Chapitre 42


Cela faisait six jours que nous étions partis de chez Mélinda. J'étais angoissée la première fois que nous avions échangés avec les hululiens, mais j'avais finalement apprécié leurs réactions. Je n'avais pas sous-estimé la haine qu'ils portaient tous au Prince. L'idée qu'il soit destitué plaisait. Le grain de la discorde s'était glissé dans le sablier monarchique et les langues se déliaient avec l'alcool.

Nos soirées dans les auberges ressemblaient à de vraies assemblées politiques. Yaël maniait les mots avec éloquence. Il avait beau être un étranger, il était écouté et il subjuguait la foule, moi y compris. J'avais pour ma part plus de mal dans cet exercice. Les hommes me prêtaient moins d'importance, que pouvait savoir une femme ! J'étais fière dans ces moments d'être une astréienne et d'appartenir à un peuple qui respectait tout autant la parole des femmes que celle des hommes.

De toute façon, il était difficile de parler de moi à la troisième personne ! Et l'importance, c'était le message et celui-ci était à présent parfaitement rodé. L'information avait circulé aussi vite que nous l'avions espéré, si bien que certains villageois contestaient parfois nos propos, disant qu'ils avaient entendu une autre version. Le risque des informations orales était qu'elles étaient toujours altérées de bouche à oreille. Quoique ce soir-là, un des habitants avait l'air de connaître son sujet.

- Elle n'est pas aux marécages. Elle a été mariée à un Prince du Conflent. Aux dernières nouvelles, ils se rendaient à Astrée, dit l'un.

- Tes informations sont anciennes. Ils sont revenus d'Astrée, s'écria un autre.

- C'est un Prince, il la garde dans son château, pourquoi il l'enverrait aux marécages ? souleva le tavernier.

- C'est elle qui a exigé son retour au royaume, expliqua un quatrième.

- Une femme qui exige, elle a déjà tout d'une reine, ricana un des habitants.

- Messieurs, il y a méprise, intervint Stan. Isabelle de Valdéria n'a jamais pu rejoindre le Conflent. Le Prince la traque depuis qu'il a appris son existence. C'est pour cela qu'elle a choisi les marécages.

Stan adorait participer à leur discussion. Je crois que ça l'amusait beaucoup. Pour ma part, je m'abstenais, pas seulement pour les raisons évoquées, mais aussi parce que je n'étais pas sûre de pouvoir rester aussi détachée qu'il l'était.

Lorsqu'on parlait d'Isaïah, je partais le plus souvent prendre l'air. Il y avait toujours des remarques désobligeantes à un moment où un autre et je n'avais pas cœur de les entendre chaque soir. Mia, qui en tant que femme n'avait pas trop son mot à dire non plus, m'accompagnait et j'apprenais à découvrir cette jeune femme aux pouvoirs redoutables.

- Nous sommes plusieurs à avoir ce don, il n'est pas unique, tu sais, m'apprit-elle.

- Il reste rare, fis-je.

- Nous sommes quatre à le posséder. Les autres le gèrent mieux que moi, dit-elle, penaude.

Déjà lorsqu'elle avait présenté son pouvoir, elle en avait révélé les limites. Elle ne voyait que le chemin qui restait à accomplir, jamais celui qu'elle avait déjà fait. Elle avait toujours besoin de plus, de continuellement prouver qu'elle était capable de mieux.

Si j'avais bien compris, les autres télékinésistes parvenaient à établir de véritable bouclier autour d'eux, pouvant ainsi se protéger de toute attaque, mais le sien s'effritait facilement et apparemment n'était pas très utile. Je ne doutais pas vu sa force de caractère qu'elle y parviendrait bientôt. D'autant que hormis cela, elle pouvait déplacer ce qu'elle voulait, elle avait l'air de l'oublier ! Et même de voler !

- Yaël m'a fait voler un jour, lui révélai-je.

- Ah bon ? Comment as-tu trouvé l'expérience ?

- Complètement effrayante, me rappelai-je avec un sourire, il m'a fait sauter dans un précipice de plusieurs centaines de mètres ! précisai-je.

- Il est toujours hors norme, gloussa-t-elle. Laisse-moi faire !

Je n'eus pas le temps de protester que mes pieds ne touchaient déjà plus le sol. Je n'étais élevée qu'à une dizaine de centimètres, je n'avais donc aucun vertige, d'autant qu'il n'y avait cette fois-ci aucune sensation de chute.

- Prête ? me demanda-t-elle.

Je regardai autour de moi pour vérifier que nous étions bien seules.

- Oui, lui confirmai-je.

Elle me projeta en l'air et j'eus l'impression d'être un véritable oiseau qui prenait son envol, sauf que je n'avais pas d'ailes. Je pourfendis littéralement le ciel. Les arbres et les bâtiments rétrécirent rapidement à mesure que je m'envolais vers le ciel étoilé. La vue était magnifique et le silence qui régnait au-dessus de la civilisation bruyante était saisissante. Il y avait quelque chose de réconfortant, et presque d'euphorisant, dans le fait d'être seule au-dessus de tout.

Mia me fit redescendre tout en douceur et compris à mon visage que j'avais adoré cela. Je la remerciai vivement et lui répétai une fois encore la chance qu'elle avait d'être dotée d'un tel pouvoir. J'aurais aimé avoir un don actif. Mes prémonitions ne m'apportaient pas les réponses que je désirais et j'avais l'impression d'être inutile, voir même d'être un poids sur lequel on devait constamment veiller.

Un courant d'air frais passa autour de nous et je n'eus même pas le temps de réagir que Mia fonça droit sur l'intrus qui venait d'apparaître à une vitesse prodigieuse.

- Antoine !

Elle l'enlaça tendrement. Antoine était sa moitié et ils n'avaient pas l'habitude d'être séparés. J'avais compris qu'ils avaient quitté très tôt la Grand'Astrée pour vivre de l'autre côté, du moins quelques années. Ils considéraient toutes ces terres comme leur terrain de jeux. Les capacités d'Antoine leur permettaient de tout visiter et celles de Mia de ne manquer de rien. Ils aimaient beaucoup vivoter ainsi de droite à gauche. Ils n'avaient pas de maître, ils étaient libres, la devise de tout astréien.

Il regarda Mia avec sérieux, puis se tourna vers moi.

- Les marais sont en feu, annonça-t-il.

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