Chapitre 22

Yaël

Qu'elle cherche à arriver à ses fins ne m'étonnait pas, en revanche qu'elle me trahisse j'avais peine à le croire. Nous avions été proches, pas de la manière qu'elle espérait, mais proches tout de même. D'une certaine façon, je tenais à elle. J'avais appris à connaître tous les astréiens et l'histoire de Némésis ne pouvait laisser insensible.

Elle tenait trop à la vie pour y mettre fin, pourtant, elle ne vivait plus vraiment depuis la mort d'Esteban. Je ne l'avais pas connu avant cette tragédie, mais les anciens étaient unanimes. De toute façon, tous les astréiens qui avaient perdu leur moitié étaient brisés, abîmés et portaient sans issue possible les cicatrices de la vie. On n'oublie jamais, on survit, on s'adapte. Le temps semble guérir les habitants de l'Autre monde, mais je crois plutôt que c'est la mort. Ils savent qu'un jour, leur peine cessera et qu'il suffit de vivre en attendant cette fin. Mais pour nous, c'est différent. C'est un choix. La mort ou la vie sans amour. Beaucoup choisissent la première option, pas toujours de façon immédiate, mais après plusieurs décennies sans saveur, le choix s'impose finalement à eux.

Kamilla et Némésis avaient désormais passaient plusieurs siècles à vivre seules. Pour des raisons différentes, très certainement, mais elles avaient la solitude pour point commun. Cette solitude que j'avais moi-même pu éprouver, éloigné d'Izi. Les âmes torturées s'attirent, car elles se reconnaissent sans doute.

Némésis s'était très tôt intéressée à moi, mais toujours de façon distante. Je la voyais parfois qui me regardait, mais elle ne venait jamais me parler. Elle a attendu que j'ai quinze ans pour m'adresser la parole. Cela faisait alors trois ans qu'Izi était apparue dans les eaux de la Grand'Astrée.

- Tu ne vas pas la chercher ? m'avait-elle demandé de sa voix fluette alors que j'étais assis à lire auprès de l'étang où les images d'Izi défilées.

J'avais retiré ma magie pour couper ce lien qui m'unissait à Izi. Je n'avais pas envie que Némésis la voie, je n'avais envie que personne ne puisse l'observer à part moi, ces moments m'appartenaient, je n'avais qu'eux.

- Comme tu le vois, cela ne semble pas ce que je m'apprête à faire, lui dis-je en reprenant ma lecture.

Je n'aimais pas qu'on me parle d'elle, les astréiens le savaient très bien, que me voulait-elle ?

- Pourquoi ?

- Pourquoi quoi ? demandai-je, agacé.

- Pourquoi tu ne vas pas la chercher ?

- En quoi cela t'intéresse ?

Némésis se pinça les lèvres et ancra ses yeux dans les miens. Elle était belle, ses longs cheveux noirs accentuaient le teint laiteux de sa peau. Elle aimait jouer de ce contraste et bariolait souvent de rouge ses lèvres pour le renforcer, comme ce jour-là.

- Je suis surprise, c'est tout ! Tu peux enfin te rendre librement dans l'Autre monde et tu restes ici à la regarder alors que tu pourrais la voir te tes yeux, sans aucune barrière, sentir son odeur, entendre sa voix. Je pensais que ce serait la première chose que tu ferais, mais tu n'y es pas allé.

- Tu connais très bien l'avis du Conseil. Elle est différente, elle n'a pas grandi ici, je ne peux pas l'arracher aux siens.

- Mais cela ne te rend pas heureux, constata-t-elle sans vouloir être blessante.

- Ce qui compte c'est qu'elle soit heureuse elle.

- Mais comment peux-tu savoir si elle est heureuse ? Vous êtes liés, tu ne peux pas être heureux sans elle. Pourquoi est-ce qu'elle le serait sans toi ? m'interrogea-t-elle.

- Parce qu'elle ignore tout de moi. Parce que je veille sur elle, ajoutai-je.

- Elle a de la chance, affirma-t-elle avec une certaine tristesse.

Elle ne me posa pas d'autres questions ce jour-là et me laissa à ma solitude.

Elle revint me voir plusieurs fois par la suite. J'appris à la connaître et je dois bien avouer que j'appréciais ses visites. Avec le temps, elle avait baissé sa garde et me laissait voir le vrai elle, avec ses blessures et ses peines. Nos premiers échanges étaient restés ancrés dans ma tête et très tôt je m'étais dit que je devais la protéger elle aussi. Après tout, c'était mon rôle en tant qu'Élu et Némésis méritait d'avoir quelqu'un qui la protège.

Or avec le temps, je compris que Némésis attendait bien davantage de notre relation, toutefois je ne pouvais pas lui offrir. Izi restait dans toutes mes pensées, impossible de m'en défaire et j'avais pourtant essayé. Les filles d'Astrée avaient été une chose, un acte que j'avais cru sans conséquence, mais je savais pertinemment qu'il n'en serait rien avec Némésis. Il ne pourrait jamais rien y avoir entre nous, car j'avais l'espoir qu'un jour Izi me rejoindrait ici. Il fallait simplement attendre le bon moment, car il n'avait jamais été question qu'elle finisse ses jours loin de moi. Et lorsque ce jour arriverait, je doutais fortement qu'elle apprécierait de côtoyer pour les siècles à venir mon ancienne maîtresse.

Si les femmes de son monde laissaient faire les hommes, ce n'était pas le cas ici à la Grand'Astrée et plus j'observais ma douce, plus je me disais qu'elle avait le caractère d'une vraie astréienne et qu'elle ne me laisserait rien passer. Et puis, je ne voulais pas d'un substitut de relation, je la voulais elle.

Je pris donc de la distance vis-à-vis de Némésis. Elle avait trop de fierté pour me le reprocher directement, mais elle se mit à attirer mon attention d'une autre façon. Elle revint plusieurs fois blessée de l'Autre monde, jusqu'au jour de son premier viol.

Elle n'avait pas demandé d'audience publique. Elle était venue directement chez moi, les yeux rougis de larmes, les vêtements déchirés par-dessus lesquels elle s'était recouverte d'une grande cape, comme pour dissimuler sa honte. Elle avait longuement pleuré dans mes bras sans pouvoir parler. Je ne savais pas très bien quoi faire et je ne comprenais rien de la situation. J'avais envie qu'elle s'explique, qu'elle me raconte ce qui s'était passé ! Mais plus je l'interrogeais, plus ses pleurs redoublaient. J'avais voulu allait chercher Anya, mais elle m'en avait empêché. Elle m'avait supplié de ne rien dire, de garder ça pour moi, puis elle m'avait raconté. Le soir même, son violeur trépassé. Cette nuit-là, Némésis avait dormi chez moi et elle y était restée une semaine entière.

J'avais pris soin d'elle, je l'avais protégée à ma manière et je crois que c'était tout ce qu'elle attendait. Elle aurait dû savoir que cela aurait une fin. Je ne lui avais jamais caché. Il n'y aurait jamais rien de plus entre nous. Et parce qu'elle n'était pas satisfaite de notre relation, elle se permettait aujourd'hui de comploter dans mon dos, contre moi, contre ma femme !

Némésis n'avait jamais eu peur de moi, elle avait tort.

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