Chapitre 49

... enfin je le croyais.

J'ouvris péniblement les yeux. J'avais une migraine terrible. J'étais totalement désorientée. Je me remémorai avec difficulté ce qui s'était passé. Puis, je me rappelai et compris que j'avais perdu connaissance.

Ma blessure sur la pommette me lança et je voulus instinctivement la toucher. Je réalisai alors que j'étais attachée. J'avais les bras liés en arrière, rattachés à mes jambes, elles aussi encordées. Inutile d'essayer de bouger, je n'irai pas bien loin.

J'avais du mal à garder les yeux ouverts et je ne sais pas exactement combien de temps je les ai refermés. Quand, je les rouvris, la lumière était moins aveuglante et j'aperçus le décor qui m'entourait. J'étais à la montagne, appuyée contre une roche escarpée. Face à moi, la forêt s'étendait. Je remarquai un feu éteint à quelques mètres, mais il n'y avait personne.

J'étais allongée à même le sol, celui-ci était humide et j'étais complètement gelée. Il faisait pourtant chaud à cette période de l'année. Nous étions donc en altitude. Depuis combien de temps avais-je quitté le manoir ?

Le soleil était en train de se coucher cela devait donc faire environ 18 heures que j'avais été capturée, peut-être plus. Je tentai de me redresser pour mieux observer mon environnement. J'y arrivai avec peine et je vis alors une sacoche suspendue à un arbre. J'essayai de la rejoindre en rampant, espérant pouvoir l'atteindre et trouver de quoi défaire mes liens.

Il était toutefois difficile de me mouvoir ainsi attachée. Je constatai que la roche avait l'air coupante et je me dis que finalement il était peut-être plus judicieux de tenter de couper directement mes liens avec. Je me mis à me dandiner comme je pouvais pour positionner la corde sur des bouts tranchants. Une fois bien placée, je me déhanchai frénétiquement pour les sectionner.

J'étais tellement concentrée sur ma tâche que je n'entendis pas mon ravisseur arriver. L'homme se saisit des liens qui m'encordaient et les coupa de sa machette. Mes jambes n'étaient plus reliées à mes bras et je retrouvai immédiatement une position plus confortable. Il me prit alors les mains, les tira vers lui et y défit mes liens.

Je caressai instinctivement mes poignets pour les soulager. Mon ravisseur alla s'asseoir un peu plus loin, me laissant les jambes entravées, sûrement pour éviter que je tente de m'enfuir. Je constatai qu'il y avait désormais deux chevaux et l'un d'eux était Elya. Cela me fit du bien de voir un être familier.

Je m'assis à mon tour, détaillant celui qui m'avait enlevé. Je ne fus pas étonnée de le reconnaître : Chase, le chasseur du Prince. Pourquoi diable n'avais-je pas vérifié que l'on retrouve son cadavre !?

Il ne me parla pas et se mit à dépecer le lapin qu'il venait sans doute d'attraper. Au bout d'un moment, il me regarda et me lança une pierre à feu.

- Si tu veux manger, il va falloir faire du feu. Tu sais faire ?

Je ne lui répondis pas et me saisis de la pierre. Je m'approchai de l'ancien feu et rassemblai des aiguilles de pin sèches qui étaient à proximité de moi. Il m'observa silencieusement allumer le foyer. J'essayai d'ignorer son regard. Mon cerveau bouillonnait, que me voulait-il ? M'emmener auprès du Prince serait la réponse la plus cohérente, mais les montagnes hautes n'étaient pas le chemin pour accéder au Mont d'Or. Où allions-nous ?

Cela n'était pas si important, il me fallait juste gagner du temps. Yaël ne tarderait pas à arriver, notre lien lui permettrait de me localiser facilement de la Grand'Astrée. Je le savais déjà en route. Nous devions être à un endroit reculé d'un point d'eau pour qu'il ne soit pas encore arrivé, mais je ne doutais pas une seconde de sa détermination à me retrouver au plus vite. Il viendrait, il fallait juste attendre.

- Tu n'es pas curieuse ? me demanda soudain Chase.

- Non, affirmai-je.

- D'habitude, ils croient tous que leurs paroles me convaincront de les libérer, me précisa-t-il.

- Ce n'est pas mon cas.

Il se mit à ricaner.

- Il t'a fallu peu de temps pour afficher cet air arrogant, morveuse. Je me souviens encore de la peur que j'ai lue dans tes yeux à notre dernière rencontre.

Je le fusillai du regard.

- Elle a l'air d'avoir disparu, constata-t-il. Tu es comme eux finalement.

Comme qui ? pensai-je, mais je m'abstenu de lui demander, je ne voulais pas lui accorder cette victoire.

Il ne dit plus rien pendant un moment et alimenta le feu. Il attendit les premières braises pour y placer au-dessus le lapin qu'il avait préparé. Je l'observai à mon tour silencieusement, espérant que l'arrivée de Yaël serait imminente. Mais le temps passa, le soleil était à présent couché, et il n'y avait toujours aucune trace de sa présence.

Nous mangeâmes en silence et je me demandai de plus en plus où était Yaël. Je jetai quelques coups d'œil dans l'obscurité des bois dans l'espoir de le voir arriver et Chase dut remarquer mon impatience.

- Il ne viendra pas, me dit-il. Il ignore où tu te trouves.

- Il saura où me trouver, lui assurai-je.

- Pas cette fois.

Sa conviction me fit frémir, bien qu'il ne sache apparemment rien sur Yaël.

- Je sais qui tu es, lui sembla-t-il bon de me préciser.

- Donc tu sais que je suis ta reine, le défiai-je.

- Je le sais aussi, astréienne.

Mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine, mais je luttai pour ne rien laisser paraître. Il ne pouvait pas savoir. Pourquoi m'appelait-il de la sorte ?

- Alors pourquoi suis-je ici ? demandai-je, sans perdre de mon assurance.

- Il paraît que tu recrutes des hommes, répondit-il.

- Cet interrogatoire est pour Sa Majesté ?

- Ce n'est pas le Prince qui m'envoie, m'informa-t-il.

- Alors je réitère : pourquoi suis-je ici ?

- J'ai vu ce que vous avez fait aux cavaliers rouges, indiqua-t-il. Ces hommes étaient redoutés de tout le royaume, on les prenait pour des demi-dieux. Je n'avais jamais vu de ma vie d'hommes avec une telle carrure, une telle force, ils avaient presque quelque chose de bestial. Ils ne vivaient que pour combattre et pourtant ton époux en a tué trois, sans aucun effort.

- Au moins tu sais ce qu'il t'attend...

- Je n'en suis pas si sûr, répondit-il, et c'est justement pour ça que tu es ici.

Il avait titillé ma curiosité, je devais bien l'avouer.

- Je t'écoute, déclarai-je.

Après tout, quitte à faire passer le temps autant prendre des informations.

- Je ne suis pas un soldat, je n'ai pas juré fidélité au Prince, mais... plutôt à sa bourse, commença-t-il. Je pourrais peut-être te louer mes services, qu'en penses-tu ?

- Tu cherches un emploi plus rentable, c'est bien ça ? m'effarai-je. Tu n'as pas bien compris je crois, si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi. Je n'achète la fidélité de personne, tu n'auras pas une pièce d'or de ma part. Par contre, je prends la vie de mes ennemis sans état d'âme comme tu as pu t'en rendre compte.

- Je l'ai vu, confirma-t-il. Quand j'ai observé les tiens combattre, j'ai compris et j'ai su ce qu'il me restait à faire. Je n'ai pas honte de le dire, j'ai préféré me cacher pour pouvoir t'approcher plutôt que de laisser ma vie dans une guerre qui n'est pas la mienne. Je ne suis pas n'importe quel soldat, je pourrai te servir d'espion, rester près du Prince avec ma position actuelle pour connaître ses plans et te les divulguer.

- Tu veux plutôt dire que tu veux assurer ta vie, peu importe qui gagnera.

- On ne peut me le reprocher.

- Et tu crois vraiment que m'enlever était la meilleure des façons de m'approcher ? Tu crois vraiment que je vais te pardonner de m'avoir enlevé, qui plus est deux fois ?

- J'ai veillé à ne pas te blesser, riposta-t-il. Ta pommette était déjà ouverte. Ton mari pourra constater que je ne t'ai pas violentée.

Je compris alors à quel point il avait peur de Yaël. Il m'avait étouffée pour que je perde connaissance, sans m'assommer, pour éviter de laisser une trace de blessure sur mon corps ! Il n'avait même pas songé aux séquelles psychologiques que cet acte avait engendrées. Je m'étais vu mourir.

- J'ai failli mourir ! m'écriai-je.

- Bien sûr que non, j'avais imbibé le linge d'un produit pour te faire dormir.

- Alors pourquoi m'étouffer ?

- Ça aurait dû agir plus vite, dit-il embêté, mais il se reprit rapidement. Et après tout, ce n'est qu'un simple rappel de ton humanité. Vous vous croyez tellement intouchable vous les astréiens ! vociféra-t-il.

Je n'avais plus de doute maintenant, il savait qui étaient les astréiens ou du moins il avait quelques renseignements sur la Grand'Astrée et ses habitants. Je fis mine d'ignorer cette information.

- Pourquoi m'avoir enlevée ? le questionnai-je.

- Pour que le jour venu, tu t'assures de ma survie en échange des renseignements que je te donnerai.

- Pourquoi ferais-je cela ?

- Parce que si tu veux que je te libère, il va falloir que tu me donnes ta parole et que tu sois très convaincante sinon, j'ai bien peur que ta guerre ne t'échappe.

- On viendra me chercher, tu dois bien en avoir conscience.

- C'est toi qui ne réalises pas la situation, m'assura-t-il.

Il ouvrit alors la sacoche vers laquelle j'avais tenté de me diriger tout à l'heure et en sortit une petite pierre. Je la reconnus aussitôt, sa couleur était bien trop singulière, elle était l'œuvre de Kamilla.

- Elle aspire ta lumière, me confirma Chase, et t'isole de tous les tiens. Ils ne peuvent pas te localiser.

Yaël ne savait donc pas où j'étais. Il s'était réveillé sans moi et n'avait aucun moyen de me retrouver. Il ne devait même pas savoir si j'étais vivante ! Dans quel état était-il ? Où était-il ? Que faisait-il ? Que s'était-il passé ces dernières heures au manoir ? Est-ce que les astréiens y étaient encore ? Étaient-ils tous rentrés à la Grand'Astrée ? Ou étaient-ils en marche pour le Mont d'Or ?

Des milliers de questions affublèrent dans ma tête. J'espérai sincèrement que Yaël avait su conserver son calme légendaire, mais je l'imaginai déjà ravager le Palais à ma recherche. Il allait tout détruire. Il penserait nécessairement à aller au Mont d'Or. Il ne pouvait croire que cela !

Je repensai alors aux paroles de Chase et à cette allusion à la guerre qui était en train de m'échapper. C'était son plan, il savait comment réagirait Yaël s'il ne me trouvait pas, il l'avait vu de ses yeux lorsqu'il m'avait capturé la première fois. En me retenant ici, il laissait à penser que j'étais détenue par le Prince. Et plus longtemps je resterais éloignée, plus longtemps j'offrais la possibilité à Yaël d'attaquer le Mont d'Or sous couvert d'une fausse revendication, car je n'étais pas la prisonnière de Storm. Il fallait à tout prix que je le rejoigne, je devais partir d'ici au plus vite !

Chase me sortit de mes pensées sous l'intonation de sa voix éraillée.

- Dis-moi, morveuse, est-ce que la peur reviendrait habiter tes prunelles ?

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