Épilogue

Anya

Ce soir, c'était le grand soir. Stan ne viendrait pas me rejoindre chez Mélinda. J'étais toujours étonnée qu'il soit autorisé à venir me visiter parfois. Je me demandais si Izi était intervenue ou si c'était un ordre de Yaël pour vérifier qu'Isaïah aille bien.

Yaël n'était quant à lui venu qu'une fois depuis son départ et simplement parce qu'il pensait y trouver Izi. Je savais qu'il aurait aimé venir plus souvent, mais il respectait le choix de sa femme et cela ne devait pas être simple. Izi ne se rendait pas compte de ce que c'était pour les astréiens d'avoir un enfant. Elle ne savourait pas sa chance, elle devait toujours avoir songé un jour devenir mère et n'avait cru que très peu de temps en être privée, contrairement à nous. Je savais que Yaël n'avait aucune envie de manquer des instants avec son fils, mais il ne pouvait se résoudre à voir Izi déçue. Il ferait tout pour elle, je n'en avais jamais douté.

J'en voulais souvent à Izi de ne pas faire plus d'efforts. J'avais appris à l'apprécier, mais elle ne voyait qu'avec son regard d'humaine, et si elle ne s'en rendait pas compte, elle nous étudiait bien plus qu'on ne la dévisageait. À peine était-elle arrivée à la Grand'Astrée qu'elle avait choisi de partir. Elle ne comprenait pas les blessures de Yaël, elle n'avait pas vu ce que j'avais vu.

J'avais cru qu'elle aurait des visions sur le passé de Yaël, qu'elle comprendrait, mais elle ne m'avait jamais posé de questions sur son enfance, ni même essayé de lire dans mes souvenirs. Je lui en voulais aussi pour ça. Je la trouvais égoïste.

Stan m'avait permis de mieux la connaître, il m'avait convaincue que c'était une bonne personne et qu'elle était juste différente de nous. Je m'étais ouverte à elle puisqu'après tout nous allions passer de nombreuses années ensemble. J'avais été surprise d'y trouver une amie malgré mes pensées à son égard. Après tout, les amitiés n'impliquaient pas qu'on ne voit pas les défauts des personnes.

Lorsque Yaël nous a révélé sa grossesse, je dois bien admettre que j'ai été jalouse. Izi était déjà spéciale, elle le devenait plus encore. Elle aurait ce dont je serai privée à tout jamais. Ce sentiment fut toutefois vite effacé devant la joie de Yaël. Je ne l'avais jamais vu aussi heureux et je me demandais si ce n'était pas tout simplement la première fois que je le voyais vraiment épanoui. L'arrivée d'Izi à la Grand'Astrée s'était passée dans de telles conditions que seul Stan m'avait assurée que la traversée pour rejoindre nos terres s'était mieux passée entre eux, bien qu'il y eût quelques épisodes épiques !

Isaïah était un cadeau de la vie, un véritable don des dieux, peu importait le sens que l'on donnait à ce dernier mot. C'était un honneur pour moi d'être ici à m'occuper de lui. Izi m'offrait sans le savoir des semblants de maternité. J'appréciais chaque instant aux côtés d'Isaïah, d'autant que Mélinda était une hôte des plus adorables. Notre première nuit ensemble fut mémorable. Elle ne s'attendait pas à avoir une telle emprise sur les hommes ce soir-là. Il faut dire que mon don l'avait sans doute un peu aidé, mais ça, elle l'ignorait et l'essentiel était qu'elle avait passé une bonne soirée et revécu la jeunesse de ses vingt ans. Ici, mon don était utile ! Et je me demandais si un jour je deviendrais la déesse de la jeunesse.

Je n'avais jamais passé autant de temps avec une humaine et je constatai que ma simple présence avait des effets sur son corps. Mélinda m'avait confié que cette naissance lui donnait une nouvelle jeunesse, qu'elle ne s'était jamais portée aussi bien depuis des années. Elle se mouvait en effet avec beaucoup plus d'aisance que la première fois que je l'avais rencontrée.

Si j'étais une déesse, Mélinda était une sainte. C'était sans nul doute la plus belle humaine que j'avais rencontrée. Son âme était restée pure même si la vie ne l'avait pas épargnée. Elle n'avait pu qu'être placée sur notre route tant elle remplissait son rôle à la perfection.

Si je m'étais déjà occupée de nouveaux astréiens et si nous sommes tous formés à la Grand'Astrée pour s'occuper des nouveau-nés, privés de laits maternels, Mélinda était une mère et cela ne s'apprenait pas, ça se vivait. Elle avait des connaissances que seule une mère pouvait avoir et j'apprenais avec attention à ses côtés, espérant pouvoir transmettre un peu de ce que j'avais acquis aux astréiens.

Isaïah ne semblait pas désorienté par l'absence de ses parents. En réalité, à cet âge, il faisait peu de choses à part manger et dormir ! Il avait les yeux bleus de Yaël et je me plaisais à lui raconter des légendes sur son père et la destinée fabuleuse à laquelle il était voué. Demain, il serait amené au Palais et il serait officiellement le nouveau Prince du royaume de Hululy.

Stan était venu hier et m'avait expliqué en détail le déroulement de leur plan. Ce soir, ils attaqueraient le Palais, la fin était proche. À cette heure-ci, ils devaient être à proximité du Mont d'Or. J'étais impatiente et, même éloignée, je vivais cette guerre dans ses moindres détails avec intensité.

J'aurais sincèrement aimé être présente, mais je n'avais pas à me plaindre. J'avais plus de chance que certains de mes compatriotes. Yaël avait demandé à quelques-uns de rester à l'orée du bois qui bordait la maison de Mélinda. Nous étions encerclés par une muraille d'astréiens. Yaël avait tenu à ce qu'il y en ait toujours quatre aux abords du passage vers la Grand'Astrée qu'il avait créé et six autres qui sécuriseraient le périmètre autour de la demeure de Mélinda. Il les avait choisis avec soin, leurs pouvoirs étaient redoutables, seul l'un d'entre eux avait un pouvoir passif, et je me doutais que ces valeureux guerriers préféreraient nettement être au cœur de l'action plutôt qu'à faire le guet ! En plus, ils n'étaient même pas autorisés à venir ici. Yaël avait exigé que le quotidien de Mélinda ne soit pas davantage troublé et ils ne devaient donc en aucun cas la croiser.

Heureusement que Mélinda ne s'éloignait jamais et même si elle passait une bonne partie de son temps dans son jardin, elle ne remarquait jamais leur présence. Pourtant, aujourd'hui, ils n'avaient pas été très discrets. J'avais entendu des rires et je me disais qu'ils devaient vraiment avoir besoin de décompresser, pour baisser leur vigilance.

Je convainquis dès lors Mélinda de rentrer pour préparer le repas du soir et l'éloigner des bruits extérieurs. J'espérais ainsi occtroyer aux astréiens un peu de liberté pour qu'il puisse se changer les idées. Une fois les légumes épluchés, je laissai Mélinda s'occuper d'Isaïah et inventai une excuse pour sortir et me rendre dans le sous-bois auprès des astréiens. J'avais pris quelques morceaux de tarte aux pommes en espérant que cela leur fasse plaisir. J'avais hâte de discuter avec eux de la grande bataille de ce soir. Moi aussi j'avais besoin d'en parler et de passer un moment plus léger.

Je m'approchai de leur position, pourtant, je ne les entendis pas, ils étaient redevenus parfaitement silencieux. Je me rendis à la mare aux truites, bien décidée à les surprendre, il faut dire que je venais rarement. J'approchai sans bruit, mais je fus arrêtée nette devant la vision des corps qui gisaient au sol.

Il n'y avait pas de sang, pas de traces de combat, je ne pris cependant pas le temps de m'approcher de leurs corps pour vérifier leur état et je fonçais aussitôt en direction d'Isaïah. Mon instinct m'avait rarement trahi et là il me hurlait qu'il était en danger.

Je rentrai comme une furie dans la maisonnette. Mélinda sursauta et comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas. Je fus rassurée de voir qu'Isaïah était avec elle et qu'il allait bien.

- Que se passe-t-il ? s'inquiéta Mélinda.

- Cet endroit n'est plus sûr, il faut partir. Maintenant, ordonnai-je.

- Je prends des affaires.

- Nous n'avons pas le temps. Viens, couvre Isaïah, on passe par-derrière pour rejoindre le petit jardin.

Je m'arrêtai et fixai Mélinda droit dans les yeux.

- Si jamais on est séparés, tu continues à l'Est, marche toujours vers l'Est et tu ne quittes pas cette pierre, sous aucun prétexte, lui dis-je avec autorité. Mets là autour de ton cou.

Mélinda s'exécuta. Storm n'était pas capable de mettre à terre huit astréiens, c'était impossible. Il y avait d'autres astréiens ici, j'en étais convaincue. Je devais protéger Isaïah et Mélinda de leurs pouvoirs et peu importait que cela neutralise les miens, ils ne me seraient pas utiles de toute façon.

Je dégainai ma falcata sous le regard médusé de Mélinda. Seule cette arme me servirait et j'avais appris avec les meilleurs. Personne ne ferait de mal à cet enfant, personne. J'en avais fait la promesse à ses parents et je comptais bien la tenir. Il était hors de question qu'on touche à un cheveu de mon filleul, pas tant que je serais en vie.

Mélinda dut lire ma détermination et ne posa pas plus de questions, saisissant toute l'urgence de la situation. Elle serra fermement Isaïah contre elle et nous sortîmes en direction du petit jardin. Nous traversâmes l'allée de rosiers quand j'entendis du bruit derrière nous.

- Mélinda, continue sans moi, ne t'arrête pas, ne te retourne pas. Il faut mettre Isaïah en sécurité. À 500 mètres, droit devant, il y a un puits asséché. À quinze pas en direction du plus grand chêne, il y a une grille, dissimulée sous des feuilles. Elle est ouverte, tu pourras te cacher avec Isaïah. Je vous y retrouverai et... si je ne reviens pas, tu vas à l'Est.

- Entendu. Fais attention à toi Anya, reviens-nous, me dit-elle, réellement inquiète.

- Et faites attention à vous. Pars maintenant.

Elle n'attendit pas plus longtemps et marcha aussi vite qu'elle le put avec Isaïah dans les bras. Je fis demi-tour et attendis mes adversaires. Je connaissais les détracteurs de Yaël et j'avais hâte de voir quel était le traître qui fomenter dans son dos.

Kallie apparut avec ses formes longilignes, presque squelettiques. Elle marcha dans ma direction comme si elle était chez elle et qu'elle se baladait simplement dans le jardin, sans idées malveillantes. Elle s'arrêta même un instant pour renifler une rose, mais à peine l'eut-elle lâché que la fleur se fana totalement et le rosier se dessécha.

Je connaissais le pouvoir de Kallie. Elle pouvait me tuer simplement en me touchant. Il fallait donc que je veille à ce qu'elle ne m'atteigne jamais.

Elle avança sans autre arme que son pouvoir, mais je savais qu'elle était également une redoutable guerrière et qu'elle avait des siècles d'expérience. Je ne devais en aucun cas la sous-estimer.

- Qu'est-ce que tu fais ici, Kallie ? la questionnai-je.

- Où est l'enfant ? me demanda-t-elle à son tour.

- Tu ne l'auras pas, affirmai-je avec force.

- Et qui va m'en empêcher ?

- Moi.

Elle sourit, Kallie avait toujours été une femme très fière, à la limite de la prétention.

- Alors, montre-moi comment.

Elle toucha de nouveau un rosier qui noircit à son contact, mais cette fois-ci l'herbe qui était au pied fonça également et toutes les plantes qui me séparaient d'elle moururent. Je n'attendis pas que son pouvoir m'atteigne, je me décalai de son champ d'attraction et brandis mon arme contre elle. Elle esquiva le premier coup avec aisance. Je restai concentrée et enchaînai les mouvements tout en veillant à ce qu'elle ne me touche jamais. J'utilisai tout l'espace du jardin et m'adaptai avec aisance à cet environnement que je connaissais bien.

Je sautai sur une grosse pierre, la prenant de court dans son attaque. Je lui assénai un coup qu'elle ne parvint pas à esquiver entièrement et j'entaillai son épaule gauche. La vue de son sang la contraria et elle redoubla de force dans ses attaques.

Elle s'était toutefois déconcentrée et elle perdait en efficacité. Ses gestes étaient moins rigoureux, moins parfaits. Elle me laissa une opportunité que je ne manquai pas de saisir. J'abattis ma facalta sur sa main droite et la lui tranchai nette. Elle hurla de douleur, mais je n'eus pas le plaisir d'apprécier cette brève victoire.

Je vis un large faisceau lumineux arrivait droit sur moi, sans que je puise l'éviter, et il me foudroya sur place. Il me projeta en arrière avec force et je m'affalai sur le sol, prise de quelques soubresauts. La décharge fut violente, ma cage thoracique se figea, me laissant en apnée. Je sentis le courant parcourir tout mon corps sans que je puisse lutter. Impuissante, je discernai nettement ses derniers tressaillements atteindre mon cœur et l'éteindre à jamais.


À suivre...

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