Chapitre 12
- Alors comme ça, la Guéparde Dorée a fini par venir, lance Kira en mâchant avec appétit.
- L'appel du ventre. Et tu vois ce que ça m'a coûté...
Elle sourit, et je bois une gorgée de lait chaud en repérant Alex faire discrètement disparaître des aliments sous ses vêtements larges - pas choisis par hasard à mon avis.
- C'est une belle robe quoi que tu en penses, si j'étais homo je serais déjà en train de te reluquer.
- Merci pour le compliment, j'ironise.
Kira tire sur la manche de Jack qui discutait à côté en mangeant un quartier d'orange, deux autres en réserve.
- Hein qu'elle est à tomber, Shari ?
Il me regarde de haut en bas et sourit.
- À mourir, oui !
Je secoue la tête, autant amusée qu'exaspérée.
Jack a toujours été le séducteur de notre groupe de Novice. Avec ses cheveux châtains savamment désordonnés et ses yeux bleus profonds, il n'a pas de mal à attirer des prétendants ou des prétendantes.
- T'aurais pas bu un verre ou deux ? je demande à Kira en nous éloignant.
- Deux plutôt qu'un, elle réplique, le regard étincelant. Bon alors, on ne me la fait pas à moi. Combien d'armes as-tu cachées là-dessous ?
On échange un sourire entendu. J'ai deux fourreaux latéraux attachée à mes cuisses dans lesquels j'ai rangé deux dagues, et j'ai planqué la dernière dans une de mes bottes.
- Deux plutôt qu'une, je réponds. J'ai entendu dire que tu sors juste de sauvetage. Depuis quand prennent-ils des Bourrasques ?
- Oh, arrête avec tes grands airs de Rafale ! Nous ne sommes peut-être pas l'élite de l'Atrium, nous, mais nous faisons quand même partie de la crème (elle se penche). Mais il parait qu'un gros orage couplé d'une tempête arrive du Nord. Cela ne m'étonnerait pas que M. Jamal vous garde en bonne forme en prévision de son passage.
Laaja arrive vers nous avec un arepas à la main.
- Vous avez entendu parler du nouveau qui va arriver dans quelques jours ? Elle lance en mordant dans la galette de maïs.
Je faillis m'étouffer avec ma respiration - et croyez-moi c'est difficile. Il n'y a jamais eu de nouveau autre que les premières années qui entrent tous les ans à l'Atrium.
Les enfants âgés de plus de six ans qui veulent entrer dans l'Atrium doivent passer un test physique d'entrée, hors presque aucun civil n'y arrive, car le test est du niveau de la classe que le nouveau souhaiterait intégrer à l'Atrium, et ce niveau est très élevé puisque la classe a déjà suivi plusieurs années de formation intensive au combat, contrairement au candidat.
- Ouais, répond Kira. Et le meilleur, c'est que c'est qu'il intégrera directement les Rafales !
Quoi ?! Je fixe Kira sans bouger, incrédule. Jamais personne n'a directement intégré un niveau plus haut que les Novices en passant ce test, alors les Rafales ! Le seul gamin civil dans toute l'histoire qui a réussi à entrer à l'Atrium après ses six ans avait le niveau pour intégrer les deuxièmes années de Novice, pas plus.
Même pour nous, qui sommes entraînés au combat depuis l'enfance, la probabilité d'intégrer un jour ce niveau d'élite est faible. Alors pour un civil !
- C'est impossible ! S'exclame Kira, pourtant normalement la première au courant de tout.
- Apparemment non, elle rétorque avec une étincelle d'excitation dans les yeux. J'ai entendu M. Jamal en parler avec notre entraîneur. Tu imagines ? Elle continue avec un sourire surexcité. Un gars qui devient Rafale sans même avoir été novice, il doit avoir un sacré niveau !
Je fronce les sourcils. Elle a dû entendre parler de l'une des deux anciennes Bourrasques qui ont réussi à devenir Rafale cette année. Je ne vois pas comment elle aurait pu se tromper, sinon.
- Arrête de t'emballer, un type qui n'a jamais participé à un seul Tournoi et qui devient directement Rafale, ça n'existe pas, je rétorque, terre-à-terre.
Elle s'apprête à me répondre quand M. Jamal me happe pour me présenter à deux femmes d'une trentaine d'années, apparemment patronnes de plusieurs fermes. Je peste intérieurement, obligée de reporter le moment de la récolte de nourriture.
Mon esprit s'échappe tandis que je me compose un regard attentif. Je repense à ce qu'a dit Kira. Est-ce que ça peut vraiment être possible que quelqu'un de l'extérieur intègre les Rafales ? Non. C'est là que je me rappelle Ash dans cette ruelle. Je ne pense pas que ça pourrait être lui, il n'y a aucune raison à ce qu'il vienne ici. En revanche, ça remet en doute mes certitudes. Peut-être que c'est possible finalement, qu'un simple citadin puisse devenir Rafale.... non. Je ne sais même pas si Ash aurait le niveau d'une Rafale.
L'évocation de mon nom dans la conversation me ramène brutalement à la réalité.
- Tout à fait, la Guéparde Dorée. Belle et féroce ! C'est notre meilleur élément. Plus d'une centaine de victoires à elle toute seule, oui, oui ! Incroyable n'est-ce-pas ? Un vrai diamant. Et elle n'est pas en reste sur ses études...
Tu parles, mes études...
Mes yeux dérivent sur mes interlocuteurs. Je perçois dans le regard de la femme brune en face de moi de l'envie. L'amertume se diffuse dans ma bouche. Elle a déjà tout et elle m'envie encore. Rien que le buffet est dressé pour eux, composé de plats que je ne peux que sentir s'échapper des étals, d'habitude, le chauffage est pour eux, même nos tenues sont pour eux, tout ça, rien que la raison même de cette soirée, c'est pour eux. Je les fixe. Quel sentiment doit-on ressentir quand on vit dans une telle opulence ? Elle a l'argent, la nourriture, la sécurité, la chaleur, que peut-elle bien m'envier ? Ah... ma réputation. Oui, c'est ça qu'elle veut. Apparemment, la richesse n'apporte pas toujours la célébrité.
Elle rêve peut-être d'être aussi rapide que moi. Pourtant, si elle savait ce que j'ai vécu avant pour en arriver là, elle n'en voudrait sans doute plus.
Je n'ai pas toujours combattu avec cette vitesse. Au début, je ne courrais jamais aussi vite que je le pouvais, cela me rappelait trop le passé. Mes frères perdus. Ma mère. Alors quand je devins Major et que je participa à mon premier Tournoi, maigre comme j'étais, les pronostics disaient que je me ferais casser en deux.
J'y suis allée avec les chocottes, et je me suis fait casser en deux.
Mais j'avais tellement la rage de gagner, la rage de me défouler, la rage de pleurer mes frères et ma mère que je me suis entraîné encore et encore à courir dans les bois. J'accélérais comme quand je faisais la course à mes frères. Je poussais toujours plus loin, j'accélérais toujours plus vite. Jusqu'à ce que je grandisse et devienne plus musclée, plus agile, plus forte. Plus rapide. Jusqu'à être capable de tenir ma vitesse de pointe sur trente secondes, puis une minute, puis deux. Jusqu'à me présenter un jour dans l'Arène.
Et gagner.
Une fois. Deux fois. Quatre fois. Dix fois.
Sceptique d'abord, de plus en plus de sponsors et de spectateurs venaient voir la fille qui remontait dans le classement. On chuchotait de plus en plus dans les rues. C'était un mystère. J'étais maigre bien que musclée, mais dans ce genre de combat ça ne comptait pas contre des adversaires plus grands et forts. Ce qui les mis à terre, oui, ce fut ma vitesse. Et comme moi, la foule aussi finit par s'en rendre compte.
C'est à partir de là qu'on commença à me surnommer la « Guéparde Dorée ». A partir de là que les gens commencèrent à s'écarter sur mon chemin. A partir de là qu'on commença à me dévisager dans les rues.
Je lutte pour ne pas laisser mon agacement transparaître quand la deuxième femme dit quelque chose qui retient mon attention.
- J'ai entendu dire que les hélicoptères avaient eu des ratés, cet après-midi. Rien de trop grave, j'espère ?
Ses yeux scrutent le directeur, comme pour guetter sa réaction. Sa surprise, révélée par une infime crispation du coin de sa bouche, ne se voit presque pas. Il répond d'un ton que je sais faussement amusé :
- Les nouvelles vont vite ! Ne vous inquiétez pas, c'est déjà réglé. Le froid nuit parfois aux machines.
La patronne brune hoche la tête et son regard se fait plus aiguisé.
- Quel était le problème, exactement ?
Je tends l'oreille. Comment va-t-il s'en sortir, cette fois ?
- Un problème technique... mais c'est trop compliqué à décrire sans connaître le système. Croyez-moi, même nos pilotes ont parfois du mal à me faire les rapports. Sans avoir la machine devant vous, c'est difficile à comprendre.
- Oui, voler en hélicoptère est fascinant, mais doit sans doute nécessiter beaucoup de réglages. Je serais très intéressée à apprendre la mécanique des hélicoptères à vos côtés ou près des pilotes.
Tout le monde me regarde d'un air surprit, ne s'attendant pas à ce que je fasse autre chose que sourire poliment. Les doigts de M. Jamal se crispent sur son verre. Il doit se demander à quoi je joue.
- Je ne prendrais pas le risque de t'éloigner de ta vocation pour le combat, il lance d'un ton sérieux.
Le regard de la deuxième dame revient sur le directeur.
- Vous aussi savez les piloter ? Vous êtes encore plus cultivé que je le pensais. Où avez-vous appris le fonctionnement de tels engins ?
M. Jamal a un sourire fin, et je fais semblant de m'intéresser au contenu de mon verre, mais me focalise totalement sur lui dans l'espoir de glaner des informations.
- Oh vous savez, les erreurs nous font apprendre bien des choses ! J'ai cru entendre que vous alliez vendre vos terrains trop secs au Sud pour investir dans une parcelle à l'Ouest, d'ailleurs, dit-il en changeant de sujet à ma plus grande frustration. Félicitation !
La patronne de ferme réagit aussitôt en se moquant de la naïveté de l'acheteur auquel elle lui a vendu les terre et M. Jamal m'autorise alors discrètement à partir. Je n'aurais rien appris de plus, ce soir. Il s'est faufilé entre les questions comme une anguille ! Je ravale ma frustration et me réconforte en plongeant vers le banquet. Il est si rempli qu'il ne m'est pas difficile d'imaginer à quel point nous allons devoir nous serrer la ceinture ces prochains mois pour payer le coût de ce buffet destiné principalement à des gens qui n'ont même pas faim. Je prends à pleines mains un cuissot de cuy braisé en glissant discrètement deux petits pains dans mon corset pour Aron. Je mâche lentement en soupirant de plaisir. Mon estomac n'a pas l'habitude de recevoir autant de nourriture et je me sens vite nauséeuse. Je me force à m'arrêter pour ne pas vomir. J'ai l'impression d'être rempli jusqu'à la gorge !
Je marche le long du buffet en piquant discrètement des boulettes de viande, des oranges, quelques carrés de chocolat, quelques tranches de gâteau aux myrtilles que je m'empresse de cacher sous ma robe. Cette réserve nous permettra de tenir bien un ou deux mois. Aron va être ivre de joie en voyant toute cette nourriture ! Je souris en pensant à la tête qu'il va faire.
Je sens soudain une présence derrière moi. Je me retourne et découvre Alex, très élégant en smoking bleu foncé, bien qu'il soit clairement mal à l'aise dedans. Il pose son regard gris acier sur ma robe avec un haussement de sourcil.
- J'aurais pensé que tu aurais évité la soirée, surtout s'il te fallait porter une robe.
Avec ses cheveux coupés ras, ses yeux gris métalliques et ses traits fins et durs, Alex intimide beaucoup. C'est un gros atout pendant les combats, mais en vrai il déteste la violence gratuite. Son nom entier est Alexandre mais on l'appelle tous Alex. Si j'avais un frère biologique, ce serait lui. Je lève mon verre et le descend d'une traite.
- Je surmonte bravement les épreuves que la vie me donne.
Il ricane.
- C'est ça, on se souvient encore de la dernière soirée... tu avais prétexté quoi déjà ? Ah oui, la chiasse...
Je grimace. Moi, je l'avais oublié...
- On fait comme on peut avec ce qu'on a, je grogne. La dernière fois, j'étais obligée de venir avec une robe qui pesait ton poids, j'aurais encore préféré te porter que la mettre !
Il lève les yeux au ciel.
- Je suis pas sûr que j'aurais préféré, moi. Les robes te vont bien, 'empêche, tu pourrais même en mettre plus souvent.
- Parce que tu te bats en smokings toi, peut-être ?
Il rigole.
- Touché coulé. Je déteste les smokings, ça gratte partout.
Je secoue la tête.
- Il y a des gens qui détestent être dans le noir complet, ou au bord du vide... toi tu détestes les smokings.
Il s'apprête à dire quelque chose, mais je le coupe qu'il ait pu prononcer un son :
- Tu es au courant de cette histoire de nouveau ?
Je le sonde du regard. Son yeux gris acier prend une teinte moqueuse.
- Depuis quand tu es naïve ? Si tu écoutais toutes les rumeurs qui courent, tu t'appellerais même plus Shari. Il hausse les épaules. C'est physiquement impossible que quelqu'un puisse être à un tel niveau sans n'avoir suivi aucun entraînement.
- Peut-être qu'il en a suivi, rétorque la voix de Kaïcha, qui apparaît derrière nous.
Je fronce les sourcils.
- Il n'en existe aucun à part celui de l'Atrium, tu le sais.
- Croyez-moi, j'ai des tuyaux, dit Laaja en apparaissant derrière elle avec un sourire malicieux.
Alex et moi on échange un regard amusé.
- Des tuyaux qui s'appellent Jack, non ?
- On parle de moi ? demande l'intéressé en passant devant nous, un toast à moitié dévoré à la main.
Je lève les yeux au ciel.
- Enfin, Jack, il n'y a même pas de doute à avoir !
- Et moi qui croyais que je n'étais seulement que dans la tête de la moitié des personnes ici présentes, je suis rassuré !
Soudain, Aron me passe entre les jambes et fait tomber mon verre. Je le rattrape de justesse avant qu'il ne se brise au sol. Je l'attrape par le col.
- Tu m'expliques ce que tu fais, là ?
Alex sourit d'un air compatissant en voyant le garçon aux cheveux noirs crépus se débattre avec l'énergie du diable.
- Je crois que t'es pas censé être là, lance Alex en lui glissant discrètement des carreaux de chocolat dans une de ses poches.
- Fous-moi la paix ! grogne le garçon, trop occupé à se débattre pour se rendre compte de son geste.
- Arrête, je dis en resserrant ma prise, ça ne sert à rien de t'agiter, tu n'as aucune chance de t'échapper. Qu'est-ce qu'il se passe ?
Sa boucle d'oreille dorée teinte au gré de ses ruades, faisant tourner quelques têtes vers nous mais il mesure la moitié de ma taille et je le maîtrise sans difficulté, si bien qu'elles se détournent rapidement. J'ai remarqué néanmoins ces derniers mois qu'il pousse vite, ce qui me laisse présager qu'il me dépassera dans plusieurs années. C'est une mauvaise chose. Plus on est grand, plus notre centre de gravité est haut et plus on a de risque de tomber dans un combat.
Il tourne la tête vers moi et plante ses yeux presque noirs dans les miens, m'accusant du regard.
- Pourquoi tu n'es pas venue ? Il me demande avec colère sans desserrer les dents.
C'est vrai, j'étais censé le prévenir, mais j'ai rencontré un petit... contretemps. Je devais lui apprendre un nouveau mouvement de défense. Je le repose sur le sol et il se plante devant moi, les bras croisés, les jambes solidement plantées dans le sol.
- Tu vois bien que je suis ici, je réponds, surprise par sa véhémence. Je devais être présente pour le gala.
Aron n'est pas colérique, il est même le contraire, sérieux, sombre et solitaire, son caractère singulier pour un enfant de huit ans vient de son enfance mouvementée. Comme je le connais, sa réaction ne peut être due qu'à une chose : il s'est fait battre en duel et cherche un prétexte pour extérioriser sa colère.
Je fais un petit signe à Alex, Kira et Kaïcha qui me laissent seule avec le garçon. Pour plus de tranquillité, je l'amène au fond de la salle, faisant fi des yeux intrigués qui nous suivent du regard. J'entends des chuchotis se demander qui est ce garçon qui accompagne la Guéparde Dorée. Je lève les yeux au ciel. Qu'ils se le demandent donc !
Aron me suit sans protester, signe que la véritable raison de sa colère n'est pas qu'il m'en veut. Je plonge mes yeux dans les siens, si familiers que je reconnaîtrais leur éclat même dans le noir.
Je m'apprête à lui demander ce qu'il se passe quand l'alarme incendie se déclenche.
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Hi ! N'hésitez pas à voter et commenter, ça m'aide toujours à m'améliorer ! ^_^
Alors, qu'est ce que vous avez pensé de ce chapitre ? La longueur me semble bien, mais peut-être que vous aurez préféré plus long ? On a un nouveau personnage qui rentre, Aron, le petit bout de choux de Shari - même si elle ne l'avoueras jamais mdr !
Sinon, je suis assez curieuse de savoir de ce que vous pensez que signifie cette alarme...
A dimanche prochain ! <3
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