Chapitre 2 :
Mon nom est annoncé.
Je me détache du mur. Large, la pièce est perforée de larges fenêtres qui laissent passer le soleil et l'air frais pour maintenir éveillé les combattants. Je m'avance. Les Brises arrêtent de piailler, les Bourrasques me suivent en silence des yeux, certains baissent la tête, d'autres chuchotent sur mon passage. Je lève les yeux au ciel, comme à chaque fois que je traverse cette salle. Ils ont raison, je mords...
Je marche jusqu'au sas de préparation dans lequel on doit poireauter avant d'entrer dans l'Arène. La porte se referme derrière moi et tout bruit extérieur disparaît comme par magie. Ma poitrine se serre. Depuis le temps, mon corps ne s'est toujours pas habitué à cette surdité temporelle. L'ouïe est mon sens le plus important, pendant les duels ; j'entends le sifflement des armes avant de les voir. En être dénué me donne l'impression détestable d'être vulnérable. J'ai été trop souvent vulnérable. Cette époque est révolue.
La salle sombre est petite, de forme circulaire, et vide de tout afin d'éviter qu'on y emporte des objets qui pourraient servir d'armes dans l'Arène.
L'Arène est séparée en deux parties : le Cercle, disque de terre battue d'un diamètre de vingt mètres où se déroulent les duels, et le petit bois qui l'entoure, qui sert à se cacher et perdre ses assaillants. Entre nous, on appelle ce disque l'Éponge parce que le sable dont il est composé n'a qu'un but : absorber le sang. ll est situé au centre de l'Atrium, pour que les spectateurs sur les gradins puissent avoir une vue surplombante sur les duels.
L'Atrium a été construit autour de l'Arène, il y a même des rumeurs qui disent qu'elle a été construite pour entourer l'Arène. Aujourd'hui, il sert à loger tous les combattants et le personnel lié aux combats et il s'étend sur deux étages pour pallier au problème de place. Avec sa forme ovale, il a des allures d'amphithéâtre ancien et il est taillé dans un matériel isolant pour résister aux hivers froids des montagnes et aux chaleurs torrides de l'été que nous subissons sous l'effet de cuvette de la vallée. La première fois que je l'ai vu, quand je suis sortie de cette infirmerie, j'ai cru que c'était une montagne comme il y en avait dans ma savane natale.
J'ai vite déchanté.
Malgré le fait que l'Atrium soit en plein centre de la ville, un parc a été bâti autour du bâtiment pour servir de terrain de formation physique aux recrues comme moi. Ils veulent faire de nous des combattants capables de se battre avec n'importe quelle arme sur n'importe quel milieu. Ils le réussissent si bien qu'ils sont obligés de mettre une sécurité entre nous et les civils. Officiellement, c'est pour se protéger des cambrioleurs, mais ce n'est rien de plus qu'un moyen de rassurer les habitants de la ville par rapport à nous, les Rouges.
c'est tellement gros que c'en est absurde. Qui aurait la bêtise de nous cambrioler ? Nous sommes aussi admirés que craints. C'est sur cette fascination étrange que les duels sont basés. L'attirance des civils à voir deux personnes jouer avec des lames mortelles comme eux joueraient avec un ballon, leur souffle court à chaque mouvement, le risque à chaque geste, le danger à chaque saut, c'est ça qu'ils viennent chercher. L'étincelle de danger qu'ils sentent à travers nous qu'ils n'ont pas dans leur vie. C'est pour ça qu'ils payent. Alors nous leur donnons ce qu'ils veulent.
Du moment qu'ils ne regardent pas ailleurs.
En attendant, je patiente tant bien que mal dans la pièce sombre. Le temps qu'ils fassent entrer tous les spectateurs et qu'ils s'installent dans les gradins, il faut bien compter vingt minutes avant de passer à l'action. Je déteste l'attente, mais la Guéparde Dorée attire du monde et M. Jamal le sait très bien, il se remplit les poches à chaque fois que je descends. Au début, ils étaient à peine dix. Maintenant, ils remplissent tous les sièges des gradins. Je m'étire les muscles et ferme les yeux pour me concentrer sur le calme ambiant, loin de l'agitation que je vais trouver dans l'Arène. Qu'ils soient deux ou mille, je m'en fous. Mon objectif est le même.
C'est comme ça que l'Atrium marche. Grâce aux duels publics. Pour s'assurer d'une relève constante, vingt orphelins de six ans sont sélectionnés dans les rues pour leur capacité physique chaque année. On leur offre une place dans l'École, un lit, des habits et à manger au lieu d'une existence à fouiller les poubelles et grelotter. En échange, ils deviennent Novices pendant cinq ans où ils reçoivent une formation poussée au combat et aux armes.
A leur onze ans, ils passent chez les Majors dans le groupe des Brises et commencent à se battre en duel public et participer aux tournois. Certains d'entre eux s'amélioreront jusqu'à entrer dans le groupe de combat supérieur : les Bourrasques, composés des élèves expérimentés qui se sont distingués des autres.
Je joue avec mes dagues pour assouplir mes poignets tout en marchant de long en large dans la salle. Avec le froid qu'il a fait cette nuit et mon manque de repos, j'ai les articulations encore raides. Mon ventre grogne. Pendant la saison froide, les repas se réduisent à deux bols de porridge par jour. Je me concentre sur le poids familier des armes blanches dans mes mains our me distraire. Les dagues sont mes armes favorites. Elles me font penser à des griffes et grâce à leur simplicité elles sont souvent sous-estimées.
J'en possède trois : Évrostos, Leptó et Kyrtós. Je les ai reçues par le directeur, quand j'avais six ans, et je m'entraîne avec depuis cet âge. Kyrtós est ma dague de corps à corps. La lame, recourbée et de taille moyenne, est taillée pour pénétrer au mieux sa cible. Évrostos, plus grande et légèrement plus massive, possède la lame à double tranchant caractéristique des armes d'attaque, et Leptó, de son poids léger, est parfaite pour le lancer.
Les combats sont d'habitude sans armes mais dans un duel de Rafales, le dernier des trois grades des Majors, les armes sont autorisées. Les spectateurs adorent pousser de grands cris quand je les dégaine.
Une voix métallique sort soudain du haut-parleur accroché au plafond.
- Veuillez vous avancer.
Je me place devant le portique de détection. Une année, un combattant a réussi à faire passer un vaporisateur dans l'Arène et s'en est servi pour aveugler son adversaire. Depuis, nous avons droit à une fouille intégrale avant chaque combat. Deux panneaux muraux coulissent de chaque côté du mur et deux hommes en surgissent pour me palper de la tête aux pieds.
Je me crispe. Je n'ai jamais aimé les contacts physiques. L'espace personnel est le seul semblant de territoire qui m'est resté après qu'on m'est arraché de la savane et j'y tiens comme à mes crocs. Je ravale un grognement. Ce n'est pas long, heureusement, car je n'ai aucune poche : seulement un pantalon en cuir souple sur lequel est attaché des fourreaux aux niveaux de mes cuisses, et une tunique renforcée aux points vitaux, doublé de protèges-bras.
C'est une tenue protectrice mais légère, car avec l'effort, on a vite chaud. Avant, ils nous mettaient un pagne mais depuis que le contrat avec l'un de nos fournisseur de cuir a été rompu à cause de manque de fond, ils réduisent au maximum les protections.
Les hommes disparaissent derrière une porte avec le bruit de pas lourd si étrange des humains. J'inspire à fond, à nouveau seule.
Je ferme les yeux. Je me focalise sur moi. Sur ma chaleur. Les battements de mon cœur. Le sang qui pulse dans mes veines. La vitesse qui vibre au fond de moi. Qui fait partie de moi. Qui me rend comme je suis. Je suis une double-âme Guéparde, mi-humaine mi-animale. Je suis née dans une portée guépard et j'ai grandis dans la savane avec eux jusqu'à ce que je sois kidnappé et que je finisse au milieu des montagnes, dans cette ville. Je suis la seule de mon espèce, alors pour me cacher, je suis devenu célèbre. J'ai montée en grade, je suis devenue la meilleure combattante de la ville. Être célèbre m'a permit de n'être jamais questionné. J'ai été connu comme la Rafale aux yeux dorés, mais personne ne s'est jamais dit que c'était étrange. je me suis fondu parmi eux. Mon surnom "guépard" est venu après, il m'a été donné par les habitants eux-mêmes car je peux accélérer à un tel point que tout ce qui est autour de moi devient flou.
Car ce ne serait pas fun si c'était aussi facile, plus les minutes s'écoulent et plus mon corps en subit les dégâts physiques de la vitesse sur mon corps. Une fois que j'avais frôlé mes limites, mon tibia s'était brisé, j'avais vomis du sang et m'étais retrouvée plaqué au lit pendant deux semaines. Je ne sais pas d'où je viens précisément, ni pourquoi je suis la seule double-âme au monde, mais cette vitesse est en moi, comme ces yeux dorés. Et elle me rend meilleure. Plus forte.
Je rouvre les yeux et le pan du mur en face de moi bascule lentement vers l'extérieur, traçant ma voie droite dans la gueule de l'Arène. Le bois bouche ma vue et c'est à peine si je distingue le haut des gradins qui s'élève vers le ciel. Quand il pleut, rien ne protège le sol de l'Arène si bien que les combats sont presque statiques car il est plus dur d'extraire ses bottes de la boue que d'esquiver les attaques.
- Que les fauves entrent ! Déclare haut et fort la voix du présentateur, le même depuis dix ans. La Guéparde Dorée et le Muet !
J'enjambe le petit muret au signal et sens immédiatement le changement de l'atmosphère sur ma peau et la souplesse de la terre sous mes bottes. Mon corps réagit à cet air familier et l'adrénaline se déverse dans mes veines. Le nom du « Muet » n'a sans doute pas été choisis au hasard, mais si mes adversaires savent tous pourquoi on m'appelle la Guéparde Dorée, moi je ne sais rien sur eux jusqu'à ce que je les rencontre. Un désavantage que je dois faire tout pour combler.
Les spectateurs s'agitent et font un boucan de tous les diables dans les gradins. Je détourne la tête et renifle l'air pour repérer le sens du vent. Au début, leur bruit me tendait, j'aime pas être regardée sans pouvoir regarder, mais maintenant, je n'y prête plus attention.
Le visage d'Aron s'impose à moi.
Gagner.
J'inspire une gorgée de l'air boisé et piquant qui m'est dorénavant familier et quadrille les arbres du regard, qui servent de cachette pour trouver des « appuis », des objets représentant des atouts pour les combats comme des armes, des fumigènes ou encore des packs de soins. Nous n'avons que dix minutes pour en trouver, après quoi le combat commence au Cercle.
Le gong retentit. Je m'élance. Dix minutes, c'est peu. Je ne cherche pas d'appuis, car une arme est un atout stratégique, mais toute la base de ma propre stratégie n'est pas sur les armes, mais sur la vitesse. Cela me donne un autre avantage : j'ai dix minutes pour repérer mon adversaire et me rapprocher de lui. Je cherche un arbre solide et haut et repère au détour d'un gros rocher un jeune chêne aux branches noueuses. Le tronc est large avec des prises stables et mon corps maigre me permettra de grimper assez haut pour surplomber l'Arène du regard.
J'évalue la distance avec la branche la plus basse, saute, l'attrape et atterris accroupie en équilibre dessus. Je me relève et grimpe jusqu'à ce que j'estime être à une hauteur suffisante pour englober d'un coup d'œil toute l'Arène. Les spectateurs s'agitent en me voyant émerger et hurlent et tambourinent sur leurs sièges. Je me cale souplement sur une fourche pour observer les environs. Ce ne sont pas eux que je cherche.
Le soleil me fait plisser les yeux. Une brise froide me caresse la peau. Les bois sont mortellement immobiles, comme vide de toute présence. C'est pas que je m'ennuie, mais j'apprécierais un effort de la part de mon adversaire... soudain un mouvement attire mon attention : une fourrure brune qui disparaît dans la végétation.
Un lapin. Les coins de mes lèvres se relèvent.
Merci, p' tit gars.
Mon regard remonte la direction opposée, car la seule chose susceptible de faire fuir une proie est un prédateur. Mon regard s'arrête sur une forme cachée dans les fourrés.
Salut.
Je me penche un peu. Un homme. Carrure fine, svelte. Petit. Centre de gravité plus bas, plus difficile à faire tomber, mais plus facile à feinter. Je vais devoir miser sur des acrobaties. Il semble manipuler quelque chose entre ses doigts. Je plisse le nez. Un appui ? Il le glisse dans ses habits, se relève et disparaît dans les sous-bois. Je le suis des yeux, puis descends de l'arbre et cours vers la zone où je l'ai vu disparaitre. Je jette un rapide coup d'œil à l'horloge géante suspendue au mur de l'Arène.
Plus que deux minutes.
J'arrive rapidement vers le secteur où se trouve mon adversaire et fouille des yeux les alentours. Son pas est léger, mais on laisse toujours des traces derrière soi. Mon regard glisse au sol.
Il suffit de les trouver.
À une dizaine de mètres de moi, une touffe d'herbe est écrasée. Le bout est effilé, comme si quelque chose l'avait arraché, mais ce n'est pas l'œuvre d'un sabot ou d'une patte d'animal, la coupure a été trop brusque. Je relève la tête. Une botte. Je hume l'air et me glisse dans l'ombre des buissons en ralentissant le pas. Quelques mètres plus loin, je m'arrête à côté d'une empreinte de pas légère. Celui qui l'a fait a voulu être discret, mais en gardant ses bottes il a réduit toutes ses chances à zéro. Une herbe qu'il a écrasé plus loin se relève lentement. Il est près.
Je m'arrête en silence et m'imagine à la place de mon adversaire. Qu'aurais-je fait en voyant que le temps était bientôt écoulé ? Je me tourne vers la lisière des bois.
Je me serais cachée le plus près possible du Cercle.
Je me focalise sur les bruits autour de moi. Un oiseau qui s'envole, le grattement de pattes par terre, le bruissement des feuilles... le bruit d'une respiration étouffée.
Je rouvre les yeux et suit cette piste du regard. Je repère soudain deux bottes qui dépassent légèrement des fourrés. Je souris. Il est à cinquante pas de moi environ, accroupi, dos à moi, totalement à ma merci. Si je me coule derrière lui... mais je ne peux pas déclencher les hostilités, pas encore. Je me rapproche silencieusement de lui au ras du sol et me glisse souplement à une dizaine de mètres de lui sous un buisson.
Le gong retentit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top