Chapitre Unique

Un détail me gêne, je ne ressens rien. Pas le moindre bout de tissu capable de recouvrir mes yeux, ni même de liens empêchant mes mouvements. Et, pourtant, je me retrouve dans l'incapacité de me mouvoir comme si une force invisible me retenais attachée au sol sans possibilité de voir autour de moi pour confirmer cette hypothèse.
Je n'entends rien non plus, pas la moindre voix, pas même un infime bruit de couloir m'indiquant ma position; je suis sans repères et amnésique des événements m'ayant conduit à cette situation.
Réfléchis Manéa, qui pourrait t'en vouloir ? Tu es l'unique fille Fenrir, la princesse louve la plus adulée de toute la contrée. Qui aurait dans l'esprit de te faire du mal ? Personne ! Tu es le joyaux capable d'enfanter le prochain loup originel. La volonté divine est avec toi et aucun être, le plus surnaturel soit-il, ne peut te blesser sans risquer de s'attirer les foudres de la Destinée.

― Hey oh, y a quelqu'un ?

Pas de résonance , je ne suis pas enfermée dans une de ces pièces obscures aux murs étroits. C'est déjà une mauvaise nouvelle en moins. La question est, où suis-je alors si je ne suis pas dans un de ces décors glauques de tout bon film d'épouvante ? Et pourquoi je ne suis pas dans la capacité de distinguer quoi-que-ce soit aux alentours ? Et surtout qui aurait prit l'initiative de s'en prendre à moi, aucun sorcier, même le meilleur des sorciers ne prendrait le risque de me lancer un sort sans risquer de perdre sa magie. La Destinée n'est pas très commode quant il s'agit de se moquer de ses prophéties.

― Réveillée, princesse ?

Cette voix, cette tonalité, elles me disent quelque chose. J'ai l'impression de les avoir déjà entendu, sans pour autant réussir à mettre un visage dessus.

― Où suis-je ? Et pourquoi je ne vois rien ?

Pas sûre qu'il me dise ce que je veux savoir, mais qui ne tente rien n'a rien. Parfois, il faut savoir jouer le tout pour le tout. Il n'y a que les imbéciles qui n'essayent pas de défier le diable. Et la chose qui se trouve en face (ou je ne sais où géographiquement parlant) semble être en en étroite corrélation avec le diable.

― Dans un endroit que tu n'imagines même pas.

Y a pas plus cliché comme réponse ? Il aurait pu rajouter « en Enfer » que ça aurait presque tourné au génie. Notre ravisseur ne semble pas très futé, j'ai au moins pu comprendre cela. De nos jours ce genre d'échange ne fait plus peur, le monde est rempli d'horreurs en tout genre alors quelques mots par-ci par-là ça ne fait plus grand effet.

― Mais encore ?

Un rire sonore, un craquement d'os; une vaine tentative d'intimidation. Je ne me laisse plus prendre pas l'effroi, il y a des années de cela que le peuple des loups originels n'a plus connu d'accalmies. Depuis l'arrivée des changes-formes et autres hybrides en tout genre, l'avidité et l'ambition de pouvoir étant trop fortes pour garder la paix sur nos royaumes.

― Ne joue pas la maligne. 
Tu sais très bien tout comme moi que ton peuple n'est plus de taille pour luter contre nous.

Plus de taille ? Foutaise.
Bien que de moins en moins nombreux, tous ensemble, il est encore de notre ressort de mater ces prétentieux !
Les originels sont et seront toujours plus puissants que n'importe quelle autre espèce. Nous sommes les enfants de la destinée, nous faisons partis du plan qu'elle a bâti. Si notre extinction devait arriver, le monde ne s'en remettrait pas. Tous le savent, pas un seul être ne le nie, les loups originels sont le ciment des non-humains. Sans nous, rien ne serait arrivé. Nous avons amené la paix et l'intégration de ces peuples si obscures pour la race humaine. Et, tant que nous serons là, aucune représailles ne sera à craindre. Voilà la raison de notre arrivée première, voilà le but de la Destinée : Nous rendre souverains des originaux pour construire une union entre humains et non-humains.

― D'où viens-tu pour ne pas connaître la vérité étranger ? 
Rien ne peut nous atteindre, n'as-tu pas peur de t'en prendre à l'enfant de la Destinée ?

S'il devait nous arriver quelque chose, la Destinée s'en chargerait. Elle mettrait au point une revanche pour détruire le peuple responsable de notre disparition. Elle ferait tout son possible pour faire renaître le premier loup originel et ainsi ramener la tranquillité entre les races.

― Je suis Manéa Fenrir, la louve en charge d'enfanter le prochain loup originel.
Sais-tu ce qui t'arriverais si un malheur m'arrivait par ta faute ?

De nouveau ce rire, mais cette fois-ci accompagné d'un bruit de chaise... et d'une caresse sur ma cuisse.

― Et moi, je suis celui qui en veut à la Destinée.
Dommage pour toi, Manéa.

Cette main remonte doucement, de plus en plus doucement mais sans ne jamais trembler. Elle est sûre d'elle, décider à faire mal sans ne douter un seul instant de son impact. Elle a préparé son travail pour n'être que plus spectaculaire le jour de sa représentation.
Et si je m'étais trompée, si quelqu'un était prêt à détruire l'équilibre si difficilement construit par mes ancêtres ?
La Folie, je ne la connaissais que de nom, mais il semble qu'elle ait décidé de se présenter à nous.
Il n'y a pire ennemie pour la Destinée que cette extravagante sans recul qu'est la Folie.

― Connais-tu le véritable visage de ta chère Destinée ? 
De quoi est-elle véritablement capable pour mener à bien ses projets ?

La main continue son ascension et finit par trouver sa place. Elle déplie ses doigts puissants et s'agrippe à ma gorge. Pourtant, elle ne serre pas fort, elle exerce une petite pression pour instaurer la peur en mon sein. C'est ce que je crois deviner, c'est un effet qu'elle veut créer pour me pousser au dehors de mes retranchements. Mais c'est ne pas me connaître que croire que cela fonctionnera. Après tout, je suis Manéa Fenrir, la Destinée a un plan. Elle en a toujours un, elle sera toujours prête à me protéger de tout danger pouvant m'entourer.

― De quels sacrifices peut-elle être capable ?
Il faut avoir connu toutes ses facettes pour s'en détacher et ne plus la craindre.

Les doigts raffermissent leur prise, s'accrochent obstinément et ne laissent plus le choix. Je ne peux plus respirer. Mon air est coupé par la pression qu'ils exercent.

― J'ai cessé de la suivre depuis longtemps.
Elle n'apporte que semblant de paix.
Elle n'est que mensonge et perfidie.
Ta Destinée ne te sauvera pas, pas plus qu'elle n'apportera le salut à ton peuple.

Les doigts se retirent et ma vue me revient. Je suis installée dans une pièce des plus banales, assise sur un fauteuil des plus quelconques. Rien ici n'est atroce, ni même inquiétant. Ça ne respire pas non plus l'opulence, c'est modeste mais suffisant. Tout ce qu'il faudrait à un étudiant pour mener à bien ses années Universitaires avant de se retirer dans le monde du travail.
C'est toujours dans l'ordinaire que se produisent les pires tragédies.

― La vérité, c'est qu'elle tue plus qu'elle ne fait naître. 
Elle n'a jamais dit la vérité.

La voix se retourne et m'offre un aperçut de son visage...

― Boyld !!!

Boyld Loki, le fils de feu Ohran Loki l'ancien dirigeant en tête des changes-formes. Il a péri des mains de Silieos Fenrir, mon père.

― Bonjour Manéa, comment se porte ton père ?

Lors d'une bataille amorcée par les loups originels, Ohran et Silieos se sont affrontés. L'un des deux n'y a pas réchappé, les changes-formes ont perdu leur figure de proue et une guerre sans merci s'est engagée entre ces peuples. Je n'étais pas très grande lorsque cela s'est produit, je ne m'en souviens même pas pour tout dire. Mais je connais Boyld, nous étions assez proches enfants.

― Tu le sais très bien Boyld.
Tu es le dernier à l'avoir vu.

Depuis peu, une rumeur court au sujet de Boyld : Il serait devenu chef des changes-formes comme le fût autrefois son père. Or, pour réussir un tel exploit il doit auparavant accomplir un acte d'une certaine grandeur. Et cet acte, nous pensons l'avoir deviné depuis la disparition de Silieos. Mon père n'étant plus le combattant d'il y a quelques années, Boyld peut très bien l'avoir mis à terre.

― Je ne sais pas. Non. 
Je n'ai rien fait.

Je le regarde dubitative, je n'arrive pas à le croire. Pourquoi n'en aurait-il pas profité ? Et comment se fait-il qu'il en soit là aujourd'hui sans preuve de courage à donner à son peuple ? Les changes-formes sont bien plus compliqués que nous d'un point de vue hiérarchique. Il n'y a pas de succession définie par la Destinée, tout est fait par preuves. Un souverain qui ne serait pas prêt à les protéger ne les intéresserait pas, ils n'ont pas de protection Divine comme nous.

― Ne me fais pas croire que tu es devenu chef sans vengeance.
Vous n'êtes que Barbarie, la mort de mon père ne serait que bénéfices pour toi.

Il se remet à rire, d'un rire bien plus clair que les premiers. Je ne me pensais pas comique à ce point, il faut croire qu'un talent sommeillait au plus profond de moi.
De son rire reste un large sourire avant qu'il ne reprenne la parole.

― Ce n'est pas lui qui m'intéresse.
Ne crois pas me connaître.

Eux, ne pas les connaître ? Il n'y a pas de peuple plus facile à discerner que les Changes-Formes. Aucun de leur concept n'a changé depuis leur arrivée sur terre; ce n'est pas les siècles qui leur ont manqué pourtant. Ils ne sont pas connus pour leurs idées extraordinaires, mais plutôt pour leurs bons services en raison de cette prépondérance à ne jamais rien changer dans leurs habitudes. Ils sont monotones, redondants, ennuyants, clairs et inchangés depuis toujours.

― Boyld, je te connais comme je connais tous les autres.
Vous êtes tous les mêmes.

Il lève son index et pointe le plafond. Son sourire ne l'a pas quitté, au contraire il semble bien s'être fixé comme l'une de leurs vielles manies.

― Et, c'est là où tu te trompes Manéa.
Je ne suis pas celui que tu penses.

Il pointe de nouveau son index en direction du plafond. Il n'a pas terminé son discours. Bien au contraire, il en a davantage à raconter.

― La Destinée, tout ça...
Ce n'est que du pipeau.

Il se racle la gorge et prend un ton de récit.

― Sais-tu pourquoi ton père et le mien se sont battus ?
Pourquoi tu es la première fille louve choisie par la Destinée ?
Pourquoi tout ceci n'a aucun sens depuis le début ?

Il se remet à rire, d'un rire profondément mauvais et plein de rancoeur.

― Parce que ma mère n'était qu'une pute et que ton père n'était qu'un enfoiré infidèle.

Son doigt, il se met à le plier et le déplier en manière de vas et viens.

― Tilt un peu Manéa.
Je suis le loup choisi par la Destinée.
Tu ne vas rien porter du tout. Ton père a modifié le sens de la prophétie pour le faire croire.
Je suis le loup bâtard, Mi-Loup-garou, Mi-Changes-Formes.
Je suis l'enfant de la prophétie, pas toi.
L'enfant loup originel et original en charge de la gouvernance des races non-humaines.

Ce n'est pas vrai, ça ne peut pas être vrai...
Boyld ment...

― Si je te tue, ça ne fera rien.
Ton existence est vide de sens et n'apporte que le mensonge.
Manéa, comprend que ce n'est pas contre toi.

De sa poche, Boyld sort un couteau.

― Mon peuple me croit.
Pas le tien, ta mort me servira de preuve.
Tu dois mourir pour que la vérité soit exposée.
Ton père était un connard manipulateur.
Et la Destinée n'est qu'une salope incapable de choisir correctement.
Je mènerai ton peuple à sa perte, même si le monde doit s'écrouler pour ça.

Puis, plus rien.
L'auteur reprit la main, Manéa ne fût plus.
D'un coup de couteau bien placé, la vie se retira du corps de la jeune fille.
Reconnu par la Destinée comme erreur de Silieos, aucune protection ne fût faite autour de cette frêle carcasse qu'eut été Manéa. Boyld avait raison sur toute la ligne, depuis longtemps la Destinée s'était détournée de ce peuple qu'elle chérissait tant au départ.

Il faut se souvenir que :
La Destinée n'est pas très commode quant il s'agit de se moquer de ses prophéties.

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Fin de cette nouvelle.
Elle n'est pas fantasmagorique mais elle est le fruit d'un pari avec mon conjoint. 
Il écrit la sienne de son côté et je dois avouer que sortir des sentiers battus c'est pas mal !
J'ai pris un grand plaisir à l'écrire et je me suis presque dit : 

Pourquoi ne pas l'adapter en histoire? 

avant de me rendre compte que je n'ai pas assez de connaissances sur le sujet pour espérer écrire quelque chose de plus long qui tienne la route. :')
Je pense que j'ai  déjà fait assez de mal comme ça sur cette nouvelle. :') 

À la prochaine !

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