Chapitre 20 :
...
Je rouvre brusquement les yeux.
Du vert.
Ma gorge se bloque.
Partout. De l'herbe qui s'agite au vent. L'herbe devient de plus en plus brune. Soudain, mon souffle se coupe. Du vert. Qu'est-ce que c'était ? Ce n'est pas la première fois que ça revient dans mes cauchemars. De l'herbe qui devient marron et cette sensation soudaine de souffle coupé, comme si je m'étais pris un coup. Ça devient usant. Si mon inconscient cherche à ce que je devienne jardinière, ça ne marche pas !
Je cligne des yeux et l'image se floute devant mes yeux avant de disparaître pour laisser place à la semi-obscurité de ma chambre. Je referme fort les yeux et bascule sur le flan. Ça m'obsède. Et ça me glisse entre les mains comme du savon. Un mal de crâne commence à pointer à force de chercher. Je serre les dents. Argh !! Plus j'essaye de me souvenir de ce rêve (ou cauchemar, vu mon réveil), plus il s'efface de ma tête. Je suis sûre qu'il y avait quelque chose avant cette herbe. Et je suis sûre que c'est important. Je le sens.
Je me redresse sur le lit avec un grognement. Je n'aime pas cette sensation. Quelque chose m'échappe. J'ai cette sensation de plus en plus souvent, ces derniers temps. Il va falloir que je résolve cela rapidement. J'amorce un mouvement et me stoppe. Mes poils sont dressés sur ma peau comme si j'étais nue dehors. La chambre ne bénéficie pas de chauffage et le fin drap des lits de l'Atrium ne nous réchauffe pas beaucoup, mais d'habitude, mes poils ne s'en lèvent pas pour autant. Je fronce les sourcils et jette mon plaid sur les épaules - acheté après avoir économisé mes primes pendant plusieurs mois entiers, j'y tiens particulièrement. J'essaye de calmer mon pouls, aussi affolé qu'après être descendu dans l'Arène. La sueur trempe mes vêtements et je rabats les pans de mon plaid autour de moi. Je me concentre sur l'obscurité. Elle m'apaise, me réconforte, m'enveloppe dans ses bras doux et protecteurs. Dans la pénombre, je n'ai jamais eu à étouffer mes sentiments. L'obscurité est mon amie, ma meilleure confidente, celle qui m'apaise et me fait sentir en vie. J'entends la respiration régulière d'Aron dans sa douceur feutrée. On dort serrés l'un contre l'autre pour se tenir chaud durant la saison froide, les dortoirs des Novices étant éloigné des cuisines, seule source de chaleur de l'Atrium. Le petit garçon de huit ans dort paisiblement, collé contre moi comme un petit loir. Je suis des yeux le contour de la silhouette émaciée d'Aron, profondément endormit. L'hiver est toujours la pire saison. Je baisse les yeux, comme à chaque fois que je remarque qu'il a grandi. Les années passent si vite... bientôt, il deviendra une Brise, puis une Bourrasque... peut-être même une Rafale. Il est fait du même acier que nos armes. Je ne doute pas qu'il a le tempérament et la détermination pour s'entraîner jusqu'à y arriver. Il a déjà survécu à beaucoup de choses. Il va lui falloir ça, car je serais partie. Cette perspective me refroidit comme une douche glacée.
Je ramasse doucement le drap sur lui et sors silencieusement du lit pour ne pas le réveiller. Ses mains se crispent dans son sommeil, mais il reste assoupi. Le voir si détendu me donne presque l'impression de regarder une autre personne. Il n'y a que lorsqu'il dort qu'il a cette expression tranquille et vulnérable. La vie ne lui a pas donné d'autre choix que de s'endurcir parmi les autres.
Je me dirige vers le coffre et fouille dedans pour trouver mes vêtements entre ma pierre à aiguiser, une gourde, un bol et un pack de soins que j'utilise lorsque l'infirmerie est trop surchargée. C'est le seul meuble que j'ai, dans ma chambre. De petite taille, elle n'a que la place de contenir un lit et ce coffre, mais je ne m'en plaindrai pour rien au monde : avoir une chambre est un luxe qu'on obtient seulement en devenant Rafale.
En reculant, je bute dans la boite cachée sous mon lit. Aron l'appelle la « boite miracle » parce qu'elle accumule tous les biens que j'ai achetés au fil des ans grâce à mes primes. Des boutons de rechange, du fil à coudre, une aiguille, des allumettes, une bougie, une paire de semelles de rechange, une serviette et un petit savon bien entamé. L'Atrium n'a pas les moyens de nous payer tout cela, alors on se débrouille soi-même pour avoir des objets de première nécessité. La boite contient d'ailleurs une autre petite boite où je range toutes les denrées alimentaires qui nous servent à tenir après le repas du matin et du midi. Actuellement, il reste une pomme, quelques biscuits secs, une bouteille de lait et un bout de pain. Ce dernier est presque fini, Aron et moi étant deux à mordre dedans quand notre tête tourne trop. Les fruits et les biscuits sont réservés pour les temps les plus durs et on essaye de les faire durer le plus longtemps.
Je m'habille en silence. Le jour où je pars surveiller les Novices en journée survie est arrivé. Aron fait partie du groupe que je dois surveiller, mais je le laisse encore dormir un peu, il en aura bien besoin. Entre la chaleur, la soif et la fatigue physique, il ne va pas être épargné. C'est le but. Ils sont censés apprendre là-bas à endurer physiquement différents facteurs. Plus ils s'y accoutumeront, plus il leur sera facile de supporter la douleur pendant l'effort physique. Dans l'Arène, cette capacité sera leur salut. J'enfile un pantalon et un haut résistant et couvrant, mais léger, tout en jetant un coup d'œil à la fenêtre. Le soleil est presque levé. Il va être l'heure de partir.
Je finis de me préparer et vais réveiller Aron. Il grogne un peu, comme à son habitude, mais il est accoutumé à se lever tôt, et dix minutes plus tard, on prend nos sacs et on part. On mangera directement notre boule de pain du matin quand on nous la distribuera dans l'hélicoptère, pour ne pas perdre de temps. Le trajet, traversant les montagnes, dure plusieurs heures.
Sur le toit de l'Atrium, le vent fouette mes cheveux et m'oblige à les attacher. Trois hélicoptères nous attendent, prêts à décoller. Deux d'entre eux, les plus larges, accueillent les Novices et le dernier, plus petit, se charge de transporter les Auxiliaires comme moi et les instructeurs. Les Novices sont déjà en train d'embarquer à bord et je fais un rapide signe de tête à Aron.
- On se retrouve ce soir.
Ses yeux sombres se lèvent avec sarcasme sur moi.
- Ou pas, si je meurs là-bas.
- Si tu crois échapper à ma surveillance aussi facilement...
Il lève les yeux au ciel.
- Te prends par pour Dieu.
Je souris.
- C'est toi qui l'as dit, pas moi.
Je tourne les talons, m'approche de l'avant de l'hélicoptère et fais semblant d'avoir un caillou dans mes bottes. Mon attention se focalise sur l'avant de l'hélicoptère, où je détecte des mouvements.
Les pilotes.
J'essaye de les observer rapidement, mais le reflet sur la vitre ne me permet pas de voir grand-chose à part un grand tableau de bord, quelques manettes et une casquette blanche.
M. Chale me tape l'épaule.
- On y va Shari.
Je me redresse et le suit, frustrée. Le vrombissement des pales qui accélèrent de plus en plus vite s'élèvent dans l'air. Je me courbe et rentre en dernière dans le ventre de la bête pour être à côté de la fenêtre. Il y a quatre autres personnes dans l'hélicoptère, trois Auxiliaires comme moi et une entraîneuse de Novices. Je ferme la portière et m'appuie d'une épaule contre la vitre, l'air prête à piquer un somme. Heureusement, les entraînements et les combats des Rafales sont suffisamment fatiguant pour qu'il soit tout à fait crédible que je manque de repos.
Alors qu'on décolle, je jette un coup d'œil par la fenêtre, mais il est comme toujours masqué d'un voile noir opaque. L'intérieur de la machine est plongé dans une obscurité seulement éclairée par des rais de lumière provenant de l'avant. Cela peut sembler plus facile pour jeter un coup d'œil à l'extérieur incognito, mais cela veut dire que le moindre subtil changement de luminosité dans l'habitacle sera immédiatement perçu.
Je vais devoir être rapide.
Une vingtaine de minutes après le départ, un changement d'altitude fait accidentellement chuter une figurine en bois de ma poche, qui se heurte contre l'autre portière. L'entraîneuse le ramasse en un dixième de secondes et l'examine du regard.
- C'est à moi, excusez-moi, je lance en le reprenant. (Je me racle la gorge.) Un porte-bonheur.
M. Chale et les autres rigolent. Je cale ma tête contre la fenêtre, les yeux fermés pour dormir et attend dix minutes que tout le monde soit passé à autre chose pour rouvrir les yeux et jeter un coup d'œil dans l'espace que j'ai dégagé entre le voile et ma tête pendant que la figurine tombait.
Pas que cela m'aide beaucoup, néanmoins, comme je ne peux pas me pencher plus, je ne vois que le ciel bleu. Au bout de quarante minutes, un éclat métallique traverse le ciel. Je me force à ne pas réagir, mais mes battements de cœur s'accélèrent. Qu'est-ce que c'était ?
Les yeux toujours mi-clos, j'essaye de voir d'où ça venait. Le soleil a dû se refléter sur quelque chose de métallique dans le ciel.
Mais quoi ?
Nous sommes dans l'hélicoptère parti en avance, ça ne peut pas être les deux autres. Je n'aperçois qu'une forme au loin qui ressemble à un oiseau, un gros oiseau. Peu d'entre eux peuvent voler aussi haut, d'ailleurs. Je me demande de quelle espèce il est avant de me reconcentrer sur ce que je dois chercher, mais en atterrissant une heure plus tard, je n'ai toujours pas trouvé son origine.
Je ravale mon agacement et débarque dans les herbes sèches et brunes de la savane.
Le Secteur C.3 est établi dans une portion de savane à l'herbe courte et avec peu d'arbres ou de buissons. Presque une steppe, en fait, parsemé de coussins d'herbes et sans quasiment l'ombre d'un seul arbre où s'abriter. Le territoire préféré des guépards, sans aucun obstacle pour les freiner dans leur course. Avec seulement le vent dans leur fourrure et le goût de la vitesse sur la langue.
Notre hélicoptère a débarqué plus loin des autres. Nous nous répartissons les zones de savane à quadriller dans la journée pour s'assurer qu'aucun Novice ne soit en danger et nous partons aussitôt de notre côté.
- Une vraie nounou... je murmure.
Au bout d'une centaine de mètres, je glisse au sol, fais demi-tour et rampe prudemment en direction de l'hélicoptère. Je me cache sous la queue de l'hélicoptère éteint et j'attends. 10 minutes. 20 minutes. 30 minutes. Je commence à douter. Et si les pilotes ne sortent pas de l'hélicoptère de la journée ? Et si j'attendais des heures ici pour rien ?
Soudain, une porte claque et des bottes foulent le sol. Trois voix, deux féminines et une masculine.
- Tu veux une clope ?
Un bruit métallique.
- Ouais, merci, répond l'homme. Il y en a pas beaucoup ici.
Je fronce les sourcils. Il s'attend à avoir des magasins de clopes dans la savane ? De voir un lion posé sous un arbre en train de fumer un cigare ?
- Ouais, mais au moins niveau coca... rétorque la première fille.
Ils rigolent.
- C'est sûr, j'ai jamais été aussi bien fourni que chez eux, ironise la deuxième fille.
Chez eux ? Je doute qu'ils parlent des gazelles. Non. Un liquide glacial coule le long de ma gorge. Non.
Ils parlent de Braçalia.
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Hi ! Encore une fin à suspens, vous allez m'étranglez ! XD Mais je vous promets, je vais me rattraper un peu plus tard dans la journée (encore plus de suspens mdr)
N'hésitez pas à voter et me dire ce que vous pensez que je peux améliorer sur ce chapitre, il y a pas de dialogues donc tous ces paragraphes, ça va ou ça fait un peu lourd ?
En tout cas, à bientôt (je dis pas quand, vous risquez d'être surprit ;))
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