pour ma part, j'excuse votre doute, dit-il. Je ressemble peu aux personnes d'Elendil et d'Isildur telles qu'on les voit sculptées en majesté dans les salles de Denethor. Je ne suis que l'héritier d'Isildur et non Isildur lui-même. J'ai eu une vie dure, et longue, et les lieues qui s'étendent d'ici au Gondor ne forment qu'une petite partie dans le compte de mes voyages. J'ai traversé maintes montagnes et maintes rivières, j'ai parcouru maintes plaines, jusque dans les pays lointains de Rhûn et de Harad, où les étoiles sont étranges.
- Mais ma résidence, pour autant que j'en aie une, se trouve dans le Nord. Car c'est ici que les héritiers de Valandil ont toujours demeuré en une longue lignée continue de père en fils pendant de nombreuses générations.
- Nos jours se sont assombris, et nous avons dépéri, mais toujours l'Épée a passé à un nouveau gardien. Et je vous dirai ceci, Boromir, avant d'en terminer. Nous sommes des hommes solitaires, Rôdeurs des terres sauvages, chasseurs mais toujours chasseurs des serviteurs de l'Ennemi, car ils se trouvent en bien des lieux et pas seulement en Mordor. Si le Gondor a été une vaillante tour, Boromir, nous avons joué un autre rôle. Il y a bien des choses mauvaises que n'arrêtent pas vos murs puissants et vos brillantes épées. Vous connaissez peu les terres d'au-delà de vos frontières. La paix et la liberté, dites-vous? Le Nord les aurait peu connues sans nous. La peur les aurait détruites. Mais quand les choses sombres viennent des collines sans maisons ou rampent hors des bois sans soleil, elles nous fuient. Quelles routes oserait-on parcourir, quelle sécurité y aurait-il dans les terres tranquilles ou dans les maisons des simples hommes la nuit, si les Dunedains étaient endormis, ou tous partis dans la tombe?
- Et pourtant nous recevons moins de remerciements que vous. Les voyageurs nous regardent de travers, et les campagnards nous donnent des noms méprisants. «Grands-Pas» suis-je pour un gros homme qui habite à une journée de marche d'ennemis qui lui glaceraient le cœur ou qui réduiraient son petit bourg en ruine s'il n'était gardé sans répit. Mais nous ne voudrions pas qu'il en fût autrement. Si les gens simples sont exempts de soucis et de peur, ils resteront simples, et nous devons observer le secret pour les maintenir tels. Cela a été la tâche de ceux de ma race, tandis que les années s'étendaient et que l'herbe poussait.
- Mais maintenant le monde change une fois de plus. Une nouvelle heure vient. Le Fléau d'Isildur a été trouvé. La bataille est proche. L'Épée sera reforgée. J'irai à Minas Tirith. »
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