Klara


Le soir venu, Klara et Luba rentrèrent à la maison où leur mère les attendait avec Bohdan, le petit dernier. Petro et Oxana, les deux aînés, devaient rentrer plus tard du collège et leur père était encore au travail. Les deux sœurs avaient le temps de prendre leur goûter, faire leurs devoirs et se détendre avant le dîner. En somme, c'était une soirée normale.

Luba et elle s'installèrent côte à côte pour travailler. Klara commença par les maths, une matière qu'elle maîtrisait même si elle ne l'aimait pas particulièrement. Ensuite, l'histoire. Ça, c'était parfois facile et parfois beaucoup moins. Tout dépendait de ce qu'elle avait écouté et mémorisé. Enfin, ce qu'elle redoutait le plus : écrire des mots compliqués pour préparer la dictée du lendemain.

Klara détestait écrire. Elle avait toujours l'impression que les lettres se mettaient à bouger sur la page. De toute façon, les mots étaient piégés. Qui avait décidé que cygne et signe s'écrivaient différemment ? Qui avait eu l'idée loufoque de faire se ressembler autant des mots comme signe et singe ? Même son propre prénom était piégé : elle devait préciser 'Klara avec un K, pas avec un C' à chaque fois que quelqu'un l'écrivait. Tout cela n'avait pas de sens.

- Deux R, dit soudain Luba.

- Quoi ?

- Carreau, ça prend deux R.

Voilà que même la petite de huit ans la reprenait ! C'était horriblement vexant et Klara fit la grimace.

- Occupe-toi de tes affaires ! balança-t-elle.

- Je voulais juste t'aider.

La petite Luba baissa les yeux. Elle semblait au bord des larmes et Klara regretta de s'être emportée. Luba n'était peut-être pas très adroite mais elle était si gentille !

- D'accord, répondit Klara. Carreau, ça prend deux R.

Luba ne répondit rien et en regardant de côté, Klara vit qu'elle était réellement en train de pleurer et qu'elle faisait tout pour cacher ses larmes. Zut. Un, elle n'avait jamais eu envie de faire pleurer sa petite sœur. Et deux, si sa mère s'en rendait compte, elle allait se faire engueuler. Que faire ?

- Luba, arrête ça maintenant, murmura-t-elle.

La petite fille hocha la tête mais des larmes roulaient sur ses joues. Elle non plus ne voulait pas que sa mère la surprenne en train de pleurer. Elle aimait très fort Klara et elle n'avait pas envie qu'elle soit punie. Simplement, quand on commence à pleurer, c'est difficile de s'arrêter.

- Luba, je suis désolée, je n'aurais pas dû te crier dessus. Je... je vais t'emmener au cirque.

Luba leva les yeux vers elle et changea d'expression.

- Au cirque ? répéta-t-elle.

- Oui ! On va demander à Maman et Papa et on va aller au cirque !

En vérité, Klara ne connaissait pas le prix d'une place pour le cirque et elle ne savait même pas si leurs parents accepteraient de les y emmener. Elle avait dit cela au hasard.

- Mais... on n'est jamais allées au cirque ! balbutia Luba.

- Tout est dans la façon de demander ! Tu es bien sage toute la soirée, tu leur fait un joli dessin, tu attends qu'ils s'installent devant la télé et tu leur dit que tu aimerais aller au cirque !

- Ah ?

- D'ailleurs, on va dessiner ensemble ! Attends juste que j'aie fini avec mes mots.

Klara n'aimait pas tellement le dessin mais elle savait que plus elle jouerait le rôle de la grande sœur bienveillante, plus elle aurait de chances d'aller au cirque. Elle se força à recopier les mots de la dictée du lendemain, puis accepta la feuille de papier que Luba lui tendit.

- Je vais dessiner le cirque ! claironna celle-ci.

- Bonne idée.

- Avec des acrobates, des jongleurs, des clowns, des trapézistes...

Klara l'écouta d'une oreille tout en dessinant un numéro de trapèze. Au moins, Luba ne pleurait plus, c'était déjà ça.

Le reste de la soirée se passa normalement. Au dîner, Petro, l'aîné, parla de son entraînement de basket et Klara, de son prochain match de foot. L'entraîneuse de l'équipe de foot de la ville s'appelait Marianne Cassegrain mais, pour des raisons mystérieuses, tout le monde l'appelait Mamie Casse-Cou, dans le dos de l'intéressée bien entendu.

- Elle a quel âge ? demanda Bohdan, le petit dernier.

- Je ne sais pas, avoua Klara. 60 ans, peut-être.

- 60 ans ? Mais elle est beaucoup trop vieille pour faire du foot !

- Elle en fait beaucoup mieux que toi.

- Alors elle a 60 ans et elle a toujours pas compris que le foot, c'est pas pour les filles ? lança traîtreusement Oxana.

Klara lui tira la langue. Pour Oxana, les filles devaient obligatoirement porter du rose et aimer la danse tandis que les garçons devaient forcément porter du bleu et aimer le foot. Klara trouvait ça complètement stupide.

- Tu aimais bien le foot, à une époque, fit remarquer le père.

C'était vrai. Oxana et Klara avaient appris à jouer au foot ensemble. Elles s'entendaient bien jusqu'à l'entrée au collège d'Oxana. Celle-ci avait alors arrêté le football et était devenue obsédée par les vêtements, les garçons, le maquillage, les garçons, la mode et les soirées, surtout si des garçons allaient en soirée. Klara avait presque envie de débarquer au collège et de demander qui était le bouffon qui avait transformé sa sœur adorée en adolescente insipide. Ensuite, elle lui aurait volontiers pété la gueule.

- Klara et moi, on a fait des dessins, annonça discrètement Luba.

- C'est bien ! s'écria la mère. Tu nous les montreras après le dîner, d'accord ?

Luba était prête à aller les chercher tout de suite mais Klara lui fit signe d'attendre. Luba rongea donc son frein jusqu'à ce que la dernière bouchée fut avalée et la table, débarrassée. Enfin, elle alla chercher les dessins.

- C'est le cirque ! claironna-t-elle.

- Il est très beau, ton dessin ! la complimenta sa mère.

- Merci ! Là, c'est les clowns et là, c'est les acrobates et là...

Elle se lança dans un long monologue et finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres :

- Je pourrais aller au cirque ?

Klara retint son souffle en attendant la réponse.

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