Chapitre 21

La voix de Legolas s'altéra, et le chant cessa:

- Je ne puis plus chanter, dit-il. Cela n'est qu'une partie, j'ai beaucoup oublié. C'est long et triste, car il y est dit comment la douleur envahit la Lothlorien, la Lorien des Fleurs, quand les Nains éveillèrent le mal dans les montagnes.

- Mais ce ne sont pas les Nains qui ont fait le mal, dit Gimli.

- Je n'ai pas dit cela, mais le mal n'en est pas moins venu, répondit tristement Legolas. Alors, de nombreux Elfes de la parenté de Nimrodel quittèrent leur demeure et s'en furent, elle se perdit loin dans le Sud, dans les cols des Montagnes Blanches, et elle ne vint pas au navire dans lequel Amroth son amant l'attendait. Mais au printemps, quand le vent passe dans les feuilles, on peut encore entendre sa voix près des cascades qui portent son nom. Et quand le vent est au sud, la voix d'Amroth monte de la mer, car la Nimrodel se jette dans le Cours d'Argent, que les Elfes nomment Célébrant, Célébrant dans l'Anduinla-Grande, et l'Anduin se jette dans la Baie de Belfalas, d'où les Elfes de Lorien prirent la mer. Mais ni Nimrodel ni Amroth ne revinrent jamais.

- C'est pour cela que tu souhaitais venir au Printemps... Murmurai-je

Legolas acquiesça.

- On raconte qu'elle avait une maison construite dans les branches d'un arbre qui croissait près des Cascades, reprit-il, car c'était la coutume des Elfes de Lorien de demeurer dans les arbres, et Peut-être l'est ce encore. C'est pourquoi on les nommait les Galadhrim, les gens des Arbres. Au plus profond de leur forêt, les arbres sont très grands. Les habitants des bois ne creusaient pas la terre comme les Nains et ils n'édifièrent pas de places fortes jusqu'à la venue de l'Ombre.

- Et même de nos jours, on pourrait juger qu'habiter dans les arbres est plus sûr que de s'asseoir par terre, dit Gimli. Il regarda par delà la rivière la route qui ramenait à la Vallée des Rigoles Sombres, puis la voûte des branches obscures au-dessus d'eux.

- Vos paroles portent bon conseil, Gimli, dit Aragorn. Nous ne pouvons construire de maison, mais ce soir, nous ferons comme les Galadhrim et nous chercherons refuge au sommet des arbres, si nous le pouvons. Nous sommes déjà restés ici près de la route plus que ne le voulait la sagesse.

La Compagnie quitta alors le sentier pour plonger dans l'ombre des bois plus profonds, à l'ouest le long de la rivière de montagne en s'éloignant du Cours d'Argent. Non loin des cascades de la Nimrodel, se trouvaient un groupe d'arbres, dont certains surplombaient la rivière. Leurs grands troncs gris étaient d'une imposante circonférence, mais on n'en pouvait deviner la hauteur.

- Je vais y grimper, dit Legolas. Je suis chez moi parmi les arbres, aux racines comme dans les branches, encore que ceux-ci soient d'une espèce qui m'est étrangère, hormis par un nom dans une chanson. On les appelle mellyrn, et ce sont ceux qui portent les fleurs jaunes, mais je n'ai jamais grimpé à aucun d'eux. Je vais voir maintenant quelle en est la forme et la croissance.

- Quoi qu'il en soit maintenant, dit Pippin, ce seront certes des arbres merveilleux s'ils peuvent offrir le moindre repos la nuit à d'autres que les oiseaux. Je ne saurais dormir sur un perchoir!

- Eh bien, creusez un trou dans le sol, si c'est davantage dans la façon de votre espèce, dis-je. Mais il faudra creuser vite et profond si vous voulez vous cacher des orques.

Legolas me lança un regard amusé, puis, bondissant avec légèreté, il attrapa une branche qui sortait du tronc à bonne hauteur au-dessus de sa tête. Mais, tandis qu'il se balançait là un moment, une voix sortit soudain des ombres de l'arbre au-dessus de lui.

- «Daro! »Disait-elle d'un ton autoritaire: et Legolas retomba sur le sol, empli d'étonnement et de crainte.

Il se pelotonna contre le tronc de l'arbre.

- Restez tranquilles! murmura t'il aux autres. Ne bougez pas et taisez-vous!

- Je ne...

Je n'eus pas le temps de finir. Une sorte de rire doux se fit entendre au-dessus de ma tête, puis une autre voix claire parla en langue elfique, mais trop bas pour que je comprenne. C'est à peine si je discernai mon nom. Legolas, levant le regard, répondit dans le même langage.

- Qui sont-ils, et que disent-ils? Demanda Merry.

- Ce sont des Elfes, dit Sam. N'entendez-vous pas leur voix?

- Oui, ce sont des Elfes, dit Legolas, et ils disent que vous respirez si bruyamment qu'ils pourraient vous tirer en pleine obscurité. (Sam mit précipitamment sa main devant sa bouche.) Mais ils disent aussi que vous n'avez aucune crainte à avoir. Il y a un bon moment qu'ils ont distingué notre présence. Ils ont entendu ma voix de l'autre côté de la Nimrodel, et ils savaient que j'étais un de leurs parents du Nord, c'est pourquoi ils n'ont pas empêché notre passage, et après, ils ont entendu mon chant. Ils t'ont aussi entendu Lainceleg. Ils demandent que tu montes pendant que nous attendons un peu et veillons au pied de l'arbre, jusqu'à ce qu'ils aient décidé de ce qu'il y a lieu de faire.

J'opinais. Une échelle descendit des ombres, elle était faite de corde gris argent qui luisait dans l'obscurité, et malgré son aspect ténu elle se révéla assez solide pour porter de nombreux hommes. Je grimpai avec légèreté, jetant un regard à Legolas qui avait l'air peiné, comme déçut de ne pouvoir m'accompagner.

Les branches de mallorne poussaient presque droit, puis s'étalaient vers le haut, mais près du sommet, la tige principale se partageait en maintes branches en couronne, et je vis que parmi celles-ci avait été construite une plate-forme de bois ou flet, comme on appelait cela en ce temps là: les Elfes le nommaient talan. On y accédait par un trou circulaire ménagé au centre, par lequel passait l'échelle. En arrivant enfin sur le flet, je m'assis avec trois autres Elfes. Ils étaient vêtus d'un gris d'ombre, et on ne pouvait les distinguer parmi les branches s'ils ne faisaient quelque mouvement brusque. Ils se levèrent, et l'un deux découvrit une petite lanterne qui répandit un mince rayon d'argent. Il l'éleva pour regarder mon visage. Puis il éteignit de nouveau la lumière et dit quelques mots de bienvenue dans sa langue elfique.

- Mae Govannen Lainceleg. Dit l'elfe. Ci mellon. Im Haldir

- Mae Govannen Haldir. Répondis-je poliment.

- Ech Rùmil ar Oraphïn. Présenta-t'il, puis il continua en langue commune.

-Nous te connaissons, mais nous ignorons la raison de ta venue, surtout avec une telle compagnie ! Mais vous ne paraissez pas méchants! Combien êtes-vous?

- Neuf, répondis-je. Moi-même, Legolas, quatre Hobbits, et deux hommes, dont l'un, Aragorn, est un ami des Elfes, de ceux de l'Ouistrenesse.

- Le nom d'Aragorn fils d'Arathorn est connu en Lorien, dit Haldir, et il a la faveur de notre Dame. Tout est bien, donc. Mais vous n'avez encore parlé que de sept.

- Le huitième est un Nain, dis-je.

- Un Nain! S'écria Haldir. Voilà qui n'est pas bien. Nous n'avons pas eu de rapports avec les Nains depuis les Jours Sombres. Ils ne sont pas admis dans notre pays. Je ne puis lui permettre le passage.

- Mais il est du Mont Solitaire, des fidèles gens de Dâïn, et ami d'Elrond, contrais-je. Elrond lui-même l'a choisi pour l'un de nos compagnons, et il s'est montré brave et loyal.

Les Elfes s'entretinrent d'une voix douce.

-Nous avons beaucoup de chose à nous dire je crois... Soupira Haldir.

Alors je lui racontais notre quête, depuis notre départ de Fondcombe jusqu'à notre arrivée en Lorien en passant par les évènements survenus en Moria. Puis je finis par lui délivrer mon message, celui pour lequel j'avais été envoyé aux côtés de la Compagnie.

- Haldir, dis-je. Les temps sont sombres, l'Ennemi a reparut... Une guerre se prépare, une guerre qui pourrait nécessiter l'implication des elfes. Le Seigneur Elrond vous demande de l'aide...

- Que nous demande-t-il ? S'enquit Haldir d'une voix plus sombre.

- Accueillez la Compagnie dans son ensemble. Envoyez des elfes au Rohan dès qu'elle sera partie. Combattez à nos côtés.

Haldir baissa la tête d'un air soucieux, puis s'entretint à nouveau avec Rùmil et Oraphïn, avant de finalement se tourner vers moi.

- Bon, finit par dire Haldir. Voici ce que nous ferons, bien que ce soit contre notre goût. Si Aragorn et Legolas souhaitent garder le nain et répondre de lui, il passera, il ne traversera toutefois la Lothlorien que les yeux bandés.

- Mais assez de délibérations. Reprit-il après une pause. Nous acceptons de vous aidez et vous mènerons devant la Dame. Les vôtres ne doivent pas rester à terre. Nous n'avons cessé d'observer les rivières depuis que nous avons vu une grande troupe d'orques qui se dirigeaient vers la Moria au nord, en bordure des montagnes, il y a bien des jours. Les loups hurlent à l'orée de la forêt. Si vous venez effectivement de la Moria, le danger ne saurait être loin derrière vous. Il faudra pourtant suivre votre route de bonne heure demain matin.

- Les quatre Hobbits grimperont ici et resteront avec nous nous ne les craignons pas! II y a un autre talan dans l'arbre voisin. Les autres devront y prendre refuge. Vous, Lainceleg, avec Legolas, devrez nous répondre d'eux. Appelez-nous, si quelque chose va de travers! Et tenez ce Nain à l'œil!

Je descendis aussitôt l'échelle pour porter le message d'Haldir, et peu après Merry et Pippin grimpèrent sur le haut flet, essoufflés et assez effrayés.

Aragorn camoufla nos sacs sous un tas de feuilles, puis nous montâmes sur le deuxième talan. Oraphïn nous apporta couvertures et victuailles avant de rejoindre ses compagnons, nous laissant, Boromir, Aragorn, Gimli, Legolas et moi à l'abri dans la cachette que nous offrait les larges branches de mallorne. Gimli ne cessait de geindre et de se plaindre de la hauteur. Il gémissait parce qu'il trouvait le talan un peu trop haut à son goût. Boromir non-plus ne semblait pas à l'aise, et gigotait dans la recherche d'une position plus confortable en jetant des regards inquiets par dessus le rebord du talan. Aragorn était dans son coin comme à son habitude, tête dans les mains, à réfléchir à de nombreuses choses qui n'avaient sens que dans son esprit. Legolas était parfaitement à l'aise et plus heureux que jamais bien qu'il portait encore le deuil de Gandalf au fond du coeur.  Je restai quelque temps éveillé, contemplant les étoiles qui entre-luisaient à travers le pâle plafond des feuilles tremblantes. Boromir et Gimli finirent par s'endormir tandi qu'Aragorn somnolait les sens à l'affut. Legolas contemplait les étoiles allongé à mes côtés. Elles nous apparaissaient à travers une petite trouée, scintillantes, clignotantes, captivantes.

Nous savions les formes grises de deux Elfes qui, assis immobiles, les bras autour des genoux, parlaient à voix basse. L'autre était descendu prendre son tour de garde sur une des branches basses.

*****

Tard dans la nuit, Aragorn se réveilla. Les autres dormaient, sauf Legolas qui, comme moi s'était accroupi lorsqu'il avait entendu un inquiétant son. Les Elfes avaient disparu. Le croissant de la lune luisait faiblement parmi les feuilles. L'air était silencieux. J'entendis à nouveau à peu de distance un rire rauque et un piétinement nombreux sur le sol en dessous. Un bruit métallique retentit. Ces sons s'évanouirent lentement en direction du sud, plus avant dans la forêt. Une tête apparut soudain par le trou dans le flet. C'était un Elfe encapuchonné de gris, Rùmil. Il regarda de notre côté.

- Man anglenna ? Demandai-je alerte.

- Yrch! Dit l'Elfe en un bas chuintement, et il jeta sur le flet l'échelle de corde qu'il avait relevée.

- Des orques! Dit Aragorn. Que font-ils?

Mais l'Elfe était parti. Il n'y eut aucun bruit. Les feuilles étaient silencieuses, et les cascades mêmes semblaient s'être tues. Je me félicitais de n'avoir pas été pris sur le sol. Les orques avaient un flair aussi pénétrant que celui des meilleurs chiens de chasse, disait-on, mais ils pouvaient aussi grimper. Petit à petit, le calme revint. En dépit de ce retour à la normale, le sentiment d'un danger immédiat ne me quitta pas, s'accroissant même plutôt. Je me levais, rampant jusqu'à l'ouverture et pour regarder en bas. J'étais presque sûre de percevoir des mouvements furtifs au pied de l'arbre, loin en dessous du talan. Ce n'étaient pas des Elfes, car ceux de la forêt étaient absolument silencieux dans leurs mouvements. Puis j'entendis vaguement comme un reniflement, et quelque chose lui sembla gratter l'écorce du tronc. Je retins mon souffle. Quelque chose grimpait lentement à présent, et sa respiration montait comme un doux sifflement à travers des dents serrées. Puis, montant, tout près de la tige, je vis ses deux yeux pâles. Ils s'arrêtèrent et regardèrent en l'air sans ciller. Soudain, ils se détournèrent, et une figure indistincte glissa autour du tronc de l'arbre et disparut. Aussitôt après, Haldir grimpa vivement parmi les branches

- Il y avait quelque chose dans cet arbre, que je n'avais jamais vu auparavant, dit-il. Ce n'était pas un orque. Cela a fui dès que j'eus touché le tronc de l'arbre. La créature paraissait circonspecte, et elle était habile à se mouvoir dans les arbres, sans quoi j'aurais pu croire qu'il s'agissait d'un Hobbits. Je n'ai pas tiré, n'osant faire pousser des cris: nous ne pouvons risquer la bataille. Une forte compagnie d'orques a passé. Ils ont traversé la Nimrodel maudits soient leurs infects pieds dans son eau pure! et ils sont partis par la vieille route qui longe la rivière. Ils paraissaient suivre une piste, et ils ont examiné un moment le sol près de l'endroit où vous vous étiez arrêtés. A trois, nous ne pouvions en défier cent, nous nous sommes donc avancés et nous leur avons parlé en contrefaisant nos voix, afin de les entraîner dans la forêt.

Il nous laissa le temps d'assimiler ses paroles.

- Oraphïn est maintenant retourné en hâte vers nos habitations pour avertir les nôtres. Reprit-il. Aucun des orques ne ressortira jamais de la Lorien. Et il y aura beaucoup d'Elfes cachés à la lisière nord avant la tombée d'une nouvelle nuit. Mais il vous faut prendre la route du sud dès qu'il fera grand jour.

Le matin se leva, pâle, à l'est. En grandissant, la lumière filtra parmi les feuilles jaunes du mallorne, et me semblais que brillaient les premiers rayons de soleil d'un frais matin d'été. Un ciel bleu pâle se montrait à travers les branches mouvantes. En regardant par une ouverture sur le côté sud du flet, je vis toute la vallée du Cours d'Argent étendue sous mes yeux comme une mer d'or fauve ondulant doucement dans l'irise.

La matinée, peu avancée, était encore fraîche quand la Compagnie se remit en route, guidée à présent par Haldir et son frère Rùmil.

- Adieu, douce Nimrodel ! S'écria Legolas.

- Adieu, dit à son tour Frodo, jetant un regard en arrière.

Le sentier qui continuait à longer la rive ouest du Cours d'Argent fut regagné, et nous nous y tînmes pendant quelque temps en direction du sud. Il y avait dans le sol des empreintes de pieds d'orques. Mais bientôt Haldir s'écarta dans les arbres, à l'ombre desquels il s'arrêta au bord de la rivière.

- Voilà un des miens, de l'autre côté de la rivière, bien que vous ne l'aperceviez pas, dit-il.

Il fit entendre un appel, semblable à un léger sifflement d'oiseau, et un Elfe sortit d'un bosquet de jeunes arbres, il était vêtu de gris, mais son capuchon était rejeté en arrière, et ses cheveux étincelaient comme de l'or au soleil du matin. Haldir lança adroitement par-dessus le cours d'eau un rouleau de corde grise, que l'autre attrapa et dont il noua le bout à un arbre près de la rivière.

- Le Célébrant est toujours fort ici, comme vous le voyez, dit Haldir, son cours est rapide et profond, et il est également glacial. Nous n'y mettons pas les pieds autant au nord, autrement qu'en cas de nécessité. Mais en ces temps de vigilance, nous ne construisons pas de ponts. Voici notre façon de traverser. Suivez-moi!

II amarra son bout de la corde à un autre arbre, après quoi, il courut avec légèreté le long de ce pont improvisé, tout comme sur une route.

- Je puis suivre ce chemin, dit Legolas, ainsi que Lainceleg j'en suis sûr, mais les autres n'ont pas cette adresse. Doivent-ils traverser à la nage?

- Non, dit Haldir. Nous avons deux autres cordes. Nous allons les fixer au-dessus de l'autre, l'une à hauteur d'épaule et l'autre à mi-hauteur, en les tenant, les étrangers devraient pouvoir traverser avec précaution.

Ce léger pont confectionné, la Compagnie passa dessus, les uns avec lenteur et prudence, les autres plus aisément. Parmi les Hobbits, Pippin se révéla le meilleur, car il avait le pied sûr, il traversa rapidement, en ne se tenant que d'une main, mais il ne quitta pas des yeux la rive d'en face, et il ne regarda à aucun moment en dessous. Sam avança en traînant le pas, agrippé aux cordes et les yeux fixés sur l'eau pâle et tourbillonnante comme si c'était un abîme dans les montagnes. Il respira avec soulagement à son arrivée, sain et sauf:

- On apprend à tout âge! Comme disait mon vieux. Mais il pensait au jardinage et pas à se percher comme un oiseau ou à essayer de marcher comme une araignée. Même mon oncle Andy n'a jamais fait de truc comme ça!

Quand la Compagnie fut enfin rassemblée sur la rive orientale du Cours d'Argent, les Elfes détachèrent les cordes et en roulèrent deux. Rumil, qui était resté de l'autre côté, ramena la dernière, qu'il jeta sur son épaule, et avec un salut de la main, il retourna à la Nimrodel pour reprendre sa surveillance.

- Maintenant, mes amis, dit Haldir, vous êtes entrés dans le Naith de Lorien ou l'Enclave, comme vous diriez, car c'est la terre qui s'étend comme un fer de lance entre les bras du Cours d'Argent et de l'Anduin la Grande. Nous ne permettons à aucun étranger d'espionner les secrets du Naith. Peu de gens sont même autorisés à y mettre les pieds. Comme convenu, je vais bander ici les yeux de Gimli le Nain. Les autres pourront marcher librement pendant quelque temps, jusqu'à ce que nous approchions de nos demeures, à Egladil, dans l'Angle entre les eaux

Cela n'était pas du tout pour plaire à Gimli:

- L'arrangement a été pris sans mon consentement, dit-il. Je ne marcherai pas les yeux bandés comme un mendiant ou un prisonnier. Et je ne suis pas un espion. Les miens n'ont jamais eu de rapports avec aucun serviteur de l'Ennemi. Et nous n'avons jamais fait de mal aux Elfes. Il n'y a pas plus de probabilité que je vous trahisse que ne le ferait Legolas, ou tout autre de mes compagnons.

- Je n'en doute pas, dit Haldir. Mais c'est notre loi. Je ne suis pas maître de la loi, et il ne m'est pas possible de n'en pas tenir compte. J'ai déjà fait beaucoup en vous laissant passer le Célébrant.

Gimli s'obstina. Fermement planté sur ses pieds écartés, il porta la main au manche de sa hache:

- J'avancerai libre, dit-il, ou je retournerai en arrière à la recherche de mon propre pays, où l'on me connaît pour fidèle à ma parole, dusse-je périr seul dans le désert.

- Vous ne pouvez retourner en arrière, dit Haldir avec sévérité. Étant venu jusqu'ici, vous devez être mené devant le Seigneur et la Dame. Ils vous jugeront et vous retiendront ou vous laisseront aller, selon ce qu'ils estimeront bon. Vous ne pouvez retraverser les rivières, et il y a maintenant derrière vous des sentinelles secrètes qui vous interdiront le passage. Vous seriez abattu avant même de les avoir vues. Gimli tira sa hache de sa ceinture. Haldir et son compagnon abaissèrent leurs arcs

- La peste soit des Nains et de leur nuque roide! Dit Legolas.

- Allons! dit Aragorn. Si je dois encore conduire cette Compagnie, il faut faire ce que je vous demande. Il est dur pour le Nain d'être ainsi discriminé. Nous aurons tous les yeux bandés, même Legolas. Ce sera mieux, bien que cela ne puisse que ralentir le voyage et le rendre ennuyeux.

Gimli eut un rire soudain:

- De quelle belle troupe de fous nous aurons l'air! Haldir nous mènera t'il tous avec une ficelle, comme une suite de mendiants aveugles derrière un chien? Mais je me tiendrai pour satisfait si Legolas partage ma cécité.

- Je suis un Elfe et un affin ici, dit Legolas, courroucé à son tour.

- Et maintenant, écrions-nous: la peste soit de la nuque froide des Elfes! Dit Aragorn. Mais toute la Compagnie voyagera de même façon. Allons, bandez-nous les yeux, Haldir!

- J'exigerai pleine réparation pour toute chute ou tout heurt des pieds, si vous ne vous conduisez pas convenablement, grogna Gimli, tandis qu'on lui mettait un bandeau sur la vue.

- Vous n'en aurez aucun prétexte, dit Haldir. Je vous conduirai bien, et les chemins sont unis et droits.

- Hélas pour la folie de ces temps! Dit Legolas. Nous sommes tous ici des ennemis de l'unique Ennemi, et pourtant il me faut marcher en aveugle, alors que le soleil est joyeux dans les bois sous les feuilles d'or!

- Cela peut paraître de la folie, dit Haldir. En fait, le pouvoir du Seigneur Ténébreux n'est nulle part plus visible que dans la brouille qui divise tous ceux qui s'opposent encore à lui. Toutefois, nous trouvons aujourd'hui si peu de loyauté et de confiance dans le monde au-delà de la Lothlorien, sauf peut-être à Fondcombe, que nous n'osons pas par notre propre confiance mettre en danger notre terre. Nous vivons à présent sur une île au milieu de nombreux périls, et nos mains jouent plus souvent de la corde de l'arc que de celles de la harpe. Les rivières nous ont longtemps protégés, mais elles ne sont plus une défense sûre, car l'Ombre s'est glissée vers le nord tout autour de nous. Certains parlent de partir, mais il semble qu'il soit déjà trop tard pour cela. Les montagnes à l'ouest deviennent mauvaises, à l'est, les terres sont désolées et remplies des créatures de Sauron et le bruit court que nous ne pouvons plus passer en sûreté le sud par le Rohan et que l'Ennemi surveille les Bouches du Grand Fleuve. Pourrions-nous même parvenir aux rivages de la mer que nous n'y trouverions plus d'abri. On dit qu'il existe encore des havres des Hauts elfes, mais ils se trouvent très loin au nord et à l'est, au-delà du pays des semi-hommes. Où cela peut se trouver d'ailleurs, si le Seigneur et la Dame le savent peut-être, moi je l'ignore.

- Vous devriez au moins le deviner, puisque vous nous avez vus, dit Merry. Il y a des havres d'Elfes à l'ouest de mon pays, la Comté, où vivent les Hobbits.

- Heureuses gens que les Hobbits, qui demeurent près des rivages de la mer! Dit Haldir. II y a bien longtemps, certes, qu'aucun des miens ne l'a contemplée, mais nous nous en souvenons encore dans nos chants. Parlez-moi de ces havres, tandis que nous marcherons.

- Je ne le puis, dit Merry. Je ne les ai jamais vus. Je ne suis jamais sorti de mon pays. Et si j'avais su comment était le monde extérieur, je ne crois pas que j'aurais eu le cœur de le quitter.

- Pas même pour voir la belle Lothlorien? Dit Haldir. Le monde est en vérité empli de périls, et il y a en lui maints endroits sombres, mais il y en a encore beaucoup de beaux, et quoique dans tous les pays l'amour se mêle maintenant d'affliction, il n'en devient Peut-être que plus grand. Certains d'entre nous chantent que l'Ombre se retirera et que la paix reviendra. Je ne crois pourtant pas que le monde qui nous environne redevienne jamais ce qu'il était jadis, ni la lumière du soleil ce qu'elle fut. Pour les Elfes, ce sera, au mieux, je le crains, une trêve, qui leur permettra de passer sans encombre jusqu'à la mer et de quitter pour toujours la Terre du Milieu. Hélas pour la Lothlorien que j'aime! Ce serait une pauvre existence dans un pays où ne pousserait aucun mallorne. Mais s'il en est au-delà de la Grande Mer, personne ne l'a jamais rapporté.

Les yeux de chacun de mes compagnons bandés, Haldir se tourna vers moi et leva un sourcil interrogateur. J'hésitais un instant, puis haussait les épaules en lui faisant signe de m'aveugler aussi. Haldir le fit avec délicatesse, sans trop serrer. Privée de ma vue, mes autres sens s'affutèrent.

La Compagnie, conduite par Haldir, suivait en file indienne les sentiers de la forêt, tandis que l'autre Elfe marchait en queue, une main sur mon épaule. Je sentais sous mes pieds un sol doux et uni, et, après un moment, je marchais plus librement, sans crainte de tomber ou de se faire du mal. Je pouvais sentir les arbres et l'herbe froissée. J'entendais bien des notes différentes dans le bruissement des feuilles au-dessus de moi, dans le murmure de la rivière à ma droite et dans la voix claire et ténue des oiseaux dans le ciel. Je sentais le soleil sur mon visage et sur mes mains quand nous passions dans une clairière découverte...

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