Chapitre 21
Le lendemain, les adieux avec les astréiens furent brefs. En réalité, je n'en connaissais vraiment que très peu. J'aurais peut-être dû faire plus d'efforts. Je m'excusai auprès de Victor, un des enseignants que j'avais le plus apprécié. Lorsque je lui expliquai que je rendais visite à mon cousin, il n'en fut pas surpris. Yaël avait raison, ce mensonge était parfait. Même Lilas ne s'en étonna pas. Elle était plus inquiète de ma relation avec Yaël, mais dès que je lui dis qu'il était au courant, elle en fut soulagée et me souhaita un bon voyage. Je ne pris en revanche pas la peine de saluer Aequor, vous vous en doutez.
Je mentirais en disant que cela ne m'avait pas fait quelque chose de quitter la Grand'Astrée. Yaël y avait bâti pour nous notre demeure et il n'aurait pas pu mieux la concevoir. Je l'avais de suite adorée et bien que je n'y aie habité que très brièvement, j'avais du mal à me dire que je ne reverrais peut-être jamais cet endroit.
Yaël semblait quant à lui toujours persuadé qu'un jour ou l'autre, je reviendrai ici. Il n'imaginait pas que je puisse choisir de vivre et de mourir dans l'Autre monde. Or, si l'éternité était pour eux naturelle, pour moi elle avait quelque chose de terrifiant. La mort rendait les choses fragiles certes, mais elle les sublimait à sa façon. Elle rappelait qu'il fallait vivre chaque instant.
Voulais-je cependant faire réellement ce choix ? Même si la mort marque une étape de la vie, personne n'a envie de la connaître et bien, au contraire, on s'évertue toujours à l'éviter. Je n'étais pas différente. Je n'avais pas envie de mourir, je n'avais pas envie de quitter Yaël. Tout ça me semblait si lointain. Mais combien de temps avais-je réellement ? Kamilla n'avait pas su me le dire.
Toutefois, lorsque je regardais Yaël, j'avais bon espoir de connaître une fin heureuse. Les pierres m'éviteraient une vie d'aliénation mentale. J'allais avoir un fils et j'avais un mari aimant. Peu importait les prophéties, rien n'était irrémédiable. Je possédais d'ailleurs un don qui pouvait tout changer. Mon destin était entre mes mains, à moi de choisir ce que j'allais en faire et, pour l'instant, il était bien trop tôt pour penser à de telles choses. Après tout, Yaël avait peut-être raison, il était possible que je revienne un jour ici, auprès de ce peuple d'adoption.
J'avançai vers le Lac-miroir, forte de ces réflexions. Misha nous accompagna et me fit promettre qu'on se reverrait bientôt, me rappelant avec un clin d'œil que je lui devais quelques révélations pour son quinzième anniversaire. Yaël prit ma main et c'est ensemble qu'on traversa le portail pour rejoindre les marécages.
Le décor changea brutalement. À la beauté de la Grand'Astrée se substitua la vision des marais. Le temps était brumeux, l'atmosphère humide. Cela n'avait décidément rien d'accueillant. La végétation poussait à même l'eau. Quelques arbres s'y élevaient laissant apparaître leur racine à travers ces terres boueuses.
Il y avait plusieurs pontons de bois où quelques barques étaient accrochées. Yaël me dirigea pour m'entraîner dans un endroit plus reculé. Au fond d'une impasse, une petite maison sur pilotis se dressait. J'avais l'impression que si je soufflais dessus, elle s'écroulerait, mais je gardai ce sentiment pour moi.
Elle possédait une avancée qui menait directement au marécage. Une barque y était également attachée. Toutes les demeures devaient en avoir une pour pouvoir circuler librement. Nul doute qu'à pied ces sols devaient devenir de véritables sables mouvants, il valait mieux attendre la montée des eaux.
- C'est ici, me confirma Yaël.
Il ouvrit la porte dans un grincement. Par Keysia, déesse des foyers, où avais-je fini !
J'étais vraiment inquiète que le tout s'écroule sur nous, pourtant, une fois le seuil franchi, je devais bien admettre que l'endroit était plutôt agréable. Un bouquet de lys avait été déposé sur la table et je me demandais si je devais cette attention à Yaël ou à Anya. Je ne pouvais que constater qu'une touche féminine était passée par là pour égayer l'habitacle.
La première pensée qui me vint à l'esprit fut pourtant : « ce n'est pas ici ». En effet, j'avais à jamais gravé la vision de Yaël et de notre fils et je pouvais assurer, sans me tromper, que cette scène n'aurait pas lieu ici. Ce que j'ignorai, c'était si Yaël s'était fait la même réflexion en nous trouvant cet endroit. Lui aussi avait partagé ma vision, il devait le savoir.
- Anya avait raison, ce n'est pas si mal, dis-je pour le rassurer.
- Tu pourras faire les aménagements que tu souhaites. Il y a une salle d'eau au fond. Je sais que le lit est dans la pièce à vivre, mais les constructions d'ici sont toutes pensées de cette façon et il n'y avait pas meilleur endroit. Tu n'y seras pas embêtée. La cabane est reculée des autres, personne ne devrait t'importuner.
- Ce sera parfait, lui assurai-je.
Je posai les quelques affaires que j'avais emmenées avec moi. En général, les voyages sont fatigants, mais le portail de la Grand'Astrée ne provoquait pas d'effets secondaires. Il y a cinq minutes j'étais à la Grand'Astrée et à présent j'étais de nouveau dans le royaume de Hululy, alors que la première fois il m'avait fallu des mois pour faire le trajet. J'avais encore du mal à prendre conscience de la distance traversée.
- Et maintenant ? lui demandai-je.
- C'est plutôt à toi de me le dire. Tu voulais quitter nos terres et bien te voici dans les tiennes.
Je notai bien la rancune qui l'habitait. Même s'il était d'accord avec le fait que ma grossesse devait avoir lieu de ce côté-ci du miroir, il n'était pas très satisfait de me voir partir de ce qu'il considérait être notre chez nous.
- Est-ce que je peux sortir ou suis-je consignée à domicile ?
- Je te le répète encore une fois Izi, tu n'es pas une prisonnière.
- J'entends bien, mais qu'est-ce que le chef de la sécurité en pense ? le questionnai-je en faisant allusion à Stan.
- Que moins tu te manifesteras, mieux ce sera, mais c'est une évidence, non ?
- Je suppose, reconnus-je. Et les pierres ?
- Je les ai apportés. Tu ne m'as d'ailleurs toujours pas raconté ce que Kamilla t'a confié.
- Elle m'a parlé de Yorï.
J'occultai délibérément qu'elle m'avait prédit que je deviendrai folle. Oui je sais, j'avais dit plus de secrets, mais à quoi cela servirait que je lui dise ? Il n'y pouvait rien. Et je n'avais aucune idée de quand cela se produirait. On avait le temps d'avoir cette discussion. Le danger aujourd'hui n'était pas là. Je ne voulais pas qu'il s'inquiète pour rien, il avait déjà bien assez de responsabilités.
- Et ? insista Yaël.
- Elle sait que Yöri a été assassiné. Elle m'a parlé de lui, de son pouvoir et de ses prémonitions.
Aucun mensonge, pensai-je.
- Elle est restée évasive sur le futur, précisai-je. Kamilla a une sacrée personnalité. Comment se fait-il que tu sois son ami ? Elle ne semble pas en avoir d'autres.
- C'est une longue histoire, éluda-t-il.
- Raconte là moi.
Yaël prit une chaise et s'assit. Je fis de même, curieuse d'en apprendre plus.
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