Chapitre 17 :
Une mélodie de harpe flotte dans les airs. Je m'immobilise en passant devant la salle de musique de l'Atrium, stupéfaite. Je n'arrive pas à y croire. J'arrive à écouter un instrument de musique ! Je tourne lentement la tête avec l'impression que si je fais un mouvement trop brusque, le charme se brisera. Mon ouïe est trop développée pour que j'arrive à entendre la fréquence du son des instruments de musiques sans que je me bouche aussitôt les oreilles.
On ne vous a jamais déchiré le tympan ? Ben c'est pas agréable.
Comment est-ce que je peux arriver à écouter cette harpe ? Je m'approche de la salle, que j'évite d'habitude comme la peste. Je fronce les sourcils et jette un coup d'œil à l'intérieur.
La dernière note retentit, suspendue dans les airs comme une feuille dérivant sur la mer avant de finir par couler sous une vague et je me penche pour apercevoir l'instrument. Elle est là, en plein milieux de la pièce, captant le flot de lumière comme un diamant dans une bijouterie. Son propriétaire est dos à moi et salut ses auditeurs. J'ai envie de la caresser d'une main, de jouer avec les cordes avec l'habilité du joueur de musique, la faire chanter et rayonner. Mais sans un mot, je me détourne et m'éloigne. Je ne sais que manier des armes, la musique ne m'aurait pas servi à grand-chose dans l'Arène. N'empêche, il y a des jours où je me demande ce que je serais devenu si je m'étais échappé de l'Atrium, petite. Je me dirige vers la salle d'armes en secouant la tête. Probablement à la rue, c'est d'ailleurs seulement pour m'assurer d'avoir un toit sur la tête et de quoi manger que je ne me suis pas échappée. Ou peut-être que j'aurais trouvés les doubles-âmes...
J'ouvre la porte et entre dans la salle d'armes. Ma cheville et mon bras sont encore bandés, mais je vais bientôt pouvoir les enlever. Mes mains, quand à elles, se rétablissent plus vite, car à cet endroit la corne est plus dure à cause du maniement des armes.
Un éclair métallique, et un poignard se plante en vibrant dans le centre de la cible.
Adossé au mur, le tireur lance d'un mouvement souple et nonchalant un deuxième poignard qui se plante avec un « tchac » aussi profondément dans la cible que celui d'avant. Je me fige. Vêtu d'un simple pantalon noir et d'un tee-shirt blanc, ses cheveux semblent plus sombres que blonds dans la pièce peu éclairée, mais ses yeux restent reconnaissables de loin. Qu'est-ce qu'il fout là ?!
- Ash !
Dans ma bouche, cela sonne comme un juron. Il se tourne à-demi vers moi et hausse un sourcil interrogatif, comme s'il avait parfaitement tous les droits d'être là. Je remarque une dizaine de petites brûlures sur la peau à découvert de son cou et de ses bras. Ses yeux passent rapidement sur mes propres bandages, avant de remonter sur mon visage.
- Tiens, le monde est petit...
J'ai envie de faire disparaître le petit air sarcastique qu'il a sur son visage. Il veut se faire tuer ou quoi ? La sécurité n'est pas prise à la rigolade, ici ! Il s'infiltre dans l'Atrium et s'amuse à tirer avec nos propres poignards sur nos cibles ! Il tient négligemment le troisième par la pointe, comme s'il s'apprêtait à le lancer. La fureur me bloque la gorge. Je m'ordonne de ne pas la laisser éclater pour ne pas attirer l'attention et inspire longuement avant de siffler, les mâchoires verrouillées :
- Qu'est-ce que tu fous ici ?
Il désigne son poignard.
- Je tricote. Un bonnet. Tu le veux ?
Je l'embroche du regard. Je vais l'étrangler. Ou le noyer.
- Tu as un poids sur la conscience et tu essayes de t'en décharger ? Ou tu cherches quelqu'un à qui parler et je suis ta meilleure confidente ? Je grogne en me rapprochant.
Il s'appuie de côté contre le mur en me fixant.
- Tu es ma meilleure confidente. Shari, je sais que tu te méfies encore de nous - enfin surtout de Randy, mais je sais aussi que tu as envie d'en savoir plus. (Il plante ses yeux dans les miens) Alors je te propose un deal : je réponds à tes questions ici et maintenant, tu réponds aux miennes, et tout le monde est content.
Il fait pivoter le poignard dans sa main et me tends son manche. Je fronce les sourcils. Je n'aime pas la façon dont il veut mener la danse. Il n'est plus dans son manoir, mais sur mon territoire. On est tous les deux anormaux, mais a part ça, rien ne nous oblige à faire ami-ami. Je peux très bien oublier leur rencontre et revenir à ma vie.
Ou tu peux faire autre chose...
Je cogne la voix dans ma tête. Et pourquoi je ferais autre chose, hein ? J'ai passé des années à apprendre à m'intégrer, à m'entraîner, à monter les grades, devenir une Rafale, rencontrer Aron. Je ne vais pas tout foutre en l'air pour savoir qui je suis, d'où je viens, pourquoi j'ai ces foutus yeux dorés.
Avant qu'il ait pu réagir, je tiens ma dague contre sa gorge, ses mains dans son dos, son cou à ma merci.
- Très bien, mais tu as intérêt à me répondre. Et à être honnête, je grogne à son oreille.
Je pointe le bout de son poignard dans le creux de son dos. Il ne bouge pas, mais ses yeux se tournent vers moi. Il n'a pas l'air tendu alors qu'il esquisse un sourire narquois.
- Je l'avais remarqué.
Vu l'énervante lueur dans ses yeux, il sait qu'il a gagné.
Je n'ai jamais su qui j'étais. Je pensais que ça n'avait pas d'importance, qu'il me suffisait de me tourner vers le futur, de me concentrer toujours sur le lendemain. Mais je n'ai aucune base sur laquelle m'appuyer pour aller de l'avant. Je n'avance pas, je stagne. J'ai besoin de réponses pour ça et il peut me les offrir.
Je serre les lèvres, le repousse et réfléchis rapidement alors qu'il se masse les poignets. Il n'y a qu'un seul endroit susceptible de cacher Ash aux yeux des autres sans déclencher une alarme à l'intrusion - et j'exagère à peine. Ma chambre, ou celle de Kaïcha ou Laaja, mais elles sont trop loin. Il vaut mieux attirer le moins d'attention possible sur nous. Je grimace. Ça va être ma chambre. Je n'aime pas l'idée d'un inconnu dans cet espace aussi familier, mais je n'ai pas le choix.
- Suis-moi, je dis.
Il fait un mouvement, mais je l'arrête.
- Mais d'abord, repose les poignards là où tu les as pris, j'ordonne.
J'ai le poignard qu'il avait dans les mains et je le reconnais très bien pour l'avoir utilisé maintes fois. Il appartient à l'Atrium. Il hausse un sourcil.
- Je n'ai pas encore intérêt à t'assassiner.
Néanmoins, il rafle les poignards sur la cible et les rengaine dans leur fourreau accrochés au mur. Enfin, il me suit, sa parazonium battant souplement contre sa cuisse. Je me tourne vers lui.
- Quand je sortirai, baisse la tête et suis-moi en rasant les murs. Pour le reste... contente-toi de rester discret.
Ses yeux brillent dans la pénombre.
- Je n'ai pas l'habitude passer inaperçu.
Noyade. C'est plus long.
- Mais tu vas t'y forcer, sinon celui qui t'auras repéré n'aura même pas le temps d'ameuter d'autres gens que je t'aurais déjà étripé.
Il ouvre la bouche, mais je lui fais signe de se taire et sors dans le couloir. Le Lion se glisse silencieusement dans les ombres à ma suite. Je me demande à quel point il est coutumier à se cacher, au contraire de ce qu'il a dit, vu l'aisance avec laquelle il disparaît à mes yeux. Un malaise me pousse à le tenir encore plus à l'œil à l'avenir. Où a-t-il appris à bouger aussi furtivement ? Même moi j'ai du mal à le repérer. J'avance jusqu'aux secteurs des chambres individuelles, tourne et m'arrête devant la porte de ma chambre. Je guette des sons d'alerte, mais je ne perçois rien d'autre que la conversation des gens dans le couloir. C'est presque vexant pour notre réputation. Il semble le remarquer, parce que j'entraperçois un éclair blanc, un sourire furtif, dans la pénombre. Agacée, j'entre dans ma chambre sans l'attendre et il la referme après qu'il soit entré à son tour.
Dans la lumière de la pièce, je remarque distraitement qu'il a des bottes en cuir courtes et souples dans le même modèle que celles que nous utilisons pour nous battre, sauf que nous les avons plus hautes. Je plisse les yeux. J'ai vu la façon dont il a lancé ses poignards. Il sait manier des armes et il sait se battre. Deux raisons de plus pour me méfier de lui. Il n'y a que l'Atrium qui donne une formation martiale en ville et saoir utiliser des armes n'est pas inné. C'est peut-être dû au fait qu'il est un Lion, ou au fait qu'il soit double-âme, tout simplement, pour ce que j'en sais, mais j'ai un mauvais pressentiment là-dessus.
Il embrasse la salle du coup d'œil rapide et efficace de celui qui en repère les entrées et sortie et je réprime un grognement de frustration. C'est un réflexe de combattant, pas de civil. Oui, il va falloir que je mette définitivement ça au clair.
Sans gêne, il se laisse tomber sur mon lit avec la grâce d'une fleur coupée - sauf que si Ash était une fleur, il aurait sans doute été du genre avec beaucoup d'épines. Je croise les bras et le fixe. Il veut m'agacer, très bien. Je ne rentrerai pas dans son petit jeu - ok, c'est déjà trop tard, mais je peux au moins faire semblant.
- Comment tu as réussi à rentrer dans l'Atrium ? Et ne me dis pas que c'est grâce à ton charme naturel.
Je me concentre sur ce qu'il va dire, guettant un indice sur son entraînement.
- C'est grâce à mon charme naturel.
Respire. Je sens que je vais poser mes dagues. Loin de moi. Je m'appuie contre le mur et croise les bras. Il lève le regard sur moi.
- Très bien. Dans ce cas, rends toi utile et dis-moi tout ce que tu sais sur nous, je dis.
Son regard s'allume d'une étincelle plus vive et il se redresse, les coudes sur les genoux.
- Toi d'abord, que sais-tu des doubles-âmes ? Je n'ai pas envie de faire de doublons.
Je prends une respiration, et lui dis tout ce que je sais autre qu'il m'a déjà dit, ce qui se résume à pas grand-chose en vérité. On peut avoir des caractéristiques physiques de notre animal - ou pas. Je ne sais quasiment rien de nous à part ce que les légendes racontent et encore, tout est loin d'être vrai. Un silence fait place à ma conclusion alors qu'il se rend compte de ma totale ignorance. Il fronce les sourcils.
- Tu ne sais pas qui est ta mère biologique ?
- C'est une guéparde.
- C'est une humaine, il rétorque. Ne va pas me dire qu'une guéparde et un humain peuvent faire l'amour, s'il te plaît.
Je siffle, agacée. Je sais qui est ma mère, merci, et c'est une guéparde ! C'est pas pour discuter de ça qu'il est là, si ? Il se relève et plante ses yeux ambrés dans les miens. J'y vois une assurance déstabilisante pour quelqu'un qui n'a même pas vécu plus de vingt ans. Je me demande de quoi ont été constitués ses années pour qu'il donne l'impression d'avoir parcouru déserts et océans et traversé tempêtes et ouragans sans plus d'intérêt que l'air vaguement ennuyé et désinvolte qu'il affiche maintenant. En ce moment, il est dirigé vers moi. Ses paupières s'abaissent, comme le regard d'un prédateur, patient, mais avec une minuscule lueur qui trahis une attention intense.
- Imagine si ta mère était vraiment une guéparde : tu aurais des touffes de poils un peu partout et une queue qui te sors de là où je pense...
Je lui lance un regard noir. Il esquisse un sourire.
- Précisément. Ta mère est humaine.
Se peut-il que ma mère ne soit pas ma mère ? Que toutes ces années à grandir avec elle, à la laisser me nettoyer, à téter à ses mamelles, jouer avec sa queue, dormir sous son ventre, bondir entre ses pattes quand elle marchait, ce soit... un mensonge ? Une illusion ? Non, ce n'est pas possible, qu'elle est accouchée d'une humaine. Cependant, je suis née avec sa portée, c'est ma mère ! Mes mâchoires se verrouillent. Comment se pourrait-il que cela ne le soit pas ?
Ash m'observe en silence, se lève d'un mouvement et marche jusqu'à la fenêtre. Je le suis automatiquement du regard. Il n'a pas l'air du genre à rester immobile longtemps, pour autant il dégage une stabilité étonnante derrière sa nonchalance, comme s'il avait déjà vécu une vie entière. Son visage plonge dans l'ombre, et bien qu'il soit de dos, je remarque une certaine tension dans ses épaules.
- Nous ne sommes jamais nés d'une mère animale et d'un père humain ou inversement, contrairement à ce que disent les légendes. Nos parents sont entièrement humains, ou plutôt, doubles-âmes. Mais il arrive... il arrive qu'après notre naissance, ils nous placent dans une portée de l'animal dont ils sont issus et nous laissent grandir avec eux pendant plusieurs années en nous surveillant de loin. Ça doit être ton cas... ça expliquerait pourquoi tu ne connais pas tes vrais parents.
Je plisse les yeux. Ses mots viennent de raviver une étrange impression, celle que je le savais, mais que le temps et l'affection me l'ont fait oublier. Ce qui voudrait dire qu'il a raison, et que j'ai tort. Je grince des dents. Impossible. Parce que ça voudrait dire que... non. Je n'ai jamais eu d'autre mère. Le silence qui suit semble s'alourdir de quelque chose de sombre et complexe. Il tourne la tête vers moi, et j'entrevois une dureté dans son visage que j'ai du mal à reconnaître dans l'ombre de la fenêtre.
- Ce qui veut dire que... tu as une autre famille quelque part dans le monde.
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Hi ! N'hésitez pas à voter et commenter pour me dire ce que vous en avez pensé ! ^^ Voilà donc le retour d'Ash, et en pleine forme ! A partir de maintenant, il va être plus présent dans l'histoire alors j'espère que vous l'appréciez, même si il peut être très agaçant mdr
A mercredi prochain ! <3
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