Chapitre 31
Yaël veilla à m'éloigner le plus possible des marais. Nous nous enfonçâmes dans les eaux autant que nous le pûmes, mais à un moment nous fûmes bien obligés de marcher. Mon état rendait cependant difficile une marche prolongée, Yaël en était conscient. Il était tentant de rejoindre la Grand'Astrée pour franchir de nouveau le portail est de mettre de la distance entre nous et les cavaliers rouges, mais il ne me le proposa pas. Il savait que je refuserais ou peut-être que finalement lui aussi avait peur des effets que la Grand'Astrée pourrait avoir sur notre enfant.
Stan nous rejoignit rapidement ; il ne resta toutefois pas très longtemps. Il n'était pas du tout d'accord pour nous laisser et il s'était d'ailleurs farouchement opposé à son départ, mais Yaël fut implacable. Ses ordres avaient été clairs.
C'est la première fois que je les voyais en désaccord. Je n'étais pas intervenue, même si je n'avais pas compris pourquoi Stan ne pouvait pas rester. Au moins, je ne le privais pas une nouvelle fois d'Anya et j'avais Yaël pour moi toute seule, ce qui n'était pas pour me déplaire. J'aimais tant cet apaisement que je ressentais quand j'étais à ses côtés, comme si tant qu'il était là, rien ne pourrait m'arriver.
Après plusieurs jours, nous découvrîmes une petite chaumière, reculée de toute autres habitations. Nous avions jusque-là été parfaitement discrets et nous ne nous étions montrés à personne. Pourtant, ce jour-là, des douleurs au ventre me forcèrent à m'arrêter et l'inquiétude de Yaël l'incita à aller chercher de l'aide au plus proche.
Nous frappâmes alors à la porte de ce qui allait être notre future demeure. Nous la reconnûmes immédiatement lorsque la vieille dame nous ouvrit la porte. La luminosité de la pièce, la chaleur de la pierre, c'était ici que j'aurai notre enfant. Je l'avais vu.
Mélinda, la propriétaire des lieux, nous accueillit avec bienveillance. Elle veilla sur moi comme une mère l'aurait fait. Elle n'avait plus de famille et vivait seule ici depuis bien trop longtemps. Elle prit notre arrivée comme une bénédiction. Elle ne cessait de remercier les dieux et je ne pouvais m'empêcher de sourire lorsque je l'entendais invoquer certains astréiens. Bien sûr, ils restaient sourds à ses prières, Yaël avait disposé aux quatre coins de la propriété les pierres de Kamilla.
Je n'avais ainsi plus eu de visions depuis la destruction des marécages. Je ne savais pas si celle-ci avait eu lieu ou si elle était encore à venir, je ne savais pas non plus si Yaël avait pu faire le nécessaire pour éviter cette fin tragique aux villageois.
Il ne m'avait quitté qu'une seule fois pour rejoindre la Grand'Astrée, me laissant seulement quelques heures et sous la surveillance de Mélinda. Les douleurs que j'avais ressenties s'étaient rapidement estompées, mais il veillait à ce que je reste alitée le plus possible. Je n'avais le droit de marcher qu'un peu dans le jardin et toujours accompagnée, les balades seule en forêt m'étaient interdite. Mélinda pensait également que je devais me reposer, d'autant qu'à présent l'accouchement devenait imminent.
Aucun astréien ne vint me voir, je supposais qu'ils ignoraient où je me trouvais ou simplement que Yaël s'y opposait. Nous n'en parlions pas. Pourtant, la présence d'Anya me manquait, parfois même celle de Lilas et j'aurais aimé revoir Misha pour le rassurer. J'étais en revanche heureuse de ne pas être de nouveau confrontée à Luka et Sara. Je n'avais pas oublié les mots tranchants de ce dernier, même si j'avais bien compris ses intentions. Je lui en voulais d'avoir agi ainsi.
Malgré toutes mes questions et inquiétudes, je n'évoquais pas la présence des cavaliers rouges dans les marais avec Yaël, ni même les intentions du Prince et j'osais encore moins prononcer le prénom de Théo. J'essayais de me persuader qu'il n'était pas en danger. Yaël ne m'aurait pas menti à ce sujet. Pour le moment, je ne pouvais pas aider Théo, pas dans mon état.
Je mis ma vie entre parenthèses, excluant de ma bulle tous les problèmes qui avaient en si peu de temps envahi mon quotidien. Je vivais la vie que j'aurai toujours aimé avoir avec Yaël, il n'y avait que nous et notre enfant à naître, sous le regard bienveillant de Mélinda. J'aurais aimé tout oublier, j'aurais aimé vivre cette vie à jamais. Je crois que ce fut durant cette période que j'ai vécu mes plus beaux instants avec Yaël.
Il se prêta volontiers au jeu, à moins qu'il n'en ait autant besoin que moi. Nous n'évoquions aucun sujet sensible et vivions au jour le jour. Se mentir peut parfois avoir du bon, je n'ai jamais été aussi heureuse que ces semaines. C'est surement atroce de penser cela alors que mon cousin été retenu en otage au Mont d'Or, mais c'est pourtant la plus stricte vérité.
Ces moments avaient cependant une fin, une date silencieuse entre nous : la naissance de notre fils.
Ce jour-là, ce fut la première fois où je vis Yaël paniquer. Je crois que son impuissance à m'aider le rendait complètement fou alors que sa seule présence m'apportait le réconfort dont j'avais besoin. Il voulut aller à la Grand'Astrée chercher Éléanore pour m'accoucher, mais je le retins auprès de moi.
- Je ne te veux nulle part ailleurs ! criai-je dans la douleur. Il est formellement proscrit que tu me laisses seule.
- Oh, mais vous n'êtes pas seule, Izi.
Mélinda avait pris pour habitude de m'appeler par mon diminutif et ne cessait de me donner des surnoms affectueux.
- Yaël, aidez-moi à l'allonger sur le lit et allait chercher des bassines d'eau et du linge propre. Allez ! rouspéta-t-elle. Ça va bien se passer mon enfant, me dit-elle sur un ton plus doux. J'ai mis au monde cinq enfants et j'ai assisté à l'accouchement de plus d'une dizaine de femmes. Je serai là. Tout va très bien se dérouler, n'aie crainte. Souffle ma chérie, souffle, me conseilla-t-elle alors qu'une nouvelle contraction apparaissait.
Après plus de neuf heures de travail, les souffrances s'estompèrent devant l'émerveillement du visage de mon enfant. J'avais donné la vie. J'avais un enfant avec Yaël. Un peu de lui, un peu de moi. Je venais de défier toutes les lois de la Grand'Astrée, j'avais réalisé l'impossible.
Je crois que je fus encore plus touchée quand je vis le visage de Yaël s'illuminer en tenant son fils dans ses bras pour la première fois. Ses yeux étincelaient, ils n'avaient jamais autant brillé, ils étaient remplis d'amour, et je crois, d'un peu de fierté.
- Tu viens de faire de moi un homme comblé, princesse. Tu ne pouvais pas me rendre plus heureux. Regarde comme il est beau, me dit-il en rapprochant notre enfant.
Il se glissa à mes côtés et m'enlaça en plaçant le bébé entre nous. C'est vrai qu'il était magnifique, tout comme son père.
Mélinda quitta la pièce et nous laissa ce moment d'intimité. Nous étions tous les deux subjugués par notre fils. Ses mains étaient si petites, ses lèvres si roses et parfaitement dessinées. Yaël resserra son étreinte sur mon corps et je me reposai dans ses bras. J'étais complétement épuisée et je m'endormis contre lui, sans même m'en rendre compte.
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