Chapitre 48

Durant le milieu de la nuit, le vent ouvra la fenêtre qui était mal fermée, m'obligeant à me lever. Je glissai hors du lit discrètement pour ne pas réveiller Yaël. En la refermant, je constatai qu'il faisait extrêmement bon dehors. La fraîcheur de la nuit était agréable comparait à la chaleur étouffante des journées.

J'hésitai à me recoucher, je savais déjà que je ne retrouverais pas le sommeil de suite. Les évènements des dernières vingt-quatre heures étaient bien trop présents dans ma tête. Yaël dormait quant à lui à poings fermés et je décidai donc de profiter de la terrasse, non loin de notre chambre, pour admirer le ciel étoilé et apprécier l'air nocturne.

Je ne fus pas déçue. Le ciel était magnifique et je me perdis dans sa contemplation. Je m'étais finalement un peu avancée pour m'allonger à même l'herbe, me rappelant toutes les fois où je m'étais installée ainsi dans les terres d'Azadjan. J'appréciai cet instant à sa juste valeur, cette journée avait été si riche en émotions.

L'appréhension de devoir prendre la parole en public.

La peur de ne pas convaincre.

La conviction qui m'était venue naturellement lors de mon discours.

La surprise de voir débarquer autant de soldats contre nous.

La colère d'être condamnée pour le simple fait d'exister.

La précipitation qui s'en était suivie.

La force de frappe de Yaël.

La satisfaction d'avoir combattu les soldats qui m'avaient attaquée.

La douleur de ma joue qui m'en laissait à présent le souvenir.

La crainte qu'il y ait de nombreux décès parmi nos rangs.

L'admiration qui m'était venue naturellement devant les techniques de combat des astréiens.

La frayeur que j'avais lu dans les yeux de nos adversaires.

La tristesse ressentie devant ce décor macabre.

La joie d'avoir remporté notre première bataille.

La fierté de constater que les grands du royaume m'accordaient leur fidélité.

J'avais ressenti tant de sentiments en si peu de temps, j'en avais un peu le tournis. La réalité de la guerre s'imposait à présent à nous. Pourtant, mon esprit était ailleurs.

La violence de la soirée s'était effacée au profit de la douceur de Yaël.

La patiente dont il avait fait preuve m'avait émue.

La délicatesse de ses mains sur mon corps m'avait complètement chamboulée.

La sensation qu'il m'offrait n'avait aucun égal. L'avoir pour moi seule était mon plus beau  cadeau. La récompense la plus précieuse, après cette soirée des plus éreintante.

Repenser à ce moment avec lui m'euphorisait et je ne pouvais m'empêcher d'afficher un sourire béat. Malgré tous les évènements qui s'étaient produits, c'était celui-ci qui occupait le plus vivement mes pensées. J'en avais un peu honte, car ce soir j'avais donné la mort pour la première fois. C'était la blessure que j'avais occasionnée à la jambe du soldat qui avait provoqué son décès, il n'y avait pas de doute là-dessus, mais je n'en ressentais pas de culpabilité. Il avait pour ordre de me tuer, c'était lui ou moi, je ne pouvais pas regretter mon geste.

Ce qui m'inquiétait, c'était que je l'avais apprécié. J'avais aimé ne pas être une victime, savoir me défendre et m'imposer face à mon agresseur. Cette supériorité avait été salvatrice et je commençais à mieux comprendre cet air suffisant qu'affichait régulièrement les astréiens et pourquoi ils se sentaient supérieurs. Ils l'étaient tout simplement et ils avaient depuis longtemps parfaitement conscience – contrairement à moi – que leurs capacités et leurs prouesses aux combats leur permettaient d'être tout puissants dans ce monde. Je comprenais mieux leur excursion régulière de ce côté-ci du miroir et la légende qui les avait élevés comme de véritables dieux.

Huit astréiens avaient suffi à combattre plus de cent hommes. Cette donnée n'avait pas échappé aux nobles qui étaient présents et je concevais aisément qu'ils aient tous décidé de suivre notre camp. Nous les avions sauvés d'une mort certaine, mais nous leur avions surtout montré notre puissance de frappe.

L'image de Yaël attaquant ses ennemis me revint en tête. J'espérais un jour manier aussi bien l'arme blanche que lui. Ses mouvements étaient fluides, anticipés, contrôlés, précis. On aurait dit qu'il exécutait une véritable danse funeste. Sa rapidité d'exécution était impressionnante et je ne pouvais qu'être admirative devant son art, car, oui cela en était un pour moi, et cela rendait Yaël encore plus fascinant qu'il ne l'était déjà.

Je fermai les yeux et instantanément des images de nous amplifièrent mes sens.

Je sentais son odeur m'enivrait, je frissonnais en imaginant ses doigts parcourir ma peau, j'avais encore le goût de ses baisers sur mes lèvres, je revoyais parfaitement son corps se mouvoir entre mes hanches et conservai en tête le timbre de sa voix qui me répétait à quel point il était fou de moi.

Je m'endormis avec ces pensées à même le sol, sans m'en rendre compte, me laissant happer par ces réminiscences, un doux sourire aux lèvres. Mon réveil, lui, fut plus brutal.

Quelqu'un se mit à appuyer un épais tissu sur mon visage pour tenter de m'étouffer. J'essayai de me relever, mais on me maintint allongée au sol, m'empêchant de fuir cette contrainte. Je me mis rapidement à suffoquer, haletante, à la recherche d'oxygène. Je n'arrivais plus à respirer et je me retrouvai complètement impuissante. J'avais peur, j'étais terrifiée, car j'avais déjà vécu cette situation dans mes songes et je connaissais déjà la fin de cet intermède. Je savais que si je ne réagissais pas, j'allais mourir.

Je m'évertuai à basculer mon corps sur le côté pour me libérer de mon adversaire, mais malgré toute ma hargne, cela ne changea rien. J'écartai alors les bras et cherchai désespérément une arme ou n'importe quoi qui puisse y faire office. Je devais me défendre, je devais réagir.

Je me débattis frénétiquement, tâtonnant le sol à la recherche d'une pierre, d'un bout de bois, d'un espoir, mais il ne vint pas et je savais au fond de moi que j'étais perdue. Je revis le visage de Yaël et le sourire d'Isaïah. Jamais je ne les reverrais. Je n'osai penser à la réaction de Yaël quand il se réveillerait seul dans notre lit pour ensuite découvrir mon cadavre. Ces pensées déchirèrent mon cœur avec une violence inouïe. Je ne pouvais pas mourir, je ne pouvais pas les abandonner.

Je me mis à crier de toutes mes forces. Il y avait six astréiens à l'intérieur de cette bâtisse. Il fallait que l'un d'entre eux entende ne serait-ce qu'un bruit suspect. Malheureusement, le tissu s'engouffra dans ma bouche, m'étouffant davantage.

Dans un dernier effort, je déversai toute ma haine contre mon bourreau. Je lui frappai le bras pour lui faire lâcher sa prise. Je remontai mes coups jusqu'à son visage et voyant que cela n'avait aucun effet, je me mis à le griffer jusqu'au sang, mais il exerça davantage de pression sur mon visage et je sentais déjà mes forces m'échapper. J'essayai de le blesser en enfonçant mes doigts dans ses orbites, mais je n'y parvins pas. Mon bras chuta et empoigna dans un dernier espoir l'oreille de mon agresseur pour le forcer à me lâcher, en vain.

J'utilisai mes dernières forces pour tenter de respirer, espérant encore pouvoir me redresser, mais rien n'y faisait. Je canalisai alors mon énergie dans mes jambes, mais je fus prise de convulsions. Le temps s'arrêta, je me sentis lourde et j'eus l'impression de rétrécir. J'avais la sensation d'être toute petite, si petite que je me perdais dans les méandres de l'univers, totalement absorbée par l'obscurité.

Je ne ressentais plus la douleur de ma gorge qui me brûlait quelques secondes plus tôt. J'étais en train de partir. J'étais en train de mourir. Il était trop tard. Ce moment avait été écrit depuis longtemps et il ne pouvait pas être changé.

Je me revis chez Mélinda, sur son fauteuil à bascule en train de bercer Isaïah, au côté de Yaël. Si je devais définir le bonheur, je choisirais ce moment de ma vie. Ce fut le plus beau et pourtant le plus simple. Ce n'était pas une joie feinte, euphorique, prévue, attendue, c'était une vraie joie, naturelle, sincère, pure... du bonheur à l'état brut.

Je me raccrochai précieusement à ce souvenir et je leur demandai silencieusement pardon de les abandonner. Puis, l'obscurité m'emporta entièrement jusqu'à me laisser sans vie...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top