17. Klara


En milieu d'après-midi, Klara se retrouva dans le village voisin. Les rues étaient presque désertes, ce qui était normal car les enfants étaient à l'école et la plupart des adultes travaillaient. Une enfant qui se promenait seule comme elle attirait beaucoup trop l'attention. Que faire ?

À tout hasard, elle entra dans une église, s'assit sur une chaise et se fit toute petite. L'église était presque vide, calme et silencieuse. La lumière passait à travers les vitraux, les faisant briller de mille feux.

Klara n'allait presque jamais à l'église. Ses parents l'y emmenaient deux fois par an, à Noël et à Pâques. Pour elle, c'était une formalité qui faisait partie des fêtes. D'ailleurs, elle n'était pas sûre de bien comprendre la logique de la Bible. Si Dieu aimait très fort son fils, pourquoi avait-il accepté qu'on le cloue vivant sur un truc en bois ? Pourquoi ne pas avoir envoyé un miracle pour le sauver au lieu de le condamner à mort ? C'était pas très sympa de sa part !

Elle se leva et fit le tour du bâtiment en regardant chaque statue et chaque vitrail. Les artistes et les artisans avaient fait du beau boulot, ça, y'avait pas à dire. Par jeu, elle montra ce qu'elle trouvait joli à Lumière. Celui-ci hocha la tête à chaque fois, ce qui voulait probablement dire qu'il appréciait le spectacle.

Les rues commençaient à se remplir quand elle sortit du bâtiment. Elle remarqua un arrêt de bus et elle eut une idée : pour aller plus vite, elle n'avait qu'à prendre les transports en commun. Mais comment être sûre de prendre le bon bus ?

- S'il vous plaît ? demanda-t-elle à une dame qui se trouvait assise à l'arrêt de bus. Ma maman voudrait savoir si ce bus va bien à Milanville.

- Non, répondit la dame. Pour Milanville, c'est l'arrêt d'en face. L'autre sens.

- D'accord !

Klara traversa la rue et s'engouffra dans l'épicerie d'en face. Elle se promena au milieu des rayons pendant une minute en faisant mine de chercher quelque chose, acheta le pain de mie le moins cher qu'elle trouva et sortit juste à temps pour se précipiter dans le bus.

- Un ticket, s'il vous plaît ! demanda-t-elle au chauffeur.

Elle lui tendit tout l'argent qui lui restait, c'est-à-dire pratiquement rien, en espérant que ce soit assez. Imperturbable, le chauffeur répondit :

- Manque dix centimes !

- On me les a volés !!!

Évidemment, c'était un mensonge. Klara ne voulait pas qu'il sache qu'elle ne connaissait pas le prix des tickets de bus : ça la rendrait tout de suite suspecte. Pas convaincu, le chauffeur insista :

- Pas d'argent, pas de ticket.

- Mais on me l'a volé !

- C'est bon ! dit une voix juste derrière elle. Les voilà, vos dix centimes.

Klara se retourna et vit une passagère qui lui faisait signe d'avancer. Le chauffeur prit l'argent sans un mot et le bus démarra.

Klara n'avait pris le bus que deux ou trois fois jusque-là. Elle trouvait cela très amusant. On pouvait voir le paysage en panoramique, se tordre le cou pour regarder partout et ses frères et sœurs n'étaient pas là pour la déranger.

Cependant, d'autres usagers la regardaient. Elle se demanda pourquoi pendant un instant. Avait-on deviné qu'elle fuguait ?

- Il est marrant, ton petit bonhomme ! lui dit un vieux monsieur en s'asseyant à côté d'elle.

Klara se sentit instantanément soulagée. C'était Lumière qui attirait l'attention. Elle prit l'air naturel et répondit :

- Oui ! Il s'appelle Lumière.

- Tu l'as acheté où, dis-moi ? s'enquit-il.

- On me l'a donné !

- Qui te l'a donné ? Le père Noël ?

Pourquoi lui posait-il toutes ces questions ? Butée, Klara répéta :

- On me l'a donné, c'est tout !

- Je ne veux pas te le prendre, si c'est à ça que tu penses, le rassura-t-il. Simplement, c'est bientôt l'anniversaire de mon petit-fils et j'aimerais lui acheter quelque chose de rigolo. Tu crois que je peux trouver le même dans un magasin ?

- Sûrement ! mentit effrontément Klara. Je crois qu'il est fabriqué au Japon. Ça s'appelle un Lumigoshi. Là-bas, tous les enfants en ont un !

Klara ne le savait pas mais au moment où elle prononçait ces mots, Anna, qui ne perdait pas une miette de la conversation, était complètement morte de rire devant son écran. Clic, un gadget japonais ? Quelle idée !

- Tu permets que je le photographie pour chercher le même sur internet ? demanda poliment le monsieur.

Klara n'avait aucune raison de refuser. Elle le laissa photographier le petit jouet avec son téléphone portable en espérant très fort qu'il ne le cherche pas tout de suite. De toute façon, il descendait à l'arrêt suivant. Une vingtaine de minutes plus tard, le bus atteignit son terminus et Klara descendit.

Elle était à Milanville, elle touchait au but. Elle n'avait plus qu'à retrouver le cirque, s'expliquer avec les artistes et intégrer leur groupe. Elle marcha donc vers le passant le plus proche et l'interpella :

- Monsieur, s'il vous plaît ! Ma maman voudrait savoir où se trouve le cirque !

Le monsieur marmonna qu'il ne savait pas et partit à grands pas pressés. Klara commençait à se rendre compte que sa petite ruse qui consistait à faire croire que sa mère était tout près ne marcherait pas longtemps : les passants se faisaient rares autour d'elle. Il fallait qu'elle atteigne son but le plus tôt possible. Elle se précipita donc vers le premier arrêt où des gens attendaient et interpella une dame :

- M'dame ! Pour aller voir le cirque, c'est bien ce bus ?

- Non ! répondit la dame.

- C'est lequel, alors ?

- Je ne sais pas.

- Il faut que j'y aille au plus vite, ma tante travaille au cirque et elle est malade ! inventa Klara.

- Oh ! s'écria la dame en sortant son téléphone portable. On va l'appeler, d'accord ? Comme ça, tes parents vont venir te chercher.

- Ils n'ont pas le temps ! Ils sont malades eux aussi !

- Ils sont malades ? répéta la dame, visiblement incrédule.

- Oui ! Il faut que j'y aille, c'est très important.

- Ils ont quelle maladie, dis-moi ?

- La maladie d'Alzheimer, tous les deux ! inventa Klara.

- La maladie d'Alzheimer ?

- Oui, et aussi de l'endométriose !

Klara ne savait pas ce qu'étaient ces maladies. Elle les avait citées parce qu'elle en avait vaguement entendu parler et qu'elle trouvait que leurs noms avaient des sonorités intéressantes. Le problème était que la dame semblait sur le point d'éclater de rire. Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée, après tout.

- Tu as fait un pari avec tes ami.e.s, c'est ça ? demanda la dame.

- Quoi ? Non !

- Tu me fais une blague ?

- Non !

- Quel âge ont tes parents ? s'enquit un très jeune homme à qui on n'avait rien demandé.

- Heu... à peu près le même que la dame, je crois.

- Alors t'es une menteuse. La maladie d'Alzheimer ne touche que les personnes âgées.

- Ils l'ont eue en avance !!

Le jeune homme aussi riait très fort maintenant. Furieuse, Klara s'éloigna de l'arrêt de bus à grands pas.

Pourquoi les gens se montraient-ils aussi peu coopératifs ? Mais quel monde ! Tout ce qu'elle voulait, c'était des réponses !

- Monsieur, demanda-t-elle à un autre passant, vous savez où est le cirque ?

- Il n'y a pas de cirque ici, répondit-il très sérieusement.

- Quoi ? On n'est pas à Milanville ?

- Non, on est à Blinchamps.

Elle s'était trompée d'arrêt !! Klara ragea intérieurement. Si seulement elle avait fait plus attention, elle aurait atteint son but maintenant.

Elle n'avait plus qu'à prendre le bus en sens inverse. Malheureusement, dans ce petit coin de campagne, les bus se faisaient rares le soir. En outre, le soleil allait bientôt se coucher et Klara savait que les enfants n'ont pas le droit de sortir la nuit, c'était dangereux. Peut-être qu'elle ferait mieux de se trouver une cachette pour la nuit.

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