Chapitre 18 :

Une autre famille ?

Je ne digère pas l'information. Quelle sorte de famille abandonnerait son enfant dans la savane ? Quelle sorte de famille le laisserait se faire kidnapper sans bouger le petit doigt ? J'ai un arrière-goût infect dans la bouche. J'avale, mais il reste. J'ai la tentation de cracher, cependant je sais au fond de moi que ça ne changera rien.

- Tu mens. (Ma voix est dure, comme si la rancœur qui s'étendait dans mes poumons modifiait aussi ma voix. Mes mâchoires se crispent). Si c'est pour ça que tu es ici, tu peux dégager !

Il me fusille du regard, les yeux charbonneux, le visage à moitié éclairé par la lumière. Je me tourne sèchement et croise les bras. La colère monte de plus en plus en moi, m'étouffe, trouble ma respiration. J'aurais pu mourir tellement de fois, dans la savane. Ma gorge brûle. Et ils n'ont rien fait pour l'empêcher. C'est pire que d'être seule. C'est être détesté. Je pensais savoir quelque chose de la haine, je me suis trompé. En ce moment, un torrent de haine fumante embourbe mon ventre, ma gorge, me brûle. Pour ma famille, pour ma mère, pour mon père. Pour toute la douleur.

Soudain, des mains rêches m'attrapent les épaules et me retournent. Je me dégage d'un soubresaut et recule en le fixant, le cœur battant. Je déteste le moindre contact qui me surprend. Et lui se déplace en silence, je ne l'ai pas entendu arriver. Il me fixe d'un regard noir, presque impérieux.

- Alors pourquoi prends-tu la peine de me répondre ? Si tu pensais vraiment ce que tu disais, cela ferait longtemps que tu serais partie, tu as l'air spécialiste là-dedans... si tu n'es pas capable de voir que tes parents t'ont abandonnée, c'est que tu n'es tout simplement pas capable de soutenir la vérité. Tu es trop fragile.

Mes lèvres se retroussent, je lui attrape le col et le plaque contre le mur.

- Comment oses-tu ? Je gronde. Si tu viens chez moi pour m'insulter, tu vas en ressortir avec une liste encore plus large !

Ses pupilles provocatrices se vrillent aux miennes, aussi profondes et dangereuse qu'un vortex.

- Et pourtant, tu ne m'as toujours pas insulté, il siffle.

Il se penche à mon oreille malgré ma poigne et chuchote :

- A moins que tu n'oses pas...

Mes muscles se crispent d'un coup. Je jure et tourne brusquement les talons, tremblante de colère. Si je ne m'éloigne pas là tout de suite, je vais le frapper, et pas qu'une fois. Je dois me retenir. Le bruit et les cris attireront l'attention. Je ferme fort les yeux et calme ma respiration. Pour qui se prend-il pour me faire la morale ? Pour qui se prend-il pour exiger des choses de moi ? Je me plante devant la fenêtre, mais je sens son regard comme la pointe d'un couteau dans mon dos, aussi froid que de l'acier.

Une odeur métallique monte à mes narines. Je baisse la tête sur les traces sanglantes de mes ongles dans mes paumes et desserre les poings. La vérité me saute à la figure, comme si elle était écrite de mon sang sur ma peau. Ma mère m'a abandonné. Je renverse la tête en arrière. J'ai un mal de crâne de plus en plus intense. Je suis peut-être fragile, en fin de compte. Je me suis menti pendant des années. Il a fallut qu'un total inconnu me plante l'évidence devant les yeux pour que je la voie. J'ai été idiote toutes ces années, il suffit d'avoir un minimum de sens logique pour se rendre compte qu'une humaine dans une portée de guépards n'est pas normale !

Ash dit vrai... et tout ce que ça implique est vrai aussi.

La douleur transperce ma peau comme une grosse aiguille, douloureusement pointue. J'ai été placée au sein d'une portée de guépards par mes véritables parents. L'aiguille ressort dans mon dos. Mon souffle se bloque. Mais contrairement à ce qu'il affirme, je n'étais pas surveillée. Sinon ils ne m'auraient pas laissé me faire kidnapper.

Je serre les dents. Je ravale mon amertume. L'aiguille, je l'arrache de mon ventre. Je n'ai jamais eu besoin d'eux. Je me débrouille seule depuis des années, ce n'est pas aujourd'hui que ça changera. La seule chose que je ferais si je les trouve, ce sera leur cracher dessus.

Je me retourne. Ash est adossé au mur et me fixe avec animosité. Un éclair de satisfaction traverse néanmoins ses pupilles. Je le haïs. Mais j'ai besoin de lui. Et alors qu'une première vérité a perturbé mon esprit, je commence à me demander à côté de combien d'autres je suis passée. Je plisse les yeux.

Il croise les bras en silence.

- Bien, maintenant qu'on s'est mis au point, on va pouvoir avancer. Tu connais déjà une de mes aptitudes et je connais déjà une des tiennes. Est-ce que tu en as d'autres ?

Il doit faire référence à sa résistance plus forte à la douleur que la normale... c'était donc bien un truc de Lion. Je l'observe, et prononce prudemment :

- J'ai des sens légèrement plus perçant que les humains. J'entends, je vois et je sens mieux qu'eux. Et toi ? Tu as parlé d'une de tes capacités.

J'omets de préciser que j'ai des réflexes plus rapides. Il m'observe comme s'il savait que je lui cachais quelque chose et lance avec un regard aussi calculateur :

- La même chose. Des sens plus aiguisés. Je peux te sentir, t'entendre et te voir mieux.

Quelque chose dans son attitude me souffle qu'il ne me dit pas tout, lui non plus. On se jauge mutuellement du regard. Essayant de deviner ce qui pousse l'autre à cacher des choses.

- Est-ce qu'on peut reconnaître un double-âme comme ça ? je demande. Inès a dit que tu avais été le premier à me « sentir ».

Il esquisse un petit sourire.

- Il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, ça veut simplement dire que je t'ai reconnue comme étant une double-âme. (Il relève les yeux sur moi) Des fois, on peut le voir physiquement même si c'est assez rare. Dans la légende originale, on est des êtres dont la partie supérieure est humaine et l'autre animal. C'est ainsi que sont nés pas mal d'animaux mythologiques comme les sirènes ou encore les centaures. Je sais pas si avant c'était réellement comme ça, mais aujourd'hui, on voit presque plus notre partie animale, histoire de se fondre plus facilement dans la masse. C'est pour ça qu'il est difficile de reconnaître un double-âme.

- Mais pas impossible, apparemment, je murmure.

Il hausse les épaules.

- Toi, c'est facile. Tes yeux dorés se remarquent vite pour ceux qui sont au courant. Il y a d'autres attributs voyants, comme Dyan avec ses bois. Mais en général, nos signes sont plus discrets et on peut les cacher. Pour nous, ça se voit tout de suite mais pour les humains, c'est plus difficile. Ils font moins attention aux détails qui nous sautent à la figure. Ils regardent principalement le visage, et oublient la démarche, la posture, la façon de regarder les choses et les gens, la manière de respirer. Tout ça est légèrement différent chez un Namu. C'est comme ça que je t'ai trouvé, entre autres.

Aussi instinctivement que ça ? Et puis, je repense à la première fois où j'ai vu Ash, et je me rends compte que je l'ai su aussi comme ça. Son pas silencieux et souple, ses mouvements rapides et gracieux, la couleur dorée de sa peau, celle ambrée de ses yeux. Ça m'était apparu comme une évidence...

Je fronce les sourcils.

- Comment peuvent-ils être aveugles à ce point ?

Il hausse les épaules et se gratte le sourcil avec son couteau.

- Pour la plupart d'entre eux, nous sommes juste une légende, alors s'ils remarquent quelque chose d'étrange, ils ne savent pas mettre le nom dessus. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi les gens te suivaient du regard dans la rue ? Et ne me dis pas que c'est grâce à ton extraordinaire beauté....

La seule raison pour laquelle on me suivait du regard dans la rue, c'est si on reconnaissait mon identité... ou se pourrait-il que ce ne soit pas que ça ? Je fronce les sourcils.

- Et toi, tu en as déjà remarqué ?

- Des passants aveuglés par ma beauté ? Tous les jours.

Je lève les yeux au ciel.

- Des doubles-âmes ! À part moi, je veux dire.

Il hausse un sourcil.

- Toi aussi ? M'arracher mon tee-shirt ne t'a pas suffi ?

Je grogne et croise les bras. Il veut jouer à ce jeu ? Très bien, alors je vais lui apprendre comment y gagner.

- L'attaque est la meilleure des défenses.

Il penche la tête en jouant distraitement avec son couteau. Ses yeux brillent d'un air intrigué, mais ce que j'aperçois vaguement au fond est bien plus sombre et sérieux.

- Elle n'en reste pas moins efficace.

Soudain, un rayon illumine quelque chose de métallique sur ses hanches. Le pommeau de sa parazonium dépasse du fourreau accroché à sa ceinture. Je reste captivée par la puissance qui s'en dégage. L'arme est si rare que même nous n'en avons pas à l'Atrium. Je désigne la parazonium d'un mouvement de tête et pose la question qui me brûle la langue depuis que je l'ai rencontré.

- Depuis quand as-tu cette épée ? Et où tu l'as trouvée ? Ça court pas dans les rues, ce genre d'armes.

Il fronce légèrement les sourcils. Son regard se dirige vers l'arme.

- Elle m'a été léguée à mes sept ans. Je m'entraîne avec depuis cet âge.

Il relève le regard sur moi.

- Tu veux la voir.

C'est une affirmation, mais je hoche quand même la tête. L'épée produit un glissement clair et métallique quand elle sort de son fourreau. Je ne peux m'empêcher de me pencher pour la regarder de plus près. À double tranchant, le fil de la lame semble effilé et sur le métal clair danse des reflets bleu et argentés.

La lame, longue comme mon bras, semble à la fois légère et solide. C'est l'avantage des épées mi-courtes, elles ne sont pas aussi lourdes que les épées normales, tout en étant puissantes. Le pommeau, en cuivre, est sculpté en une forme de patte et fait dans un matériel à la fois lisse et dur. Il la fait pivoter dans sa main et me tend le manche.

J'enroule mes doigts autour du pommeau en appréciant sa forme qui épouse parfaitement la courbe de ma main. Le cuir est encore chaud. L'arme possède une grâce et une beauté admirable.

Fascinée par l'arme, j'enchaîne les estocs, les tailles et les bottes et la sensation de l'épée dans ma main s'allège considérablement au fur et à mesure que je la manie. Mon sourire s'élargit. Son équilibre est incroyable...

- Par qui t'a-t-elle été léguée ? Je demande en admirant le fil étincelant de l'arme.

- Mon tuteur, répond Ash avec un temps de retard, penché en avant, ses coudes sur ses genoux. (Je lui jette un regard surpris. Il est orphelin ? Il lève la main.) Allez, il est temps que la petite fasse une sieste.

Je le lui lance à contrecœur, il la rattrape et la rengaine d'un mouvement dans son fourreau. Et s'il avait été emmené ici, lui aussi ? Et s'il a des souvenirs de l'extérieur ? Mon pouls s'accélère.

- Donc tu as grandi ici ? Je demande sur un ton de conversation.

- En partie (Il jette un coup d'œil au ciel). Le jeu est fini, je dois y aller. On se reverra un autre moment, cette conversation n'est pas finie.

Il passe devant moi et disparaît dans les ombres du couloir sans un mot de plus. Je plisse les yeux. Il vient de l'extérieur, c'est sûr. Et s'il ne veut rien me dire dessus pour me cacher quelque chose ?



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Hi ! N'hésitez pas à voter et commenter pour que je puisse améliorer mes textes ! ^^

J'ai écrit certaines prises de paroles assez longues, est-ce que vous préférez que je les aère en une ou deux parties ou si ça ne vous dérange pas plus que ça ? Sinon, je suis intriguée de savoir ce que vous pensez de la formation martial d'Ash, pourquoi il sait se battre et comment ça se fait qu'il a tout le temps une arme sur lui...

Sur ce, rendez-vous dimanche prochain ! <3





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