Chapitre 3

Yaël

La pièce était étroite, d'une salubrité détestable, elle puait l'humidité, elle était froide et austère, jamais aérée, ne disposant d'aucune ouverture sur l'extérieur. Je détestais cet endroit, mais il semblait approprié. Après tout, il l'avait enfermée ici, il était juste qu'il s'y retrouve à son tour.

Ethan l'y avait placé en attendant mon arrivée. Il n'avait pas été surpris de me voir, il avait tenté de rester fier, mais ce genre d'homme se brise facilement. Je lui avais noué les mains entre elles et l'avais suspendu comme du bétail à un ancien crochet qui avait sans doute dû servir à un usage similaire. Puis, je m'étais assis devant lui pour le regarder et attendre.

Il fut étonné de mon silence et sans doute également de mon calme apparent. Intérieurement, je bouillonnais, je ressentais un besoin démesuré de tout détruire de ce maudit Palais, mais je ne laissais rien paraître. J'étais là pour une raison bien précise et lui offrir ma colère était un cadeau que j'avais décidé de lui refuser.

S'il avait voulu au début se murer dans son silence, sa langue se délia étonnamment vite face à mon propre mutisme. Il ne me dit cependant rien de ce que j'avais envie d'entendre. Il me répétait sans cesse qu'il ignorait où se trouvait mon fils. Or ça, je le savais déjà. Jamais les astréiens ne lui auraient donné cette information, car ce n'était pas sa guerre. Si elle l'avait été durant un temps, désormais elle était définitivement mienne. Storm n'était qu'un pion, il avait été l'occasion parfaite, mais il devait maintenant en payer le prix.

Il fut déstabilisé par mon attitude et il dut comprendre mon désintérêt pour ses propos. Cela accentua son anxiété, c'était visible. Il finit par se taire et guetter le moindre de mes mouvements. Je choisis ce moment pour me saisir du sac que j'avais apporté et me dirigeai vers une console pour en sortir mon matériel. Je le vis blêmir à vue d'œil.

Il reprit alors la parole, comme pour arrêter mes gestes, ce que je fis, et il me réaffirma qu'il ne savait rien. Il se mit à me donner de lui-même les quelques informations dont il disposait sur les quatre idoles. Ses angoisses l'envahissaient et il parlait vite. Il m'expliqua qu'il n'avait aucun moyen de les contacter, que c'était toujours eux qui venaient à lui. Il confirmait tous mes doutes, s'il y en avait encore.

Je repris mon chemin et sortis avec lenteur quelques instruments de torture. Storm s'évanouit à la vue d'une scie. Décidément, je méprisais cet humain.

J'allais l'aider à reprendre conscience lorsqu'Ethan fit irruption dans la pièce.

- Le Conseil est réuni, m'informa-t-il.

J'acquiesçai de la tête. Il était donc temps de retourner à la Grand'Astrée.

- Izi s'est réveillée, ajouta-t-il. Elle te demande.

- Va, je t'y rejoins, ordonnai-je.

- Que vas-tu faire de lui ? m'interrogea-t-il en désignant Storm du regard.

- Dis à Éric de venir.

Il hocha la tête, puis se téléporta. Il était temps d'en finir avec Storm, je ne pouvais pas rester plus longtemps.

Je vis le sceau qui avait été déposé à l'attention de Storm un peu plus tôt. Je m'en saisis et lui jetai son urine au visage. Il se réveilla en sursaut, puis se rappela alors sa condition de prisonnier et arrêta d'agiter ses jambes pour apaiser le mouvement de balancier qu'il avait lui-même créé.

- Tu sais, beaucoup de gens avouent tout ce qu'ils savent avant même d'être torturés, lui indiquai-je. Pour beaucoup, le simple fait de présenter les outils de torture suffit à les convaincre. La douleur qu'ils imaginent subir si jamais ils ne disent rien est en soi insurmontable. En réalité, le tortionnaire n'a souvent rien à faire. Il lui suffit d'être convaincant.

- Et vous l'êtes. Êtes-vous satisfait ? me cracha Storm au visage. Inutile d'utiliser vos...

Il hésita sur le terme à employer.

- ...enfin vous voyez. C'est inutile, je vous dirai tout ce que je sais.

Je souris devant sa naïveté.

- Mais tu ne sais rien, tu te souviens ? lui rappelai-je.

- Je peux vous être utile, affirma Storm.

Je le détaillai en conservant le silence, laissant naître la crainte en lui.

- Comme je te le disais, repris-je, beaucoup cèdent avant même d'avoir été vraiment torturés. Ils ont tort, la douleur physique est moins douloureuse que celle de l'esprit. Les douleurs imaginées sont toujours pires que ce qu'elles ne sont vraiment. As-tu déjà combattu ? Non, bien sûr, ajoutai-je avant qu'il n'ait le temps de répondre. Tu laisses faire le sale travail en ton nom, c'est bien ça ? Et avant que tu ne dises quoi que ce soit, attaqué quelqu'un qui est désarmé, ce n'est pas combattre.

- Et blesser quelqu'un qui est attaché, est-ce combattre ? renchérit-il.

- Tu voudrais une épée ? ricanai-je.

Il commençait à comprendre son sort.

- Pourquoi suis-je ici ? me questionna-t-il.

- Tu n'as pas une petite idée ? demandai-je à mon tour avec un sourire.

Je pris un long couteau que je manipulai sous son regard médusé.

- Tu es là pour te venger et tu comptes commencer par moi, me dit-il sans hésiter, tout en me regardant droit dans les yeux.

Il reprenait de l'assurance, un dernier instinct de survie sans doute.

- Me venger ? répétai-je. Non, bien sûr que non !

Je rapprochai la lame et la frottai contre son épiderme. Ses poils se hérissèrent immédiatement.

- Il s'agit de justice, précisai-je. Je ne peux pas laisser impunis certains crimes, encore plus lorsqu'il s'agit de mon fils. Tu comprends ? Quel message cela ferait passer si je laissais tes actes impunis ? Les autres croiraient qu'ils peuvent se permettre d'agir ainsi. Je ne peux pas le tolérer. S'il ne s'agissait que de moi, tu sais, je te donnerais une épée. Je t'offrirai une mort digne, même si tu ne la mérites pas.

Quelqu'un toqua à la porte. Storm ne disait plus un mot. Je laissai entrer Éric, puis repris ma discussion avec le Prince déchu.

- Où en étais-je ? Ah oui, ta mort... J'aurais aimé te l'offrir, mais ma femme, que tu connais – je crois même que tu l'as rencontrée ici même – elle a d'autres projets pour toi. J'ai essayé de la convaincre du contraire, tu sais, mais ça l'obsède et il me sied de satisfaire à ses désirs.

Son corps s'était tendu, il se concentrait sur chacun de mes mots. J'appuyai davantage la lame contre sa chair, j'étais à la limite de le faire saigner.

- Le problème, si tu veux tout savoir, c'est qu'elle serait sans doute fâchée que je verse ton sang, dis-je en m'éloignant et en reposant mon couteau. Je crois qu'elle ne veut pas que le peuple ait cette image d'elle, ni de toi. Je te l'ai dit, elle a des projets bien précis pour toi, et moi, je suis là pour la contenter. Mais d'un autre côté, tu as comploté contre mon fils, qui à cet instant est je ne sais où et tu ne peux pas m'aider à le retrouver, dis-je cette fois-ci en abandonnant mon ton léger.

Je m'approchai d'Éric qui attendait sans rien dire. Il savait pourquoi il était là, je m'en assurai en le sondant du regard. Il hocha la tête. Je lui murmurai dans le creux de l'oreille que Storm ne devait toutefois pas mourir. Il ne faudrait pas que son cœur le lâche.

Le pouvoir d'Éric était redoutable et d'une violence inouïe. Je lui avais demandé une fois de l'exercer sur moi, je voulais prendre conscience de l'étendue de ses capacités. Je n'oublierais jamais ce jour, le moment avait été bref, mais d'une intensité horrifiante. Éric avait de suite pris possession de mes plus grandes peurs et me les avait fait vivre comme un vrai supplice. Cela n'avait duré que quelques secondes pour moi et c'était sous ma volonté ; pour Storm, il n'en serait pas de même.

- Je te laisse avec mon ami, avertis-je Storm. Tu te doutes que j'ai beaucoup à faire. Ne t'inquiète pas, il n'aura besoin d'aucun instrument, ajoutai-je en lui faisant un clin d'œil.

Son expression valait le détour. Il était totalement paniqué. Il n'avait bien sûr pas tout compris de ce que je venais de lui dire, mais il savait que cela n'annonçait rien de bon.

- Non, attends ! Yaël ! m'interpella-t-il.

Mais je ne me retournai pas et le laissai aux bons soins d'Éric. Il continua à m'interpeller, ses cris se transformant en hurlement.

- Non, non, non ! Attendez. On peut s'arranger. Savez-vous qui je suis ? Non, ne me touchez pas. Non !

Puis, je n'entendis plus que des cris de douleurs. Ces sons révélaient une véritable souffrance, une agonie terrible. J'entendais rarement de tels gémissements. Je n'avais pas menti en disant que la douleur physique était moins éprouvante.

Je me délectai un instant de son châtiment, imaginant déjà celui que je réservais à mes congénères. Il était temps d'aller à la Grand'Astrée. Stan avait besoin de moi et je devais récupérer mon fils.

Je croisai quelques astréiens en sortant et des nobles qui s'étaient ralliés à notre cause. La tempête qui avait fait rage dans la forêt était dans tous les esprits et leurs regards étaient fuyants, mais je me satisfaisais de voir que tout se mettait en place selon mes instructions. Finalement, cette guerre-ci était finie, bien que d'une autre façon qu'on l'avait imaginée.

Le Grand pontife avait été plus qu'utile et je lui avais confié l'administration du royaume sans hésitation, en attendant que ma propre guerre prenne fin. Le Mont d'Or n'avait plus besoin de moi, s'il en eut seulement un jour la nécessité. Je n'hésitai donc pas et m'engouffrai dans le premier portail à ma portée pour rejoindre les miens.

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