Chapitre 27 :

La pièce dans lequel Ash m'emmène est basse de plafond et comporte un tableau, une grande table et des chaises, le tout éclairé par une unique lampe pendue au plafond. Au centre, Takela est penchée sur la table où sont assis quatre enfants l'air ennuyés qui regardent plus ou moins attentivement des images avec des mots marqués dessus.

- Maison. Mai-son. « Ai », répète lentement la Louve.

Ils semblent être en train d'apprendre à lire, bien que l'une d'entre eux est trop petite pour faire autre chose que gigoter avec impatience. Je me doute néanmoins qu'ils ne sont pas assez pour assurer des cours différents en fonction de l'âge.

- Je te présente les orphelins qu'on a recueillis, autrement surnommés les quatre petits diables... je te fais pas un dessin, dit Ash, adossé contre la porte.

Je l'avais deviné. Ils ne sont pas bien gros, mais comme tout le monde par ici et leur vêtement et leur corps semblent propres et en bon état. Ils ont de la chance d'avoir été pris en charge par les doubles-âmes, la plupart des enfants qui perdent leurs parents finissent dans un état squelettique à faire la manche et ne tardent pas à être infesté de vers ou de maladies qu'ils choppent dans les poubelles ou en buvant l'eau des flaques. S'occuper des orphelins des rues était le premier but de l'Atrium quand il a été construit avant de devenir une Ecole de combat. La plupart d'entre nous proviennent de ces rues. Takela se tourne vers nous et fronce les sourcils.

- Euh... salut.

Je lui réponds d'un hochement de tête en silence. Elle ne doit pas s'attendre à me voir après ma fuite. Je me demande si elle en est contente ou si elle aurait préféré que je reste chez moi. Je ne sais pas quoi penser d'elle. Elle est distante et méfiante et elle ne semble pas accorder sa confiance facilement. Pour l'instant, je sens qu'elle ne m'apprécie pas plus que ça. Cela ne m'étonne pas, je pense néanmoins que c'est une femme de confiance, elle est solidement ancrée sur ses appuis et a toujours les mains libre, prête à réagir. Mon instinct me souffle qu'on peut compter sur elle si quelque chose arrivz. Elle jette un coup d'oeil à Ash qui semble lui faire signe qu'il lui expliquera pourquoi je suis là après.

- Vous êtes prêts ? Lance Ash en se tournant vers les enfants.

Ceux-ci se redressent aussitôt.

- Ouais !

- On se retrouve en haut !

- Le premier arrivé !

Je grimace. J'avais oublié à quel point c'est bruyant et ça s'agite partout, les enfants. Le contrôle total de son corps et la furtivité est la première chose qu'on enseigne aux novices. Ceux-là sautent de leur chaise et disparaissent en courant dans le couloir, abandonnant les images et les crayons derrière eux sans regrets apparents. Je hausse un sourcil et lance un regard surpris à Ash qui me lance une œillade du genre « Tu vois ? Je suis pas un si mauvais professeur... ».

- Oh allez, je sens ta satisfaction d'ici ! Grogne Takela.

Ash lui adresse un sourire étincelant.

- Moi, je n'ai pas besoin d'être Loup pour sentir ta jalousie d'ici.

- Je comprends pas pourquoi ils sont si enthousiastes pour ton cours alors qu'ils s'endorment dans le mien... grommelle Takela en ramenant une mèche de cheveux cuivrés qui s'est échappée de la tresse derrière son oreille.

- Vraiment ? Moi, je comprends totalement. (Le Lion sort dans le couloir et se tourne vers moi) Tu viens ?

La Louve lève les yeux au ciel en ramassant ses images.

- Ça pue la frime par là-bas, je ferais bien d'aérer.

Je souris et rattrape Ash dans l'escalier. Je me rapproche.

- Pourquoi tu as dit que tu n'avais pas besoin d'être Loup pour sentir sa jalousie ?

Il me jette un coup d'oeil.

- Les Loups sentent les émotions particulièrement fortes comme la peur, la joie, la tristesse... tu ne peux rien leur cacher. Ce n'est pas vraiment comme s'ils les sentaient en inspirant par le nez, mais ils le détectent. (Il fait une pause et reprends:) C'est pour cela que Takela peut paraître... froide. Elle n'a pas particulièrement envie de savoir les émotions de tout le monde dans la pièce alors elle essaye de se couper des autres. Et puis, elle peut sentir ce qu'on ressent, mais elle n'a aucune idée de pourquoi on le ressent. Elle pourrait devenir folle à force de se poser des questions et d'être méfiante sur tout ce qu'elle sent.

Quelle horreur, avoir un radar à sentiment ! Elle a dû sentir toute ma colère et ma tension la première fois de notre rencontre, mais elle ne l'a jamais montré. J'imagine qu'elle a l'habitude de gérer ça, mais ça m'irrite quand même. J'ai l'impression qu'elle m'a violé le cerveau. J'essaye de ne pas trop réagir sur le coup. Qu'est-ce qu'elle a sentis en moi, en bas ? Qu'est-ce qu'elle a pu voir qui aurait dû rester cacher ? De la peur ? De la violence ? Peut-être même quelque chose d'encore plus profond... devant mon air, le regard d'Ash s'assombrit.

- Crois-moi, ce n'est pas un cadeau pour elle non plus.

Je grogne. Je m'en fous, je veux pas qu'elle fouille dans ma tête ! Il me fixe un peu trop longtemps. On traverse une large et basse salle avec un sol en bois et des murs orange pâle en tournant au deuxième étage. Une grande armoire trône contre le mur du fond, entourée d'instruments de musiques avec des formes pour certaines si bizarres que je ne soupçonnais même pas leur existence - euh... une spirale qui s'élargit au bout ?

- La salle de musique, explique Ash en me voyant perplexe. Elle ne sert principalement qu'à moi et Kyle - il joue du piano, du saxophone, du violon et de l'accordéon. Takela nous accompagne au chant, elle a une voix magnifique. La salle sert aussi de piste de danse à Dyan, c'est un bon danseur.

J'ai déjà vu. Je souris au souvenir des pas sautillants de Dyan. Il a beaucoup de grâce, pas celle fauve d'Ash, mais une différente, plus légère. Plus... élégante. Ash disait vrai, je me rends compte, chaque Lignée a une démarche propre. Celle de Takela est plus souple, plus rentrée.

- Kyle joue tout ça ? Comment il a appris ?

- Tout seul. Il a un talent pour la musique et pour tout ce qui est lié à l'ouïe. Il est capable de manipuler les émotions à sa guise en jouant de la musique, rendre son audition dépressive, hargneuse, fervente, , endormis... il hausse les épaules. Je suppose que c'est la caractéristique de sa Lignée.

Une Lignée qui maîtriserait l'art de la Musique ? Je ne savais pas que c'était possible, je pensais que nos caractéristiques étaient seulement physiques... je me tourne vers le Lion. Comment fait-il pour supporter le son des instruments ? A moins que cette hypersensibilité ne soit propre qu'à ma Lignée ?

- Vous arrivez à supporter le son des instruments ?

Il me jette un coup d'œil intéressé, comme s'il venait de trouver une information qu'il ajoutait à une pile d'autre.

- Les sons des instruments normaux sont trop intenses pour nous, mais ces instruments sont différents de ceux que les humains utilisent. Le matériel n'est pas le même. On ne sait pas pourquoi on n'arrive pas à écouter des instruments normaux, mais on dirait que c'est quelque chose qu'on a tous en commun, comme si notre oreille interne était construite différemment. (Ses yeux se perdent au sol) Kyle étudie ça depuis un bon moment, mais c'est compliqué vu que ça se passe à l'intérieur de nous, il ne peut faire que des hypothèses.

Je lève un sourcil incrédule.

- Et vous avez un matériel qui nous permettrait d'écouter de la musique ? Ash, c'est impossible, te fous pas de moi.

Il relève la tête d'un air joueur.

- Tu me mets au défi ?

Il bifurque au fond de la salle et ouvre l'armoire. Je me rapproche. À l'intérieur, toutes sortes d'instruments sont accrochés avec des lanières en cuir aux parois du meuble. Tout brille si fort... on dirait des joyaux, des dizaines de joyaux, tous aussi fragiles que précieux. J'ai l'impression que respirer trop fort pourrait suffire à les briser. Je n'ose pas bouger. Je ne pensais pas qu'autant d'instruments de musiques pouvaient exister ! Je tends prudemment la main et caresse la hampe d'un instrument en forme de crochet. Je me demande quel son il produit. Le seul que j'ai déjà entendu est celui de la harpe. Ça m'avait semblé irréel, comme venu d'un autre monde et maintenant que je suis devant tous ces instruments, je me demande ce qu'ils donneraient tous ensemble.

Ash décroche une flûte traversière de ses attaches. L'instrument étincelle sous le flot de lumière comme une pépite d'or sous un rai de soleil. A l'instar des autres instruments, elle paraît facile à briser, très fragile. Je sursaute quand un son puissant sort de son extrémité. Comment quelque chose d'aussi fin peut dégager quelque chose d'aussi intense ? Les mains d'Ash courent sur l'instrument aussi légèrement qu'une plume et ses lèvres, à peine posées sur l'embout, modulent à sa guise un son léger et harmonieux qui s'élève soudain en volute dans l'air. Les yeux mi-clos, tout son corps semble accompagner les transitions de la mélodie, rendre plus puissant la mélodie, la faire enfler, enfler, jusqu'à ce qu'elle prenne tout l'espace, réchauffe ma poitrine, mon cœur. Un sourire se dessine sur mes lèvres. C'est si pur...

La musique a un effet surprenant sur mon humeur, elle m'apaise instantanément. Les notes s'enchaînent, créant un flot mélodieux de sonorités qui viennent caresser mon oreille. Je me laisse porter par l'instant présent. La mélodie est belle et chaude, comme ma savane natale, avec un fond de tristesse tel que j'ai la sensation prenante que cette musique représente mon enfance. Le visage d'Ash se détend progressivement. Il parait étrangement vulnérable ainsi, la bouche entrouverte, les cils abaissés, les sourcils détendus, comme s'il m'offrait un morceau d'un univers tout entier auquel je n'avais jamais goûté, qu'il me prenait la main et m'en faisais la visite. Je crois que la musique fait aussi quelque chose sur celui qui la joue. Soudain, je me redresse.

- C'était Kyle ! Quand tu es venu me voir à l'Atrium, j'ai écouté de la harpe, avec la même mélodie que celle-là... je m'en souviens parce que c'était le premier instrument de musique que j'arrivais à écouter. C'était Kyle, n'est-ce pas ? Il était venu avec toi !

Ash rouvre les yeux et esquisse un sourire.

- Tu as mis du temps à capter.

Kyle et Ash ! Comment ont-ils réussi à s'infiltrer aussi facilement... ? Il abaisse sa flûte.

- J'ai l'impression que ça t'as plu.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Il se retourne pour ranger l'instrument dans un étui. J'observe le jeu des muscles de son dos sous son tee-shirt alors qu'il soulève la flûte sur son portoir.

- Quelle mystérieuse fille tu es...

- C'est ça, fous-toi de moi.

Il referme l'armoire avant de se retourner.

- Qu'est-ce que tu crois que je fais, depuis tout ce temps ?

Mais sa voix est distraite, comme s'il pensait à autre chose. Il finit par cracher le morceau en s'appuyant contre la porte de l'armoire. Ses yeux se plantent dans les miens, directs, transparents.

- Shari... est-ce que c'est vrai que les Atrimiens sont tous des orphelins ?

Je relève brusquement la tête. D'où tient-il cette information ? Il me fixe en silence. Mes mâchoires se serrent. Il sait que je suis une orpheline, je lui ai dit que je ne connaissais pas ma mère. C'est lui-même qui me l'a poussé à l'avouer. Alors pourquoi joue-t-il avec ça ? Qu'est-ce que ça peut lui apporter ?

- Tu es... bien informé, je grogne. (Je le fusille du regard) Ça te pose un problème, peut-être ?

Ses yeux m'observent.

- Non, mais je ne pensais pas qu'il y avait autant d'orphelins dans les rues de Braçalia. Tu ne viens pas d'ici, si je ne me trompe pas. Alors comment l'Atrium t'a-t-il recruté, toi ?

Mes poings se serrent, mais je ne dévie pas mon regard du sien. Mon cul, il ne le pensait pas ! Il m'a dit qu'il venait de l'extérieur, mais il vit en plein milieu d'un des quartiers les plus pauvres de Braçalia. Ce n'est pas moi qui aie soigné et élevé des orphelins des rues... comment je me suis retrouvé de la savane à Braçalia, voilà ce qu'il veut réellement savoir. Je serre les dents. La terreur. Je détourne les yeux de cette vision et croise les bras. Il tourne autour du pot ? Très bien, je vais lui apprendre ce que c'est que le tournis.

- Sur la base de l'orphelinat, justement. D'ailleurs à l'origine, l'Atrium a été construit pour accueillir des orphelins, c'est seulement après qu'elle a commencé à former les enfants au combat... même s'il arrive que des enfants qui ne sont pas orphelins intègrent l'Atrium. Ce sont des enfants de la ville qui passent un test physique pour pouvoir suivre notre formation au combat.

Des yeux verts traversent ma vision. Comme le nouveau... comment peut-il être aussi fort pour être accepté chez les Rafales alors que son cerveau est pire que celui d'un mollusque ? Ils devraient rajouter un test de perversité aussi... les cils sombres d'Ash s'abaissent pour me regarder et s'irisent légèrement en captant l'éclat de la lampe, mais il semble avoir gobé l'appat.

- Et les tests sont tellement durs que personne n'arrive à les passer ?

Je hausse les épaules, mais l'oriente encore plus dans cette discussion.

- Les tests vérifient si les prétendants ont le même niveau physique que les élèves du niveau qu'ils veulent intégrer, or ces élèves sont entraînés au combat depuis l'âge de six ans, il est quasiment impossible d'avoir le même niveau qu'un Atrimien. Le taux de réussite des extras est inférieur à 0, 01 %.

Il s'appuie de ses coudes sur le meuble.

- Heureusement que je suis là pour flatter votre ego...

Je me mordille la lèvre. Je me demande s'il réussirait les tests, lui. Je me souviens de la facilité avec laquelle il s'est débarrassé des hommes dans la ruelle, mais ils étaient affaiblis par la faim et ils ont été pris par surprise. Et même, de là à passer le test d'entrée... pourtant, la parazonium à sa ceinture me porte à croire qu'il a l'habitude de se battre... le Lion me tire de mes pensées en ouvrant la porte qui donne sur la salle d'entraînement.

Dès que je passe la porte, je suis assaillie par les quatre petits monstres qui nous attendaient déjà à l'intérieur.

- C'est qui ?

- Comment tu t'appelles ? Renchérit une petite fille en me dévisageant avec des grands yeux trop curieux qui me mettent mal à l'aise.

- Il est où Ash ? Enchaîne un garçon aux cheveux roux qui a l'air le plus âgé des quatre.

Je sens une présence furtive derrière moi.

- Là, réponds le Lion en passant devant moi, le sujet d'avant apparemment clos. Venez.

J'en profite pour prendre le temps de bien regarder la salle. Grande et haute, avec des murs gris sur lesquels sont accrochés toutes sortes d'instruments : poids, cibles, barres ou encore mannequins, on pourrait y rentrer toutes les Bourrasques sans problème. Le sol est recouvert de tapis et différents parcours d'obstacles, espace de lutte et mannequins sont installés dessus. Vraiment pas mal. Des zones de tir à l'arc sont tracées au sol, à côtés des cibles de tir pour couteau, poignards, dagues et autres types d'armes similaires.

Enfin, légèrement surélevé au centre de la pièce, se dresse un ring qui doit servir autant pour la boxe que pour les autres combats, sur lequel nous montons. Je fais le tour de la salle des yeux.

D'accord. Je comprends mieux les capacités d'Ash en matière de combat.

Le Lion en question s'adosse au ring et me désigne :

- Voici la Rafale Shari. C'est la Gu... je lui donne un coup de pied dans le tibia. Il se raidit, crispe la mâchoire, mais continu : Et Shari, voici les quatre petits monstres, Lydie, James, Aka et Stanley.

Je détourne le regard et fais mine de m'intéresser aux enfants qui me regardent avec des gros yeux - quoi, avec Ash, ils devraient être habitués aux yeux étranges, non ?

Lydie est la plus petite et celle qui m'a demandé qui j'étais. Elle m'observe de côté depuis que je suis arrivée d'un air intrigué. À côté d'elle, le garçon roux prénommé James est aussi le plus vieux. Derrière eux, Aka a les mêmes cheveux noir et court et les mêmes yeux marron sombre que Stanley. La ressemblance entre eux ne s'arrête pas là : même peau mate, mêmes traits fins, et même étincelle farouche dans le regard. Des jumeaux.

- Ils m'ont l'air plutôt calmes pour des petits monstres, je remarque.

- C'est parce que tu viens de l'Atrium. Il se tourne vers eux et dit : commencez l'échauffement : cinq tours de salles, trois pour toi, Lydie.

Je suis surpris de son ton protecteur. Je ne l'ai jamais entendu parler comme ça avec personne d'autres, même Dyan et Takela, les plus jeunes des doubles-âmes. Il a l'air d'apprécier les enfants et eux n'ont pas l'air d'avoir peur de sa parazonium. L'habitude ? Ils démarrent au quart de tour et partent courant. Je lève un sourcil. Ils sont enthousiastes !

- Pourquoi ils seraient plus calmes parce que je viens de l'Atrium ? Je demande en me tournant vers Ash.

Le Lion bascule la tête en arrière, bois une gorgée à sa gourde, la rebouche et s'appuie de ses coudes sur la corde en regardant les enfants courir.

- Parce que tu les impressionnes.


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Hi ! N'hésitez pas à votez et commentez ! Alors, qu'est ce que vous pensez de ces petits monstres ? Je me demande bien qui arrivera à deviner ce qui se passera dans le prochain chapitre, hé hé ! ;)

A dimanche prochain ! ❤️

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