Chapitre 2

Je ne pensais pas qu'il serait si difficile d'approcher Yaël ! Lui aussi avait érigé des barrières. Je le croisais sans jamais lui parler et il en faisait de même. Nous nous ignorions parfaitement. Avant ma fuite, nous faisions au moins semblant que tout allait bien, partageant des banalités, échangeant sur le quotidien. Nous savions tous les deux que c'était un leurre et qu'une distance s'était imposée entre nous, mais au moins nous échangions encore !

À mon retour, il ne me laissa qu'une seule opportunité de m'expliquer, mais je ne la saisis pas et je ne savais à présent pas très bien comment faire.

Lorsque j'étais rentrée à la Grand'Astrée, il avait attendu la nuit tombée pour rejoindre notre foyer. J'avais patienté, guettant son retour avec une certaine angoisse. J'avais rangé ce que j'avais pu de notre demeure et réparé ce qui pouvait l'être. J'avais réfléchi tout l'après-midi sur ce que je pourrais bien lui dire, mais rien ne se passa comme je l'avais imaginé.

Il était blessé. Je l'avais blessé. Toutefois, notre lien était plus profond, presque irrémédiable. Il faisait partie de nous. J'avais compris que ces fils de lumières, invisibles aux yeux des autres, tissés des liens étroits qui nous rapprochaient irrémédiablement. Je ne pouvais lui résister et il était tout autant subjugué par moi. Ce lien intemporel et inexplicable était ancré sous nos pores et l'absence de ces derniers jours eut raison de nous.

Il avait sans doute des tas de questions à me poser, et si ce n'était pas le cas, il devait très certainement avoir envie de me crier dessus après ce que je lui avais fait endurer, mais il n'en fit rien. Il y avait plus urgent. Nos corps nous trahissaient. Nous étions attirés l'un vers l'autre, tels des aimants. Dès que mon regard plongea dans le sien, j'y lus mille émotions contradictoires, mais une ressortait plus que les autres. Cet homme m'aimait intensément.

Il ne fallut que quelques secondes pour que nous nous embrassassions de façon passionnée. Je vivais de nouveau, j'avais l'impression d'être restée en apnée durant tout ce temps. Ce baiser était sincère, beau et enflammé. J'aurais aimé qu'il dure encore. Toutefois, cette parenthèse fut brève, car oui, il avait des questions... Comment aurait-il pu en être autrement ?

- Izi... Je... Où étais-tu ?

J'espérais que ce ne serait pas la première question...

- J'avais besoin de prendre du recul, de comprendre qui je suis.

Ce n'était pas tout à fait faux !

- Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? Pourquoi t'es-tu enfuie ?

Je pouvais difficilement lui répondre. Je ne cessais de penser qu'on nous écoutait.

- Je... je suis désolée Yaël. Je crois que j'ai du mal à digérer ce qui s'est passé à Astrée. Je devais m'éloigner et me savoir seule. J'en avais besoin, affirmai-je dans un demi-mensonge.

Je savais que je le blessais davantage. Il ne le montra pas, du moins pas comme je l'avais envisagé. Je pensais que notre dispute serait violente et verbale. Mais il me répondit seulement.

- Je comprends.

Je m'attendais à tout sauf à ça, mais comme je vous le disais, lui aussi avait érigé des barrières.

Il partit se coucher, m'expliquant que la journée avait été longue. Je restai figée un moment dans ce qui restait de cette pièce, autrefois si chaleureuse. Il se dirigea vers le tronc creusé de l'arbre et saisit la liane qui le propulsa au sommet du séquoia à feuilles d'if. En un instant, il ne fut plus là et je me retrouvai seule avec toute ma culpabilité.

Après quelques minutes, je le rejoignis. Je me glissai dans notre couche, espérant qu'il m'enlace comme il avait l'habitude de le faire. C'était devenu très vite notre rituel, mais une fois encore, il n'en fit rien.

Nous en étions aujourd'hui toujours au même point. Nous ne nous parlions plus depuis et nous nous ignorions presque complètement. Et bien que l'on détestait tous les deux la situation, bien que je priais pour que cela cesse, plus le temps passait, plus il était difficile de se défaire de cet état de fait.

Yaël passait ses journées à l'extérieur, je n'étais même pas sûre qu'il soit à la Grand'Astrée ! Le pire était que je ne comprenais toujours pas son rôle au sein de ce monde. Il était l'Élu. Mais il n'y avait jamais eu d'Élu... Il ne remplaçait pas un ancien Prince, d'ailleurs il n'y avait aucune monarchie ici, pas même une quelconque administration ou organisation politique, simplement un Conseil. En quoi Yaël était-il leur dirigeant ? Que faisait-il donc de ses journées, soi-disant si chargées ? J'avais surtout l'impression qu'il me fuyait !

De mon côté, je passais mes journées à l'école, continuant de m'entraîner au combat et de m'informer sur la Grand'Astrée et les astréiens. Je décidai d'en profiter pour poser quelques questions. Après tout, il s'agissait de notre gouvernement, on devait bien m'en apprendre les arcanes.

Ce jour-là, ce fut au tour de Victor de nous faire classe. Victor faisait partie des nouveaux dieux, il était connu ici pour ses facultés particulières de métamorphe. Il ne s'était jamais rendu de l'autre côté du miroir et n'en ressentait pas le besoin. Il était bien ici parmi son peuple, pouvant courir les plaines en totale liberté, au gré de l'apparence bestiale qu'il souhaitait. Il connaissait par cœur tous les recoins de la Grand'Astrée et aimait assurément ses terres. C'était un bon enseignant, de ceux passionnés par ce qu'ils font.

Ma question ne le surprit pas outre mesure. Je me suis même demandé s'il ne l'attendait pas.

- En quoi consistent exactement les fonctions de l'Élu ? avais-je finalement formulé à voix haute bien que je trouvais que c'était à Yaël de me l'expliquer.

Victor me répondit tout naturellement.

- L'Élu est le seul capable de maintenir l'ordre entre nous. Celui-ci est fragile. Avant l'autorité de Gaïa et d'Orion faisait loi, mais depuis leur disparition... il y eut une scission entre nous, ce que les humains appellent les anciens et les nouveaux dieux. Il faut assurer la paix entre nos frères. S'il venait à se confronter et à s'affronter, avec leurs pouvoirs, cela pourrait conduire à la fin de la terre telle que nous l'entendons aujourd'hui. L'équilibre entre nos deux mondes est précieux. L'Élu est celui qui veille à son maintien.

- C'est pour ça qu'il détient les quatre pouvoirs originels ? demandai-je.

- En effet. Il n'y a aucun autre astréien qui détient autant de pouvoirs. En cas de combats entre les astréiens, il serait le seul à pouvoir régler le conflit, dans un sens ou dans l'autre.

- Que fait-il exactement de ses journées pour maintenir cette paix ?

- Ça Isabelle, tu ferais mieux de le demander à ton époux. Seul lui pourra vraiment répondre à ta question.

J'aurais dû m'y attendre ! Mais les rires des autres élèves m'importaient peu, et je ne me laissai pas déstabiliser par cette remarque... pertinente.

- Si l'Élu est censé maintenir notre monde tel que l'on connaît, n'est-ce pas contradictoire avec la prophétie de Yorï qui annonce une nouvelle ère ?

Cette fois-ci, ce fut à Victor d'être embarrassé et, à son expression, je ne doutai pas qu'il ait connaissance de cette prémonition.

- Les prophéties sont abstraites, commença-t-il.

Il réfléchit un instant avant de poursuivre.

- L'arrivée même de l'Élu parmi nous, ne pourrait-il pas marquer le début de cette nouvelle ère ? S'agit-il d'une ère lointaine qui ne se produira que dans des milliers d'années ? Ou peut-être encore que ce choix revient à l'Élu ? Par ses actes, Yaël créera peut-être une nouvelle ère ? Tout est permis avec les prophéties, on n'y lit que ce que l'on veut y voir.

J'avais l'impression qu'il essayait de me faire passer un message dans cette dernière phrase. Je ne posai pas plus de questions, essayant toujours et inlassablement de relier les informations entre elles pour savoir enfin quoi faire.

- Nous finissons plus tôt aujourd'hui, s'exclama notre enseignant. Vous savez que ce soir nous célébrons l'Équinoxe et il va falloir s'affairer à transformer cet endroit, nous annonça-t-il en désignant le terrain qui nous entourait. S'il y a des volontaires pour participer, toute aide est bonne à prendre. Il faut parfois savoir reconnaître quand on en a besoin.

Une fois encore, j'eus l'impression que cette phrase m'était personnellement adressée. Je ne savais pas si je devenais paranoïaque, mais je me sentais toujours observée, guettée, épiée. Quand on m'adressait la parole, j'avais souvent l'impression qu'il y avait un message caché.

Misha me dit aussitôt à ce soir et partit tout naturellement aider les autres astréiens. Il savait déjà que je ne resterai pas et que j'allais m'éclipser. Et, effectivement, je pris la direction de ma demeure, espérant pouvoir être enfin un peu seule.

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