Chapitre 11 :
Je pousse la porte de la salle de cérémonie.
Grande, somptueuse et dans les tons argent et or, elle est décorée de petites fleurs taillées dans du faux améthyste, ambre et argent. Cela reflète assez bien la politique de l'Atrium. Tout dans l'apparence. Ce soir, un buffet avec des assiettes non ébréchées est monté pour l'occasion sur toute la longueur de la pièce, faisant face à une façade de miroir spécialement nettoyée, reflétant les six vieux lustres au plafond. Dépoussiérés, pour une fois.
La salle de cérémonie est largement critiquée dans nos rangs pour être un pur gâchis. La plus grande salle de l'Atrium pourrait servir à autre chose qu'accueillir des cérémonies. Près du chauffage, elle serait idéale pour en faire un dortoir l'hiver pour les novices, qui dorment loin du principal chauffage centrale : les cuisines. Près des cuisines, elle pourrait aussi bien servir de réfectoire, mais non, elle ne sert qu'à accueillir au chaud des gens qui sont si chaudement vêtus qu'ils n'en ont même pas besoin.
Je repense au manoir des doubles-âmes. A l'évidence, il n'est pas souvent nettoyé et j'ai remarqué de nombreuses fissures dans les murs ou des meubles à qui ils manquent un pied ou une étagère. Malgré la taille du manoir, ils n'ont pas l'air riche. Je me demande ce qui les maintient encore en vie. Seule Ines semble travailler et les autres ont l'air de rester à la maison. Sauf peut-être Kyle et Ash, qui doivent avoir l'âge d'avoir un boulot. Je me demande ce qu'ils font. Les yeux ambrés d'Ash doivent lui refuser beaucoup de postes vu la force des superstitions ici et Kyle n'a pas les mains rêches typiques des travailleurs ou alors, il ne fait pas un travail manuel. Je fronce les sourcils. Je dois me concentrer sur cette soirée. Je prends une inspiration, et m'avance.
Une multitude de personnes est rassemblée us la lumière, riant, parlant, mangeant et dansant dans des robes, smokings, et tenues élégantes, parfois agrémenté de fourrure, de gants ou de collants chauds. Leur tenue sont parfois si volumineuses et colorée qu'on les appelle « les perroquets », entre nous. Et puis, ils caquettent tellement qu'il est impossible de ne pas voir la ressemblance.
Ces soirées de haute compagnie sont des évènements publicitaires important pour l'Atrium. Elles servent à attirer de nouveaux sponsors pour faire de bons arrangements et créer des contrats en échange de tickets de combats, de places spéciales dans les gradins ou d'une relation publique particulière avec celui ou celle qu'il sponsorise. Comme certains sont propriétaires de quelques terres cultivables, chef des bouchers, boulangers, poissonniers ou encore patron des bûcherons ou de boutiques de textiles, ils nous fournissent en contrepartie des biens essentiels comme du lait, de la laine, des céréales, du bois, des légumes, des fruits, parfois même de la viande... c'est grâce à ce système que l'Atrium ne s'est jamais effondré, même dans les périodes de crise. En hiver, notamment, lorsque le nombre de citadins qui assistent au duel baissent beaucoup à cause du froid, cela nous sauve de la famine totale. Nous ne vivons pas dans des lits à baldaquins avec des feux de cheminées dans les pièces, mais au moins, nous avons l'assurance de pouvoir manger chaque jour.
Je balaye des yeux la salle, indécise. Je pourrais partir sans que personne ne le remarque là tout de suite, il en est encore temps. J'ai besoin de dormir afin d'être en forme pour un combat demain et toutes ces personnes ne m'inspirent pas beaucoup de sympathie.
Mais leur argent nous garde vivant, et j'en ai besoin plus que de ma colère. Crier ne va pas remplir mon ventre, au contraire ça éloignerait des bons contrats. Alors je me compose un visage neutre, je me prépare à sourire et j'entre sous la lumière. Au moins, je me dis en fixant le buffet, je vais enfin pouvoir manger un repas entier depuis plusieurs jours.
Je n'ai pas le temps de faire un pas de plus, néanmoins que Kaïcha me fond dessus. La Rafale est vêtue d'une robe orange fluide qui est retenue par deux attaches à l'épaule droite. La couleur vive de sa tenue fait ressortir le teint mat de sa peau et ses cheveux noir bouclés contrastent joliment avec la clarté du tissu, un effet sans doute voulu, car avec elle, rien n'est mis au hasard. C'est elle qui a cousu sa robe, comme toujours. Elle a des doigts aussi habiles à manier le sabre que l'aiguille à coudre et comme l'Atrium permet à ses combattants de développer une capacité manuelle à côté de la formation martiale pour pouvoir trouver plus facilement du boulot après qu'on est obligé de partir, à nos dix-neuf ans, elle coud nos tenues de soirées à Laaja et moi. Le talent de Kaïcha, c'est coudre, pour Laaja, c'est cultiver. Et moi... faire peur aux gens en les fusillant du regard.
- Tu penses à quelqu'un en particulier ? je lance avec un sourire moqueur devant sa tenue très apprêtée.
Elle lève un sourcil sarcastique.
- Je t'emmerde et l'amour aussi. (Elle me juge du regard) Tu aurais au moins pu faire l'effort de mettre quelque chose de moins sale !
Je hausse les épaules. Je suis en tenue Kaïcha m'a cousu une robe pour l'occasion puisque M. Jamal exige des Rafales de faire particulièrement bonne impression pour attirer les sponsors, mais je déteste les vêtements serrés et lourds dans lesquels on a l'impression de déplacer un bloc avec soi et c'est précisément l'idée que se fait M. Jamal « d'impressionner ». On ne peut même pas garder les tenues pour découper le tissu et recoudre nos vêtements avec, parce qu'ils sont vendus aux enchères après chaque gala. J'attrape la première excuse qui me vient à l'esprit :
- Je rentre juste d'entraînement, je n'ai pas eu le temps de me changer.
J'ai dû récolter un peu de poussière et de terre sur mes vêtements en retombant devant le manoir, mais j'ai épousseté et défroissé mes vêtements, ça doit avoir une meilleure tête maintenant. Laaja surgit derrière Kaïcha et me prend par le bras, ses yeux verts la fusillant du regard.
- Ah, on est d'accord ! Elle m'a obligée à changer de tenue... comme si j'allais pouvoir me battre comme ça ! elle s'insurge en désignant ses vêtements.
Elle porte une jupe turquoise légère avec un léger haut bleu ciel qui découvre ses épaules. Elle a ramassé ses longs cheveux blonds en chignon, porte des boucles d'oreilles assorties à leur couleur - sans doute des fausses, et a enfilé des sandales aux pieds. Je hausse un sourcil. La connaissant, elle n'aurait accepté de personne d'autres que Kaïcha ou moi de la forcer à porter autre chose que ses bottes de combat en cuir.
- Tu n'as que des tartes contre qui te battre ici, réplique Kaïcha, pragmatique.
- Non, des jupes, aussi, grommelle Laaja.
Elle a raison, on s'empêtre tellement dans ces machins-là, c'est presque une lutte.
- Je ne sais pas pourquoi je fais des tenues que vous ne mettez pas pour l'occasion pour laquelle j'ai dû la créer ! grogne Kaïcha, exaspérée. En général, les robes ne sont pas faites pour être mises dans une armoire sans y toucher...
Laaja soupire.
- Tu ne comprends rien à l'art abstrait.
Kaïcha lui envoi un regard noir. Je grogne. Je déteste ça, mais comme toujours, elle a raison. Les Rafales sont l'attraction la plus populaire de l'Atrium, nos combats sont parmi les plus prisés car les plus violents, et ils font vendre beaucoup de places, de quoi faire de grosses rentrées d'argent. Il faut qu'on soigne notre image pour attirer des sponsors. Ce n'est vraiment pas pratique pour marcher, c'est lourd et ça froufroute partout d'une manière très agaçante, mais ça peut nous donner un peu plus à manger. Je me mords la lèvre, mais tourne les talons en direction de ma chambre. Kaïcha sourit d'un air victorieux et s'apprête à m'emboîter le pas, mais je l'arrête d'un mouvement :
- Non, tu restes ici ! Déjà que je mets une robe, je veux au moins pouvoir l'enfiler tranquille.
Kaïcha s'apprête à protester, mais je fais déjà demi-tour.
- Vois le bon côté des choses, au moins tu auras l'effet de surprise !
Tu parles, l'effet de surprise, c'est elle qui l'a créé...
- Attends, dit Laaja en me soustrayant mes rapières, je te prends ça, je vais aller les installer pendant que tu te changes.
Je reviens une dizaine de minutes plus tard dans une longue robe carmin au bustier orné de petits cristaux dorés en spirale qui scintillent à la lumière et reflètent les éclats argentés et or des lustres. Le bustier est rembourré, apparemment mes seins ne sont pas assez gros pour ces messieurs-dames. Le tissu doux - je dois bien l'admettre - s'évase à partir de mes hanches où il devient progressivement ruché. Au moins, cette robe me permet de garder mes bottes de combat, cachées sous le tissu. S'il arrive quelque chose, cette robe sera mon tombeau.
J'ai même fait un effort supplémentaire et tressé mes cheveux ! Kaïcha et Laaja qui m'attendaient au coin de l'entrée se tournent vers moi et sourient de leur sourire assortit.
- Tu es splendide ! s'exclame Laaja.
Ce qui aurait été flatteur, si je ne savais pas à quel point elle est toujours dans l'exagération.
- Cette robe te va bien, dit Kaïcha, plus réaliste. Or et rouge, assortit à la couleur de tes yeux.
Bah tiens, c'est pas comme si on l'avait imaginé pour moi...
- Ce n'est pas du tout pratique pour marcher, je grogne en soulevant le bas de la robe bien trop longue et lourde pour avoir une bonne liberté de mouvement.
Si je ne déchiquette pas cette robe avant la fin de la soirée, c'est un miracle.
On s'approche du banquet. C'est là qu'on voit qui est de l'Atrium et qui ne l'est pas : les invités discutent poliment autour, un toast à la main, tandis que les Atrimiens sont tous massés près des plats aux odeurs toutes plus chaleureuses et gourmandes les unes que les autres. Mes narines se dilatent et mon estomac pousse des grognements de bête féroce, anticipant le moment tant attendu. Ma tête me tourne brusquement. Ce midi, on avait deux tranches de pain avec du mais et ce matin, une pomme. J'ai l'impression d'entrer dans un de ses restaurants qui font tant envie à Aron quand on passe devant, en ville, ceux avec les nappes rouges et les chandeliers sur les tables.
Je repère des brochettes de cuy - un rongeur aussi apprécié en plat qu'en animal domestique, mais je m'arrête net à la vue de bols de pachamanca - un plat de fête à base de pomme de terre cuitent dans un trou creusé dans le sol, tiraillée entre la viande et les légumes. A côté des brochettes ont été disposés des pains de quinoa et des empanadas, côtoyant des tranches de fromage placées en rond, un gâteau aux myrtilles, du chocolat, des oranges, du miel... et même des alfajores, ces pâtisseries au dulche de leche que j'ai acheté une fois à Aron pour son anniversaire. Cela m'avait coûté deux mois à économiser pour un si petit bout de bouffe.
Je rafle finalement deux tranches de fromage au chèvre que je pose sur une tartine de pain blanc encore chaud et mords dedans à pleines dents. Je n'ai jamais goûté de fromage à cause de son prix, sauf lors d'occasions comme celle-ci et le pain qu'on a parfois à l'Atrium est sous forme de petite boule brunâtre. La différence avec cette mie moelleuse me caresse le palais. J'échange un regard complice avec Laaja et je me sers d'une deuxième tartine de pain, étale du miel dessus et la dévoreen deux coups de mâchoires. Le miel est l'une des rares choses sucrées que j'aime avec les fruits. J'en mangeais parfois dans la savane quand on tombait sur une ruche, cependant ici, il n'y a même pas à risquer sa vie pour aller en chercher. Je lèche avec délectation les gouttes de miel qui s'apprêtent à tomber au sol de mes doigts.
J'attrape une brochette de cuy et réprime un soupir de bonheur alors que je plante mes dents dedans. Le vide douloureux dans mon estomac s'apaise peu à peu et je savoure cette sensation de plein. J'attrape un verre de lait sur la table et m'apprête à me servir de pachamanca quand une main se pose sur mon épaule. Je me retourne et vois Kira. Elle est vêtue d'une robe très courte qui ressemble plutôt à un deux-pièces... en fait, on dirait presque un maillot de bain. Je souris, amusée. Elle a toujours eu des tenues provocatrices, ce qui provient sans doute de son caractère haut en couleur. Ses jambes sont couvertes d'un collant noir en résille allant jusqu'à mi-cuisse et décoré de volutes doré. Elle porte une courte jupe rouge sombre bordée d'or et fendue sur les côtés et sa poitrine est couverte par un court haut rouge qui laisse à découvert son dos musclé de combattante.
Un tissu vaporeux rouge lui couvre les épaules et le haut des bras, lequel se prolonge en une manche large du côté gauche. Elle a ramené ses cheveux en chignon et a piqué une rose rouge dans ses cheveux noirs.
Totalement Kiraesque.
Kira est une bonne amie de mon groupe de Novice. C'est une tête brûlée qui adore provoquer les gens et les règles et une fois, elle avait décidé de ne porter que ses sous-vêtements dans un combat. On a eu un fou rire incroyable avec Laaja et Kaïcha en voyant la tête de son adversaire.
- Tu ne me complimentes pas sur ma robe ? Elle demande d'un air faussement vexé en fourrant dans sa bouche une part de gâteau aux myrtilles dans sa bouche.
Comme si j'y connaissais quelque chose...
- Je l'ai déjà vue, Kaïcha m'a montré son croquis, je rétorque, la bouche pleine.
- Tu peux quand même la trouver belle.
On échange un regard.
- La fille devant moi ou la tenue qu'elle porte ?
Avec un adorable rire en cascade comme seule Kira sait le faire, elle me prend le bras et m'écarte du buffet en mordant dans un patacones - une sorte de petite galette de maïs avec du bœuf dessus. Des regards la suivent de loin, s'attardant sur ses jambes, son ventre à nu, son dos. Le corps des combattants, sculptés par des années d'entraînement intensif attisent souvent les désirs des invités et M. Jamal le sait bien. Il autorise nos tenues qui en dévoilent plus que nécessaire, mais il fait très attention à notre sécurité par rapport à cela. Ses invités sont étroitement surveillés et aucun d'entre eux n'a jamais abusé de nous.
D'une part, parce que personne ne veut se frotter à des filles qui se battent depuis leur six ans et d'autre part, parce que s'ils s'y mettaient à plusieurs, M. Jamal les détruirait dans tous les sens du terme.
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Hi ! N'hésitez pas à voter et à commenter pour me dire ce que vous avez pensé de ce nouveau chapitre plus calme, qui prépare un boom d'action ! D'ailleurs, est ce que la longueur vous convient ?
A mercredi prochain ! ^_^
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