Chapitre 5 :

Mon nom, « Shari », qui veut dire « Flèche », c'est M. Jamal qui me l'a donné, quand je suis arrivée ici. Je lui dois beaucoup de choses. La vie, probablement, mais aussi quelqu'un qui a suivi tout mon pénible apprentissage de la vie humaine d'un œil attentif. Comme je n'avais pas encore l'âge pour intégrer les premières années de Novices, il m'installa dans son aile personnelle à mon arrivée. Il me fit donner des cours particuliers auxquels je multipliais les fugues, il mangeait parfois avec moi ou me lisait des histoires le soir pour m'endormir. Ça ne marchait pas, naturellement, alors il me préparait un bol de lait chaud et je sombrais alors dans le sommeil. Il m'a dit des années plus tard qu'il voulait me donner le meilleur parce qu'il voyait en moi un futur élément prometteur s'il arrivait à me rendre moins farouche. Il se vante à chaque fois en disant qu'il avait raison de persévérer.

Et pourtant, il en a eu de la peine, à me rendre plus civilisé ! J'avais un mal fou à intégrer toutes les règles de politesse, de gentillesse, de générosité et de conduite qu'on voulait me faire rentrer dans le crâne. Tout ce qu'on me disait de faire était contraire à ce que je devais faire avant pour survivre. On essaya ensuite de m'apprendre à parler, ce qui ne fut pas chose facile. Habituée à feuler, cracher, gronder et grogner, ma langue n'arrivait pas à rouler et se tordre de manière à produire les sons humains, et je mis longtemps avant de prononcer mon premier mot : "Dégage!", bien que je préférais envoyer un regard noir.

On entreprit de me rendre plus propre et on me débarrassa de toute la saleté dans mes cheveux et sous mes ongles, on me les coupa et on me lava avec du savon et de l'eau en me frottant la peau jusqu'à ce que toute la crasse, la transpiration, l'herbe, le sang et la terre accumulée pendant des années soient complètement partis. On me fit prendre je ne sais combien bain de bouche, on me frotta les dents avec une brosse, on m'apprit à me moucher, à m'essuyer, à me brosser les cheveux.

Une fois la propreté réglée, on me fit apprendre à me tenir debout au lieu de marcher et courir à quatre pattes, puis à marcher et courir debout - la galère. Pour me faire passer ma peur des espaces clos et mon incapacité à rester immobile longtemps, on m'obligeait à rester plusieurs heures assise sur une chaise. On me faisait enfiler des habits serrés et rigides qui entravaient ma liberté de mouvement - je détestais ça plus que tout et on enferma mes pieds dans des chaussures. Mais ce n'était pas encore fini, je devais apprendre à compter et à écrire. Je ne savais pas doser correctement ma force ni comment positionner mes doigts, et plusieurs crayons cassés furent les victimes innocentes de mon pénible apprentissage.

Lorsque, enfin après toutes ces étapes, je fus en capacité d'être mêlée aux autres, je fus intégrée au groupe de première année de Novices où je rencontra pour la première fois Kaïcha et Laaja. Malgré tout ce que j'avais assimilé en un an, j'avais été arrachée à mon territoire et ma famille, j'étais déboussolée, méfiante, furieuse, triste, apeurée, seule. Une petite boule sauvage qu'il ne valait mieux pas approcher. Je ne voulais qu'une chose : rentrer chez moi, revoir ma mère, mes frères. Mais si j'avais à une époque hurlé la nuit l'espoir de retrouver ma famille, je me rendais compte alors de plus en plus que c'était naïf. Je n'avais aucune chance de retrouver l'endroit où je vivais, et retracer ma route à partir de cet endroit étranger était trop hasardeux.

J'ai fait mon deuil en silence. J'ai enterré mes frères et ma mère dans mon cœur en abandonnant l'espoir de les revoir jamais un jour. J'ai enterré mon territoire. J'ai laissé le passé derrière moi pour me concentrer sur le présent et survivre à l'entraînement. L'apprentissage martial était douloureux, épuisant et complexe. Je me suis tourné vers cela pour oublier, ne plus penser à la savane, uniquement me battre de mieux en mieux. A fond. Je ne vivais plus que pour ça. Le combat.

Je me fichais des autres. Je faisais tout toute seule en silence, je visais toujours le meilleur de ce que je pouvais faire, je ne me mêlais pas aux autres et je continuai mon chemin seule et j'étais très bien comme cela. Pourtant, deux personnes se sont rapprochées de moi au fil du temps sans même que je m'en rende compte. Je fronce les sourcils et me tourne vers Laaja et Kaïcha.

- Il devrait bientôt y avoir une journée d'entraînement de survie en savane pour les Novices, je vais me porter volontaire pour les surveiller, je dis en enfilant mes bottes. Je vais en profiter pour essayer de parler aux pilotes. Ils doivent bien sortir à un moment ou à un autre des hélicos. Je vais traîner un peu et voir ce que je peux glaner comme infos.

Laaja hausse un sourcil.

- Ce soir, il y a le gala qui marque le début des Tournois. Tu n'auras peut-être pas le temps de faire cette journée de surveillance avec tous les combats qu'on va attribuer à la Guéparde Dorée avec la saison des Tournois qui commence...

Je me mords la lèvre. J'avais totalement oublié le gala. Ce genre d'évènement est particulièrement populaire parce qu'il y a un banquet pour donner de la nourriture aux convives – ce qui ne nous empêche pas de devoir nous serrer la ceinture tous les jours. Merde, je me rappelle. J'ai dit à Aron qu'on allait s'entraîner ensemble ce soir...

Aron n'est pas un orphelin ordinaire qui s'est fait abandonné par ses parents par manque d'argent, ou parce qu'il n'était pas voulu, comme la plupart d'entre nous ici. Il est le seul survivant d'une chute dans une crevasse, et encore, survivant est un grand mot : on l'a retrouvé à demi-mort, amnésique. C'est moi qui l'ai ramené et de ce sauvetage est resté un lien très fort entre nous. Il ne reste de son passé qu'une petite plaque de métal suspendue à son collier où est marquée sa date de naissance et son nom.

Aron Rawbridge.

Je sais ce que ça fait que de devoir tout recommencer à zéro, s'adapter à un environnement totalement étranger. Alors c'est naturellement que je me suis porté volontaire pour être sa tutrice. À l'Atrium, comme les Majors sont les seuls à pouvoir gagner de l'argent parce qu'ils participent aux Tournois, on doit être tuteur d'un novice et on doit partager son gagne-pain avec lui, car les repas de l'Atrium ne suffisent pas à nous alimenter suffisamment.

Je suis très proche d'Aron, un peu trop même, dirait Kaïcha. Je sais que je vais devoir le quitter bientôt, quand je deviendrais majeur et que je devrais partir de l'Atrium, mais pour l'instant, je ne veux pas me projeter jusque-là. Je lui enverrai de l'argent quand j'aurai trouvé un travail ou je me débrouillerai comme je le pourrai, mais je trouverai un moyen de lui faire passer de quoi se nourrir.

- Je trouverais un moyen de me libérer, j'affirme en me levant.

- Oh, ajoute soudain Laaja d'un air innocent, et aussi la commande d'arbalète et de rapières de l'Atrium est arrivée chez les frères Kevlans, il faut que tu ailles les récupérer, ordre de M. Jamal. Il va y en avoir besoin pour la saison des Tournois qui commence.

Je grogne. Je savais bien que leur visite était intéressée !

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Coucou, j'espère que la suite vous plait ! n'hésitez pas à me dire en commentaire si il y a des choses que vous aimez bien ou qui au contraire vous titille quand vous lisez, ça me permet d'améliorer le texte (et c'est pas facile à faire toute seule !)

Je réintègre petit à petit de l'action dans l'histoire, alors n'hésitez pas à me dire si vous en voulez plus, ou au contraire, un peu moins.

Rendez-vous au prochain chapitre, je vous y réserve quelques surprises ! ;)

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