Anna avait suivi ce qui se passait à l'écran, bouillante de rage. Cette fille lui avait volé Clic. Comme ça, comme si c'était parfaitement normal. Elle aurait pu frapper aux portes, déposer Clic chez les voisins ou le mettre aux objets trouvés, ou n'importe quoi. Mais non. Elle le lui avait volé. Clic était sa création, la petite merveille qu'elle avait fabriqué elle-même en y mettant tout son cœur et tout son esprit. Et elle le lui avait volé.

Mais pour qui elle se prenait ?!!

Heureusement, Maman allait bientôt rentrer et tout arranger. Ou pas ? Sa mère lui avait fait confiance et elle était prête à lui prouver qu'elle était une grande fille capable de se débrouiller seule. Qu'allait-elle penser quand elle verrait qu'elle avait laissé quelqu'un lui prendre Clic ?

Mieux valait commencer par rassembler des infos sur cette Klara. Anna remit la caméra en route et trouva une image en mouvement. Apparemment, Klara avait sorti Clic de son sac et marchait dans un paysage verdâtre. Une forêt ? Anna savait qu'il y avait une forêt pas loin mais évidemment, elle n'y avait jamais mis les pieds.

Elle aurait dû lui intégrer un GPS. Mais un instant : pourquoi cette fille se promenait-elle seule dans la forêt au milieu de la matinée ? N'était-elle pas censée aller à l'école comme tous les enfants valides de France ? Et si elle était en train de mijoter un mauvais coup ? Si elle était sur le point de cambrioler une maison, par exemple ?

Anna savait que dans ce genre de situation, il faut toujours demander de l'aide à un.e adulte mais quelque chose la retint. Elle n'était jamais sortie de cette maison, elle n'avait jamais pris de risques. Suivre virtuellement cette fille dans sa cavale serait la plus grande aventure de sa vie. Si cette Klara cambriolait effectivement une maison, elle pourrait appeler la police et la faire arrêter. Elle résoudrait une enquête policière, comme les enfants dans les romans d'aventure que Maman lui offrait parfois pour son anniversaire. Et si Klara ne faisait rien de tel... eh bien, ce serait tout de même une grande aventure !

Elle s'installa donc confortablement dans sa chambre pour regarder sa tablette. On ne voyait toujours qu'un paysage vert en perpétuel mouvement. Au bout d'un moment, la voix de sa mère la fit sursauter :

- Anna ! Je suis rentrée !

Anna éteignit tout de suite l'écran et se tourna vers sa mère. Celle-ci la regardait, attristée.

- Anna, ma chérie, j'ai une mauvaise nouvelle. Il va falloir être très courageuse.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Anna, soudain inquiète. Tu es malade ?

- Non, ma puce. C'est... c'est Clic. Il n'est plus là.

Il y avait de la tristesse et de l'inquiétude dans sa voix. Soudain, Anna se sentit très mal.

- On l'a volé, tu crois ? balbutia-t-elle.

- Sûrement, quelqu'un a dû entrer dans le jardin et le voler ! Mais ne t'en fais pas, ma chérie. Je vais porter plainte.

- Non !!!

Elle avait crié sans le faire exprès. Marilyne ouvrit des yeux stupéfaits. Elle n'avait jamais vu sa fille réagir ainsi.

- Je te demande pardon ?!

- C'est le chat !!! Je veux dire, c'est sûrement Chatouf qui l'a emporté, non ? Tu vas pas porter plainte contre un chat ?

- Tu l'as vu partir avec ?

- Non mais... logiquement, si quelqu'un entrait dans notre jardin, il essaierait plutôt de voler la télé ou de l'argent, non ? Pourquoi voler Clic ?

C'était logique mais malgré cela, Anna avait du mal à s'empêcher de rougir. D'habitude, elle ne mentait jamais à sa mère. Marilyne prit sa confusion pour de la tristesse et hocha la tête :

- D'accord, dit-elle. Je vais commencer par mettre des affichettes un peu partout. Si les gens ne le ramènent pas, je déposerai une plainte. D'accord ?

- D'accord.

Il se trouvait que la mère avait filmé Clic pendant le week-end. Elle se repassa la vidéo, fit une capture d'écran et fabriqua une dizaine d'affichettes qu'elle alla tout de suite accrocher dans les rues voisines. En dessous de la photo de Clic s'affichait le texte suivant :

Avez-vous vu ce jouet ?

C'est très important. Il a été perdu lundi 4 dans la matinée.

Si vous l'avez trouvé, merci de me rappeler par téléphone ou email. Une récompense vous sera proposée.

Comme elle finissait de poser la dernière affiche, Marilyne croisa le regard d'un passant qui s'approcha et lut l'affiche. La plus profonde perplexité se lisait sur son visage.

- Un jouet ? demanda-t-il.

- Oui, un jouet. C'est celui de ma fille, c'est très important.

- Un chien ou un chat, j'aurais compris, mais un jouet...

- Ma fille est allergique aux chats ET aux chiens, rétorqua Marilyne. Elle a passé beaucoup de temps pour ce jouet, il est très important pour elle alors gardez vos réflexions.

Le passant la regarda méchamment et s'éloigna. Marilyne soupira intérieurement. Encore un type qui s'imaginait que les personnes malades n'existaient pas...