Chapitre 37

Yaël

Je n'avais pas pensé à ce souvenir depuis un moment, celui qui l'avait suivi avait été plus douloureux.

J'aurais bien aimé voir la tête d'Aequor lorsqu'il apprendrait l'existence d'Isaïah ! Cette fois-ci, je ne lui avais pas laissé l'occasion de débattre de cette question devant le Conseil. J'avais annoncé la naissance de mon fils à de nombreux astréiens, sans attendre. J'avais réussi à les regrouper en masse dans le bois millénaire. J'avais constaté qu'Aequor n'y était pas, mais les autres membres du Conseil, oui, et tous avaient approuvé l'aide des astréiens à notre cause.

Je n'avais d'ailleurs même pas eu besoin de chercher des volontaires qu'ils affluaient déjà. Je n'avais plus qu'à choisir ! Les astréiens l'ignoraient, mais j'avais en réalité déjà fait mon choix. Je connaissais les pouvoirs de chacun d'entre eux, mais aussi leur loyauté. Rien ne serait laissé au hasard, ce n'était de toute façon pas dans mes habitudes.

J'avais recruté des astréiens pour qu'ils intègrent l'armée royale et des astréiennes pour les faire embaucher au Palais en tant que domestique. Je voulais du monde sur place pour m'informer de l'intérieur. Pour ça, je comptais en particulier sur Ethan. Il était ma carte cachée. Il avait été installé dans ses nouvelles fonctions de garde royal dès le lendemain de l'Équinoxe, le soir où Izi s'était enfin décidé à me parler. Il était sur place depuis plusieurs mois maintenant.

Pourquoi Ethan ? Parce qu'il pouvait se téléporter et me donner toutes les informations récolées en temps réel. S'il y avait une urgence, je serais averti dans la minute. Je ne pouvais cependant pas le dire à Izi, sinon elle aurait compris que je savais déjà pour son cousin...

Ethan m'avait bien précisé que Théo avait été emmené au Palais, mais il m'avait aussi dit qu'il y était bien traité, tel un invité. Révéler cela à Izi en plein milieu de sa grossesse ne m'avait pas paru être une idée judicieuse. Elle n'aurait rien pu faire et cela l'aurait rendue malade. Mais Misha s'en était mêlé et j'avais dû céder. Dès qu'il avait eu l'âge, il s'était rendu dans l'Autre monde et il avait choisi Azadjan comme destination. J'avais réussi à le faire patienter plusieurs semaines avant de le conduire aux marais, mais pas plus.

J'avais tellement apprécié ces premiers mois de grossesse où Izi était tout absorbée par ses lectures. J'avais pris plaisir à la regarder lire. S'instruire avait été pour elle une révélation et j'aimais tellement le sourire qu'elle m'offrait quand je lui apportais de nouveaux manuscrits. Elle n'avait rien dit, mais je l'avais vu tellement triste lorsque je les avais brûlés... Il ne pouvait cependant en être autrement.

Je ne lui avais jamais expliqué comment je me procurais ces livres. J'avais décidé de lui montrer directement un jour, car je savais déjà qu'elle raffolerait de ce lieu. J'étais très impliqué dans l'œuvre débutée, il y a de cela plusieurs siècles, par Adélaïde. C'est elle qui avait fondé la foi des peuples en nous. Les lieux de culte étaient son œuvre et la religion avait ainsi prospéré sur toutes les terres, tel qu'elle l'avait espéré.

Avec le temps, les temples étaient devenus de plus en plus beaux, de plus en plus grands, des hommes s'étaient mis à dévouer leur vie aux cultes et aux respects des traditions. J'avais missionné plusieurs d'entre eux pour copier les œuvres de différents auteurs et ainsi ancré à jamais leurs histoires dans le temps. Je voulais des témoignages des siècles que nous allions traverser et je voulais aussi qu'ils écrivent la nôtre.

Izi l'ignorait, mais plusieurs des ouvrages que je lui avais laissés avaient été spécialement commandés par mes soins. Pour le dernier, j'avais exigé qu'il soit rédigé à longues lignes et qu'il comporte plusieurs enluminures. Chaque légende sur les astréiens débutait avec des initiales dorées, précédées d'une miniature illustrant le texte. J'avais également demandé qu'un fermoir soit apposé sur la couverture de cuir qui avait été frappée pour l'occasion. Le résultat était magnifique. Le brûler était une grande perte, mais j'en avais déjà commandé un nouveau. Je lui offrirais là-bas et je lui présenterais le scribe et l'enlumineur qui les confectionnaient. On irait avec Isaïah. Pour lui aussi j'avais demandé qu'il soit confectionné un livre d'enfant. La demande avait quelque peu surpris les copistes, habitués à un autre type de travail. Ils avaient pourtant de suite accepté. Mes donations étaient généreuses, et en réalité, je les finançais presque entièrement.

Mais avant tout, je devais rejoindre Izi et mener cette guerre.

J'appelais nos chevaux tout en me dirigeant vers le Lac-miroir. Nous aurions besoin d'eux pour notre voyage et hors de question de le faire avec d'autres montures. Je savais en plus qu'Izi serait heureuse de revoir Elya. Les liens qui nous unissaient à nos animaux étaient particuliers, sans doute parce qu'ils étaient eux aussi éternels, je savais qu'Izi l'avait perçu, peu importe d'où elle venait.

Je ne m'attardai pas davantage à la Grand'Astrée, même si je pressentais que je n'y reviendrais pas d'aussi tôt. Il était hors de question que je laisse Izi seule à présent. Je n'avais jamais voulu de toutes ces obligations et cela ne dérangerait pas les astréiens, car ils savaient que je reviendrais forcément. Le temps n'était pas perçu de la même façon de ce côté-ci du portail.

Nul doute qu'Izi reviendrait elle aussi. Même si elle ne l'acceptait pas encore, sa vie était ici, à mes côtés. Je lui laissais 20 ans. Nous n'en avions pas vraiment parlé, mais c'était tout ce que je pouvais lui concéder et se serait bien suffisant. Nous élèverions Isaïah, nous nous assurerions de sa position dans l'Autre monde, puis nous lui laisserions les rênes du royaume et nous rentrerions à la Grand'Astrée. Nous veillerions toujours sur lui et nous pourrions aller le visiter, mais il serait temps de reprendre notre place et de vivre pour nous. Nous le méritions et j'y veillerai.

Cependant, pendant qu'elle jouerait à la reine, je n'occuperai pas la place du roi, ce serait à elle d'assumer ses choix. Hors de question de jouer cette mascarade. J'en avais déjà assez avec mon rôle d'Élu. Et il était inutile de préciser qu'il n'y aurait pas d'autre roi à ses côtés.

Je franchis le portail en souriant à la pensée de cet avenir que j'imaginais avec Izi et Isaïah. Dès que je fus de l'autre côté, je n'avais qu'une hâte, les retrouver.

Je me réjouis intérieurement en contemplant mon lieu d'arrivée. J'avais créé cet endroit de toutes pièces, c'était une des premières choses que j'avais faites lorsque j'avais compris que l'on allait rester un moment chez Mélinda. Je ne l'avais pas dit à Izi et j'avais hâte de découvrir l'expression de son visage lorsqu'elle allait s'en apercevoir.

Je plaçai les chevaux dans l'enclos et me dirigeai vers cette petite demeure, pleine de charme, qui, je devais le reconnaître, allait me manquer. J'entrai sans faire de bruit, la maison de Mélinda était silencieuse et je ne voulais pas prendre le risque de réveiller Isaïah s'il était endormi.

Je trouvai un mot d'Anya sur la table. Elle était partie avec Mélinda au marché et comptait profiter de cette balade pour lui faire découvrir les joies nocturnes de la ville. Quelle idée, la pauvre, je ne savais pas si Mélinda savait dans quoi elle avait été embarquée.

Le mot ne m'était en réalité pas destiné. Anya avait poursuivi en écrivant :

« Tu dormais tellement bien qu'on n'a pas osé te réveiller. Profite de cette soirée avec Isaïah. Nous t'embrassons ».

Apparemment, Izi devait encore être en train de dormir.

Je me dirigeai vers la chambre, la porte était entrebâillée et je constatai qu'effectivement, elle dormait à poings fermés, enlaçant dans ses bras Isaïah. J'adorais capturer ces scènes de vie dans ma mémoire. Elles allaient me manquer.

J'avais presque envie de les réveiller pour partager encore un peu de ces moments avec eux. Je refermai toutefois la porte avec délicatesse et les laissai à leur sommeil. J'étais bien trop agité pour m'allonger à leurs côtés, j'étais d'ailleurs étonné qu'Izi y parvienne, elle devait vraiment être épuisée, car Sara n'allait plus tarder. Elle serait là d'un instant à l'autre et j'avais hâte de savoir quelle avait été la réaction de Théo.

Je constatai qu'Izi avait préparé ses affaires. Elle avait laissé son sac à l'entrée, près de la porte. Il semblait aussi léger que la première fois et je regrettai qu'elle n'ait pas plus de choses à elle. Je me promis de la couvrir de cadeaux très bientôt. D'autant que ce voyage ne serait pas facile et, encore une fois, elle devrait partir en laissant quelqu'un de cher derrière elle. Même si c'était son choix, cela ne serait pas évident et j'espérais intérieurement que les nouvelles de Sara lui donneraient de la force et non qu'elles l'abattent.

Ne tenant plus en place, je décidai d'attendre Sara dehors et de profiter de l'air frais de la nuit. Anya et Mélinda ne tarderaient pas elles non plus, je doutais qu'elles restent longtemps à profiter des « joies » de la ville.

Anya avait toujours été déçue du comportement des habitants de ce monde. Elle s'y était rendue à plusieurs reprises avec Stan et moi. À chaque fois, elle espérait les connaître sous un angle nouveau, et à chaque fois, elle était désappointée.

Sara arriva la première. Elle se rendit visible pour me signaler son arrivée. Sans rien dire, je la questionnai du regard. Elle le comprit et secoua la tête de gauche à droite pour me signifier que cela ne s'était pas exactement passé comme prévu.

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