Chapitre 19

Gandalf se tut, observant un silence pensif.
Une peur soudaine et une horreur de la salle saisirent notre petit groupe.
- Nous ne pouvons sortir, murmura Gimli. Ç'a été une bonne chose pour nous que l'étang ait un peu baissé et que le Guetteur dormît à l'extrémité Sud.

Gandalf leva la tête et regarda alentour:
- II semble qu'ils aient offert une dernière résistance aux deux portes, dit-il, mars il n'en restait plus beaucoup à ce moment là. Ainsi finit la tentative de reprendre la Moria ! Ce fut courageux, mais inconsidéré. Le temps n'est pas encore venu. II nous faut maintenant dire adieu à Balïn fils de Fundïn, je le crains. Il doit dormir ici de son dernier sommeil, dans les salles de ses pères. Nous emporterons ce livre, le livre de Mazarboul, pour l'examiner de plus près par la suite. Vous ferez bien de le garder, Gimli, et de le rapporter à Dain, pour autant que vous en ayez la possibilité. Cela l'intéressera, même s'il doit en être profondément affecté. Allons, partons!La matinée s'avance.

- De quel côté irons-nous? Demanda Boromir.

- Nous retournerons dans la grande salle, répondit Gandalf. Mais notre visite à cette pièce n'a pas été inutile. Je sais maintenant où nous nous trouvons. Ceci doit être, comme le dit Gimli, la Chambre de Mazarboul,et la salle doit être la vingt et unième de l'extrémité Nord. Nous devrons donc partir par l'arche Est de la salle,nous diriger à droite et au Sud, et descendre. La vingt et unième salle doit être au septième étage, c'est-à-dire à six étages au-dessus de celui des Portes. Allons! Regagnons la salle.

A peine Gandalf avait-il prononcé ces mots qu'un grand bruit se fit entendre: un roulement grondant,qui semblait venir des profondeurs lointaines et vibrer dans la pierre sous nos pieds.

Effrayés, nous bondissions vers la porte.
Le bruit roula encore, comme si d'énormes mains muaient les cavernes mêmes de la Moria en un vaste tambour. Puis vint une explosion répétée par l'écho: un grand cor sonnait dans la salle, auquel répondirent plus loin d'autres cors et des cris stridents. On entendit le bruit d'un nombreux piétinement.

- Ils viennent! cria Legolas.

- Nous ne pouvons sortir, dit Gimli.

- Pris au piège! S'écria Gandalf. Pourquoi me suis-je attardé?Nous voici pris, exactement comme ils le furent auparavant. Mais je n'étais pas ici, alors. Nous allons voir ce que...

Brrron, brrron, le battement de tambour se fit entendre derechef, et les murs tremblèrent.

- Claquez les portes, et bloquez-les! Cria Aragorn. Et gardez votre chargement sur le dos aussi longtemps que vous le pourrez. II se peut que nous ayons encore une chance de nous frayer une issue.

- Non! Gandalf. Il ne faut pas nous laisser enfermer. Gardez la porte entrebâillée! Nous partirons par-là,si nous en avons une chance.

Une nouvelle et rauque sonnerie de cor et des cris stridents retentirent. Des pas s'avancèrent dans le couloir. Il y eut un tintement et un ferraillement comme les prisonniers tiraient leurs épées. Glamdring brilla d'une pâle lumière et les tranchants de Dard étincelèrent. Je saisissais mon arc, et encochait une flèche. Boromir s'arc-bouta contre la porte ouest.

- Un moment! Ne la fermez pas encore! Dit Gandalf.

II s'élança au côté de Boromir et se redressa de toute sa hauteur.

- Qui vient là pour déranger les restes de Balïn, Seigneur de la Moria, cria t'il d'une voix forte.

Il y eut une avalanche de rires rauques, semblables à la chute de pierres glissant dans un puits, du milieu de la clameur s'éleva une voix grave, dominatrice. Les tambours roulèrent dans les profondeurs.D'un mouvement rapide, Gandalf se plaça devant l'étroite ouverture de la porte et poussa en avant son bâton. Un éclair aveuglant illumina la chambre et le passage extérieur. Le magicien regarda un instant au Dehors. Des flèches piaulèrent et sifflèrent le long du couloir, tandis qu'il se rejetait en arrière.

- Il y a des orques, en grand nombre, dit-il. Et certains sont grands et mauvais: des Uruks noirs de Mordor. Pour le moment, ils hésitent, mais il y a aussi là quelque chose d'autre. Un grand troll des cavernes, je crois, ou plusieurs. Il n'y a pas d'espoir de nous échapper de ce côté.

- Et aucun espoir du tout, s'ils viennent aussi à l'autre porte, dit Boromir.

- Il n'y a encore aucun son, au-dehors, de ce côté ci, dit Aragorn, qui écoutait près de la porte est. Le passage plonge directement par un escalier: il ne ramène manifestement pas à la salle. Mais rien ne sert de s'enfuir aveuglément par-là avec les poursuivants juste derrière nous. Nous ne pouvons bloquer la porte. La clef a disparu, la serrure est brisée et la porte ouvre vers l'intérieur. Il faut d'abord faire quelque chose pour retarder l'ennemi. Nous allons leur inspirer la crainte de la Chambre de Mazarboul ! Dit-il d'un air sinistre, tâtant le fil de son épée Anduril.

Des pas lourds se firent entendre dans le couloir. Boromir, se jetant contre la porte, l'assujettit d'un coup d'épaule, puis il la cala au moyen de lames d'épée brisées et d'éclats de bois. La Compagnie se retira de l'autre côté de la chambre. Mais nous n'avions encore aucune chance de fuite. Un coup sur la porte la fit trembler, puis elle commença à s'ouvrir lentement en grinçant, repoussant les cales. Un bras et une épaule énormes, recouverts d'une peau sombre d'écailles verdâtres, passèrent par l'ouverture grandissante. Puis un grand pied, plat et sans doigt, se glissa en dessous. Dehors, s'était établi un silence de mort.

Boromir s'élança en avant et s'attaqua de toute sa force au bras, mais son épée résonna, dévia et tomba de sa main ébranlée. La lame était ébréchée.Soudain,  Frodo se sentit le cœur enflammé d'un bouillant courroux.

«La Comté! » Cria t'il, et bondissant au côté de Boromir, il se baissa et porta au hideux pied un furieux coup de Dard. Un hurlement s'éleva et le pied se retira brusquement, arrachant presque Dard du bras de Frodon. Des gouttes noires coulèrent de la lame et fumèrent sur le sol. Boromir, se ruant contre la porte, la referma brutalement.

- Un pour la Comté! Cria Aragorn. La morsure des Hobbits est profonde! Vous avez une bonne lame,Frodo fils de Drogo !

Un fracas se fit entendre contre la porte, suivi d'un autre et puis d'un autre. Sous les coups de béliers et de marteaux, elle se fendit, le battant s'écarta en chancelant, et l'ouverture s'élargit brusquement. Des flèches entrèrent en sifflant, mais elles ne frappèrent que le mur du nord et retombèrent sur le sol sans causer de mal.

Il y eut une sonnerie de cor et un piétinement précipité, et les orques bondirent l'un derrière l'autre dans la chambre.Combien ils étaient, je ne pu le compter. La bagarre fut vive, mais la fureur de la défense épouvanta les orques. Legolas en tira deux en pleine gorge, Gimli coupa les jambes d'un autre qui avait bondi sur le tombeau de Balïn, j'en pourfendais trois avant de percer d'une flèche la gorge d'un autre, Boromir et Aragorn en abattirent un grand nombre.

Quand treize furent tombés, les autres s'enfuirent en hurlant, laissant les défenseurs indemnes, sauf pour Sam qui avait une éraflure le long du cuir chevelu. Une rapide esquive l'avait sauvé, et il avait abattu son orque: un ferme coup de sa lame de galgal. Une flamme couvait dans ses yeux bruns.

- C'est le moment! cria Gandalf. Partons avant que le troll ne revienne!

Mais tandis même que nous nous retiriions, et avant que Pippin et Merry eussent atteint l'escalier, un énorme chef orque presque de la taille d'un homme, vêtu de la tête aux pieds de mailles noires, bondit dans la chambre. Derrière lui, ses suivants se pressaient dans la porte. Sa large face plate était basanée, ses yeux d'un noir de charbon et sa langue rouge, il brandissait une grande lance. Ayant détourné l'épée de Boromir d'un coup de son vaste bouclier, il le repoussa en arrière et le jeta à terre. Plongeant sous le coup d'Aragorn avec la rapidité d'un serpent à l'attaque, il chargea la Compagnie et pointa sa lance directement sur Frodo. Je m'élançais, et entaillais profondément son flan gauche, mais, imperturbable, il frappa quand même.

Atteint au côté droit, Frodo fut projeté contre le mur, où il resta cloué. Avec un cri, Sam s'escrima sur le bois de la lance et le brisa. Mais comme l'orque jetait le tronçon et dégainait vivement son cimeterre, Anduril s'abattit sur son heaume.

Il y eut un éclat comme d'une flamme, et le heaume s'ouvrit en deux. L'orque tomba, la tête fendue. Ses suivants s'enfuirent en hurlant, tandis que Boromir et Aragorn s'élançaient contre eux. Les tambours résonnaient toujours dans les profondeurs. La grande voix roula de nouveau.

- Maintenant! Cria Gandalf. C'est notre dernière chance. Sauvons-nous!

Aragorn ramassa Frodo où il gisait près du mur et se dirigea vers l'escalier, poussant Merry et Pippin devant lui. Les autres suivirent, mais Legolas dut entraîner Gimli, lequel, en dépit du danger, s'attardait, la tête baissée, auprès du tombeau de Balïn. J'aidais Boromir à tirer la porte est, qui grinça sur ses gonds. Elle avait de chaque côté un grand anneau de fer, mais elle ne pouvait être assujettie.

- Je suis en état, dit Frodo haletant. Je peux marcher. Déposez-moi!

Aragorn faillit le lâcher, tant il fut surpris

- Je vous croyais mort! S'écria t'il.

- Pas encore! dit Gandalf. Mais nous n'avons pas le temps de nous étonner. Filez tous, par l'escalier!Attendez-moi quelques minutes en bas, mais si je ne viens pas bientôt, continuez! Allez vite et choisissez des chemins conduisant à droite et descendant.

- Nous ne pouvons vous laisser tenir la porte seul! Dit Aragorn.

- Faites ce que je vous dis! Cria Gandalf avec fureur. Les épées ne servent plus à rien ici. Allez!

- Je reste avec vous Gandalf, déclarais-je. Vous autres fuyez !

La Compagnie descendit, plongeant dans les ténebres. Gandalf fixait la porte que son bâton éclairait. Il murmura des incantations dont je ne saisis pas le sens. Les tambours se rapprochaient, et avec eux nos ennemis. Les murs paraissaient frémir.

- Gandalf, demandais-je avec une peur grandissante, est-ce que c'est ce que je crois que c'est ?

- Je le crains oui, répondit-il d'une voix sombre. Prêtez moi votre force Lainceleg, celle qui vous vient de votre père. Je pourrais peut-être l'arrêter.

Je hochais la tête et fixait à mon tour la porte avant de poser une main sur l'épaule du magicien.

II y eut soudain,  un éclat de lumière blanche tandis que Gandalf puisait dans mes forces que je sentais aspirées, puis un grondement sourd et un "floc" pesant. Les battements de tambour retentirent furieusement, puis s'arrêtèrent. Le sang battait dans mes tempes et je voyais flou. J'étais juste assez clairvoyante pour courir après le magicien qui m'entrainait à la suite de la Compagnie. Gandalf déboucha tout courant de l'escalier et tomba sur le sol au milieu de la Compagnie tandis que je gisais à ses côtés, hébétée.

- Bon, bon, voilà qui est terminé! Dit le magicien, se relevant avec peine. J'ai fait tout ce que j'ai pu. Mais j'ai eu affaire à forte partie, et nous y sommes presque restés. En tout cas, ne demeurez pas plantés là! Continuez! Il faudra vous passer de lumière pendant quelque temps. Je suis assez secoué. Allez! Allez! Où êtes-vous, Gimli?Venez devant avec moi! Suivez-nous de près, tous!

Aragorn me releva et m'entraîna à la suite de Gandalf, se demandant ce qui s'était passé. Les tambours reprirent leur rythme effrayant. Ils avaient à présent un son voilé et lointain, mais ils suivaient. Il n'y avait pas d'autre bruit de poursuite, ni piétinement ni voix. Gandalf ne prit aucun tournant à droite ou à gauche, le couloir semblant mener dans la direction qu'il souhaitait. De temps à autre, ils descendaient une volée d'escalier, de cinquante marches ou davantage, pour atteindre un niveau inférieur. Ces moments représentaient le principal danger, car dans les ténèbres nous ne pouvions voir une descente jusqu'à l'instant même où nous étions dessus et mettions le pied dans le vide. Gandalf tâtait le terrain avec son bâton comme un aveugle tandis que je reprenais petit à petit mes esprits.

Après une heure, nous avions tant bien que mal parcouru un mille ou peut-être un peu plus, et descendu maints escaliers. Il n'y avait toujours aucun son de poursuite. Je commençais presque à espérer nous échapper. Au bas du septième escalier, Gandalf s'arrêta.

- Il commence à faire chaud! Dit-il, haletant. Nous devrions être descendus au moins au niveau des Portes, à présent. Il nous faudra bientôt chercher un tournant à gauche pour nous mener vers l'est. J'espère qu'il n'est pas loin. Je suis très fatigué. Il m'est nécessaire de me reposer ici un moment, tous les orques de la terre seraient-ils après nous.

Gimli lui prit le bras et l'aida à s'asseoir sur une marche.

- Que s'est-il passé là-haut à la porte? Demanda t'il. Avez-vous rencontré le batteur de tambour?

- Je ne sais pas, répondit Gandalf. Mais je me suis trouvé soudain devant quelque chose que je n'avais encore jamais rencontré. Je n'ai imaginé rien d'autre que de jeter un sort de fermeture sur la porte. J'en connais de nombreuses formules, mais l'exécution correcte de ce genre de chose demande du temps, et même alors la porte peut-être brisée par la force. Comme je me tenais là, j'entendais des voix d'orques de l'autre côté, je pensais à tout moment qu'ils allaient l'enfoncer. Je ne pouvais entendre ce qui se disait, ils semblaient parler dans leur hideux langage. Je ne saisis que ghâsh, ce qui signifie "feu". Puis quelque chose entra dans la pièce je le sentis à travers la porte, et les orques eux-mêmes furent effrayés et devinrent silencieux. Le nouvel arrivant s'empara de l'anneau de fer, et alors il perçut ma présence et le sort que j'avais jeté sur la porte.

- Quel il était, reprit-il après une brève pause, je ne pus le deviner, mais jamais je n'ai senti pareil défi. Le contre sort était terrible. Il faillit me briser, et il l'aurait fait sans Lainceleg. Un instant, la porte échappa à mon emprise et .commença de s'ouvrir ! Il me fallut prononcer un mot de commandement. L'effort se révéla trop grand. La porte vola en éclats. Quelque chose de sombre comme un nuage obnubilait toute la lumière intérieure, et je fus projeté en arrière dans l'escalier. Tout le mur céda et la voûte de la chambre aussi, je crois. Je crains que Balïn ne soit profondément enterré, et peut-être autre chose est-il enterré là aussi. Je ne sais pas. Mais en tout cas le passage derrière nous était complètement obstrué. Ah! je ne me suis jamais senti tellement épuisé, mais cela est en train de passer.

- À qui le dîtes vous ! Maugréais-je avec un mal prenant à la tête. Vous auriez pu y aller moi fort !

Gandalf m'adressa un regard navré.

- Et maintenant, qu'en est-il de vous, Frodo? II n'y avait pas le temps de le dire sur le moment, mais jamais je n'ai été aussi heureux que lorsque vous avez parlé. Je craignais que ce ne fût un Hobbit valeureux, mais un Hobbit mort que portait Aragorn.

- Moi? Dit Frodo. Eh bien, je suis vivant et entier, pour autant que je sache. Je suis meurtri et endolori,mais ce n'est pas terrible.

- Bien, dit Aragorn, tout ce que je peux dire, c'est que les Hobbits sont faits d'une matière si dure que je n'en ai jamais vu, de pareille. L'eussé-je su, que j'aurais parlé plus doucement à l'auberge de Bree ! Ce coup de lance aurait suffi à embrocher un sanglier !

- Eh bien, il ne m'a pas embroché, moi, je suis heureux de le constater, dit Frodo, encore que j'aie l'impression d'avoir été pris entre un marteau et l'enclume.

Il n'en dit pas davantage. II trouvait la respiration douloureuse.

- Vous tenez de Bilbo, dit Gandalf. Il y a davantage en vous qu'il n'apparaît à l'œil, comme je l'ai dit de lui jadis.

Sur ces mots nous repartîmes. Avant peu, Gimli parla. II avait des yeux perçants dans l'obscurité:

- Je crois qu'il y a une lumière devant nous, dit-il. Mais ce n'est pas celle du jour. Elle est rouge. Quepeut-ce être?

- Ghâsh! murmura Gandalf. Je me demande si c'est là ce qu'ils voulaient dire: que les niveaux inférieurs étaient en feu? De toute façon, nous ne pouvons que continuer.La lumière ne laissa bientôt plus aucune place au doute et elle devint visible à tous. Elle vacillait et rougeoyait sur les murs du couloir devant nous. Nous pouvions à présent voir le chemin: il descendait en pente rapide et, à une certaine distance, il y avait une arcade basse, c'était par-là que venait la lumière croissante. Hélas j'eu préféré ne pas voir, car cette lumière rougeoyante renforçait mes peurs qui me suivaient depuis notre entrée. Finalement je doutais que Gandalf sut quelles inquiétudes me rongeaient. Dans le cas contraire il feignait très mal.

L'atmosphère devenait très chaude. Arrivé à la voûte, Gandalf s'engagea dessous, nous faisant signe d'attendre. Comme il se tenait juste au-delà de l'ouverture, ils voyaient son visage éclairé d'une lueur rouge. Il revint vivement.

- Il y a là quelque nouvelle diablerie fomentée en guise de bienvenue, il n'y a aucun doute, dit-il. Mais je sais maintenant où nous nous trouvons: nous avons atteint la Première Profondeur, le niveau qui est immédiatement sous les Portes. Ceci est la Seconde Salle de la Vieille Moria, et les Portes sont proches: là-bas,derrière l'extrémité est, sur la gauche, pas à plus d'un quart de mille. Il faut traverser le Pont, monter un vaste escalier, suivre une large route, traverser la Première Salle, et puis dehors! Mais venez voir!

Le rejoignant, je scrutais l'espace devant moi. Il y avait là une autre salle caverneuse. Elle était plus haute et beaucoup plus longue que celle où nous avions dormi. Nous étions près de son extrémité est, à l'ouest, elle se perdait dans l'obscurité. Tout le long du centre s'élevait une double rangée de majestueux piliers. Ils étaient taillés en forme de fûts de puissants arbres, dont les branches soutenaient la voûte d'un réseau de nervures de pierre. Les tiges en étaient lisses et noires, mais une lueur rouge se reflétait sombrement sur leurs côtés. Juste en face d'eux, au pied de deux énormes piliers, une grande fissure s'était ouverte. Par-là venait une ardente lumière rouge, et de temps à autre des flammes en léchaient le bord et entouraient la base des colonnes. De sombres rubans de fumée flottaient dans l'air chaud.

- Si nous étions arrivés par la grande route descendant des salles supérieures, nous aurions été pris au piège ici, dit Gandalf. Espérons que le feu reste maintenant derrière nous et continuons. Allons! Il n'y a pas de temps à perdre.

Tandis même qu'il parlait, j'entendis de nouveau le battement de tambours qui nous poursuivait. D'au-delà des ombres de l'extrémité ouest de la salle venaient des cris et des sonneries de cor. Le rythme s'accéléra, les piliers semblaient trembler, et les flammes palpiter.

- Allons-y pour la dernière course! S'écria Gandalf. Si le soleil brille à l'extérieur, nous avons encore une chance de nous échapper. Suivez-moi!

Il tourna à gauche et traversa vivement le sol uni de la salle. La distance était plus grande qu'elle ne l'avait paru. Tout en courant, j'entendais le battement et l'écho de nombreux pieds qui se pressaient à notre poursuite. Un cri strident retentit: nous avions été vus. Il y eut un tintement et un cliquetis d'acier. Une flèche siffla au-dessus de la tête de Frodo.Boromir rit

- Ils ne s'attendaient pas à cela, dit-il. Le feu les a coupés de nous. Nous sommes du mauvais côté!

- Regardez devant vous! Cria Gandalf. Le Pont est tout près. Il est dangereux et étroit.

A l'extrémité de la salle, le sol disparaissait, tombait à une profondeur inconnue. La porte extérieure ne pouvait être atteinte que par un mince pont de pierre, sans bordure ni parapet, qui franchissait la coupure d'une seule arche bondissante de croquante pieds. C'était une ancienne défense des Nains contre tout ennemi qui aurait pris la Première Salle et les galeries extérieures. Nous ne pouvions passer qu'en file indienne. Gandalf s'arrêta au bord, et les autres s'assemblèrent derrière lui.

- Prenez la tête, Gimli ! Dit-il. Ensuite, Pippin et Merry. Continuez tout droit et montez l'escalier qui se trouve au-delà de la porte!

Les flèches tombaient parmi eux. L'une frappa Frodo et ricocha. Une autre transperça le chapeau de Gandalf et y resta plantée comme une plume noire. Je regardais craintivement en arrière, moi qui ne craignais qu'une chose, qu'une créature en ce monde. Excepté Sauron.  Au-delà du feu, je vis des formes noires et pullulantes: il semblait y avoir des centaines d'orques. Ils brandissaient des lances et des cimeterres qui luisaient rouges comme du sang à la lumière du feu. Mais ce n'était pas eux que je craignais...

Les tambours retentissaient de plus en plus fort. Legolas se retourna et encocha une flèche, bien que le tir fût long pour son petit arc. II banda la corde, mais sa main retomba, et la flèche glissa à terre. II poussa un cri de désarroi. Deux grands trolls parurent, ils portaient de grandes dalles de pierre, qu'ils jetèrent à terre en guise de passerelle au-dessus du feu. Mais ce n'était pas les trolls qui avaient empli l'Elfe d'effroi. Les rangs des orques s'étaient ouverts, et ils reculaient en masse,comme effrayés eux-mêmes. Comme moi, il avait vu l'être de flamme. Quelque chose montait derrière les orcs. Cela ressemblait à une grande ombre, au milieu de laquelle se dressait une masse sombre, peut-être une forme d'Homme, mais plus grande, et il paraissait y résider un pouvoir et une terreur, qui allaient devant elle.Elle arriva au bord du feu et la lumière disparut comme si un nuage s'était penché dessus. Alors, d'un bond, elle sauta par-dessus la crevasse. Les flammes montèrent en ronflant pour l'accueillir et l'enlacer, et toute la fumée noire tournoya dans l'air. Sa crinière flottante s'embrasa et flamboya derrière elle. De la main droite,elle tenait une lame semblable à une langue de feu perçante, de la gauche un fouet à multiples lanières.

- Le Balrog de la Moria, soufflais-je tétanisée. Fuyez

!Gimli écarquilla les yeux:

- Le Fléau de Durïn ! S'écria t'il, et, laissant tomber sa hache, il se couvrit le visage.

- Un Balrog, murmura Gandalf. Je comprends, maintenant. Là étaient vos craintes Lainceleg...

Chancelant, il s'appuya lourdement sur son bâton:

- Quelle mauvaise fortune! Et je suis déjà fatigué.

Le Balrog, ruisselant de feu, se précipita vers nous. Les orques hurlèrent en se déversant par les passerelles de pierre. Boromir éleva alors son cor et sonna. Le défi retentit, puissant, et rugit comme le cri de nombreuses gorges sous la voûte caverneuse. Pendant un moment, les orques hésitèrent, et l'ombre ardente s'arrêta. Puis les échos moururent aussi soudainement qu'une flamme soufflée par un sombre vent, et l'ennemi s'avança de nouveau.

- Par le Pont! Cria Gandalf, rassemblant ses forces. Fuyez! C'est là un ennemi qui dépasse vos pouvoirs à tous. Il me faut tenir la voie étroite. Fuyez!

Aragorn et Boromir, sans observer cet ordre, tinrent pied, côte à côte, derrière Gandalf à l'autre extrémité du pont. Les autres s'arrêtèrent juste dans la porte au bout de la salle et se retournèrent, incapables de laisser leur conducteur faire seul face à l'ennemi.Le Balrog atteignit le pont. Gandalf se tenait au milieu de la travée, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main gauche, tandis que dans l'autre Glamdring luisait, froide et blanche. Son ennemi s'arrêta de nouveau face à lui, et l'ombre qui l'entourait s'étendait comme deux vastes ailes. II leva le fouet, et les lanières gémirent et claquèrent. Le feu sortait de ses narines. Mais Gandalf demeura ferme.

- Vous ne pouvez passer, dit-il.Les orques restèrent immobiles, et un silence de mort tomba.

- Je suis un serviteur du Feu Secret, qui détient la flamme d'Anor. Vous ne pouvez passer. Le feu sombre ne vous servira de rien, flamme d'Udün. Retournez à l'Ombre! Vous ne pouvez passer.

Le Balrog ne répondit rien. Le feu parut s'éteindre en lui, mais l'obscurité grandit. La forme s'avança lentement sur le pont, elle se redressa soudain jusqu'à une grande stature, et ses ailes s'étendirent d'un mur à l'autre, mais Gandalf était toujours visible, jetant une faible lueur dans les ténèbres, il semblait petit et totalement seul: gris et courbé comme un arbre desséché, devant l'assaut d'un orage.De l'ombre, une épée rouge sortit flamboyante.Glamdring répondit par un éclair blanc. Il y eut un cliquetis retentissant et une estocade de feu blanc. Le Balrog tomba à la renverse, et son épée jaillit en fragments fondus. Le magicien vacilla sur le pont, recula d'un pas, puisse tint de nouveau immobile.

- Vous ne pouvez passer! Dit-il.D'un bond, le Balrog sauta au milieu du pont. Son fouet tournoya en sifflant.

- Gandalf ! Appelais-je vainement.

- Il ne peut résister seul! cria soudain Aragorn, qui revint en courant sur le pont

- Elendil! Cria t'il. Je suis avec vous, Gandalf.

-Gondor ! Cria Boromir, s'élançant derrière lui.

- Non ! Criais-je. Cet ennemi est trop fort pour vous ! Revenez !

A ce moment, Gandalf leva son bâton et, criant d'une voix forte, il frappa le pont devant lui. Le bâton se brisa en deux et tomba de sa main. Un aveuglant rideau de flamme blanche jaillit. Le pont craqua. II se rompit juste au pied du Balrog, et la pierre sur laquelle il se tenait s'écroula dans le gouffre, tandis que le reste demeurait en équilibre frémissant comme une langue de rocher projetée dans le vide.

Le Balrog tomba en avant avec un cri terrible, son ombre plongea et disparut. Mais dans sa chute même,il fit tournoyer son fouet, et les lanières fouaillèrent le magicien et s'enroulèrent autour de ses genoux,l'entraînant vers le bord. Il chancela, tomba, et malgré un vain effort pour s'accrocher à la pierre, il glissa dans le gouffre.

- Fuyez, pauvres fous ! Cria t'il, disparaissant.

Le feu s'éteignit, et les pures ténèbres retombèrent. La Compagnie restait figée d'horreur, le regard fixé dans la fosse. Au moment même où Aragorn et Boromir revenaient avec précipitation, le reste du pont craqua et tomba. Aragorn arracha les autres à leur stupeur en criant.

- Venez! Je vais vous conduire, à présent! Nous devons obéir à son dernier commandement. Suivez-moi!

Ils grimpèrent quatre à quatre, en butant, l'escalier qui se trouvait au-delà de la porte. Aragorn en tête, Boromir en queue. Mais je restais en arrière, sans réussir à me détourner du gouffre.

- Venez Lainceleg ! Me cria Boromir. Vous ne pouvez rien faire, venez !

Et il m'entraîna de force par le bras.

Je ne résistais pas, incapable d'esquisser le moindre geste. Je vis à peine les larges corridors et les vastes salles que nous parcourûmes en courant. Je ne vis pas la lumière s'amplifier, les yeux brouillé par l'effroi le plus total. J'entendis à peine les battements de tambour rouler derrière nous, lugubres et lents. Je courais, courais sans relâche à la suite de la Compagnie, sans réussir à exprimer la moindre pensé, sans verser une seule larme, car je refusais de croire que mes soupçons étaient fondés, et avaient conduits Gandalf à la chute. À la mort. Aragorn tua un orc, en faisant fuir bien d'autres, mais cela, je n'en pris pas conscience non plus, j'ignorais même ce que ça signifiait...

Finalement, contre tout espoir, nous avions enfin retrouvé le ciel.

Je sentis le vent sur mon visage. Il me ramena à la raison. Je me plaçais en tête de marche, c'était moi à présent, qui guidais la Compagnie, ou ce qu'il en restait. Nous ne nous arrêtions pas avant d'être hors de la portée de flèches tirées des murs. La Vallée des Rigoles Sombres s'étendait autour de nous. L'ombre des Monts Brumeux s'allongeait sur elle, mais vers l'est-il y avait sur la terre une lumière dorée. Il n'était qu'une heure de l'après-midi. Le soleil brillait, les nuages étaient blancs et hauts. Je jetais une dernier regard en arrière. L'arche des Portes béait, noire sous l'ombre de la montagne. Faibles et lointains sous la terre, roulaient les lents battements de tambour. Une fine traînée de fumée noire sortait de l'ouverture. On ne voyait rien d'autre, la vallée tout alentour était vide.

De la Compagnie qui m'entourait, le chagrin les accabla complètement, et ils pleurèrent longuement: les uns étaient debout et silencieux, les autres s'étaient laissé tomber à terre. Les battements de tambour s'évanouirent, comme éclipsés par ma détermination nouvelle.

Je mènerais la Compagnie en Lothlorien.

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Et bien ! Après ce chapitre mouvementé, les évènements du "Seigneur des Anneaux" de J.R.R. Tolkien vont commencer à changer de main ! Et passer sous ma plume...

Il va y avoir du changement !

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