28. Anna

Depuis sa chambre, Anna avait suivi les dernières péripéties de Klara. Elle était un peu déçue pour elle mais en même temps, elle se sentait soulagée de savoir qu'elle allait rentrer chez elle saine et sauve. Après tout, tous les enfants devraient vivre dans une bonne famille.

Cependant, une chose la travaillait encore. Klara avait dit à Clic qu'elle ne savait pas lire. Comment cela était-il possible ? L'enseignement était obligatoire pour tout le monde en France après tout, et Klara semblait assez intelligente et débrouillarde pour apprendre à peu près n'importe quoi. Quelque chose n'allait pas...

Anna éteignit sa tablette, demanda à sa mère la permission d'aller sur l'ordinateur familial et visita le site de l'encyclopédie Larousse, puis celui de Vulgaris-Medical. Au bout d'une dizaine de minutes, elle avait trouvé.

C'est à ce moment-là que sa mère lui enjoignit d'aller changer de tenue et de mettre un masque chirurgical. Elle s'exécuta, se lava soigneusement les mains et descendit dans le salon. Déjà, elle entendait la voix de sa mère dans le hall. Elle expliquait qu'il fallait bien se désinfecter parce qu'elle avait une maladie, qu'elle était allergique au monde extérieur et qu'un microbe pouvait la tuer...

Enfin, Klara et ses parents apparurent.

Klara avait l'air un peu plus petite que la seule fois où elle l'avait vue, quand elle avait récupéré ce sac dans le jardin. C'était bizarre. Peut-être que c'était parce qu'elle était à côté de ses parents ou parce qu'elle portait cette robe un peu trop grande. Pour le moment, elle la fixait avec des yeux surpris. Peut-être qu'elle aussi s'attendait à quelqu'un de plus grand.

- Bonjour, dit la mère de Klara. Tu es Anna, c'est ça ?

- Oui, répondit Anna.

Elle eut un mouvement de recul quand Klara s'avança pour lui serrer la main. Elle n'avait pas le droit de serrer des mains. Klara comprit et n'insista pas. La mère continua :

- Klara est venue s'excuser et te rendre ton jouet, n'est-ce pas Klara ?

- Oui, murmura Klara, les yeux baissés. Je m'excuse, je n'aurais jamais dû le prendre. Comment je fais, je le désinfecte avant de te le donner ?

- Pose-le juste sur la table, répondit Anna. Je suis ravie que tu l'aies fait.

Il y eut un sursaut général. Les adultes échangèrent des regards surpris et tandis que Klara alla poser Clic sur la table, son père insista :

- On vous promet qu'on fera en sorte qu'elle ne recommencera pas. Nous sommes extrêmement déçus.

- Moi pas ! s'écria Anna. Je veux dire, oui, sur le coup j'ai été choquée. Je veux dire, j'avais pas prévu qu'elle parte avec. Mais ensuite, j'ai changé d'avis. Ça m'a permis de le tester et comme ça, je vais pouvoir apporter tout plein d'améliorations !

- T'es sérieuse, là ? demanda Klara en ouvrant des yeux ronds.

- Oui ! On pourrait se parler par skype et... enfin, si tu veux bien. J'ai pas envie de t'embêter avec mes histoires. Mais je me disais qu'on pourrait ajouter une commande vocale à Clic, par exemple. T'en penses quoi ?

Une commande vocalaclique ?!! Klara n'avait jamais entendu un truc pareil ! Elle était sur le point de demander ce que c'était quand sa mère intervint :

- Oui, bien sûr ! Votre fille ne sort jamais, elle doit sûrement s'ennuyer !

- Je ne m'ennuie jamais ! protesta Anna.

- Oh, on est vraiment désolé.es ! insista madame Ivanova. Bien sûr, elle viendra te rendre visite.

Anna regarda attentivement son visage et comprit. La maman de Klara avait pitié d'elle. Elle la considérait comme une enfant inférieure et malheureuse parce qu'elle avait un handicap et elle voulait que Klara passe du temps avec elle par charité.

- Non, dit froidement Anna. Je ne veux pas qu'elle me rende visite.

- Pourquoi ? s'enquit Marilyne. Vous pourriez être copines !

- Je ne veux pas qu'on soit copine avec moi par pitié. Elle croit que je suis inférieure parce que j'ai un handicap ! C'est nul ! Klara aussi a un handicap !

- J'ai pas de handicap ! protesta Klara.

- Tu es dyslexique !

- Quoi ?!!

- Je te dis pas ça pour te vexer, il y a des tas de gens très bien qui ont des handicaps. Toi, tu es dyslexique.

Klara cherchait quelque chose à répondre. De son côté, son père fulminait.

- Personne dans ma famille n'est dyslexique ! lança-t-il avec colère. Ni Klara, ni personne !

- Mais c'est quoi, dyslexique ?!! répéta Klara, perdue.

- Une maladie, expliqua Anna. J'ai lu ça dans l'encyclopédie Larousse. Ça veut dire qu'on pense tellement différemment qu'on a du mal à apprendre à lire. Il y a des dys qui ont l'impression que les lettres bougent quand ils essaient de lire.

- Mais ça, c'est parfaitement normal ! rugit le père.

- Quoi ?

- Tout le monde a les lettres qui bougent quand on lit ! répéta monsieur Ivanova. Y'a pas de quoi en faire tout un plat !

Il y eut un silence de mort. Marilyne fut la première à le briser.

- Non, monsieur. Ce n'est pas normal. Si vous avez l'impression que ça bouge quand vous lisez, c'est qu'il y a un problème.

- Quoi ?!!

- Je crois que vous devriez consulter un spécialiste. Il n'y a pas de mal à être dyslexique.

Les adultes se mirent à parler très fort et Klara décida qu'elle en avait assez. Elle s'approcha d'Anna et lui demanda :

- Tu me montres ta chambre ?

- Pourquoi ?

- Quand on se fait une nouvelle amie, on lui montre sa chambre.

Anna sourit sous son masque. Une nouvelle amie. Elle avait l'impression de rêver.

- D'accord, répondit-elle. Mais s'il te plaît, garde ton masque et ne touche à rien.

- Je sais. Je dois pas te passer mes microbes.

Elle la suivit donc dans la petite pièce. Klara n'avait jamais vu une chambre d'enfant aussi bien rangée. Le sol étincelait. Les rideaux et le couvre-lit rose bonbon contrastaient avec l'aspect sévère du matériel électronique sur les étagères. Si on lui avait demandé si cette chambre était celle d'une petite fille modèle ou celle d'un ingénieur en électronique, elle n'aurait pas su quoi répondre.

- Eh bien... tu dois aimer l'informatique, toi...

- J'adore ! répondit Anna, les yeux brillants de joie.

- Moi, c'est le football que j'adore.

- C'est vrai ?

- Oui ! J'ai même le maillot de ma joueuse préférée !

- T'as pas peur qu'elle vienne te le réclamer ?

Klara étouffa un petit rire.

- Non, voyons, je ne lui ai pas volé son maillot. J'ai le même qu'elle, c'est tout ! Je te le montrerai si tu veux. Enfin... Mes parents vont probablement me priver de sortie pendant très longtemps. Mais après, quand ma punition sera finie.

- Ah... C'est dommage. J'aurais aimé qu'on se connaisse, tu vois ? Quand t'as dormi sous la tente, j'ai eu l'impression de dormir sous la tente avec toi. C'était bien.

- On pourrait refaire ça ? suggéra Klara. Je veux dire, monter une tente à l'intérieur et dormir dedans ?

- Toutes les deux ?!

- Oui. Anna, s'te plaît, j'aimerais une réponse sérieuse. Est-ce que tu crois vraiment que je suis displexiste ?

Elle se sentait inquiète. Si elle avait vraiment cette maladie bizarre, sa vie allait être chamboulée. En outre, même si elle avait du mal à se l'avouer, elle en voulait un peu à son père. S'il avait pris les choses un peu plus au sérieux au lieu de décréter que tout le monde avait du mal à apprendre à lire, les choses auraient sûrement été différentes. Peut-être qu'aujourd'hui, elle ne serait pas en échec scolaire.

- Dyslexique, corrigea Anna. C'est possible. Il faudrait voir un orthophoniste pour être sûre.

- Et... c'est grave ?

- Je sais pas. En tout cas, je suis sûre que t'es intelligente. Si tu l'étais pas, t'aurais pas réussi à faire tout ce trajet toute seule. Ton intelligence est différente de celle de beaucoup de gens, c'est tout. Et puis j'ai lu qu'Einstein était dyslexique et il était super intelligent.

Klara sentit le soulagement l'envahir. Elle pouvait maintenant mettre un nom sur les difficultés qui l'avaient hantée pendant toutes ces années. Elle savait qu'elle n'était pas anormale, qu'elle avait juste une maladie. Les choses ne seraient peut-être jamais faciles mais elle allait enfin sortir la tête de l'eau.

- Merci, dit-elle. On est amies, maintenant ?

- Oui, répondit Anna. Enfin, je te préviens, je suis pas super douée pour me faire des amies. Personne m'a donné le mode d'emploi.

- C'est pas grave, moi non plus. On apprendra ensemble.

- D'accord!

- Bon, énonça Klara, on les entend plus maintenant. Ça veut dire que je vais devoir y aller. Et bravo d'avoir créé Lumière, il est super.

- Il s'appelle Clic.

- Bravo d'avoir créé Clic.

- Tu reviendras me voir ? demanda Anna.

- Bien sûr qu'elle reviendra te voir, dit une voix d'adulte.

Les deux filles se retournèrent et virent leurs mères qui les regardaient depuis l'embrasure de la porte, visiblement émues. Dans leur regard se lisait une complicité inattendue. Les mamans aussi avaient envie de devenir amies.

- On va rentrer à pieds ! annonça la mère de Klara. Ton père a décidé de rentrer plus tôt et il a pris la voiture.

- Ça veut dire que je ne suis plus punie ? s'enquit Klara, opportuniste.

- Oh, si, répondit la mère. Tu devras t'excuser auprès de Louis et tu seras privée de sortie pendant un moment. Ensuite, tu pourras rendre visite à Anna, tu comprends ?

Ce n'était pas le moment de discuter. Klara acquiesça et fit au revoir à Anna. Celle-ci la regarda partir, un petit sourire aux lèvres.

C'était vraiment merveilleux d'avoir une meilleure amie.

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