Chapitre 17
Le noir à peine tombé, la porte à peine fermée, Sam, accroché au bras de Frodo, s'affaissa sur une marche dans les ténèbres épaisses:
- Pauvre vieux Bill! dit-il d'une voix étranglée. Ce pauvre Bill ! Des loups et des serpents! Mais les serpents, c'était trop J'ai dû choisir, monsieur Frodo. Il me fallait venir avec vous.
Gandalf redescendit les marches et appliqua son bâton contre les portes. II y eut un frémissement dans la pièces,les marches tremblèrent, mais les portes ne s'ouvrirent pas.
- Bien, bien! dit le magicien. Le passage est bloqué derrière à présent, et il n'y a qu'une issue de l'autre côté des montagnes. Ces bruits me donnent à craindre que des pierres n'aient été entassées, et les arbres arrachés et jetés en travers de la porte. J'en suis désolé, car les arbres étaient beaux, et ils avaient tenu si longtemps!
- J'ai senti la proximité de quelque chose d'horrible dès le où mon pied a touché l'eau, dit Frodo. Qu'était la chose, ou y en avait il beaucoup?
- Je n'en sais rien, répondit Gandalf, mais les bras étaient dirigés vers un même but. II y a dans les profondeurs du monde des êtres plus anciens et plus répugnants que les Orques.
Mais il ne prononça pas à haute voix sa pensée. Quand aux miennes, elles étaient entièrement fixées vers les sombres tunnels de la Moria. Tunnel dans lesquels rôdait un monstre que je craignais par dessus tout. Un monstre que nous n'étions pas de taille à affronter.
Boromir chuchota à voix basse (mais l'écho de la pierre amplifia ses paroles jusqu'à en faire un murmure rauque que tous purent entendrent.
- Dans les profondeurs du monde! Et c'est là que nous allons bien contre mon gré. Qui nous conduira à présent dans ces ténèbres mortelles?
- Moi, dit Gandalf, et Gimli marchera avec moi. Suivez mon bâton!
Tandis que le magicien passait en avant sur les grandes marches brandissant son bâton, dont l'extrémité émmétait une faible radiation, nous nous mîmes à gravir le vaste escalier, qui heureusement pour nous, était solide et intact. Je comptais deux cents marches larges et peu profondes, et au sommet, nous trouvâmes un passage voûté au sol plat, qui se poursuivait dans l'obscurité.
- Si nous nous asseyions pour nous reposer un peu et manger ici sur le palier, puisque nous ne pouvons trouver de salle à manger? proposa Frodo.
Il semblait plus détendu à présent, mais aussi plus affamé. La suggestion fût accueillie de tous, et nous nous installâmes, formes indécises dans l'obscurité, sur les dernières marches de l'escalier.
Le repas terminé, Gandalf nous donna à chacun une troisième gorgée du miruvor de Fondcombe.
- Cela ne durera plus longtemps, je crains, dit-il, mais je crois que c'est nécessaire après cette horreur à la porte. Et, à moins d'une très grande chance, nous aurons besoin de tout ce qui reste avant de voir l'autre côté! Allez-y doucement avec l'eau aussi! II y a de nombreux ruisseaux et sources dans les Mines, mais il n'y faut point y toucher. Il se peut que nous n'ayons pas l'occasion de remplir nos outres et nos flacons avant de descendre dans la Vallée des Rigoles Sombres.
- Combien de temps cela nous prendra t'il? demanda Frodo.
- Je ne saurais le dire, répondit Gandalf. Cela dépend de beaucoup de hasards. Mais en allant droit, sans contretemps ou sans nous égarer, il nous faudra trois ou quatre étapes, je pense. Il ne peut y avoir moins de quatre milles de la Porte de l'Ouest à celle de l'Est en ligne droite, et la route peut serpenter.
Après une courte pause, nous repartîmes. Tous étaient désireux d'en finir avec le trajet aussi rapidement que possible, et nous étions disposés, malgré la fatigue, à continuer de marcher durant plusieurs heures encore.
Gândalf avait pris la tête comme précédemment. De la main gauche, il élevait son bâton brillant, dont la lueur ne révélait le sol que juste devant ses pieds, de la droite, il tenait son épée Glamdring. Derrière lui venait Gimli, les yeux brillants par à-coups dans la faible lumière comme il tournait la tête de côté et d'autre. Derrière le nain, marchait Frodo, qui avait tiré sa courte épée, Dard. Aucune lueur ne venait des lames de Dard ni de Glamdring, et c'était un réconfort, car, oeuvres des forgerons elfiques des Jours Anciens, ces épées brillaient d'une froide lumière à l'approche de tout Orque.
Après Frodo venaient Sam, derrière lui, Legolas, les jeunes Hobbits et Boromir. En arrière garde, dans l'obscurité, marchait Aragorn, silencieux et le visage fermé. Et je marchais à ses côtés, partageant son humeur macabre, car un douloureux mélange de peur et d'angoisse ébranlait mon calme habituel.
Après quelques sinuosités, le passage commença de descendre. Il continua ainsi régulièrement pendant assez longtemps avant de redevenir horizontal. L'atmosphère devint chaude et étouffante, mais elle n'était pas viciée, et nous sentions par moments sur nos visages des courants d'un air plus frais qui venait d'ouvertures à peine devinées dans les murs. II y en avait beaucoup.
Dans le pâle rayonnement du bâton du magicien, j'avais des aperçus d'escaliers et d'arcs, d'autres passages et de tunnels, montant en pente douce ou descendant fortement, ou encore ouvrant sur les ténèbres d'un côté ou de l'autre. Il y avait de quoi être dérouté sans aucun espoir de s'y retrouver.
Gimli n'était pas d'un grand secours à Gandalf, sinon par son ferme courage. Au moins n'était-il pas, comme la plupart des autres, troublé par la simple obscurité en soi. J'avais pour ma part cette sentation déconcertante d'être enterrée sous terre si profondément que l'air venait à manquer, de même que les espoirs de sortie. Ce qui n'était probablement pas si éloigné de la réalité.
Le magicien consultait souvent le nain à des endroits où le choix de la direction était douteux, mais c'était toujours Gandalf qui avait le dernier mot. Les Mines de la Moria étaient d'une étendue et d'une complexité qui dépassaient l'imagination de Gimli, le fils de Gloïn, tout nain de la race montagneuse qu'il était. Pour Gandalf, les souvenirs très lointains d'un voyage précédent ne servaient plus à grand-chose, mais, même dans l'obscurité et en dépit de tous les méandres de la route, il savait où il voulait aller, et il ne flanchait pas, tant qu'il y avait un sentier menant vers son but.
- N'ayez aucune crainte! dit Aragorn. (Il y avait une pause plus longue que d'ordinaire, et Gandalf et Gimli discutaient à voix basse, les autres étaient assemblés derrière eux dans une attente anxieuse.) N'ayez aucune crainte! Je l'ai accompagné dans maints voyages, encore qu'aucun d'aussi ténébreux, et il court à Fondcombe des récits de hauts faits de sa part, plus grands que tout ce que j'ai vu. Il ne s'égarera s'il existe un chemin à trouver. Il nous a menés ici contre nos craintes, mais il nous en fera ressortir quoi qu'il doive lui en coûter. Il trouvera plus sûrement le chemin de la maison par une nuit sans lune que ne le feraient les chats de la Reine Beruthiel.
Il était heureux pour la Compagnie d'avoir un tel guide. Elle ne disposait d'aucun combustible ou d'aucun moyen de fabriquer des torches, bien des choses avaient été abandonnées dans la bousculades désespérée vers les portes. Mais, sans lumière, nous aurions vite sombré dans la désolation.
Non seulement les chemins parmi lesquels il fallait choisir étaient multiples, mais il y avait aussi en maints endroits des trous et des fosses, et aussi, le long du chemin, des puits sombres dans lesquels nos pas résonnaient au passage. Les murs et le sol étaient, sillonnés de fissures et de chiasmes, et de temps à autre une crevasse s'ouvrait juste sous nos pieds. La plus large avait plus de sept pieds et il fallut un bon moment à Pippin pour rassembler assez de courage pour sauter par-dessus l'affreux vide.
Un bruit d'eau bouillonnante montait du fond lointain, comme si quelque grande roue de moulin tournait dans les profondeurs.
- Une corde! Murmura Sam. Je savais bien qu'elle me manquerai, si je n'en emportais.
- Et bien nous nous en passerons. Lui avais je répondu d'un souffle.
Notre progression se faisait plus lente à mesure que ces dangers devenaient plus fréquents. II nous semblait avoir déjà cheminé interminablement jusqu'aux racines de la montagne.
Mes sens étant des plus aiguisés, avec ceux de Legolas, et j'avais une plus grande conscience des choses invisibles. Aussi au fur et à mesure, je sentais l'air devenir plus étouffant, et même peurs s'emplifièrent.
La Compagnie parlait peu, et seulement en murmures rapides. II n'y avait d'autres sons que ceux de nos propres pieds: le clopinement sourd des bottes de nain de Gimli, le pas lourd de Boromir, la marche légère de Legolas, les doux trottinements à peine discernables des pieds des Hobbits et, à mes côtés, le pas ferme et lent d'Aragorn aux longues enjambées.
Quand fut décidée une halte pour un moment, nous n'entendions rien, sinon parfois le léger dégouttement d'une eau invisible. Je commençais cependant à entendre ou à imaginer entendre quelque chose d'autre: quelque chose qui ressemblait au pas léger de doux pieds nus. Ce n'était jamais assez fort ou assez proche pour me donner la certitude de l'avoir entendu, mais une fois que ce son eut commencé, il ne cessa plus, même quand la Compagnie était en mouvement. Ce n'était pas un écho, toutefois, car, aux arrêts, le léger piétinement se poursuivait encore un peu tout seul avant de s'immobiliser. Je songeai à Gollum, cette créature rampante qui semblait toujours lié à l'Anneau. Peut-être le suivait il encore.
La nuit était tombée lors de notre entrée dans les Mines. Nous avions marché plusieurs heures, ne faisant que quelques brèves haltes, quand Gandalf rencontra sa première difficulté sérieuse. Devant lui se dressait une large et sombre arche donnant sur trois passages, tous menaient dans la même direction générale, vers l'est, mais celui de gauche plongeait, tandis que celui de droite montait et que celui du milieu paraissait continuer, uni et horizontal, mais très étroit.
- Je n'ai aucun souvenir de cet endroit! dit Gandalf, hésitant, debout sous l'arche.
Il leva son bâton dans l'espoir de trouver quelque marque ou inscription de nature à l'aider dans son choix, mais rien n'apparut:
- Je suis trop fatigué pour décider, dit-il, hochant la tête. Et je pense que vous l'êtes tous autant, ou davantage. Mieux vaut s'arrêter ici pour ce qui reste de la nuit. Vous savez ce que je veux dire! Ici, il fait toujours noir, mais au-dehors la lune gagne l'ouest et la minuit est passée.
- Pauvre vieux Bill! dit Sam. Je me demande où il est. J'espère que les loups ne l'ont pas encore eu.
Sur la gauche de la grande arche, les Hobbits trouvèrent une porte de pierre. Elle était à demi fermée, mais elle s'ouvrit facilement sous une légère poussée. Au-delà, il semblait y avoir une grande pièce taillée dans le roc.
- Tout doux! Tout doux! Cria Gandalf, comme Merry et Pippin s'avançaient, heureux de trouver un endroit où se reposer en se sentant du moins un peu plus à l'abri que dans le passage ouvert. Attendez! Vous ne savez pas encore ce qu'il y a dedans. Je vais y entrer le premier. Il pénétra avec précaution dans la salle, et les autres entrèrent un à un derrière lui.
- Tenez! Dit-il, montrant de son bâton le milieu du sol.
Ils virent à ses pieds un grand trou rond semblable à l'orifice d'un puits. Des chaînes brisées et rouillées gisaient au bord et traînaient dans la fosse noire. Il y avait à côté des fragments de pierre.
- L'un de vous aurait pu tomber dedans et se demander encore quand il toucherait le fond, dit Aragorn à Merry. Laissez le guide passer en tête, tant que vous en avez un.
- Ceci semble avoir été une salle de garde destinée à la surveillance des trois passages, dit Gimli. Ce trou était clairement un puits à l'usage des gardiens, avec un couvercle de pierre. Mais le couvercle a été brisé, et nous devons tous faire attention dans le noir.
Pippin sembla curieusement attiré par le puits. Tandis que les autres déroulaient leurs couvertures et se confectionnaient des lits contre les murs de la salle, aussi loin que possible du trou dans le sol, il se glissa jusqu'au bord et pencha la tête sur l'orifice. Le remarquant, je me précipitai pour l'empêcher d'agir bêtement mais je fit trop lente. Une impulsion soudaine lui fit saisir une pierre et la laisser tomber dans le vide.
Je sentis son cœur battre bien des fois avant qu'il n'y eût aucun son. Puis, de loin en dessous, comme si la pierre était tombée dans l'eau profonde de quelque endroit caverneux, vint un plouf, très distant, mais amplifié et répété dans le creux du puits.
- Qu'est ce que c'est? Cria Gandalf. Il fut soulagé quand Pippin avoua ce qu'il avait fait, mais il n'en était pas moins irrité, et Pippin vit ses yeux étinceler:
- Crétin de Touque ! gronda le magicien. Ce voyage est sérieux, ce n'est pas une promenade de Hobbit. Jetez vous dedans la prochaine fois, et ainsi vous ne gênerez plus personne. Et maintenant, restez tranquille!
On n'entendit plus rien pendant plusieurs minutes, mais bientôt vinrent des profondeurs des faibles coups: tom-tap, tap-tom. Ils s'arrêtèrent et, quand l'écho se fut éteint, ils se renouvelèrent: tap-tom, tom-tap, tap-tap, tom. Ils résonnaient de façon troublante comme des signaux de quelque sorte, mais, après un moment, les coups s'en allèrent en mourant, et on ne les entendit plus.
- C'était le bruit d'un marteau, ou je n'en ai jamais entendu, dit Gimli.
- Oui, dit Gandalf, et je n'aime pas cela. Il se peut que ce n'ait aucun rapport avec le stupide jet de pierre de Peregrïn, mais sans doute quelque chose a été dérangé, qu'il eût mieux valu laisser tranquille. De grâce, ne refaites jamais rien de ce genre! Espérons que nous pourrons nous reposer un peu sans autres ennuis. Vous pourrez prendre le premier tour de garde, Pippin, en récompense, gronda t'il, tout en s'enroulant dans une couverture.
Pippin s'assit misérablement près de la porte dans le noir de poix, mais il ne cessait de se retourner, dans la crainte que quelque chose d'inconnu ne se faufilât hors du puits.
- Laisse et va dormir, lui dis-je. Je prendrai ce tour-là.
Il obéit sans protester, penaud.
Au bout d'une heure, Gandalf, qui ne dormait pas, se leva et vint auprès de moi.
- N'aurais tu dont pas un autre éclair de lucidité qui puisse m'aider à décider ? Me demanda-t-il, visiblement tracassé.
Je secouait la tête en signe de dénégation.
- Non hélas...
Six heures silencieuses plus tard, il reprit enfin la parole, et réveilla les autres.
- Durant les quarts, j'ai pris ma décision, dit-il. Je n'aime pas l'idée de la voie du milieu, et je n'aime pas l'odeur de la voie de gauche, il y a une atmosphère viciée par-là, ou je ne suis pas un guide. Je prendrai la voie de droite. Il est temps de recommencer à grimper.
La marche se poursuivit dans le noir durant huit heures sans compter deux brèves haltes, et la Compagnie ne rencontra aucun danger, n'entendit rien et ne vit rien d'autre que la faible lueur du bâton du magicien, dansant comme un feu follet devant elle. Le passage choisi serpentait en montant régulièrement. Pour autant que je pouvais en juger, il décrivait de grandes courbes ascendantes et, en s'élevant, il se faisait plus haut et plus large. II n'y avait plus à droite ni à gauche d'ouvertures sur d'autres galeries ou tunnels, et le sol était ferme et uni, sans trou ni crevasse.
Nous étaions évidemment tombés sur une ancienne route importante, et nous progressions plus vite que la veille. Furent parcoures ainsi une quinzaine de milles, mesurés en ligne droite vers l'est, bien qu'ils dussent en avoir fait en vérité vingt ou davantage. Comme la route grimpait, le moral du groupe remonta un peu, mais je se sentait toujours oppressé, et j'entendais encore ou croyait entendre parfois, au loin derrière la Compagnie et au-delà de leur propre piétinement, un pas qui n'était pas un écho.
Nous avions marché autant que les Hobbits étaient capables de le supporter sans prendre de repos, et tous pensaient à un endroit où ils pourraient dormir, quand soudain les murs à droite et à gauche s'évanouirent...
___
Chapitre en avance, bien qu'un peu plus court ! (IsilErynLasgalen 😉🤫)
J'essaierai quand même d'en faire un mercredi !
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