Chapitre 47 :

Vers midi, on est arrivé aux sommets. Nos respirations rauques accompagnent le sifflement constant et pénible du vent. L'air est glacial et sec. On fait une rapide pause pour manger et on repart. En début d'après-midi, les premiers flocons tombent, bouchant notre visibilité et rendant la tache plus ardue pour ne pas perdre notre chaleur corporelle. On resserre nos capes et on est forcés de ralentir et d'avancer avec deux fois plus de prudence pour ne pas perdre de vue les montagnes ou tomber dans une crevasse.

Quand Kyle nous annonce enfin que nous sommes arrivés dans le secteur à chercher, nous avons de la neige jusqu'à mi-botte. On se sépare en deux groupes en silence pour économiser nos souffles et on part chacun d'un côté. Kaïcha, Ash et moi partons à gauche tandis que Laaja, Randy et Kyle se dirigent à droite.

- Faites attention aux crevasses, je lance, ma respiration formant un panache banc qui s'envole dans l'air. (Je tourne mes yeux vers Kaïcha.) Kaïcha ?

Elle comprend et hoche la tête.

- Je m'en occupe, elle acquiesce en passant devant.

Elle dégaine son katana, qu'elle enfonce jusqu'à la garde dans la neige devant elle pour tester le terrain, et on avance derrière elle. C'est ce qu'on fait quand on doit secourir quelqu'un en montagne l'hiver pour éviter les crevasses et autres mauvaises surprises.

Les yeux plissés par le vent et la neige, on scrute les montagnes, formes grises à travers les flocons de neige, à la recherche du col où pourraient se trouver un chemin abandonné. Le vent nous colle de la neige sur le visage qui fond rapidement au contact de notre peau brûlante par l'effort. Mes mains et mes joues ressentent de moins en moins de sensation. Malgré ma capuche, mes cheveux ne tardent pas à être trempés eux aussi, et je dois resserrer ma cape le plus possible pour protéger mon visage des engelures. La tempête forcit, nous forçant à nous courber davantage, nous poussant à nous mettre les uns derrière les autres pour réduire au maximum notre résistance du vent.

Autour de nous, tout semble si uniforme, si blanc, si feutré, si irréel. On pourrait croire à un univers magique. Mais sous cette apparence, des crevasses profondes, des fleuves gelés au courant très fort, et des plaques de glaces glissantes cachés sous des centimètres de neige. Je me force à rester éveillée malgré la fatigue occasionnée par le vent et le froid. J'aurais aimé avoir ces objets à deux tubes qu'ils vendent parfois dans les magasins et qui servent à voir très loin en "zoomant" pour percer l'épaisseur du voile de la neige qui tombe. J'accélère pour faire circuler plus vite le sang dans mes veines et me réchauffer. Je serre les dents pour qu'elles ne claquent pas et balaye du regard les environs. Le paysage, façonné de mille nuances de blanc, de bleu et même de vert très clair, recèle d'une beauté aussi fascinante que dangereuse. Il y a un caractère majestueux et imposant dans ces montagnes si hautes et si puissantes. Notre vie paraît si fragile et éphémère par rapport à ce qu'elles vivent depuis des milliers d'années.

Je me demande combien de temps encore nous allons devoir continuer à chercher presque aveuglément quand je me fige brusquement, à deux pas du vide. Ash et Kaïcha pilent net à mes côtés.

- C'est... je commence.

À deux pas de nous, le sol disparaît purement et simplement dans un profond ravin de plusieurs mètres. Quatre ou cinq, peut-être, mais on ne voit pas le fond, car il est encombré de grosses roches entassées les unes sur les autres, semblables à des ossements de pierres.

- Le passage, termine Kaïcha. Ou plutôt ce qu'il en reste.

Le Lion se penche et hausse un sourcil.

- Plutôt ce qu'il en reste.

Je plisse les yeux. Mon regard passe du ravin au bord opposé qui monte en une colline douce. Il y a quelque chose d'anormal. Ash fronce les sourcils. Il s'accroupit en fixant le fond, et exprime tout haut ce qui me dérange.

- Pourquoi il y a des pierres dedans ?

Les rochers sont montés les uns sur les autres de manière désordonnée et de tailles différentes, comme s'ils étaient tombés dans le ravin. Des pierres de cette taille ne viennent pas des sommets à côté. Ils viennent de plus bas dans la montagne. Alors comment se sont-ils retrouvés ici ? Je vois dans les yeux de Kaïcha la même question que dans les miens. On change un regard. Mon estomac se tords. Qui a placé des rochers en haut de la colline d'en face ? Cet éboulement n'est pas naturel, ils n'ont pas pu se retrouver là par hasard. On les a placés là dans un but précis. Quelqu'un a voulu provoquer un éboulement et boucher ce chemin. Je suis la ravine des yeux et plisse les yeux.

- Tiens, le passage n'est pas complètement bouché, remarque Kaïcha en exprimant à haute voix ce que je vois sous mes yeux. Là-bas, il n'y a plus de pierres dans le chemin.

Nous longeons précautionneusement le ravin vers la gauche. Les roches s'étendent sur une vingtaine de mètres, puis s'arrêtent. Le périmètre de l'éboulement est trop précis pour que ce soit du hasard. C'est sûr, des gens ont provoqué volontairement cet éboulement dans un but précis. Je me mordille la lèvre.

- Pourquoi on voudrait boucher ce chemin ? Je souffle.

On se regarde tous, mais personne ne répond. C'est juste incompréhensible. C'est ce qui permettait de faire le lien entre notre ville et l'extérieur ! Personne n'aurait eu intérêt à le détruire... si ?

Je me penche au-dessus du ravin pour y jeter un coup d'œil. Le vent s'y engouffre par rafales, soulevant le tapis de neige au fond et révélant des pointes de glaces étincelant d'une lueur lugubre. Les parois semblent abruptes et sans beaucoup de prises. De la terre gelée sort çà et là des racines rachitiques. Aucun moyen de descendre sans tomber et s'embrocher sur la glace en bas. Je recule. Ça donne pas envie.

Le chemin s'engouffre ensuite dans le col qui doit être les « Roches Blanches » et le creuse en son milieu, mais deux plates-bandes de terre des deux côtés permettent encore à des hommes à pied de passer, si on n'a pas peur de tomber dans le ravin. Je m'approche. Un malaise se diffuse lentement dans ma poitrine. L'air sent étrange par là, comme si quelque chose de sombre et palpable polluait l'air. Nerveuse, je recule. Mon cœur bat plus fort. Quelque chose dans l'air me hurle de partir. Je jette un coup d'œil anxieux à Kaïcha, mais elle ne semble rien sentir. En revanche, Ash parait aussi anxieux que moi. On doit partir.

Maintenant.

- Kaïcha, on doit y aller... je souffle, ma voix très basse.

Le poids m'oppresse de plus en plus la poitrine. Il y a un truc qui ne va pas. Kaïcha se retourne vers moi.

- On vient juste de le trouver, on ne va pas repartir m...

Elle s'arrête en voyant nos expressions. Elle se mordille la lèvre, puis soupire :

- D'accord, j'imagine que vous avez un meilleur instinct que moi.

Ash siffle d'un coup bref et puissant pour informer les autres de notre découverte et on fait aussitôt demi-tour. C'est à ce moment-là qu'on l'entend : un craquement sonore au-dessus de nos têtes. Mon sang se glace. On lève brusquement les yeux. Une large balafre se creuse lentement dans la neige plusieurs centaines de mètres au-dessus de nous. Tout semble se figer. Le ciel s'assombrit.

Un long grincement.

Plus personne n'ose respirer.

Jusqu'à ce que la première plaque de neige cède. Puis une autre et encore une autre. Bientôt, c'est toute la neige du sommet qui se détache et commence dévaler la pente de plus en plus vite, de plus en plus fort, droit sur nous, s'éclatant au sol avec un bruit d'enfer. On se retourne d'un bloc et on court. Des pierres se détachent avec la neige et s'écrasent autour de nous. J'en esquive une de justesse d'un bond sur le côté. On me tire soudain en arrière, et une roche de la taille de ma tête s'enfonce brusquement à l'endroit où je me tenais juste avant.

Le souffle court, je me retourne. Ash me tire.

- Ca v... ?

Sa tête est violemment projetée en arrière par une pierre.

Ma respiration se bloque dans ma poitrine.

Son corps bascule dans le ravin, une arabesque de sang à sa suite.



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Hé, hé ^^' ne me tuez pas, d'accord ? Je sais, je sais, c'est vraiment vache de ma part cette fin mais dites-vous que c'est pour mieux repartir ! Le prochain chapitre est le dernier de ce tome I, ça peut sembler un peu abrupt mais ne vous inquiétez pas, tout est calculé (si, si !)

À dimanche, pour le dernier chapitre de "Double-âme I : La Guéparde Dorée" ^^ !

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