Aequor se tenait derrière son bureau, fier, comme s'il présidait une séance importante. Elle l'était sans doute.

- Yaël ne peut pas rester l'Élu, déclara-t-il avec assurance. Yöri...

- Vous voulez vraiment qu'on parle de Yöri ? Parlons-en alors ! Vous souvenez-vous de votre dernière rencontre avec lui ? Parce que j'ai entendu dire...

La fenêtre s'ouvrit brusquement, faisant s'envoler les feuilles posées sur le bureau. Une sensation de déjà vu m'envahit en même temps que la magie de Yaël me parvenait. Je n'avais plus de doute, il savait où j'étais et d'ici peu, il serait ici.

- Geoffrey...

- Yaël est ici n'est-ce pas ?

J'hésitai un instant à lui confier la vérité, je n'étais pas encore vraiment sûr qu'il soit de notre côté, mais il était la seule aide dont je disposais.

- Il ne va pas tarder, affirmai-je.

J'avais l'impression d'avoir déjà vécu ce moment, d'avoir ressenti ces doutes. Cette sensation, c'était celle que m'avait décrite Geoffrey. Adira avait dû remonter le temps. Cela signifiait que je pouvais faire confiance à Geoffrey, mais aussi que bientôt, cette histoire prendrait fin. Mais quelle en serait l'issue ?

- Je crois... que tu as fait le nécessaire, lui indiquai-je.

- Je le pense aussi. Je vais voir Adira pour m'en assurer. Anaël est avec moi.

Aequor se leva pour fermer la fenêtre. Il s'attarda un instant pour scruter l'horizon, sans doute était-il à la recherche de Yaël. L'opportunité était trop belle pour ne pas la saisir et le temps me manquait. Je m'abaissai pour prendre la première feuille à ma portée et faire semblant de remettre de l'ordre dans la pièce. Je n'étais qu'à deux mètres d'Aequor.

Il n'y avait aucun moyen d'obtenir mes informations de façon discrète alors autant y aller franchement. Je me jetais sur Aequor en lui saisissant le bras pour le maintenir fermement sous mon emprise. Je n'aurai qu'une seule chance de visionner ses pensées.

Il était sans doute trop occupé à guetter l'extérieur. Il ne me vit pas venir et n'eut pas l'occasion de me repousser avant que je ne pose mes mains sur lui. Les images défilèrent dans ma tête aussitôt. J'essayai malgré tout de garder les yeux ouverts pour rester ancrée dans la réalité et ne pas relâcher mon étreinte avant d'avoir obtenu les informations que je souhaitais.

Aequor avait eu de nombreuses vies et il était difficile de faire le tri dans les milliers d'informations qui me parvenaient. L'image d'Adeléaïde revenait sans cesse. Je savais ces souvenirs bien trop anciens, pourtant ils étaient les plus forts comme s'ils apparaissaient essentiels à Aequor ou qu'il souhaitait me ramener toujours vers ce même songe. Pouvait-il orienter mon intrusion dans son esprit ?

Je fermai finalement les yeux et me concentrai sur l'image de Yaël. L'effet fut immédiat, j'ouvris l'esprit d'Aequor sur les souvenirs qu'il partageait avec Yaël. C'était comme si je m'agrippais aux fils de ses souvenirs et que j'avançais de liane en liane, chacune étant une réminiscence de son passé. J'essayai d'avancer de plus en plus vite pour aller au-delà de la connaissance d'Aequor et y lire son avenir.

Je vis un fil de lumière différent, qui étincelait d'un bleu azur. Il ne concernait pas Yaël, je le savais, mais ce songe m'appelait clairement. Il disparut pour réapparaître plus loin et je compris qu'Aequor essayait de me le dissimuler.

Dans le même moment, dans le bureau, Aequor se débattait et tentait de me faire lâcher mon étreinte. Il me poussa avec force et mon dos heurta violemment une des étagères, mais je me maintins à lui coute que coute. Je ne cherchais pas à me battre, simplement à conserver ma prise le plus longtemps possible et accéder à tous ses secrets. De toute façon, en l'état, j'étais bien incapable de faire autre chose que m'agripper. C'était le seul ordre que je parvenais à donner à mon corps qui commençait à tressauter sous le poids de mes visions.

Je me concentrai sur Yaël de toutes mes forces, de toute mon âme. Si j'avais le don de prémonition, il devait servir à sauver sa vie. Je refusais qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je propulsai toute ma magie dans l'esprit d'Aequor, je forçai toutes ses barrières. Je ne sais pas combien d'images je parvins à voir en une seconde, mais j'absorbais littéralement tous ses souvenirs pour les faire miens. Et je vis tout de lui.

Lorsque je fus certaine que je détenais toutes les informations concernant Yaël et Isaïah, j'empruntais d'autres chemins pour rattraper l'étincelle bleue qui tentait de me fuir. J'entrais dans ce souvenir comme lorsqu'on défonce une porte. J'entendis Aequor criait comme un forcené dans le bureau. Il tentait de me résister et de créer des barrières mentales, mais j'étais dans un tel état de détermination que rien ne pouvait m'arrêter.

Je plongeai alors dans un souvenir qui remontait à plus de 800 ans.