Chapitre 55
Théo... Théo il était là. Est-ce qu'il avait réussi à s'échapper ? Est-ce qu'il avait rejoint nos troupes ? Était-ce seulement bien lui ? Mon cœur tambourinait dans ma poitrine et je sentis mes mains se mettre à trembler. Je les dissimulai pour ne pas montrer mon trouble au soldat devant moi.
- Amenez-le-moi, ordonnai-je.
- Bien, ma reine.
- Et vérifiez qu'il n'y ait pas d'autres hommes dans les bois. Je veux que les rondes autour du campement soient renforcées. Transmettez l'information aux autres pelotons.
- Ce sera fait, ma reine.
Il repartit dans la direction d'où il été venu. J'avais du mal à me contenir, j'avais envie de crier pour évacuer toute la pression qui s'était accumulée en moi. Théo était là, seul, ici, à quelques mètres de moi. J'avais tellement espéré cet instant et voilà que quand celui-ci arrivait enfin, je perdais mes moyens. Qu'allais-je lui dire ? Et surtout qu'allait-il me dire ?
- Je vais prévenir Yaël, m'informa Misha.
J'acquiesçai et le remerciai. Je me retrouvai seule et totalement impatiente. Pourquoi leur avais-je dit de me l'emmener, j'aurai dû y aller directement ! Je ne savais même pas où il était et je me retrouvais obligée d'attendre.
J'eus l'impression que ces instants furent les plus longs de ma vie, puis je l'aperçus, enfin. C'était lui, il était là. Cela faisait plus d'un an que je ne l'avais pas vu. La dernière fois, c'était le jour de mon mariage et j'avais dû le laisser alors qu'il était inconscient et blessé.
Je le laissai venir à moi sans bouger, j'en étais en réalité incapable. Il avait les mains attachées dans le dos et mes hommes le bousculaient pour qu'il avance plus vite. Lorsqu'il fut à ma hauteur, je remarquai qu'il avait l'œil rougi et qu'un hématome était déjà en train d'apparaître sur son visage. Étrangement j'étais heureuse qu'il n'ait que ça et qu'on ne l'ait pas tout simplement tué. Il avait eu de la chance que ce soit des hululiens qui le trouvent et non des astréiens.
Je le regardai avec émotion, ne sachant quoi dire alors qu'il restait silencieux, à m'observer lui aussi.
- Détachez-lui les mains et laissez-nous, ordonnai-je aux trois hommes qui m'avaient emmenée Théo.
- Ma reine... commença l'un d'entre eux pour protester.
- Depuis quand croyez-vous que mes ordres sont discutables, le coupai-je. Détachez-le.
Je voyais bien qu'il était contrarié, mais il n'ajouta rien, sortit un couteau et coupa les liens de Théo.
- Laissez-nous maintenant.
Ils s'exécutèrent. J'attendis que nous soyons seuls pour me jeter dans ses bras. Toutefois, si mon étreinte fut chaleureuse, Théo se raidit immédiatement à mon contact et laissa ses bras le long de son corps, me refusant son étreinte. Je m'écartai et observai de plus près sa blessure au visage. Je lui caressai délicatement sa pommette, évitant les endroits qui semblaient être douloureux.
- Je suis désolée, lui dis-je ayant bien conscience que c'étaient mes hommes qui l'avaient frappé.
- Je leur avais pourtant dit que je n'avais pas d'arme et que je venais te voir, précisa-t-il sur un ton accusateur.
Je ne pouvais cependant pas en vouloir à mes hommes, nous étions en guerre, et l'attitude de Théo ne me disait rien qui vaille.
- Que fais-tu ici, Théo ? me renseignai-je.
- Je devais te parler.
- Je t'écoute.
Il sembla hésiter devant mon aplomb. Il avait quitté une enfant terrorisée à l'idée de se marier et j'étais devenue une femme forte qui dirigeait tout un peuple pour renverser le pouvoir. Je pouvais comprendre qu'il soit décontenancé par mon attitude, mais je l'étais moi aussi par la sienne.
- Tu dois dire à tes hommes de faire demi-tour, déclara-t-il.
- Alors c'est donc vrai. Tu es du côté de l'Infâme, constatai-je avec regret.
- Ne l'appelle pas comme ça, tu ne le connais pas, me répondit-il froidement.
- Oh tu préfères que je l'appelle le fratricide, peut-être même le régicide, il est bien capable d'avoir tué son propre père après tout. Oh, mais non, excuse-moi, le nom de « meurtrier de tes parents » me semble plus approprié, criai-je presque. Théo, il les a tués ! Comment peux-tu être de son côté !? Tout ça, cette guerre, c'est pour eux.
- Pour eux ou pour ton fils ? me demanda-t-il, cinglant.
- Les deux ! Je veux que mon fils vive dans un monde meilleur, un monde où son souverain ne lui arrachera pas ses parents sans raison, un monde où la justice à un sens, un monde que tu espérais toi aussi il n'y a pas si longtemps, lui rappelai-je.
- Et je peux t'offrir ce monde, Izi.
Je le regardai, interloquée.
- Comment peux-tu seulement le croire, Théo...
- Je suis le successeur de Storm. Il n'a aucun héritier, il m'a adopté, il m'apprend les arcanes du pouvoir. Dès que je serais prêt, je gouvernerais à ses côtés, m'assura-t-il.
- Il te ment ! Ouvre les yeux, bon sang ! C'est une évidence ! Tu me demandes de faire demi-tour alors qu'à l'aube je serai la reine régente et que je pourrais nous offrir dès à présent un avenir prospère où on pourra vivre en toute sérénité. Crois-tu vraiment que je vais accepter ce que tu me demandes ? Crois-tu vraiment que je vais reculer ? Il t'utilise uniquement pour m'atteindre. Dès qu'il n'aura plus besoin de toi, il te tuera. Redescends sur terre, tu n'auras jamais le pouvoir ! Il te ment, tu ne le connais pas, tu...
- Mais toi non plus, chère cousine, me coupa-t-il, tu ne le connais pas. J'ai vécu un an à ses côtés, sans que tu ne t'en soucies nullement. Je connais cet homme, je connais ses travers, je connais sa colère et... je la comprends.
- Tu la comprends ? répétai-je, abasourdie. Tu te moques de moi, j'espère. Est-ce qu'il t'a dit qu'il m'a capturée et qu'il a tenté de me tuer ?
- Il l'a fait.
- Et pour tes parents ? T'a-t-il raconté leur empoisonnement alors que nous avions traversé tout le pays pour rejoindre le Mont d'Or et les délivrer ?
Il ne répondit pas, mais à son expression je n'avais plus de doute, il savait. Il savait que le Prince avait empoisonné ses parents et pourtant, il était là devant moi, à défendre ce même homme. Je ne comprenais pas. Les larmes me montèrent aux yeux et je les retins avec difficulté.
- J'ai tout essayé Théo, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour les sauver. Quand j'ai su qu'ils avaient été arrêtés par les cavaliers rouges, j'ai convaincu Yaël d'aller au Palais alors qu'il venait de m'épouser et qu'il comptait se rendre à l'Est. J'ai parcouru pendant près de deux semaines les terres du royaume, en dormant parfois à même le sol, car je savais que chaque jour était compté. J'ai échafaudé un plan pour implorer la grâce de Storm. J'aurai donné ma vie pour les sauver, mais ce Prince que tu aimes tant nous les a arrachés, sans leur laisser la moindre opportunité de se défendre. J'étais là Théo, ils sont morts à quelques mètres de moi sans que je puisse leur dire adieu. Comment peux-tu seulement être du côté de Storm ?
- Izi, je sais ce qui s'est passé et j'en suis désolé. Storm m'a tout raconté. Tu ne sais pas tout... Je ne pourrais jamais lui pardonner l'assassinat de mes parents, mais, aussi difficile que cela soit pour toi de l'entendre, je peux le comprendre. Il y a des forces en jeu dont tu ignores tout.
Il hésita à continuer, mais finalement il précisa sa pensée.
- Ma cousine, ma très chère cousine, je crains que les dieux aient d'autres projets pour toi et je suis navré que nos chemins n'aillent cette fois-ci pas dans le même sens, mais je suis au regret de t'annoncer que demain, tu ne seras pas reine.
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