Chapitre 33 :
Estomaquée par la virulence d'Ash, je reste pantoise alors qu'il disparaît dans une pièce communiquant à côté. Qu'est-ce que c'était que ce changement d'humeur si brusque ? Je me ressaisis et profite de son absence pour observer la pièce et essayer de glaner des indices sur son travail. Sur ce qu'il ne veut obstinément pas me dire.
De taille moyenne, sa chambre semble assez vide, ce qui est souligné par le fait qu'elle est plutôt bien rangée. Le lit est poussé contre un mur et côtoie un petit bureau où s'attardent quelques craies, crayons, feuilles et une gomme, témoin de sa passion pour le dessin. À part une armoire entrouverte contenant des livres, des vêtements et quelques armes, il n'y a pas d'autres meubles dans la chambre. J'imagine qu'il a dû vendre tous ceux en assez bon état pour trouver acheteur, à l'époque.
Au moment où j'allais ouvrir les tiroirs du bureau, le Lion ressort de la pièce habillé d'un pantalon en cuir noir, de bottes hautes et d'une longue veste noire à capuche. Des mitaines couvrent ses mains et je devine l'éclat de deux fourreaux attachés à ses cuisses dans lesquels il semble avoir glissé deux longs poignards. Il ne rigolait pas quand il disait qu'il avait un mauvais pressentiment... les cicatrices sur son cou et ses mains paraissent tout à fait à leur place à ce moment-là.
Je fronce les sourcils, dérangée par l'aisance avec laquelle il porte cette tenue quasiment militaire. Ce n'est clairement pas la première fois qu'il la met. La lumière qui éclabousse la pièce crée un contraste marquant entre sa tenue sombre, ses mèches blondes et l'ambré caramel de son regard. Son coup de colère de tout à l'heure s'est effacé de son visage, mais ses traits restent fermés.
- Quoi ? Il gronde alors que je le fixe en silence.
Quelque chose de sournois et acide glisse dans mon intestin. Je plisse les yeux, furieuse.
- « Quoi ? » (Je me rapproche) « Quoi ? » T'as la mémoire si courte que ça ? J'explose.
Il serre les mâchoires et détourne la tête. Il ferme les yeux. Ses yeux se rouvrent et un éclat dangereux luit aussi rapidement qu'un mouvement vif de serpent dans ses pupilles avant de disparaître.
- Je n'ai pas réfléchis, je te dois des excuses. Mais tu dois comprendre qu'il y a des choses qu'il ne faut pas que tu franchisses, Shari. (Le muscle de sa mâchoire se contracte) Vraiment.
Je secoue la tête. Je déteste ça. Ça me donne l'impression que je ne peux pas lui faire confiance. Que toute la progression qu'on a faite depuis le début est remis en question. Un liquide froid coule le long de ma colonne vertébrale.
- Pourquoi ?
Le regard qu'il me renvoie est indéchiffrable. Je serre les poings, mais je sais devant son air qu'il ne me dira rien de plus. Tous ces secrets. Tous ces silences, ces tensions. Quand va-t-il y mettre fin ? J'ai envie de lui faire cracher ce qu'il me cache depuis le début ! J'ai l'impression qu'il vient de couper un lien, ténu, certes, mais qui me rattachait de plus en plus à lui. Un lien de confiance. Je secoue la tête et me détourne.
- Incroyable... je grogne.
Il n'esquisse pas un geste vers moi, mais je sens l'air s'épaissir.
- Ah non, t'as pas intérêt à m'étouffer encore comme à l'infirmerie ! Comment tu fais ça, d'ailleurs ? C'est un truc de Lion ?
Depuis qu'il a pété un câble et faillis tous nous étouffer au passage, ça me tourne en boucle dans la tête. Peut-il vraiment contrôler l'air ? Ou est-ce que c'est juste dans une pièce en particulier, à un moment particulier ? Je n'ai jamais rien vu de tel. C'est effroyablement puissant. Il croise les bras, les yeux mi-clos. Il prend une longue inspiration et lentement, je sens l'air redevenir aussi fluide qu'avant. Il soupire et s'appuie contre le mur.
- Ça t'as perturbé... je ne maîtrise pas vraiment l'air, mais mon énergie vitale. Je la matérialise à l'intérieur de moi et je la projette en dehors de mon corps, comme si j'avais un troisième bras ou un deuxième... hum... oublie.
Je ferme les yeux et oublie très fort.
- Mais comment tu fais pour l'extérioriser ? Et la manipuler ? J'insiste en me retournant vers lui. Je veux dire, tu peux lui donner n'importe quelle forme ? Et elle t'obéis ? La dernière fois, on aurait dit que tu avais rempli l'espace avec...
... au point de nous étouffer. Il se passe une main dans les cheveux, les yeux mi-clos fixés sur le vide,
- C'est plutôt comme-ci j'avais une réserve en moi, et que je drainais de l'énergie à l'intérieur à chaque fois que je voulais l'utiliser. Il me suffit de la visualiser sortir de mon corps et elle est dehors. Ensuite, je la dirige.
- Juste comme ça ?
Il me considère pensivement en silence les yeux mi-clos, la tête penchée sur le côté, les lèvres entrouvertes.
- Il faut de l'entraînement, bien sûr. Beaucoup d'entraînement. Quand j'étais petit, ça échappait toujours à mon contrôle. Elle me contrôlait plus que l'inverse, dès que j'avais une émotion forte, ça sortait. Depuis dix ans que je m'entraîne, j'ai réussi à la brider, à en faire ce que je décide, mais c'est encore difficile de la contrôler entièrement quand je l'utilise. L'autre fois, elle a échappé à mon contrôle. Et même quand je l'utilise, des filaments d'énergie échappent à mon contrôle et se mêlent à l'air ambiant, ce qui peut l'alourdir et rendre la respiration plus difficile.
Je grince des dents en me remémorant l'impression horrible de l'air qui s'épaissit tellement qu'elle écrase ma gorge. Je frissonne. Ses sourcils se froncent et son regard s'assombrit, ses yeux tournés sur le côté. Je penche la tête sur le côté en le fixant.
- Tu es le seul, au Refuge ? Qui peut contrôler son énergie, je veux dire.
Que je sache si je dois dégager si l'un d'eux perd le contrôle... il acquiesce.
- Ça doit être une capacité propre à la Lignée Lion, comme toi avec ta vitesse.
Ouais, ben moi ma vitesse, elle n'étouffe pas des gens. Depuis tout petite, j'ai exploré et parfois brûlé les limites de ma vitesse. Il a dit qu'il s'entraînait depuis dix ans, lui aussi a dû progresser. Apprendre à faire des nouvelles choses, connaître ses limites... s'il peut alourdir l'air ambiant, il doit pouvoir faire d'autres choses. Je vois à son regard qu'il sait quelle question je vais poser.
- Tu arrives à faire quoi d'autres avec ?
Paupières et tête baissés, il esquisse un léger sourire.
- Toi, tu veux une démonstration...
Mon regard est soudain attiré par un livre à la couverture sombre qui bouge légèrement sur son bureau et se soulève petit à petit dans l'air, suivit par les trois autres de la pile. Il doit les soulever grâce à la chape d'énergie. Je ressens bientôt cet épaississement de l'air dont il parlait, les filaments rebelles. Je me force à ne pas m'inquiéter et respire plus profondément.
Je lui jette un coup d'œil. Il a le regard intense, les mains crispées et le corps tendu. Il semble calme à la surface, néanmoins une goutte de sueur perle de son front et dévale sa tempe. Lorsque les livres atteignent le plafond et qu'ils s'y déplacent en cercle, un infime mouvement de ses muscles m'alerte.
Je suis sur lui en moins d'une seconde et le retiens de tomber. Je passe un bras sous son aisselle pour le supporter et l'allonge sur le lit. Il a le cœur qui bat fort et la peau fraîche, trop fraîche par rapport à sa température habituelle. Je grimpe à côté de lui.
- Ash ? Ash ?
J'ai peur de lui avoir demandé d'aller trop loin, d'avoir brisé une limite et qu'il soit inconscient. Je lui assène une gifle et il rouvre d'un coup les yeux. Il reprend une brusque respiration et ses yeux tombent sur moi. Il me fixe comme s'il me voyait pour la première fois à travers ses paupières mi-closent, des mèches humides collées pèle-mêle à son front et ses yeux. Son regard ne dévie pas du mien. Ses lèvres s'entrouvrent...
- Je préfère le baiser à la gifle, tu sais ?
Je me fige et lève la main aussi sec, mais il m'attrape brusquement le poignet avec un petit sourire.
- Non. Une ça passe, deux, je prends ça pour du harcèlement.
Sa peau a toujours été étrangement plus chaude que celle des autres, mais ses doigts entourant mon poignet, cela me paraît encore plus flagrant maintenant. Leur chaleur réchauffe ma peau, signe qu'il a repris du poil de la bête. Est-ce que ça aurait un rapport avec son énergie ? Il m'a parlé d'elle comme d'une énergie qu'il puisait en lui... cela serait-il possible que son foyer d'énergie soit comme une forge en lui qui augmente sa température corporelle ? Je sens l'air devenir de plus en plus lourd, tendu. Ma main abaisse lentement la sienne. Ses pupilles me transpercent. Son visage se penche sur le côté.
- Est-ce que tu me... harcèlerais ? Il souffle.
Je me dégage brusquement et me recule.
- Arrête de plaisanter !
J'ai paniqué quand il est tombé. Totalement perdu mon sang-froid. Je n'ai pas l'habitude de perdre mon sang-froid. Je l'ai senti, comme une chute d'eau qui me tombait dessus et m'enfonçait dans l'eau glaciale. Je haïs ça. Je le haïs.
- Qu'est-ce que tu pensais ? Je m'exclame. Si tu savais que tu n'en avais pas la force, pourquoi l'avoir fait ?
Ash roule sur le lit et se redresse souplement près de moi. Ses yeux coulent sur moi. J'entends ce qu'il me dit comme en écho :
- Shari... pourquoi es-tu si énervée ?
Son détachement m'agace encore plus. Je garde le silence, les lèvres serrées. Son profil fier, altier et gracieux se découpe clairement sous la lumière du jour, le faisant plus que jamais ressembler au lion surveillant son territoire. Une mèche noire retombe sur son front et vient effleurer ses yeux, lui donnant une lueur ambrée par-dessous. Il la repousse d'un geste et je me fais la réflexion que là où Takela se sert de cette même beauté éthérée comme d'un bouclier pour mettre de la distance avec les autres, Ash la laisse rayonner d'un air désintéressé comme s'il ne se souciait pas de l'effet que cela fait sur les gens. En ce moment, elle est dirigée vers moi.
- La vie n'est pas à prendre la légère, Ash. C'est précieux, je grogne. Tu ne devrais pas être si désinvolte avec ton propre état.
Il fait la moue.
- Je ne pensais pas que mon corps était autant fatigué. Libérer puis contrôler mon énergie me demande pas mal de... eh bien d'énergie. C'est comme si j'avais une batterie intérieure et qu'à chaque fois que je libère de l'énergie, elle baisse. Elle met longtemps à se re-remplir et si j'en puise trop ou si je le fais trop souvent, elle n'a pas le temps de se recharger. Je me suis beaucoup entraîné ce matin, je ne m'étais pas rendu compte à quel point j'étais vidé.
Je réfléchis. Ma théorie de forge tient la route, mais si c'est une sorte de forge, ou de batterie... alors elle peut se vider totalement. À quel stade est sa batterie, actuellement ? Je le dévisage. Et surtout...
- Qu'est-ce qu'il se passe si tu puises toute l'énergie de ta batterie ?
Il ne cille pas, mais je sens un subtil changement dans son expression. Ses cils battent souplement dans l'air et il détourne le regard. Un petit sourire relève le coin de ses lèvres.
- Tu as beaucoup de questions.
Je le fixe.
- Tu n'as pas beaucoup de réponses.
Ses paupières s'abaissent légèrement et il s'appuie contre le dossier de son lit en m'observant tranquillement.
- Tu ne le devines pas ?
Sa voix me tire de mes pensées. Je le fixe.
- Tu meurs.
Il s'étire sur le lit comme un lion alanguit.
- Jackpot !
Je ferme les yeux, soudain fatiguée. Trop d'infos d'un coup.
- Overdose ? Devine-t-il.
Je me redresse et rouvre les yeux. S'il croit m'avoir comme ça !
- Pas du tout ! Et comment ça se fait que tu es en forme maintenant alors qu'il y a deux minutes, tu allais t'écrouler ?
Il se relève souplement.
- Si tu veux mon avis, je suis pas dans le top de ma forme, là. Bon, il va falloir qu'on y aille.
Je fronce les sourcils.
- Pourquoi tu fais comme si tu t'en foutais ? Depuis que je t'ai rencontré, tu ne fais que ça. Tu es nonchalant avec tout le monde et toi-même. Pourquoi ?
Je ne comprends pas comment il peut accorder si peu d'importance au danger. ll est le premier à avoir enduré la perte de proches, il sait que la vie est importante, qu'il ne faut pas la gâcher et pourtant, tout ce qu'il trouve à faire c'est jouer avec elle comme un si c'était un putain de jeu ! Son regard glisse sur moi d'une manière indéchiffrable.
- C'est faux, rétorque-t-il. Je m'en fous pas. J'ai des raisons de pas m'en foutre.
Là, il se fout de moi. Je me lève et me plante devant lui, les bras croisés. Il se tends.
- Ah oui ? Je serais intéressée de les entendre !
Ses mâchoires se serrent et il m'observe entre ses cils sans rien dire, l'air à la fois irrité et durcit. Ses prunelles sont dilatées, comme s'il luttait contre quelque chose. Ses yeux passent de ma pupille droite à ma pupille gauche comme s'il ne savait pas sur laquelle concentrer son attention. Il baisse la tête d'un air moqueur et tourne les talons.
- On y va, on a déjà perdu assez de temps comme ça, il lance sèchement.
Il commence à m'agacer le coco ! Je déteste les questions sans réponses et là, il commence à y en avoir un peu trop sur lui à mon goût. Je le rattrape en deux pas dans le couloir en le fusillant du regard. Il va voir comment la gamine peut être butée !
- Tu vas me répondre oui !
Il détourne la tête d'un air agacé, mais ne s'arrête pas. Je lui attrape le bras et il se fige. La chaleur de sa peau me brûle, soudain. Qu'est-ce que... Son regard se tourne lentement sur moi, embrasé d'une lueur farouche, dangereuse, prédatrice. J'ai le réflexe de reculer d'un pas.
- Ne me touche pas... comme ça.
Le ton de sa voix vibre dans mes oreilles. Mon sang se pétrifie dans mes veines, pourtant mon cœur martèle fort dans ma tête.
- Ash...
Sans me lâcher du regard, il se tourne vers moi avec la lenteur dangereuse d'un prédateur hypnotisant sa proie jusqu'à ce que son visage soit à quelques centimètres du mien.
- Tu veux vraiment savoir pourquoi je ne m'en fous pas de ma vie ? Il chuchote avec une menace palpable dans la voix, ses yeux ambrés sombres verrouillés dans les miens.
Leur intensité me prend par surprise. Je sens la proximité du danger dedans. Mon souffle s'accélère. Il me fixe d'un air indéfinissable, se recule et se retourne.
- C'est bien ce que je pensais. (Sa voix claque) Pose des questions seulement si tu es prête à entendre leur réponse.
Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il vient de se passer. Je lui attrape le poignet, mais il se retourne brusquement et m'embrasse.
J'ouvre de grands yeux. Un choc électrique grise mon corps tout entier. Mon corps se colle contre le sien, comme aspirée par son souffle. Son torse se contracte contre moi alors que ses bras m'aimantent contre lui. Ses lèvres provoquent une tornade dans ma poitrine, arrachant tout sur son passage pour laisser place à un sentiment d'urgence intense. Leur contact est doux comme l'ombre et pourtant piquant comme de l'acide.
Mes doigts s'enfoncent dans sa peau. Je passe une main sur sa nuque et m'empare de ses lèvres. Nos souffles se mêlent, rauques et rapides. Ses iris ambrés ardents sont comme des pierres en fusions qui font rougir mes joues. Mon souffle s'accélère.
Qu'est-ce que je fous ? Qu'est-ce que je fous ?
Soudain, il s'arrache à moi.
Il me fixe, la respiration erratique, les yeux grands ouverts, brillants, perdus, affamés. J'essaye de reprendre ma respiration, mon corps grisé comme si j'avais bus. L'atmosphère est saturée d'électricité entre nous. Ma voix est coupée. J'essaye de comprendre ce qu'il se passe en vain. J'ai les mains qui tremblent, geste qui m'est étranger.
Ses lèvres se serrent et son visage se ferme. Il se recule et disparait.
- Excuse-moi. Je n'aurais pas dû. Je n'aurais pas dû.
Un grondement bas et carnassier monte dans ma gorge, furieuse.
- Sale chacal ! Viens là !
Au bout du couloir, la tête de Kyle apparaît.
- Bon, vous venez ?
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Hi ! N'hésitez pas à voter et commenter ! ^^
Hé, hé, alors qui commence ? Eh oui, enfin le baiser comme on dit ! Non, je fais pas bureau de réclamation, par contre je veux bien entendre vos hypothèses sur la façon dont Ash a réagit en premier et en deuxième lieu au toucher de Shari...
Allez, à dimanche pour la suite ! Oui je sais, ça va être long d'attendre jusque là avec cette fin si horrible mais bon... vous commencez à me connaitre, non ? 😈
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