Chapitre 45
Je n'avais finalement pas eu recours au service de Luka. Nous n'avions eu besoin d'aucune preuve pour attester de la cruauté du Prince, tous étaient convaincus qu'il avait attenté à la vie de mon fils. Je maintenais donc qu'il était inutile de voler le sceau royal, quelles que puissent être les révélations qu'il m'apporterait.
Yaël n'était évidemment pas d'accord et voyait plus loin que mon beau discours. La vérité ? Je ne voulais pas voir Luka et encore moins lui demander son aide ! Bien sûr, je ne lui dis pas. C'était parfaitement ridicule et Yaël aurait tous les arguments du monde pour le démontrer. Or, il n'en avait pas besoin, ma décision était prise et nous agirions sans Luka.
Cet homme me mettait mal à l'aise, je ressentais des sentiments étranges lorsque j'étais en sa présence. Son aura m'hypnotisait totalement et je détestais cela parce que je n'arrivais pas à comprendre ce qui m'attirait chez lui de façon si inexorable. J'avais cru à un lien particulier, mais notre dernière discussion était restée ancrée dans mon esprit et j'avais la rancune tenace.
D'autant que depuis son intervention, une même vision ne cessait de m'assaillir et elle n'était pas très agréable. J'avais cru d'abord à un simple rêve, mais l'intensité de mes sentiments ne me permettait pas vraiment de douter. Je me voyais mourir, de façon violente, sans pouvoir lutter, totalement asphyxiée par mon oppresseur. J'avais fait ce cauchemar déjà trois fois et il était des plus terrifiants. J'espérais que cette vision soit de celle que l'on puisse changer.
Je ne pouvais toutefois pas m'en préoccuper pour le moment. Si je donnais cette information à Yaël, il annulerait tous nos plans et je serais surveillée constamment. Or, cette vision pouvait très bien se produire dans plusieurs années. Je décidai donc de me concentrer sur celles qui avaient un intérêt direct avec notre situation actuelle.
J'avais notamment eu la vision du Prince en train de tenir le collier d'Elija que j'avais laissé à son attention dans les marais. Sa réaction ne fut pas celle que j'attendais, je l'espérais fou de colère, mais il fut en réalité plutôt triste. Lorsqu'il fut seul, se croyant inobservé, il avait contemplé l'amulette de longues minutes se remémorant sûrement des souvenirs communs avec Elija.
J'avais ressenti sa nostalgie, mais aucune trace de regret, je crois pourtant qu'il était plus attaché à elle qu'il ne voulait bien l'admettre. Son acte lui avait coûtait le prix de la solitude. Il n'y avait eu depuis aucune personne qui l'avait réellement aimé pour ce qu'il était. Il n'inspirait que la crainte et il le savait.
Cette vision m'avait troublée, elle m'avait fait voir l'homme derrière le personnage que je détestais tant. En revanche, je ne comprenais toujours pas pourquoi je n'avais aucune vision de Théo. J'aurais tellement aimé ressentir ses sentiments à lui, savoir s'il me détestait réellement comme il l'avait laissé sous-entendre auprès de Sara...
Après notre séjour à Spycreek, nous avions continué notre marche vers le Mont d'Or pour finalement nous arrêter dans un bourg qui n'était plus très éloigné de notre destination finale. Cela faisait à présent plusieurs jours que nous logions dans un manoir dont le propriétaire était un gentilhomme du nom de Nathaniel Levillard. Nous étions dix astréiens à y résider. Il y avait bien évidemment Yaël, Stan et Misha et également Mia, Antoine, Éric et Enéa, en plus du dernier couple arrivant : Cassandre et Grégoire.
C'est Cassandre qui nous avait permis de vivre ici. Elle avait la faculté de tromper l'esprit des gens. Elle faisait naître des illusions et créait de faux souvenirs. Le propriétaire était convaincu que nous étions des lointains cousins à lui venus se reposer quelque temps et il nous traitait ainsi avec égard. Il avait même recruté du personnel pour l'occasion, tous également envoutés par les bons soins de Cassandre.
Elle pouvait contraindre l'esprit des gens avec une facilité déconcertante et m'avait confiée qu'elle pouvait même leur donner l'ordre de se suicider si elle le désirait. Elle était redoutable et, comme tous les astréiens volontaires à notre cause, elle prenait un malin plaisir à jouir de la situation.
L'idée d'un bal les avait d'ailleurs tous mis en joie, seul Stan restait taciturne, pensant sans doute à Anya qui aurait adoré être là. Mia et Antoine étaient en ébullition et s'attelaient à rendre l'évènement incroyable. Antoine courait de toute part pour avoir les meilleurs produits à offrir à nos hôtes, il prenait la tâche très au sérieux alors que le bal n'était qu'une façade pour rencontrer les nobles de la région.
Nous avions, en effet, convaincu notre logeur de lancer de nombreuses invitations auprès de tous les grands seigneurs du royaume, leur promettant une soirée qu'ils ne seraient pas près d'oublier. Ce soir, les personnages les plus importants de nord-ouest des terres hululiennes seraient parmi nous et peut-être même quelques seigneurs de terres plus éloignées. Ce soir, j'allais me présenter à eux en tant qu'Isabelle de Valdéria, de la lignée des Weysar.
Cassandre avait insisté pour que j'aie une véritable tenue de reine et elle avait pris soin de choisir la toilette idéale. J'étais heureuse d'être aidée dans cette tâche, mais j'avais peur de me sentir mal à l'aise dans cet accoutrement. Je ne lui dis cependant pas et acceptai de mettre l'apparat qu'elle avait choisi. Yaël avait insisté sur l'importance de cette soirée et je ne voulais pas être celle qui la ferait échouer.
« Ils se feront une opinion de toi dans les cinq premières secondes, m'avait-il dit. Si tu n'es pas une reine dans ta tête à ce moment-là, tu ne seras pas une reine pour eux. Tu ne montres pas ton angoisse, tes peurs, tes craintes, tes doutes. Cela t'est interdit. Tu dois être sûre de toi, dans tes gestes, dans ta façon de t'exprimer, de converser. Ne laisse jamais paraître ta surprise. Tes émotions sont ta faiblesse. Ne révèle que celles que tu as besoin de leur montrer pour qu'ils te suivent aveuglément ».
Je me répétais sans cesse ses conseils, qui, a bien les ressassait, ressemblaient davantage à des ordres, mais il avait raison, cette soirée était décisive et tout dépendait de moi, je ne pouvais pas échouer.
Si j'avais eu envie de suggérer à Cassandre de les convaincre grâce à son pouvoir, c'était avant que je comprenne que celui-ci ne restait actif qu'en sa présence. Et puis ce n'était qu'un leurre, j'avais besoin de concret, je devais les rallier à ma cause, car elle était juste.
J'avais réfléchi à mille entrées en la matière, mais cette fois-ci, rien ne se passa comme prévu. Ni le plan B, ni le plan C, même si je n'avais pas bien compris en quoi ce dernier consistait. Mais nous n'en sommes pas là. Je ne vous ai pas encore parlé de Grégoire.
Grégoire avait déjà connu plusieurs vies, mais ce n'était pas un ancien dieu. Il m'avait confié à son arrivée au manoir avoir connu mon grand-père Ollard. Il avait même combattu avec mon aïeul durant la bataille aux mille seigneurs, comme on l'avait surnommé. Je l'avais trouvé valeureux, sachant qu'il n'avait pas de pouvoirs actifs. Grégoire avait la faculté de percevoir les émotions des autres. Sa présence nous permettrait de savoir précisément qui serait avec nous ou contre nous. Nous ne pouvions pas nous permettre d'être entourés des mauvaises personnes.
Le bal avait déjà commencé en contre-bas, et moi, je continuai de me préparer mentalement à ce qui allait suivre. Les astréiens étaient quant à eux tous dans la grande salle pour recevoir nos premiers invités. J'étais censé les rejoindre plus tard, une fois qu'ils seraient tous rassemblés, car j'étais l'invité d'honneur. Yaël avait refusé de m'accompagner à son bras. Il avait dit que je devais le faire seule, que c'était mon combat. Je me rendais de plus en plus compte que j'écrivais mon histoire, mais que celle de Yaël ne serait pas contée parmi celle-là. Pourtant, j'aurais tant aimé qu'il soit mon roi.
Misha frappa à ma porte et m'annonça qu'il était temps pour moi de faire mon apparition. Je lui laissai le temps de retourner en bas et me levai en direction des escaliers pour rejoindre la grande salle. Mon cœur s'emballa quand je vis qu'ils étaient en si grand nombre. Nous ne savions pas exactement qui répondrait à notre appel, nous avions dû agir vite, ce n'était pas commun, mais la curiosité avait dû être telle que le déplacement en valait la peine, du moins je le supposais vu la foule qui emplissait le parterre.
J'essayai de ne rien laisser paraître de mon trouble, je me remémorai une dernière fois les paroles de Yaël et m'arrêtai en haut des escaliers de façon aussi majestueusement que je le pouvais. Yaël souffla une brise légère dans la salle qui fit relever la tête à tous nos invités en ma direction.
Le silence s'installa et je les laissai quelques secondes émettre les hypothèses qu'ils souhaitaient sur ma personne avant de prendre la parole.
- Je suis Isabelle de Valdéria, fille cachée du Prince Jonas. J'ai grandi dans la famille de ma mère sans rien connaître de mon ascendance royale jusqu'à ce que je rencontre le Prince Storm... l'Infâme.
Je marquai un temps d'arrêt pour qu'ils comprennent bien de quoi il était question. Il s'agissait de trahison selon nos lois, mais ils allaient vite s'en rendre compte.
- Ce jour-là, il a fait de moi sa prisonnière et a tenté de m'assassiner. Il craignait que je n'enfante un héritier légitime et il ne voulait pas que vous sachiez ses tristes secrets. Sa légende sanglante n'est plus à faire, pourtant il a commis bien pire pour asseoir son autorité et accéder au pouvoir. Mes seigneurs, quelle vie aurions-nous eue si Henry avait régné ? Je ne crois pas qu'il aurait eu un jour besoin de cavaliers rouges. Pourtant, ce n'est pas la maladie qui a fauché sa vie, c'est son propre frère Storm qui l'a empoisonné et dissimulé cela sous le couvert de la maladie.
Un mouvement dans la salle se fit sentir, plusieurs s'offusquèrent d'entendre de telles paroles. Mais je ne leur laissai pas le temps de s'en scandaliser.
- Et il a ensuite assassiné son deuxième frère, mon défunt père, faisant passer cela pour un accident de chasse, tout cela afin d'accéder au trône. C'est un usurpateur, un fratricide, affirmai-je.
Cette fois le brouhaha s'amplifia et je dus élever davantage la voix pour bien me faire entendre.
- Mes seigneurs, aujourd'hui c'est à ma vie qu'il s'en prend, mais plus encore, il cherche à ôter celle de votre souverain légitime, le Prince Isaïah, mon fils. Nous ne pouvons laisser régner un être aussi abject, sa tyrannie n'a plus lieu d'être. Il vient de détruire tout un village dans le seul but d'atteindre son objectif. Ses désirs n'ont jamais eu de limite, peu importe les victimes collatérales. Cela doit cesser mes seigneurs. Il n'appartient qu'à nous de protéger nos familles. Il faut destituer cet imposteur, ce faux Prince !
Mon discours devenait passionné, je croyais en chaque mot et j'étais revigorée de voir certaines têtes approuvées mes propos. La majorité des gentilshommes présents approuvaient mon discours. J'étais en train de réussir mon grand oral quand soudain tout bascula.
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