Chapitre 6
« - Voilà la raison pour laquelle vous êtes rassemblés, continua Elrond. Rassemblés, dis je, bien que je ne vous aie pas convoqués, étrangers de terres lointaines. Vous êtes venus et vous vous êtes rencontrés ici, à point nommé, par hasard, pourrait-il sembler. Mais il n'en est pas ainsi. Croyez plutôt qu'il en est ainsi ordonné que nous, qui siégeons ici, et nuls autres, devons maintenant trouver une ligne de conduite pour répondre au péril du monde.
- Maintenant donc seront ouvertement révélées des choses qui sont restées cachées à tous, hormis quelques-uns, jusqu'à ce jour. Et tout d'abord, afin que tous puissent comprendre quel est le péril, l'histoire de l'Anneau sera dite du début jusqu'à ce jour même. Et c'est moi qui commencerai le récit, que d'autres termineront»
Tous écoutèrent alors, tandis qu'Elrond, de sa voix claire, parlait de Sauron et des Anneaux de Puissance, et de leur forgeage au Second Age du monde de jadis. Une partie de l'histoire était connue de certains de ceux qui étaient là, mais personne n'en savait la totalité, et bien des yeux étaient fixés sur Elrond avec crainte et étonnement quand il parla des forgerons elfes d'Eregion, de leurs rapports amicaux avec la Moria et de leur soif de savoir, grâce à laquelle Sauron les enjôla. Car en ce temps là, il n'était pas encore mauvais d'apparence, ils reçurent son aide et devinrent puissants dans leur art, tandis que lui apprenait tous leurs secrets, les trompait et forgeait secrètement dans la Montagne de Feu l'Anneau Unique pour être leur maître.
Mais Celebrimbor l'avait percé à jour, et il cacha les trois qu'il avait fabriqués. Et il y eut la guerre, le pays fut dévasté, et la porte de la Moria fut fermée. Alors, tout au long des années qui suivirent, il chercha la piste de l'Anneau, mais cette histoire étant rapportée ailleurs, et Elrond lui même l'ayant consignée dans ses livres d'archives, et je ne l'écrirai donc pas ici. Car c'est une longue histoire, pleine de grands et terribles faits, et, si brièvement qu'Elrond parlât, le soleil montait dans le ciel et le matin était déjà presque à son terme quand il se tut.
Il parla de Nûmenor, de sa gloire et de sa chute, et du retour des Rois des Hommes à la Terre du Milieu des profondeurs de la mer, portés par les ailes de la tempête. Puis Elendil le Beau et ses puissants fils, Isildur et Anarion, devinrent grands seigneurs, ils créèrent le royaume du Nord en Arnor et le royaume du Sud en Gondor au-dessus des bouches de l'Anduin. Mais Sauron de Mordor les assaillit, et ils firent la Dernière Alliance des Elfes et des Hommes, et les armées de Gil-galad et d'Elendil furent rassemblées en Arnor.
A ce moment, Elrond s'arrêta un instant et soupira.
- Je me rappelle bien la splendeur de leurs bannières, reprit-il. Elle me rappelait la gloire des Jours Anciens et les armées de Beleriand, où tant de grands princes et capitaines étaient assemblés. Et pourtant pas tant, pas si beaux que lorsque Thangorodrim fut brisé et que les Elfes pensèrent que le mal était fini à jamais, alors que ce n'était pas vrai.
- Vous vous le rappelez? Dit Frodo, exprimant sa pensée à haute voix dans son étonnement.
- Mais je croyais, balbutia t'il comme Elrond se tournait vers lui, je croyais que la chute de Gil-galad avait eu lieu il y a des éternités.
- Et c'est exact, répondit gravement Elrond. Mais ma mémoire porte jusqu'aux Jours Anciens. Eârendil était mon père, qui naquit à Gondolïn avant sa chute, et ma mère était Elwing, fille de Dior, fils de Lúthien de Doriath. J'ai vu trois âges dans l'Ouest du monde, et maintes défaites, et maintes victoires sans lendemain.
- J'étais le héraut de Gil-galad, et je marchais avec son armée. Je fus à la bataille de Dagorlad devant la Porte Noire de Mordor, où nous eûmes le dessus: Car nul ne pouvait résister à la Lance de Gil-galad et à l'Épée
d'Elendil, Aiglos et Narsil. J'ai vu le dernier combat sur les pentes de l'Orodruin, où mourut Gil-galad et où tomba Elendil, Narsil brisée sous lui. Mais Sauron lui-même fut renversé, et Isildur trancha l'Anneau de son doigt avec le tronçon de l'épée de son père et le prit pour lui.
A ces mots, l'étranger, Boromir, intervint:
- Voilà donc ce qu'il advint de l'Anneau! S'écria t'il. Si jamais pareil récit fut fait dans le Sud, il est oublié depuis longtemps. J'ai entendu parler du grand Anneau, de celui que l'on ne nomme pas, mais nous pensions qu'il avait disparu du monde dans la ruine de son premier royaume. Isildur le prit! Voilà certes une nouvelle.
- Hélas, oui, dit Elrond. Isildur le prit, comme il n'aurait pas dû être. L'Anneau eût dû être jeté au feu d'Orodruin, tout près de l'endroit où il fut fabriqué. Mais peu nombreux furent ceux qui remarquèrent l'acte d'Isildur. Lui seul se tenait près de son père en ce dernier combat mortel, et près de Gil-galad, seuls se trouvaient Cirdan et moi-même. Mais Isildur ne voulut pas écouter notre conseil. «Je garderai ceci comme rançon pour mon père et mon frère», dit-il, et ainsi, que nous le voulions ou non, il le prit pour le conserver précieusement.
- Mais bientôt l'Anneau l'entraîna dans la mort, c'est pourquoi il est nommé dans le Nord le Fléau d'Isildur. Mais peut-être la mort valait-elle mieux que ce qui aurait pu lui arriver autrement. C'est seulement au Nord que vinrent ces nouvelles, et seulement à peu d'entre nous. Il n'est guère étonnant que vous ne les ayez pas entendues, Boromir. Du désastre des Champs aux Iris, où périt Isildur, ne revinrent que trois hommes par-dessus les montagnes et après une longue errance. L'un d'entre eux était Ohtar, l'écuyer d'Isildur, qui portait les fragments de l'épée d'Elendil, et il les remit à Valandil, l'héritier d'Isildur, qui, n'étant encore qu'un enfant, était resté à Fondcombe.
- Mais Narsil était brisée et sa lumière éteinte, et elle n'a point encore été reforgée. Vaine ai je appelé la victoire de la Dernière Alliance? Pas entièrement, mais elle n'atteignit pas son but. Sauron fut diminué, mais non détruit. Son Anneau était perdu, mais non défait. La Tour Sombre était démolie, mais les fondations n'en étaient pas effacées, car elles avaient été faites par le pouvoir de l'Anneau et tant qu'il reste, elles demeureront. Un grand nombre d'Elfes, ainsi que beaucoup d'Hommes puissants et de leurs amis avaient péri à la guerre. Anarion était tué, Isildur aussi, et Gil-galad comme Elendil n'étaient plus. Jamais plus il n'y aura pareille ligue d'Elfes et d'Hommes, les Hommes se multiplient, alors que les premiers nés diminuent, et les deux familles sont aliénées. Et depuis ce jour, la race de Nûmenor a décliné et l'étendue des années de ceux qui restent a diminué.
- Dans le Nord, après la guerre et le massacre des Champs aux Iris, les Hommes de l'Occidentale furent diminués, et leur cité d'Annûminas près du lac Evendim tomba en ruine, les héritiers de Valandil s'en furent habiter à Fornost sur les Hauts du Nord, et cet endroit aussi est maintenant désolé. Les Hommes l'appellent Chaussée des Morts, et ils redoutent d'y marcher. Car les gens d'Arnor diminuèrent, et leurs ennemis les dévorèrent, leur seigneurie passa, ne laissant que des tertres verts dans les collines herbeuses. Dans le Sud, le royaume de Gondor dura longtemps, et sa splendeur s'accrut pendant une période, rappelant en quelque façon la puissance de Nûmenor, avant sa chute. Ce peuple éleva de hautes tours, des places fortes et des havres pour un grand nombre de navires, et la couronne ailée des Rois des Hommes était redoutée de gens de multiples langues. Leur ville capitale était Osgiliath, Citadelle des Étoiles, au milieu de laquelle coulait la Rivière.
- Et ils bâtirent Minas Ithil, Tour de la Lune Montante, à l'est, sur un épaulement de la Montagne de l'Ombre, et à l'ouest, au pied des Montagnes Blanches, ils construisirent Anor, la Tour du Soleil Couchant. Là, dans les cours du Roi, poussait un arbre blanc, issu de la graine de l'arbre qu'Isildur avait apporté par-dessus les eaux profondes, et la graine de cet arbre venait auparavant d'Eressëa, et avant encore de l'extrême ouest au jour d'avant les jours où le monde était jeune.
- Mais, dans l'usure des rapides années de la Terre du Milieu, la lignée de Meneldil fils d'Aramon s'éteignit, et l'arbre se dessécha, et le sang d'hommes moindres se mêla à celui des Nûmenoréens. Alors, la garde sur les murs de Mordor se relâcha, et des choses sombres revinrent subrepticement à Gorgoroth. Et à un moment les choses mauvaises s'avancèrent, elles prirent Minas Ithil, où elles s'établirent, la transformant en lieu de terreur, et on l'appelle Minas Morgul, la Tour de la Sorcellerie. Puis Minas Anor fut rebaptisée Minas Tirith, la Tour de Garde, et ces deux cités étaient toujours en guerre, mais Osgiliath qui était située entre les deux fut désertée et dans ses ruines se promenèrent des ombres.
- Ainsi en a t'il été durant maintes générations. Mais les Seigneurs de Minas Tirith continuent de se battre, défiant nos ennemis, gardant le passage de la rivière, d'Argonath à la mer. Et maintenant cette partie de l'histoire que je vous dirai est venue à sa fin. Car, du temps d'Isildur, l'Anneau Souverain disparut de la connaissance de tous, et les Trois furent libérés de sa domination. Mais à présent, en ce dernier jour, ils sont de nouveau en péril, car, à notre grand chagrin, l'Unique a été trouvé. D'autres parleront de sa découverte, car en cela je n'ai joué qu'un très petit rôle. »
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