Chapitre 26 :
Je me redresse d'un coup. Les muscles d'Ash se raidissent et il se dégage brutalement de la poigne de Kyle. De son corps émane soudain une tension qui déferle sur moi comme des vagues puissantes qui me bousculent. Je me force à résister pour rester stable.
- Comment tu peux dire ça à ton fils ? Je lâche, stupéfaite.
Son regard est transpercé par le désespoir et la peine alors qu'elle le tourne vers moi, comme si elle ne savait plus quoi faire pour le retenir. Elle fronce les sourcils et un éclat tranchants éclipse tous les autres dans ses yeux.
- C'est la vérité, Ash doit l'accepter et toi aussi, tu ferais bien !
- Tu parles sous la colère, soupire Kyle en secouant la tête. Tu dois le laisser partir si c'est ce qu'il veut, n'essaye pas de le manipuler, ça ne te ressemble pas. (Il plonge ses yeux dans les siens et lui sourit) Fais-lui confiance et il reviendra entier.
Ils s'échangent un long regard. Ines ferme les yeux, puis les rouvrent. Les mots semblent se coincer dans sa gorge et elle détourne les yeux.
- Très bien. Je me débrouillerais avec le Tour. Fais ce que tu veux.
Elle crache presque cette dernière phrase, d'un air qui disait tout le contraire. L'atmosphère dans la pièce devient rapidement suffocante. C'est comme si l'air pesait de plus en plus lourd sur nos épaules. Compressait nos poitrines. Mon souffle est de plus en plus rauque. Une douleur vive s'allume dans ma poitrine. Je relève brusquement la tête, paniquée.
Je porte mes mains à ma gorge en essayant désespérément de reprendre une respiration. Une brûlure me mord soudain la poitrine. De l'air ! Ines et Kyle agrippent les meubles les plus proches, la bouche ouverte comme des poissons hors de l'eau. Comme les vagues, c'est du corps d'Ash que se dégage la pression.
- Ash ! Je hurle, mais j'ai si peu d'air que c'est un murmure à peine audible qui sort de ma bouche.
Il relève brusquement la tête.
La pression disparaît aussitôt, et nous reprenons une grosse goulée d'air. Je respire précipitamment, à court d'air. Le besoin brûle dans mes veines. Je croise le regard d'Ash. Son visage se ferme. Qu'est-ce que c'était que ça ? Stupéfaite, je n'arrive pas à décrocher mon regard de lui en reprenant mon souffle. Il tourne brusquement les talons, mais Inès le retient précipitamment par le bras.
- Ne leur dis pas pour le voyage, dit-elle rapidement. Je n'accepterais pas de risquer la vie d'une personne de plus de notre famille.
Elle se tourne vers Kyle, dont l'expression s'est faite interdite. Le ton de la doyenne se fait celui, intransigeant, d'une mère de famille :
- Compris ?
Le tatoué semble prêt à protester, mais le regard d'Ines l'arrête net. Il hoche lentement la tête.
Ash se dégage sèchement et sort dans le couloir. Ines s'assoit brutalement sur la chaise, comme si ses jambes s'étaient coupées et toute sa douleur surgit sans plus aucun filtre sur son visage. Je me rends pour la première fois compte de toute la force qu'elle a rassemblée pour lui tenir tête. Elle ravale les larmes qui perlent dans ses yeux.
- Pourquoi il fait ça ? Elle chuchote en appuyant ses paumes sur son front.
- Il veut savoir ce qu'il y a de l'autre côté, je murmure, alors que je ne sais même pas pourquoi je m'engage dans cette conversation.
Kyle secoue la tête, le regard assombri rivé au sol. Sa voix est absente quand il me parle, comme s'il répétait quelque chose qu'il avait déjà dit maintes et maintes fois.
- Non, il a besoin de se sentir utile, d'avoir de l'action.
J'ouvre la bouche quand on entend un bruit sourd dans le couloir. Je sors de l'infirmerie. Y a pas moyen d'être aussi couillon, putain ! Je l'aperçois qui s'éloigne dans le couloir.
- Ash !
Bien sûr, il ne s'arrête pas. J'accélère le pas et lui attrape le bras. Il se retourne brusquement et arrache son bras, ses cheveux blonds cendrés tout emmêlés.
- Quoi ? Il gronde.
Je me raidis. Les vagues de tension sont encore plus puissantes près de lui.
- Oh, ne retourne pas tes problèmes contre les autres !
Il ferme les yeux et il tourne les talons, les mâchoires serrées.
- Désolé, mais je suis un peu sur les nerfs là, une histoire d'hormones, je crois...
Je me remets à sa hauteur. On peut être deux à être têtu.
- Tu n'es absolument pas obligé de venir.
- Merci pour le tuyau, dit-il d'un air narquois. Si t'en as d'autres, dis-le-moi...
Il accélère. Je le rattrape. Croit-il vraiment pouvoir me semer ?
- Ash.
- J'ai changé d'avis. Garde tes conseils pour toi.
La colère bouillonne dans mon ventre et remonte brusquement comme de la lave dans ma gorge.
- Très bien, fais comme tu veux ! Je gronde en pilant net. Comment j'ai pu croire rien qu'une seconde que tu pourrais écouter quelqu'un ?
- Mais tu ne comprends pas ! Il s'écrit en se retournant, et ses yeux laisse filtrer soudain un ressentiment sans fond qui menace de l'avaler à tout moment. Je n'ai pas de choix ! Je ne peux pas partir !
Je soupire. Son corps est si tendu qu'il est en train de me contaminer. Je croise les bras,.
- Pourquoi ? Rien ne te force à rester ici. Ines t'a même dit qu'elle était d'accord pour que tu partes...
Il secoue la tête d'un air amer.
- Tu connais le dicton qui dit que l'argent est le mal de tous les hommes ? Eh bien, c'est aussi le mal des doubles-âmes. Nous ne sommes pas riches. Et je suis la seule source de revenus avec Inès de ce Refuge. Si je pars... je mets tout le monde en difficulté.
Tout d'un coup la phrase de l'Ours prend tout son sens.
- Inès t'a dit... qu'ils se débrouilleraient sans toi, c'est ça ?
- Qu'ils se débrouilleront ! Il grogne, et ses yeux brillent de quelque chose de profondément sombre. Comme s'ils pouvaient se débrouiller avec juste l'argent du Tour ! (Son éclat de voix se transforme en souffle alors qu'il passe une main dans ses cheveux.) Ça ne suffira pas, elle le sait, et elle essaye de me faire culpabiliser.
Elle a l'air d'y arriver très bien...
- Pourtant, Ines t'a donné le choix, j'objecte.
Ses yeux se relèvent sur moi et il rigole d'un rire dénué de joie.
- Qu'est-ce que tu penses que je vais choisir si on me présente d'un côté, partir et de l'autre, nourrir ma famille ?
Je ne réponds rien. C'est évident. Il restera ici. Les racines du problème sont bien plus profondes que simplement l'inquiétude d'une mère pour son enfant. Je me rapproche.
- Et tes cheveux, ils réagissent tout seul à ton humeur ?
Il me regarde d'un air étonné, puis un petit sourire étire lentement ses lèvres.
- Plus ou moins. Si un jour tu as des cheveux courts, tu te rendras compte à quel point ils pulvérisent ton autorité.
- Non merci, je préfère observer l'effet sur toi...
Il a un sourire de prédateur.
- Toi un jour, tu risques d'avoir une mauvaise surprise en te réveillant... (Il m'observe, puis me fait signe de le suivre.) Viens.
- Où ?
- Tu verras.
Quel suspens.
- C'est quoi le Tour ? Je demande alors que nous descendons les escaliers.
Il me jette un coup d'œil.
- Toutes les semaines, Inès fait le tour des quartiers proches pour y soigner les malades. Les médecins sont trop chers pour la majorité des gens, alors elle s'occupe d'eux en échange d'une paye. C'est comme ça que nous avons récupéré les orphelins. Ce sont des enfants qui se sont retrouvés seuls après que leur mère ou leur père ont trépassé.
Elle a dû apprendre la maîtrise de la fabrication d'onguent ou de crème soignante à base de plantes en montagne et se débrouiller avec ça quand elle est arrivée en ville. C'est sans doute même comme ça qu'elle les a rencontrés... mes yeux pivotent sur lui. S'attardent sur ses mâchoires crispées, ses sourcils froncés, son regard ombrageux.
- Alors c'est ça, votre deuxième source de revenue ?
Il acquiesce sans rien rajouter. Si Inès ramène de l'argent en soignant les gens, d'où vient l'argent que lui, il gagne ? Je le considère en silence.
- Et toi, c'est quoi ton job ?
Son regard se tourne vers moi. Il m'observe en silence et j'ai l'impression que ses pupilles se sont encore plus noircis.
- Des jobs de nuit, ça paye mieux. Tu n'as pas encore rencontré les quatre petits monstres, si ? C'est les orphelins dont je te parlais, c'est l'heure de leur entraînement physique, on va les chercher.
- Et qui est leur prof ? Je demande, irritée par son changement brusque de sujet.
- Moi, bien sûr.
C'était si inattendu que j'éclate soudain de rire et n'arrive pas à m'arrêter. Ash qui se bat, d'accord, Ash qui s'infiltre dans l'Atrium, d'accord aussi, mais Ash prof ? Impossible ! Il me jette un coup d'œil vexé.
- Je suis un très bon prof, garde tes pensées pour toi s'il te plait.
J'essaye de serrer mes lèvres, mais c'est plus fort que moi, chaque fois que je crois enfin que c'est fini, l'image d'Ash en train de faire un cours me fait repartir de plus belle. Je me tiens les côtes, la respiration hachée.
- Continue et je te vire ! Il grogne.
Je me mords les lèvres, secouée d'un rire silencieux. Pas question de louper un cours avec lui ! Je veux voir ça ! Il s'arrête brusquement et se retourne, me bloquant la voie. Ses yeux, plus sombres dans la pénombre de l'escalier, se plantent directement dans les miens, à même hauteur pour une fois. Il croise les bras.
- Très bien. Là, je suis vexé. Donc soit tu t'arrêtes, soit tu restes là.
Je reprends mon souffle et croise aussi les bras, une marche au-dessus de lui. Je hausse un sourcil provocateur.
- Tu devrais, effectivement. Je suis plus grande que toi. Alors, ça fait quel effet d'être le petit ?
Il hausse à son tour un sourcil et monte sur la même marche que moi, me surplombant à nouveau d'une - courte - demi-tête. Je suis forcée de reculer, et bute contre la marche précédente. Il a un petit sourire et tourne le visage complètement vers moi. Ses iris s'illuminent d'un ambré plus lumineux qui semblent absorber toute la lumière, avec la fenêtre au-dessus de nous. Il prend une expression dédaigneuse, ses pommettes acérées, ses lyeux ambrés et ses lèvres bien sculptées lui donnant un air de félin gracieux méprisant le reste de l'humanité.
- Absolument pas, je serais toujours plus grand que toi.
Je relève le menton, ma fierté touchée. L'air est imprégné de son odeur de métal et d'encre.
- Si je te coupe la tête, ça réglera le problème.
Un sourire goguenard se dessine sur sa bouche.
- Oh, mais tu ne le feras pas, rien que pour assister à mon cours...
Je lève les yeux au ciel, ignorant une étrange chaleur qui m'enveloppe comme une langue de feu.
- Tu as raison, je préfère te sectionner les jambes, tu as les chevilles trop gonflées.
Il se retourne et descend les marches en souriant.
- Je savais bien que tu rêvais de me porter !
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Hi ! N'hésitez pas à voter et commentez ! Alors voilà mes deux chapitres de la semaine de sortit, encore plus de questions, et encore plus de tensions ! (ça va, vous me détestez pas trop ? 😂)
On va enfin rencontrer les enfants qui sont si chers à Ines !
A mercredi prochain ! ❤️
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