Chapitre 16
Je m'immobilise. Un sentiment de déjà-vu remonte à la surface. Qu'est-c... le stylo dans l'incendie apparaît devant mes yeux. "Brazil". Je ne crois pas aux coïncidences. Qu'est-ce que ce Brazil ? Une personne, peut-être ? Mais alors comment son nom se serait-il retrouvé sur le vêtement de mon novice ? Non, ça a été marqué dans un but précis. On voulait laisser une trace sur ce tee shirt et sur ce stylo. Alors quoi, c'est une organisation ? Le nom d'une entreprise ? Aucune entreprise de la ville ne s'appelle Brazil.
Un sifflement et je relève brusquement la tête.
Le doigt que M. Châle pointe sur moi m'urge de ramener mon fion rapidement.
- En retard ! Ce n'est pas parce que tu as un excellent pedigree que tu peux te le permettre. (Je grince des dents. Je suis rentrée dans les Rafales à seize ans, soit un an avant la moyenne d'âge. Il prend toujours ce prétexte pour laisser entendre que je me repose sur mes acquis.) C'est le choix de ton arme pour cet entraînement qui t'a pris autant de temps ? il ironise.
Encore perturbée, je rejoins les autres Rafales, les uns accroupis avec nonchalance, les autres avec la main sur le pommeau de leur arme ou encore en train de la faire tournoyer avec ennui dans leur main. Nous sommes peu nombreux, à peine dix. Au facteur d'une sélection draconienne s'ajoute le fait que les entraîneurs prennent leur précaution pour les entraînements en nous divisant en demi-groupes, car nous utilisons toute l'espace d'un endroit afin d'en exploiter son potentiel à fond. Je m'arrête devant lui.
- Non, c'est le temps de faire connaissance avec elle...
Les coins de ses lèvres se relèvent un peu. Il n'aime pas les élèves dociles, il veut voir jusqu'où on est prêt à aller, car selon lui, un élève qui réagit est un combattant qui se défend. S'il est de bonne humeur, je peux peut-être espérer ne pas me faire renvoyer. Il me juge de haut en bas.
- Je vois. J'ai eu le même problème, mais avec mes mannequins de paille. Pas de chance, puisque c'est l'entraînement d'aujourd'hui. Montre-nous une attaque en six points V sur celui-là et je passerais outre ton retard.
Il est de bonne humeur. Je pose mon regard sur le mannequin qu'il désigne. Point V pour point Vitaux. J'exécute cet enchaînement les yeux fermés avec mes dagues, mais je ne prends cette épée en main que pour la première fois. Je croise le regard de défi de Mr. Châle. Et c'est pourquoi il me l'a demandé.
Je dégaine l'épée et jauge le mannequin en paille. Un mètre quatre-vingts sur soixante-quinze centimètres de large. Standard, cela devrait me faciliter la tâche. Je dégaine mon arme et m'élance.
Mon premier coup tranche la base du cou au niveau de l'artère, le deuxième s'enfonce dans son cœur de part en part avant de ressortir de la paille et exécuter un demi-cercle dans les airs pour couper nettement ses chevilles en projetant des gerbes de pailles qui font reculer l'entraîneur. J'exécute un salto, tranche sa colonne vertébrale au passage, atterris souplement derrière le mannequin en sectionnant les reins d'un mouvement, me relève en passant rapidement mon épée devant sa gorge et le décapite d'un coup sec.
Je me recule d'un pas et rengaine d'un mouvement l'épée dans son fourreau.
Je relève les yeux et remarque un groupe de Brises enthousiastes resté dans le fond de la cour qui me regardent avec de grands yeux. Ils n'ont jamais vu quelqu'un se battre ou quoi ? Je leur envoie un regard noir et ils détournent la tête. Il y a toujours des Novices ou des Brises qui restent aux extrémités de la cour pour assister à notre entraînement, mais d'habitude ils n'ont pas l'air si niais.
M. Châle hoche la tête, satisfait, et me fait signe de me joindre aux autres Rafales. Je rejoins Sacha, au dernier rang, dont les cheveux bruns en piques se remarquent de loin. Il chuchote quelque chose à Enil, qui sourit, son sabre posé nonchalamment en travers de ses épaules. Ils sont plus âgés que moi d'un an, et sont dans les Rafales depuis plusieurs années, comme moi. Je les ai connus à mon arrivée dans le groupe, mais ils sont en couple depuis bien plus longtemps. Je les ai rarement vus séparés autrement que pendant les combats. C'est en faisant connaissance avec eux, que je me suis promise de ne jamais tomber amoureuse. L'amour ne rapporte ni argent ni nourriture : au contraire, il faut la partager. Je ne veux pas partager ce que j'ai. Je ne suis promise qu'à une chose : le combat. C'est le seul homme de ma vie et je vis pour lui. Il me nourrit, maintiens mes réflexes et mes sens aiguisés, me fait me lever le matin, me coucher le soir. Je ne veux rien d'autres.
Sacha tourne la tête vers moi. Il a des yeux bleu-gris dont Enil dit toujours qu'il ressemble à la mer en pleine tempête. Moi, je n'en sais rien, je n'ai jamais vu la mer. Il esquisse un petit sourire en coin et ajoute quelque chose à Enil qui se mord la lèvre pour ne pas rigoler en me regardant avec ses yeux rieurs noisettes. Je grogne. Qu'est-ce qu'ils préparent encore ? Ces deux-là font les quatre cents coups ensemble. Une fois, ils avaient mis un chat dans le lit de l'entraîneur et s'étaient cachés dans la salle d'en face pour avoir une bonne vue. On les a rejoints et on a tous éclaté de rire quand il s'est laissé tomber sur son lit et que le matou lui a planté ses griffes dans les fesses en feulant !
- Salut, la retardataire, me chuchote Sacha. Je vais finir pas croire que tu le fais exprès pour nous montrer tes talents de tueuse de mannequin...
- Je vais finir par croire que tu es jaloux, je rétorque avec un sourire.
Enil me donne un léger coup de coude.
- Alors comme ça, on arrive en retard et on ne se fait même pas renvoyer ? il chuchote avec un petit sourire. Remercie ta mère de t'avoir donné des yeux dorés.
Je m'apprête à répliquer quand Sacha me coupe :
- Vous avez entendu parler de la rumeur ?
- Celle du nouveau ? je demande en me tournant vers lui.
Il hoche la tête.
- C'est juste une rumeur, Sacha, réagit Enil en levant les yeux au ciel, qu'est-ce que tu peux être naïf des fois...
- Non, c'est vrai. J'ai entendu deux profs en parler dans le couloir. Ils disaient qu'il arriverait bientôt, mais que personne ne le connaît. Ils se demandaient pourquoi M. Jamal avait accepté de lui faire passer l'épreuve.
Je hausse un sourcil. Ce ne serait pas le premier sur lequel on ne sait rien, ici...
- Il a peut-être honte de son histoire et il a rien voulu dire, je lance. La plupart d'entre nous ne s'en vantent pas.
- C'est le moment de nous le dire, Shari, je te sens bien parti, dit Sacha. Je te promets que nous ne te jugerons pas.
Je lève les yeux au ciel.
- Tu devrais déclamer tes blagues sur le toit de l'Atrium, ça t'entraînerait à éviter des projectiles....
- Surtout que la dernière fois, tu es rentré à l'Atrium couvert de boue ! ricane Enil.
- ...parce qu'on m'avait lancé un pain et que j'étais tombé dans un enclos de cochons en voulant l'éviter. Oui, je sais, on s'est déjà assez foutu de moi comme ça pour que tu retournes le couteau dans la plaie !
- Tu m'étonnes qu'on se soit foutu de toi ! L'élite de l'Atrium qui tombe dans un enclos de cochons ! réplique le brun avec un gloussement, se foutant ouvertement de la gueule de son amoureux. Heureusement que le véritable pourquoi ne s'est pas ébruité...
- Le véritable pourquoi ? je demande.
- Oh, oui ! répond Enil avec malice.
Sacha gémit et regarde son petit ami avec des yeux implorants, mais celui-ci continue avec des yeux hilares :
- Il était allé faire pipi dehors parce que les toilettes du bar étaient complètes... il était saoul et avait pas vu les cochons alors quand l'un d'eux a grogné, il en est tombé à la renverse de surprise.
Je retiens l'éclat de rire qui me monte à la gorge. Sacha secoue la tête de dépit.
- Il faisait presque noir, proteste-t-il, je ne voyais rien et soudain, j'ai entendu ce « groooouiiiinggg » ! Tu m'étonnes que j'étais déstabilisé !
- Sacha ! gronde soudain Mr. Châle, si tu veux imiter le bruit du cochon dans le but de transpercer le mannequin, avec une arme, ce sera beaucoup plus efficace ! Je veux bien accepter quelqu'un en retard, mais quelqu'un qui fait le cochon pendant l'entraînement est quelqu'un qui fera l'idiot lors d'un combat !
- Pardon, monsieur...
Ses pupilles se rétrécissent comme celle d'un faucon.
- Pardon refusé. Dégage.
Sacha grimace en passant une main dans ses piques et part avec dépit.
- Bon, on va commencer par de l'endurance, annonce l'entraîneur d'un air agacé en suivant le Rafale du regard.
On se place chacun devant un mannequin pour le début de la "découpe". Lorsque les piques des mannequins tournants ne sont plus qu'un tas de bois devant nous, on passe au combat en équilibre sur des poteaux en bois à deux mètres du sol. On prends une pause de dix minutes pour boire un coup, se rafraîchir et reprendre notre souffle, après quoi on reprend l'exercice.
Avec l'habitude, notre corps se fait à la rigueur, mais en hiver, la température peut aller jusqu'à -10 le matin et les petits-déjeuners se rétrécissent encore. Il faut alors chercher l'énergie dans des réserves que nous n'avons pas et la plupart des Novices finissent l'entraînement allongé au sol à cause des tournis. Nous aussi sommes sujets aux tournis et aux vertiges, mais nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser prendre le dessus en plein duel, les risques sont trop réels. Les entraînements sont alors particulièrement rudes et nous laissent épuisés le reste du temps.
Lorsque M. Chale donne le coup de sifflet caractéristique de la fin de séance, je ralentis progressivement ma respiration, rengaine l'épée dans son fourreau et m'essuie le front. Malgré le froid ambiant, je suis brûlante et ma tenue d'entraînement est couverte de paille et de sueur. Je regarde le bois dispersé tout autour de nous. Si les mannequins étaient des humains, je serais maculée de sang.
Nous devons faire vœu de "noblesse" quand nous entrons dans les Rafale, ce qui veut dire que nous nous engageons à ne jamais blesser en dehors de l'Arène et à ne jamais tuer. Dans le cas contraire, les autres Rafales devront traquer et abattre le fautif de leurs propres mains pour s'assurer qu'il ne fasse plus de dégâts et marquer l'exemple dans l'esprit de tous ceux qui auraient une soudaine envie de faire couler le sang. C'est déjà arrivé une année, lorsqu'un Rafale était devenu fou suite à la mort d'un de ses compagnons déchiré devant ses yeux par une meute de loups qu'ils avaient surpris dans leur tanière, en mission. Il avait tué cinq hommes suite à une bagarre dans un bar. Les Rafales ont disparu une nuit, et le lendemain, on n'en a plus jamais entendu parler.
Renversant la tête en arrière, je bois de longues gorgées d'eau fraîche à ma gourde.
Il paraît que celui qui a dû l'éliminer était son jumeau.
Une main se pose sur mon épaule. Je sursaute et me retourne face à Mr. Châle. Ses yeux bleus se plantent dans les miens, direct, comme d'habitude.
- La Guéparde, on a besoin de toi lundi pour surveiller le secteur C. 3 pendant la journée de survie des 4èmes années.
Je souris intérieurement. Là voilà, l'occasion d'aller fouiller chez les pilotes.
Les journées de survie des novices sont des jours où les Novices sont lâchés dans la savane et doivent survivre jusqu'au soir en atteignant un point donné avant l'heure limite. Pour éviter quand même des morts ou des blessés, des Rafales et des Bourrasques accompagnent les entraîneurs pour surveiller de loin les Novices dans la nature.
- Bien sûr, tu seras dispensée d'entraînement et de cours, il ajoute. Tu as jusqu'à demain pour me dire ta réponse. Si c'est le cas, tu auras les détails de l'excursion demain soir dans le bureau de Mr. Jamal, et une prime en plus. Je te laisse réfléchir.
Il fait demi-tour et s'éloigne. Et une prime en plus ? Pas besoin de réfléchir. Je souris.
- Dites à M. Jamal que je viens.
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Hi ! Me revoilà pour la suite de l'entrainement de Shari ! ^^ N'hésitez pas à voter et à me dire ce que vous en pensez dans les commentaires !
D'ailleurs j'ai une petite question pour vous : est ce que vous auriez aimé que je détaille plus les exercices de l'entrainement ou est ce que vous préférez comme ça ?
A dimanche prochain ! <3
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