Chapitre 24 :

À l'intérieur, Inès est en train de soigner Ash, dos à moi. Assis torse nu et pied nu sur un tabouret et les avant-bras appuyés sur ses genoux, ses mains semblent être en train de jouer avec quelque chose que je ne vois pas. L'Ours lui applique une crème sur le dos en soupirant, l'air sombre. Ça n'a pas l'air d'être la première fois qu'elle le soigne...

- Bonjour Shari, me salue Ines sans tourner la tête.

Je sursaute. Comment sait-elle que c'est moi ? Ash relève la tête comme un lion aux aguets. La lumière de la lampe éclaire son regard d'une lueur de surprise. Dyan passe la tête par l'encadrement de la porte.

- Kyle demande ton aide en bas, lance-t-il à Ines. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit de te dire quand je suis allé ouvrir à Shari.

Inès me jette un coup d'œil curieux, rebouche le baume et secoue la tête en s'essuyant les mains sur son pantalon.

- Ben tient, c'est pas commun, elle grogne. Dyan, vient avec moi... et Ash, ne bouge pas avant que je sois revenu. Je n'en ai pas fini avec toi !

Elle passe devant moi en quittant la pièce, ralentis et fronce les sourcils.

- Tu n'aurais pas dû te déplacer jusqu'ici avec l'état de ta cheville. Refais la voir aux soigneurs de l'Atrium quand tu seras rentré.

Je plisse le nez, mais elle est déjà partie. Comment sait-elle pour ma cheville ? Je porte un pantalon trop ample pour qu'on puisse voir l'attelle et je n'ai pas bougé devant elle. Je pivote vers Ash et cille en remarquant pour la première fois l'état de son corps.

D'accord, l'infirmerie c'est pour Ash.

Les muscles de son dos sont marqués d'innombrables bleus, hématomes, coupures et autres cicatrices qui détonnent encore plus sous l'éclairage froid de la lampe. Certaines paraissent très anciennes, presque incrustées dans sa peau, tandis que d'autres encore rouges et gonflées ne datent pas de plus de quelques jours, comme si elles se renouvelaient en permanence.

On dirait presque le corps d'une Rafale. Je comprends mieux qu'il sache désarmer trois hommes, ce n'est clairement pas la première fois qu'il se bat. Qu'est-ce qu'il a fait pour se récolter tout ça ? Qui lui voudrait autant de mal ? Ou plutôt, quelles personnes, car une seule n'aurait pas pu le blesser autant.

- Tu pourrais être plus discrète quand tu m'admires, il lance sans même daigner relever son regard sur moi, faisant tourner la pointe d'un poignard sur la table.

Je remarque qu'il a l'air fatigué, comme s'il avait été debout toute la nuit. Mes yeux glissent sur le champ de bataille de son dos. Il ne s'est pas contenté de tenir debout, apparemment... il relève un regard insondable sur moi, son visage à moitié éclairé par la lampe au plafond, comme s'il avait tout entendu de ce que je pensais. Il lève les yeux au ciel.

- Tu es une Rafale, tu es habituée aux blessures. Il n'y a qu'à voir ta cheville...

Je plisse les yeux et le fixe en m'avançant.

- Justement, tu ne peux pas la voir, je rétorque. Alors comment ça se fait qu'Ines l'a su ? Vous m'espionnez ?

Il ricane.

- Tu te places en bien trop grande estime... Ines est une Ours, elle a simplement un odorat beaucoup trop sensible pour que tu puisses ne serait-ce qu'imaginer ce qu'elle sent. Elle a probablement détecté du sang frais sur ta cheville et l'odeur de métal et de tissu. Elle en a tiré ses propres déductions. (Ses yeux coulissent sur moi) Attelle, n'est-ce pas ?

J'hoche la tête en silence. L'odeur de sang frais ? J'ai du trop tirer sur ma cheville pendant l'escalade, il va falloir que je fasse plus attention. Soudain, je comprends comment elle a perçu ma présence quand je suis arrivée dans la pièce. Je fronce les sourcils. Peut-elle sentir d'autres genres de chose ?

- Et... peut-elle sentir, par exemple, si je porte des armes en ce moment ?

Il sourit.

- Il n'y a pas besoin de sentir pour le savoir.

Je lève les yeux au ciel à mon tour et il reprend :

- Mais oui, elle peut sentir des odeurs dont tu ne soupçonnes même pas l'existence : le métal des armes, mais aussi la sueur d'un corps, la salinité des larmes, ou encore l'humidité de l'air. Ou le sang. Je ne suis pas le seul à avoir des blessures, ici...

Je grogne. Évidemment que j'en ai, je ne peux pas éviter tous les coups. Mais lui, il n'y a aucune raison pour qu'il en ait, ce n'est pas une Rafale, pas même un membre de l'Atrium. Je veux bien croire qu'il est maladroit et tombe dans les escalier, mais à ce stade-là, ça fait beaucoup de savon sur les marches.

- Elle vient pas d'un combat, je rétorque.

Il s'allonge nonchalamment contre le dossier de sa chaise comme un jaguar allongé sur une branche d'arbre en me fixant par-dessous, les paupières mi-closent.

- Un entraînement ? C'est la même chose.

Je fais tourner ma dague dans ma main.

- Un gavial.

Il hausse un sourcil.

- Tu sais, un gavial avec une truffe, une fourrure et des griffes, en montagne, j'appelle ça un ours.

- Je dis pas qu'il y a des gavials dans la montagne, j'étais dans la savane ! Je m'agace alors qu'il essaye de détourner la conversation. Et ne change pas de sujet. D'où viennent tes cicatrices ? Je ne te savais pas aussi bagarreur que ça.

Il claque le poignard à plat sur la table en se levant brusquement, son corps soudain très proche du mien. Il baisse ses cils sur moi et de la colère et autre chose se disputent dans son regard.

- Oh, vraiment ? Et que crois-tu savoir de moi ?

Une mèche blonde retombe sur son front. Je relève le menton et soutiens son regard. S'il croit qu'il peut m'intimider avec un claquement de poignard, il devrait venir écouter le claquement des fouets dans nos entraînements. Je croise les bras et le fixe d'un regard noir.

- Arrogant. Provocateur... casse-cou.

Ses pupilles prennent une teinte amusée, mais il ne me lâche toujours pas des yeux, ses cils abaissées sur moi.

- Mais c'est que tu as une très mauvaise opinion de moi...

Je m'appuie des deux mains contre la table derrière moi pour instaurer une distance entre nous. Ses yeux suivent mon mouvement.

- Ça t'étonnes ? D'ailleurs, Inès t'avait dit de ne pas bouger.

Il esquisse un sourire narquois.

- Tu peux rajouter « n'obéit pas aux ordres » dans la liste de mes défauts. (Il se penche pour attraper le fourreau de son épée et l'attache autour de hanches.) Alors comme ça, tu t'inquiètes que je me vide de mon sang ?

J'ai envie de lui faire ravaler ses mots. C'est peut-être un Lion, mais il ressent la douleur comme tout le monde, donc c'est qu'il veut juste éviter le sujet. Ça m'énerve qu'il arrive à se faufiler aussi facilement que ça entre mes questions. Je grince des dents.

- Bon, on va la faire courte : comment tu te récoltes tes blessures, Ash ?

Un instant j'aperçois une lueur dangereuse dans ses pupilles, mais celui d'après il pivote pour prendre son tee-shirt sur la table en esquissant un petit sourire moqueur, sans rien dire de plus.

Il m'agace ! Mes poings me démangent de lui faire passer cet air suffisant ! Soudain, je comprends que c'est précisément le but recherché. Il veut que je me batte contre lui. J'aurais dû le deviner depuis que j'ai aperçu la lueur dans ses yeux après l'avoir frappé dans la rue. La lueur du défi. Il veut du challenge. Je grogne.

- N'y pense même pas !

Il se tourne vers moi.

- Trop tard. Allez, il ronronne en s'approchant. Juste une fois... j'ai besoin de défi.

Ses mots font courir un frisson d'excitation sur ma peau. Le défi fait déjà rugir mon sang. Mais pas avec lui, pas maintenant et pas dans cette salle. Je me tâche de m'en convaincre. Mes muscles vibrent déjà d'impatience, mais je les réprime tant bien que mal. Il vient juste de se faire soigner et ma cheville n'est pas encore rétablie de son séjour dans la gueule du gavial.

- Pas question que je me batte avec toi alors que tu viens à peine de te faire soigner. Si tu veux ta mort, il y a un moyen plus simple : une corde, un nœud, et un tabouret...

Il lève les yeux au ciel et enfile son tee-shirt d'un mouvement rapide.

- Ou brûlé vif à t'écouter plus longtemps...

Ines rentre à ce moment dans la pièce en marmonnant d'un air agacé, suivie d'un Kyle a l'air contrarié. Eh ben, c'est joyeux... Ash hausse un sourcil, faisant écho à mes propres réflexions. Il s'appuie contre le dossier de la chaise en croisant les bras.

- C'est Naïa ?

Kyle grimace.

- Tu pourrais au moins faire semblant d'avoir de la compassion, grogne le tatoué en se passant la main dans ses cheveux noirs encre.

- Tu es vraiment un incapable ! S'exclame Inès en s'approchant du meuble. (Kyle ouvre la bouche mais Ines le coupe aussitôt) D'accord, d'habitude c'est Ash qui le fait, mais ce n'est pas une raison ! Ça fait plus de douze ans que tu t'occupes de Dyan et Takela, ne me dis pas que tu ne leur as jamais changé une couche !

L'image d'Ash en train de changer une couche à un bébé s'impose soudain à mon esprit.

- Euh... si.

- Une couche ? Je répète. Il y a un bébé ici ?

C'était ça, l'odeur lactée dans les couloirs ! Et la chambre qu'on a traversée... elle était loin d'être abandonnée ! Ines serre les mâchoires, mais Kyle se tourne vers elle avec une expression rassurante sur le visage.

- Elle est comme nous, fais lui confiance.

Oui, fais lui confiance. Ines jette un rapide regard au garçon et j'essaye de ne pas me sentir trop vexée. Qu'est-ce qu'elle croit ? Que je vais les dévorer tout cru ? Ash les ignore et désigne d'un large geste le manoir.

- Ce manoir s'appelle le Refuge parce qu'on y a recueilli cinq orphelins. Celle dont Ines a changé la couche a trois ans seulement et s'appelle Naïa. Ils ne sont pas des doubles-âmes, mais ils sont trop petits pour remarquer nos... particularités. C'est pour cela qu'on les a gardés avec nous et qu'on les nourrit. (Il se tourne vers Ines et ironise.) Voilà, pas de pulsions meurtrières, ni accès de violence... tu es rassurée ?

Elle grimace.

- C'est ça, moque-toi de ta vieille mère !

L'Ours semble néanmoins plus détendu.

- Ne le prends pas mal si on ne te l'a pas dit plus tôt, mais on voulait te faire confiance avant, soupire-t-elle.

Et la façon dont je suis partie la dernière fois n'inspirait pas vraiment confiance. Elle ne le dis pas, mais cela flotte dans les airs. J'aurais été elle, je ne lui aurait pas dit avant des semaines. Garder des choses secrètes est un réflexe de survie, je suis bien placée pour le savoir.

Ils sont donc onze à habiter dans le manoir. C'est quand même bizarre que je ne les aie jamais croisés, ni entendus... surtout le bébé. Ils ont dû apprendre à se taire pour ne pas attirer l'attention des passants. Ines fait signe à Ash de s'asseoir à califourchon sur la chaise, et elle se penche pour inspecter une blessure sur son omoplate. Je me racle la gorge.

- Écoutez, je suis venue pour vous dire quelque chose...

Ash hausse un sourcil.

- Quoi ? Tu n'es pas venu uniquement pour me voir ?

Je l'ignore et vais droit au but :

- On soupçonne notre directeur de cacher l'existence d'une société humaine au-delà de notre ville. On pense même qu'on a déjà eu des relations avec des villes à l'extérieur, mais le chemin qu'ils empruntaient pour passer a disparu ou a été bloqué.

Le silence tombe aussi raidement que la pluie l'été. Je m'attends à un échange de regard du type « En plus d'être conne, elle est folle. », mais aucun d'eux ne bouge, ce qui est peut-être pire. Finalement, Kyle brise le silence, l'air plus intrigué que secoué.

- Et... tes hypothèses sont basées sur quoi ?

Un stylo et un tee-shirt.


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Hi ! N'hésitez pas à voter et commenter ! ^^ Qu'est ce que vous pensez des blessures d'Ash ? D'où est ce que ça pourrait provenir ? Surtout qu'il fait tout pour détourner le sujet... c'est louche ! ;)

Est-ce que vous auriez aimé un chapitre plus long ou cette longueur vous convient ?

A mercredi ! 🧡

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