Chapitre 54
Nous décidâmes de nous approcher le plus possible du Mont d'Or et de nous arrêter dans un endroit où la forêt était encore dense, afin de ne pas être à découvert. Nous savions que la suite du trajet serait plus compliquée, et nous avions choisi d'attendre que l'obscurité nous dissimule pour parcourir le chemin restant. Il était plus sage d'attaquer en pleine nuit, nous serions moins visibles et une cible plus difficile à atteindre pour les archers.
La taille de notre armée rendait toutefois les choses complexes et je doutais que le Prince puisse ignorer nos intentions et la date de notre attaque. Nous étions divisés en vingt-trois pelotons, répartis sur cinq lignes. Stan avait exigé une formation en quinconce. Nous étions en deuxième ligne avec Yaël, Stan et Misha, au sein du même peloton. Chaque groupe se composait de plusieurs astréiens et Yärl avait choisi, sans surprise, de se placer en tête. Sylvia ne l'avait pas accompagné. Elle s'en était excusée auprès de moi, me demandant de ne pas lui en tenir rigueur, mais elle n'avait jamais eu la même passion que son mari pour la guerre. Elle ne doutait pas de notre victoire et avait ainsi estimé sa présence inutile. Je la comprenais aisément.
Je n'avais en revanche pas eu de nouvelles de Sara et de Luka et je commençais à m'en vouloir de les avoir mis ainsi de côté alors qu'ils avaient été les premiers à me manifester leur soutien. Je n'osais pas en parler avec Yaël, d'autant que je me doutais que lui avait de leurs nouvelles. Il n'était de toute façon plus temps d'y penser.
Les hommes s'installèrent de façon provisoire en attendant l'heure de la bataille. Ils avaient été quelque peu déroutés des habitudes astréiennes, mais ils s'étaient très vite adaptés. Rapidement, des cordes avaient été tendues dans les arbres et des installations précaires avaient été mises pour leur permettre de se reposer quelques heures. Cette pratique n'était vraiment pas habituelle au royaume de Hululy et je me rappelais encore la première nuit que j'avais passée ainsi avec Yaël et Stan. Je devais bien reconnaître que cette méthode présentait des avantages ; enfin, si on arrive facilement à grimper aux arbres ! Je ne pus m'empêcher de rires en regardant certains essayer d'agir avec autant d'agilité que les astréiens. D'autres n'essayèrent même pas et s'installèrent à même le sol. Après tout, nous ne restions que quelques heures. Nous ne pouvions même pas faire de feu pour ne pas attirer l'attention. Il était donc préférable d'attendre et de se reposer.
Enfin ça c'était la théorie... Si beaucoup y parvinrent, pour moi, c'était plus difficile. Je ne pensais qu'à la suite des évènements. Il m'était impossible de faire une sieste et je me demandais d'ailleurs comment les autres y parvenaient.
- Tu devrais te reposer, me suggéra Yaël.
- J'en suis bien incapable ! Comment fais-tu pour être aussi calme alors que nous sommes à quelques heures de livrer une guerre qui sera déterminante pour notre destin ?
- Elles le sont toutes.
- Comment ça ?
- Déterminante, précisa Yaël. Chaque combat que l'on mène nous tient à cœur, on passe juste à une guerre suivante, encore et encore.
- Tu n'estimes pas que celle-ci est des plus importantes ? lui demandai-je, surprise.
- Si, comme j'estimerais la prochaine tout aussi importante. La vie est une boucle, Izi. Je pensais que tes enseignants te l'avaient appris à la Grand'Astrée.
Je restai sceptique, mais je ne lui dis pas.
- Ça ne m'explique pas comment tu fais pour être aussi calme ! Est-ce que tu veux bien qu'on repasse ensemble une dernière fois les étapes de notre plan ? lui réclamai-je.
- Non.
- Non !?
- Tu le connais parfaitement. Tout est prêt, arrête de t'inquiéter, ce n'est plus le moment. Tu dois être sûre de toi, les hommes ont besoin de ça. Si tu doutes, ils douteront. Ils sont prêts à t'offrir leur vie, tu n'as pas le droit de leur montrer ta peur.
- Je ne suis pas toi, Yaël, je ne suis pas née pour ça, déplorai-je.
- Tu te débrouilles pourtant parfaitement bien. Il faut juste que tu te reposes à présent.
- Je ne pourrais jamais dormir !
- Je ne te le demande pas. Il s'agit plus d'un moment de repos de ton esprit, où tu dois te concentrer, te mettre en condition pour te préparer à ce qu'il t'attend.
- Tout à l'air toujours facile avec toi !
- Alors, rejoins-moi, princesse ! Je monte m'allonger.
Je souris à cette appellation.
- Cela faisait longtemps que tu ne m'avais plus appelé ainsi, observai-je.
- J'en profite une dernière fois avant que tu sois officiellement une reine. Il faudra attendre au moins cinq heures avant que la nuit ne soit vraiment tombée. Prend le temps dont tu as besoin, me dit-il, mais j'espère que tu me rejoindras.
- Je doute que ce soit une bonne idée si tu souhaites réellement que je me concentre...
- C'est toi qui vois, princesse.
Il déposa un rapide baiser sur ma joue et grimpa en haut de l'arbre avec une facilité déconcertante. J'hésitai un instant à le suivre, mais je m'y abstins lorsque je vis Misha un peu plus loin, adossé à un arbre, en train de tailler un morceau de bois.
Je vins à sa rencontre et j'engageai la conversation.
- Qu'est-ce tu fais ? lui demandai-je lorsque je fus à son niveau.
- Je taille des flèches.
- Oh, dis-je simplement. Tu ne devrais pas te reposer ?
Il leva la tête vers moi, en haussant les sourcils. Jusque-là, il était resté concentré sur son travail. Il rigola avant de me demander.
- Tu en es capable ?
- Non.
- Pareil. C'est notre toute première guerre. Je suis trop impatient ! dit-il avec enthousiasme.
C'était assez drôle de constater sa joie de participer à ce qui serait sûrement un bain de sang macabre ! Mais je connaissais assez Misha pour savoir qu'il ne s'agissait pas de ça. C'était la première fois qu'il avait une mission importante et qu'il devait l'exécuter dans l'Autre monde, sous l'autorité de Yaël, et ça, pour lui, c'était une consécration. Yaël était depuis qu'il était tout jeune un peu comme son héros. Il lui vouait une réelle admiration qui dépassait le simple cadre de l'Élu.
- Pour ma part, je dois t'avouer que je suis un peu angoissée, mais il paraît que je n'ai pas le droit de le dire et encore moins de le montrer ! me plaignis-je.
- À moi tu peux, m'assura-t-il.
Misha avait toujours été là pour moi et l'arrivée imminente de la bataille fit soudainement naître une angoisse en moi sur ce qui pourrait lui arriver.
- Tu feras attention, Misha, l'implorai-je. Tu n'es pas immortel...
- Ne t'inquiète pas, petite reine.
Je souris intérieurement à ce surnom qu'il m'avait donné depuis l'attaque au manoir. Je n'aimais pas qu'il m'appelle ainsi en public, je trouvais cela dévalorisant, mais aujourd'hui, ses mots m'apaisèrent. Je ne lui rappelai pas qu'il était plus jeune que moi, ce qui avait le don de l'agacer. Il n'était plus vraiment un enfant à présent. Il avait fait ses preuves et les hommes le respectaient, peu importe son âge, il était un guerrier.
- Il y a des gars qui ont prévu de jouer aux cartes pour passer le temps, tu veux qu'on les rejoigne ? me demanda Misha.
- Pourquoi pas ! C'est finalement une façon de se reposer !
- Ouai, enfin s'il n'y a pas de mauvais perdant.
- Je suis leur reine, ils seront tous obligés de me laisser gagner !
- Pas moi, je te rappelle !
- Oui, mais je n'ai pas besoin de ça pour te battre à un jeu de chez moi. Je vais t'écraser ! affirmai-je avec conviction pour le provoquer.
- J'ai hâte de voir ça ! pouffa-t-il.
C'est dans une ambiance bonne enfant que nous partîmes rejoindre les soldats de notre peloton. Cette légèreté me fit un bien fou. J'oubliai un instant la guerre qui nous attendait, mais elle me rattrapa plus vite que je ne l'espérais.
- Ma reine ! s'écria un des hommes en courant vers moi.
Je ne le reconnus pas, mais sa façon de m'interpeller m'inquiéta d'office.
- Que se passe-t-il ? m'enquis-je.
- Nous venons de capturer un des hommes de l'Infâme qui rôdait dans la forêt, dit-il tout essoufflé.
- Attachez-le et surveillez-le, ordonnai-je. Il ne faut pas qu'il s'échappe, il ne doit en aucun prévenir les autres de nos effectifs et de nos projets. Est-ce qu'on sait ce qu'il a entendu ? l'interrogeai-je.
- Ma reine... hésita-t-il. Il dit s'appelait Théo et être votre cousin.
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