Chapitre 14 :
Mais qu'il est couillon !
Le Lion a les cheveux blanchis par la cendre et respire difficilement. Sa peau est couverte de plaques rouges et ses habits fument de partout. Ses yeux ambrés, larmoyants, passent sur moi.
- Prends la femme, je m'occupe des gosses ! il ordonne d'une voix rauque.
Je me crispe, mais c'est pas le moment de m'énerver. Il détache l'autre enfant de sa mère et le met sur son dos pendant que je me saisis d'elle et la prends sur mes épaules. Je me redresse et fais signe à Ash qu'on repart dans l'autre sens. Les questions pour plus tard, il y a urgence. On accélère en zigzagant entre les flammes. Les victimes évanouies sont dans cette fournaise depuis trop longtemps, et je sais au son particulier de la respiration d'Ash que ses poumons sont déjà endommagés par son contact prolongé avec la fumée.
Je transpire à grosses gouttes. La fournaise des flammes envahit chaque recoin, chaque espace de cet étage, étouffant et dévorant tout sur son passage. Le crépitement du feu me bourre le cerveau. Totalement encerclé, on est obligés de faire de larges détours pour continuer à avancer en évitant le brasier et les briques qui s'effondrent sur notre chemin. Un bout de plafond tombe en sifflant sur moi. Je bondis sur le côté, mais il m'effleure la joue en y laissant une traînée brûlante. Je serre les dents et me force à continuer à avancer en essayant d'ignorer la douleur. Rien de ce que je pourrais faire ici calmerait la douleur, de toute façon.
Ash tousse beaucoup, inhalant à chaque fois plus de fumée toxique. Il ne tiendra pas bien longtemps à ce rythme. J'ai déjà vu des Rafales plus entraîné que lui perdre conscience dans la fournaise. Mais je n'ai qu'un masque. Si je le lui donne, je prends le risque de ne pas arriver au bout. Néanmoins s'il perd conscience, ça me laisserait quatre corps inconscients sur les bras.
Sans plus de réflexion, je détache mon masque à oxygène et le lui plaque sur le visage en le dépassant. La fumée me prend aussitôt à la gorge, me donnant férocement envie de tousser, mais je serre les lèvres pour résister à la tentation d'inspirer plus d'air, je respire par le nez pour ne pas perdre trop d'humidité corporelle et me concentre sur mon chemin.
J'esquive un meuble qui s'écroule devant moi, mais ralentis par la femme, je ne suis pas assez rapide pour éviter une planche qui s'effondre sur moi. Ma manche prend feu et les flammes dévorent aussitôt le tissu comme des bêtes affamées. Je recule et tape dessus.
La vision de Rafales transformés en torches humaines me traverse l'esprit. Des gouttes de transpiration roulent sur mon cou et je tape plus vite. Je lutte pour étouffer ma panique. Les flammes finissent par être complètement étouffées et mon cœur ralentit. Soudain, quelque chose cède sous mon pied et je tombe. Mon cœur rate un battement. Je me rétablis au sol en essayant de ménager la femme et mes yeux se trouvent nez-à-nez avec l'objet sur quoi j'ai roulé : un stylo avec marqué "Brazil" dessus. Je me redresse rapidement et on repart aussitôt.
J'essaye de voir par où aller, mais la fumée commence à faire effet et j'ai l'esprit de moins en moins lucide. La chaleur m'obstrue la conscience, créer des mirages sur les murs, floute ma vision. Ash semble le déceler, car il passe devant sans un mot de plus. Ma peau chauffe tellement qu'on pourrait y faire cuire un œuf. Je serre les dents. Depuis que nous progressons, nous ne faisons qu'esquiver les flammes avec des gens sur le dos. Le corps de la femme commence à peser de plus en plus lourd sur mes épaules. J'ai l'impression que l'immeuble tangue de plus en plus et je prie pour que ce soit juste un effet du manque d'oxygène. Je baisse brusquement les yeux quand une douleur fulgurante me transperce le mollet. Le bas de ma robe a pris feu !
Je le frotte furieusement contre un des murs encore debout, mais le feu dévore le tissu de plus en plus haut ! Ash arrache tout le bas enflammé de ma robe et le jette au loin.
- Bonne idée, cette robe ! Il lance.
Je lui jette un regard noir. Comme si je l'avais choisi exprès ! On tourne à un coin et soudain, la fenêtre par laquelle je suis arrivée se matérialise derrière la fumée. Une échelle bascule sur le rebord de la fenêtre et une Rafale nous tend les bras.
- Passez-moi les victimes !
Avec soulagement, je lui décharge la femme et m'écarte pour laisser passer Ash, qui lui donne le bébé et l'enfant.
Un craquement.
Des bras me tirent brusquement en arrière. Une chaleur brûlante me frôle in extremis.
Un pan entier d'un mur enflammé s'est écroulé à l'endroit d'où on m'a tiré juste avant.
Le souffle court, mon regard n'arrive pas à se détacher des flammes qui dévorent le mur aussi facilement que du papier. J'imagine mon corps en dessous et me force à me ressaisir. J'ai autre chose à faire que de rester plantée là comme une idiote ! Je me détache d'Ash et ses bras me lâchent. Il hausse un sourcil et disparais de l'autre côté, sur l'échelle.
- Le feu semble bien t'aimer.
Je lève les yeux en l'air, mais il vient de m'éviter une mort douloureuse, alors je n'ai pas beaucoup de crédibilité.
- Merci, je grogne du bout des lèvres, mais il a déjà disparu de ma vue.
J'enjambe à mon tour le cadran de la fenêtre et descend sur l'échelle. Comment lui extorquer des informations si je pars déjà en position d'infériorité ? Le contact de l'échelle sur les brûlures à mes mains me fait lâcher un grognement. Je descends et cherche la famille du regard.
Là !
Je saute en bas de l'échelle. On les a allongés sur une bâche, avec toutes les autres victimes de l'incendie, surveillés par des Bourrasques. Des infirmiers de l'Atrium circulent rapidement entre eux. Je me fraye un chemin dans les allers-retours pressés du personnel soignant qui essaye de réanimer les évanouis, soigner les blessés, mais ils ne sont pas assez pour tout le monde. Je tombe à genoux auprès des trois corps immobiles qui n'ont pas encore été pris en charge et masse énergiquement les poumons de la femme. Je serre les dents et redouble d'énergie. Elle prend une brusque inspiration et le soulagement m'envahit aussitôt.
Je me tourne vers son enfant le plus âgé, place l'oreille au-dessus de sa bouche puis prends son pouls.
Merde.
Son cœur s'est arrêté. J'essaye de le réanimer en lui appuyant par à-coups bref sur la cage thoracique. J'ai peut-être encore une chance de le ramener à la vie : sa peau est encore chaude, ce que veut dire que son cœur vient de s'arrêter il y a pas longtemps. Il ne réagit toujours pas, alors je pose ma bouche sur la sienne, lui pince le nez et lui insuffle de l'air avant de recommencer mes impulsions. Au bout d'une vingtaine de cycles, il ouvre de grands yeux en avalant une brusque gorgée d'air. Il se recroqueville en me voyant et appelle sa mère d'une voix enrouée par la fumée. Cette dernière ne réagit pas, les yeux fixés sur le bébé. Elle s'est redressé et se berce maintenant d'arrière en avant comme un automate. Je vois dans ses yeux une certitude qui me noue les tripes. Mes mâchoires se verrouillent.
Une mère ne se trompe jamais.
- M... maman ?
L'enfant rampe jusqu'à sa mère et agrippe son vêtement. Tous les deux sont grièvement brûlés, mais la peine dans leurs yeux est plus forte que toutes leurs brûlures. La mère caresse les cheveux du garçon qui sanglote doucement d'un geste absent. Leurs respirations sifflantes témoignent de dommafes importants à leur poumons. Cependant, c'est le regard de la mère qui me fait peur ; il est vide, comme mort. Comme si elle avait déjà baissé les bras. J'ai envie de la secouer, de lui dire de se réveiller, que son deuxième enfant est là et qu'il a besoin d'elle ! Mais me force à ne rien faire. Ce n'est pas mon bébé, je n'ai aucun droit de lui dire quoi faire. Mes dents s'enfoncent dans ma joue. Si j'étais arrivée plus tôt, j'aurais pu sauver le bébé. J'aurais épargné à cette famille la douleur du deuil. Je me lève brusquement. Il m'aurait suffi d'une minute de plus et peut-être... peut-être...
Mes yeux balayent les alentours et je me mets en mouvement pour sécuriser la zone. Je grimpe aux échelles, stabilise les poutres, passe des sceaux remplis d'eau. Mes muscles grognent. Tout pour ne pas penser. Tout pour me perdre dans l'agitation, la fumée, l'effort. L'incendie finit par s'éteindre au bout de quelques heures grâce aux chaînes d'eau qu'on a installé, mais la fumée s'élèvera sans doute encore pendant un ou deux jours. L'immeuble est noir et toujours brûlant, mais il est entièrement évacué et on l'a stabilisé à l'aide de piliers en contre-poids et de structures en métal. Il ne représente plus aucun danger pour les voisins.
Je relève la tête en entendant un bruit de pâles tournantes qui se rapproche dans le ciel. Un des hélicoptères de l'Atrium amorce sa descente vers nous. On y fait monter l'enfant, la mère et le bébé avec toutes les autres blessés, dont je devine que la destination est l'infirmerie de l'Atrium.
Ou la morgue.
Je ne fais plus attention aux gens qui s'activent autour de moi. Le bruit des activités disparaît peu à peu.
Dans le ciel, je suis du regard l'hélicoptère qui repart dans l'autre sens, transportant la femme et ses deux enfants.
L'un mort, l'autre vivant.
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Hi ! J'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à voter et à commenter pour me dire ce que vous en pensez ! ^_^ Désolée pour la mort du bébé, mais pour se rapprocher du réalisme, parfois il faut prendre des dures décisions.
Est ce que vous aurez préféré que Ash reste à la fin ? Que Shari meurt sous le mur ? (Non, je rigole mdr)
Rendez-vous dimanche prochain ! <3
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