Chapitre 4 :

La brûlure s'accentue quand l'infirmier passe la compresse alcoolisée dessus. Mes muscles se crispent et je me redresse, mais je me force à ne pas retirer mon épaule.

Assise sur un des lits de l'infirmerie, j'attends que le médecin donne son verdict. Mon épaule me lance, cependant ce n'est rien de comparable au mélange de chair et de sang que j'ai dû nettoyer avec les moyens du bord il y a quelques jours, en sortant de l'Arène. L'infirmerie était surbookée, comme souvent. J'ai fini par me soigner moi-même dans ma chambre. La blessure semble en bonne voie de guérison, néanmoins, et j'ai bon espoir que après l'avoir ménagé et nettoyé quotidiennement, elle puisse reprendre enfin le boulot. Il le faut, car j'ai d'autres combat cette semaine et les primes ne vont pas tomber du ciel toutes seules.

Après avoir nettoyé la plaie, appliqué de la crème et remis un bandage serré autour de mon épaule, le médecin hoche la tête.

- Tu peux repartir, mais nettoie bien ta blessure chaque soir et ne force pas si tu sens une gêne. Enfin, tu sais ce que tu dois faire.

Je hoche la tête et ils repartent, pressé par le flux constant de nouveaux arrivants. Autant à cause des blessures qu'à cause des malaises par manque de nourriture, même si personne ne le dit tout haut. Pas parce que cela serait censuré, on peut bien dire tout ce qu'on veut entre ces murs du moment qu'on se retient de crier de douleur en arrivant (à cinquante dans l'infirmerie, il y a intérêt à savoir maîtriser ses cordes vocales si on ne veut pas être injurié par ses voisins), mais plutôt parce que ça ne remplira pas le ventre de le dire. Je me penche pour prendre mes affaires.

Une arrivée d'air sur ma droite.

Je roule sur le flanc, attrape mes dagues et me redresse.

Deux silhouettes se détachent de l'ombre. Je plisse les yeux.

- Montrez vos armes.

Les inconnues éclatent de rire et tout à coup, les étrangères ne sont plus des étrangères, ce sont Laaja et Kaïcha. Elles avancent à la lumière avec un sourire moqueur et je rengaine mes dagues.

- J'étais sûr que tu avais encore tes dagues avec toi, lance Laaja en faisant tourner ses couteaux-papillons dans sa main, une habitude tellement ancrée en elle qu'elle le fait aussi en dormant. Tu n'obéis jamais aux ordres des médecins.

Avec ses longs cheveux blonds, ses yeux gris-vert et ses traits mutins, Laaja garde quelque chose d'enfantin et de malicieux dans son visage malgré ses dix-sept ans qui cache une combattante aussi douée à lancer toutes armes de jet imaginables que d'exécuter des sauts périlleux face à n'importe quel adversaire. Elle a un éclat de folie insensé dans sa tête depuis son enfance et j'ai toujours pensé qu'elle mourrait en l'ayant encore.

- Seulement quand ils sont utiles, je rétorque en enfilant mon tee-shirt. (Je ne suis pas censé avoir des armes à l'infirmerie, mais les habitudes ont la peau dure. J'ai du mal à m'en passer et je les aient tout le temps sur moi.) Vous êtes rentré de mission plus tôt que prévu, je remarque. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Il y a eu un problème au niveau des hélicoptères, explicite Kaïcha en s'approchant. Un genre de problème « invisible »...

Je hausse un sourcil. Un échange un regard. Les problèmes « invisibles » sont ce genre de problèmes sur lesquels on ne veut nous donner aucune information. Le genre de problème sur lequel on se pose des questions, particulièrement quand ils ont un lien avec les hélicoptères...

L'Atrium possède les seuls moyens de transports aérien de la ville : trois hélicoptères dont les fenêtres sont voilées en permanence pour n'importe quel trajet. Ils sont utilisés pour deux choses distincts : les sauvetages en montagne, effectués uniquement par les Rafales de l'Atrium ou pour transporter les jeunes recrues au-delà des montagnes pour les entraîner à la survie en milieu hostile.

Mais M. Jamal exerce un contrôle total dessus et il n'autorise personne d'autre à les prendre. Il n'a jamais répondu à ceux qui l'ont interrogé sur les hélicoptères. D'où ils viennent, comment ont-ils été fabriqués, comment peuvent-ils voler ? Ils sont entourés de tellement de mystère qu'ils représentent la source de ragots la plus importante de Braçalia. Personne ne sait rien de ces machines, sauf le directeur lui-même. Si les habitants se penchaient plus sur la question, alors ils commenceraient à voir certaines choses. Mais tant que M. Jamal les distrait et assure leur sécurité grâce aux sauvetages en montagne, ils font les aveugles.

Pas moi. Je suis peut-être née sans griffes, mais pas sans yeux.

Il y a une raison pour laquelle M. Jamal veut que personne ne touche à ses hélicoptères. Et il a beau être une sorte de parent pour moi, cela veut aussi dire que je le connais très bien. Et il ne fait jamais rien au hasard, chacun de ses actes, chacune de ses décisions est méticuleusement réfléchie et planifiée pour un but précis. Il ne garde pas ces hélicos pour lui par jalousie ou je ne sais quoi, il a un plan. Un plan qui implique de ne laisser savoir à personne ce qu'il y a au-delà de notre ville à part des montagnes.

La ville est située dans une grande chaîne de montagnes qui s'étend sur des centaines et des centaines de kilomètres. C'est suffisant pour que cela décourage tout personne de tenter de la traverser ou de voir ce qu'il y a au-delà et les seuls fous qui s'y aventurent n'en sont jamais revenus. La sécheresse, le vent, le froid, les glaces, le manque d'eau et de végétation empêche toute forme d'être vivant de se développer. Seules quelques espèces particulièrement adaptées aux milieux extrêmes y survivent. L'être humain n'en fait pas partie.

La seule chose que nous pouvons voir de l'extérieur est la savane dans laquelle les Novices sont envoyés pour s'entraîner à la survie en milieu aride. Comme je viens moi-même de là, il semblerait que le reste du monde est conquis par cette savane déserte de tout humain. Mais dans ce cas-là, s'il n'y avait que des montagnes et des savanes sur tout le reste de la Terre, M. Jamal ne couvrirait pas les fenêtres des hélicoptères d'un voile opaque.

Il y a quelque chose en dehors de notre ville. Quelque chose d'important. Et je veux savoir quoi. je grince des dents. 

- J'ai essayé de faire un trou dans le voile qu'ils mettent sur les fenêtres, mais c'était trop petit, soupire Laaja d'un air frustré. Je ne voyais rien d'autres que le ciel, mais un trou plus gros aurait été trop voyant.

Le volet abaissé sur les fenêtres est soi-disant pour ne pas nous aveugler avec la clarté des nuages. Bien sûr, les pilotes n'en ont pas, eux. Laaja a essayé de faire un trou pour regarder ce qu'on veut nous cacher, mais les entraîneurs montant avec nous dans les hélicoptères, on ne peut pas en faire de trop gros sinon ils s'en rendraient compte. Je me mords la lèvre.

- Et les pilotes ?

Ils arrivent dans les hélicoptères avant nous, et sortent une fois que tout le monde a débarqué. Personne ne les voit ou ne leur parle. Je ne suis même pas sûr que nous pourrions, si nous avions une urgence. Peut-être que si nous pouvions leur parler... Kaïcha secoue la tête. Ses cheveux noirs et bouclés ont des reflets violets dans la pénombre qui s'accordent avec ses yeux sombres. Pas aussi long que ceux de Laaja, ils sont souvent lâchés libre sur ses épaules, parce qu'elle trouve que les attacher lui fait perdre du temps. Totalement sa mentalité. Efficace. Pratique. Rapide.

- Seulement les entendre à travers nos casques, comme d'habitude, elle peste en serrant les dents.

Terre-à-terre et d'une intelligence implacable, elle résout d'habitude les secrets par son simple sens de la logique très développé, or celui-ci lui résiste obstinément.

On se connaît de notre arrivée à l'Atrium, mais je n'aurais jamais parié qu'on soit amis. Kaïcha est implacable et pragmatique, Laaja est tête brûlée et détachée de tout, et moi je n'ai pas la réputation d'être tout sucre tout miel. En vérité, nous sommes devenus amis parce que c'étaient les seules à ne pas être effrayé par moi, et pourtant, je n'ai fait aucun effort dans leur sens.

Avec la couleur de mes yeux et mon sale caractère, les autres m'évitaient comme la peste et je préférais ça. Je faisais en sorte de faire déguerpir tous ceux qui s'approchaient trop, je me méfiais d'eux et de ce nouvel endroit. J'avais envoyé deux de mes camarades de classe s'approchaient trop de moi à l'infirmerie le premier jour et j'en aurais envoyé un troisième si on ne m'avait pas cloîtré dans une chambre.


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