10. Klara

À l'autre bout du village, Klara courait sur un terrain de football. Le prochain match aurait lieu dans deux semaines et elle essayait de se donner à fond. Elle aimait la compétition plus que tout. Il n'y avait rien de meilleur que de montrer au monde entier qu'elle était la plus forte !

Sur le terrain, l'ambiance était houleuse. Elias la traitait de « bouffonne » à chaque fois qu'il passait près d'elle, assez fort pour qu'elle l'entende, assez bas pour que l'entraîneuse ne se doute de rien. Exaspérée, Klara finit par le tacler, le plaqua au sol et répliqua :

- Le bouffon, c'est toi. Quand on fait encore pipi au lit, on se la ferme !

Un coup de sifflet retentit. Mamie Casse-Cou lui faisait signe et Klara recula de mauvaise grâce. Elias se leva en ricanant.

C'était toujours pareil. Elias ne l'avait jamais aimée. Il la traitait de « neuneue » et de « sale soviet » parce qu'elle ne savait pratiquement pas lire et que ses parents étaient d'origine étrangère. Cependant, elle ne voulait pas renoncer au football. Gagner des matchs était la seule chose qui lui remontait un peu le moral.

À la fin du cours, l'entraîneuse annonça la formation de l'équipe pour la prochaine compétition. Klara espérait être en attaque, comme d'habitude, et ressentit de la déception en n'entendant pas son nom. Elle pensait qu'on la mettrait en milieu de terrain ou même en défense et attendit. Aucun des neuf noms n'était le sien.

- Quelqu'un a des questions ? demanda Marianne.

- Ouais ! s'écria Klara. Je serai où sur le terrain ?

- Tu seras remplaçante.

Remplaçante ?!! Klara n'avait pas été remplaçante depuis des années ! Pourquoi lui infligeait-on une honte pareille ?

- Mais Marianne...

- La soviet est remplaçante ! ricana Elias.

- Je suis française autant que toi ! rugit Klara.

- Nan, t'es pas française. Une Française porte pas un nom con comme Ivanova !

Klara était prête à se jeter sur lui pour le rouer de coups mais Marianne s'interposa juste à temps.

- Ça suffit ! coupa-t-elle. Elias, excuse-toi auprès de Klara.

- Quoi ?!

- J'ai dit, excuse-toi auprès de Klara ! T'aimerais qu'on te dise que t'as un nom con ?

- Non...

Elias grommela une excuse. Mamie Casse-Cou soupira profondément.

- Aucun de vous deux n'ira sur le terrain ! décida-t-elle. Louis, tu prends la place d'Elias.

- Quoi ?!! hurla Elias.

Louis, qui n'aimait pas les conflits, se fit tout petit. Il connaissait assez Elias pour savoir que celui-ci allait lui rendre la vie impossible jusqu'au match, et même après. Des murmures couraient dans la pièce mais l'entraîneuse ne se laissa pas démonter.

- Une équipe, ça joue ensemble, insista-t-elle. C'est ça, l'esprit d'équipe. Je veux que vous arrêtiez de vous disputer, compris ?

Les enfants acquiescèrent et sortirent en murmurant. Klara fut la seule à s'attarder un peu.

- Marianne, demanda-t-elle, je peux te parler ?

- Évidemment.

- S'il te plaît, laisse-moi jouer. Je sais que je ne suis pas quelqu'un de facile mais j'aimerais vraiment jouer ce match sur le terrain. Tu vois ?

- Klara, tu es une petite fille brillante et une très bonne joueuse, répondit l'entraîneuse. Mais il n'y a pas que ça qui compte. Une équipe, ça joue ensemble. Il faut que tu apprennes à t'entendre avec tout le monde.

- Quoi ?!! Mais c'est Elias, il me provoque tout le temps !

- Ignore-le.

- C'est à cause de mon nom, c'est ça ? insista Klara. C'est parce que je suis une fille ?

- Au contraire, rétorqua Marianne. Je trouve très bien qu'une fille fasse du foot. Il faut juste que tu apprennes à te contrôler.

- Et Elias, il faut pas qu'il apprenne à se contrôler ?!

Klara sentait la rage l'envahir. Elle était l'une des meilleures joueuses de l'équipe et elle allait devoir laisser sa place à un garçon moins doué sous un prétexte stupide. C'était tellement injuste.

- Va te rhabiller, dit fermement l'entraîneuse.

Klara sortit en claquant la porte. Elle avait envie de casser quelque chose. Pourquoi Mamie Casse-Cou ne prenait-elle pas son parti ? Ne se souvenait-elle pas de ce que c'était d'être la seule fille dans une équipe de foot ?

Elle attrapa son vélo, prête à partir. Louis, qui ne lui parlait jamais d'habitude, lui barra le passage :

- Hé, Klara !

Elle le poussa, le jeta à terre et enfourcha sa bicyclette. Tout d'un coup, elle les détestait tous, ces gosses qui auraient toujours tout ce qu'ils voudraient dans la vie tandis qu'elle n'aurait rien. Elle partit à fond de train, manqua de peu de rouler sur un chat et finit par arriver à la maison où elle alla s'écrouler sur son lit, pantelante.

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