9. Anna

Anna repensa à cet incident pendant un moment. Après mûre réflexion, elle décida de ne pas en parler à sa mère. Si elle lui annonçait que quelqu'un était entré dans le jardin sans demander la permission, ça risquait de lui faire peur et elle ne voulait pas l'inquiéter. Et puis, d'une certaine façon, elle espérait presque que la fille aux cheveux courts revienne. Ça la changerait un peu de sa routine.

Le lendemain était un samedi. Elle décida de bricoler Clic pour se distraire. Il pouvait marcher, se brancher lui-même pour recharger ses batteries et, contrairement à elle, il pouvait sortir de la maison sans être affecté par les microbes.

Une idée lui vint soudain. Et si elle utilisait Clic pour voir ce qui se passait dehors ? Elle n'avait qu'à lui intégrer une caméra, ainsi elle pourrait l'envoyer se promener dans la rue et observer tout ce qui se passait. Et s'il tombait à court de batterie... Eh bien, elle n'aurait qu'à ajouter une note pour dire aux personnes qui le trouveraient de le recharger !

Elle commença par récupérer du matériel sur les étagères où elle rangeait ses pièces électroniques. Ses étagères étaient toujours en ordre : elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps en cherchant ses pièces. Et puis, c'était plus pratique pour nettoyer. La chambre d'Anna devait rester propre en permanence.

Elle commença par démonter une webcam d'occasion et essaya de l'intégrer à Clic. Elle s'arrêta en cours de route. Il lui manquait une donnée. Il fallait qu'elle fasse des recherches dans un livre ou sur internet. Elle trouverait bien un tutoriel.

Elle leva les yeux et vit que sa maman la regardait, un grand sourire aux lèvres. Depuis combien de temps se tenait-elle sur le pas de la porte ?

- Tu viens manger ? demanda-t-elle.

- C'est déjà l'heure ?!!

- Tu étais tellement occupée que je n'ai pas voulu te déranger.

C'était vrai. Anna perdait toujours la notion du temps quand elle bricolait. Elle hocha la tête et alla se laver les mains.

- Je veux intégrer une caméra à Clic, expliqua-t-elle. Tu crois qu'on peut trouver un tutoriel pour ça sur internet ?

- Je ne sais pas, avoua Marilyne. On va chercher ensemble, d'accord ?

- D'accord. Qu'est-ce qu'on mange à midi ?

- Un curry thaï au chou-fleur.

- Je savais pas que tu savais faire ça !

- J'ai trouvé un tutoriel pour cuisiner les currys sur internet. Je me suis dit, pourquoi pas ?

Dans la famille Chapelle, on aimait les tutoriels de mère en fille. Apprendre était une seconde nature. On s'attabla et Anna trouva le curry surprenant et original. Elle ne serait pas allée jusqu'à dire que c'était bon mais elle aimait la nouveauté de toute façon. En effet, Marilyne avait sa façon à elle de cuisiner, en remplaçant les ingrédients des recettes par ce qu'elle avait sous la main. Le résultat surprenait souvent mais elle avait au moins appris à sa fille à improviser.

Toutefois, Marilyne se sentit vaguement déçue par la réaction d'Anna. Après le repas, elle lui demanda ce qu'elle aimerait manger pour son prochain anniversaire. La réponse ne se fit pas attendre :

- Des pâtes au pesto, Maman !

- Tu es sûre ? Tu ne veux rien de plus classe ?

- Non ! Y'a rien de meilleur que les pâtes au pesto !

- D'accord. Et en dessert ?

- Ton gâteau au chocolat ! Mais pourquoi tu me parles de mon anniversaire maintenant ? C'est dans deux mois !

Marilyne soupira, posa les deux mains sur les bras de sa fille et se lança :

- Écoute ma chérie, il va falloir être très courageuse. Il se trouve que...

Elle s'arrêta, cherchant ses mots. Anna termina sa phrase :

- Papa viendra pas à mon anniversaire ?

- C'est ça, répondit Marilyne avec une pointe de tristesse. Je suis désolée.

- Je m'y attendais, répondit très calmement Anna.

Ses parents avaient divorcé quand elle était bébé. Son père s'était remarié et avait deux autres enfants qu'elle n'avait vus qu'une seule fois. Cette rencontre s'était particulièrement mal passée car les enfants de son père avaient dit à voix haute, devant elle, qu'ils préféreraient être morts plutôt que d'avoir la même maladie qu'elle. Pas contente du tout, Anna avait répliqué qu'elle préférerait être morte plutôt que d'être aussi stupide qu'eux. Les adultes s'en étaient mêlés, le ton avait monté et Marilyne avait fini par mettre tout le monde à la porte sans ménagement.

Depuis, son père s'était contenté de leur envoyer tous les mois un chèque de pension ainsi qu'un chèque-cadeau pour Noël. Il n'y avait que le jour de son anniversaire qu'il leur rendait visite, lui demandait de ses nouvelles et lui donnait un cadeau, toujours le même : une poupée de collection en robe en dentelle. Anna disait merci et une fois qu'il était parti, elle allait la ranger avec les autres, bien alignées dans un placard. Elle n'y touchait jamais. Elle avait beaucoup aimé les poupées quand elle était plus jeune mais maintenant, elle trouvait qu'il y avait quelque chose d'un peu effrayant dans leurs grands yeux vides.

Papa, c'était papa. Il avait pris peur quand il avait compris qu'elle ne pourrait jamais partir en vacances ou jouer dehors comme les autres et il s'était enfui. Marilyne avait été très en colère, à l'époque. Elle l'avait traité de père dénaturé. Anna, elle, ne s'en souvenait pas et considérait qu'elle n'avait pas besoin de lui. Puisqu'il était dénaturé, elle préférait de beaucoup qu'il reste loin d'elle et qu'il se contente de leur envoyer son chèque de pension tous les mois.

- On s'amuse mieux sans lui, déclara Anna.

- Oui, répondit la mère. T'as raison à 100 %. On s'amuse mieux sans lui. Et on se regardera un bon film toutes les deux, d'accord ?

Anna acquiesça. Un bon film avec sa maman, c'était ce qu'il y avait de mieux.

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